Chapitre 20
Shake It Off
Violet
Mon crâne me fait mal. Tout mon corps me hurle de prendre du paracétamol en fait. J'essaye d'ouvrir les yeux malgré mes paupières lourdes, bien décidée à ne pas me rendormir.
Depuis quelques heures, je suis consciente d'avoir atterri à l'hôpital suite à ma chute, mais à chaque fois que j'essaye de me réveiller, le sommeil me gagne et je replonge dans les ténèbres aussitôt. J'en ai marre, je dois émerger.
La lumière de la pièce m'éblouie alors je mets quelques minutes avant de réussir à ouvrir entièrement les yeux. J'entends le bruit régulier de machines autour de moi, je sens l'odeur du désinfectant qui chatouille mes narines, et je commence à sentir les draps propres sur ma peau malgré la douleur.
Quand mes yeux s'adaptent au blanc de la pièce, je constate qu'il n'y a pas grand-chose hormis ce qui m'entoure et un siège contenant un sac m'appartenant. Mes parents ont dû passer, je suppose.
Je me souviens de ma chute pour ce foutu gâteau de Madame Brown, Nate qui était là je ne sais pas pourquoi, le cri de Layla. Il y avait aussi cette infirmière avant de m'opérer puis ce produit qu'elle m'a donné. Les drôles de rêves dont je ne m'en souviens que vaguement. Des licornes et un mauvais sosie de Théo James.
Je réunis le peu de forces que j'ai pour appuyer sur le bouton qui permet d'appeler un soignant. Je suis presque surprise de le trouver du premier coup, vaste souvenir de mon dernier tour dans une chambre d'hospitalisation.
Ma jambe.
C'est de là que vient la douleur qui remonte de ma colonne vertébrale pour affoler mon cerveau. Je grimace pour ramener mes bras vers moi, bien décidée à observer l'étendue des dégâts. Après tout, j'étais déjà persuadée de ne plus danser mais à ce stade c'est fini. Se casser deux fois la jambes... Quelle débile !
J'attrape du bout des doigts la fine couverture blanche qui me recouvre puis soulève en espérant que je ne sois pas entièrement nue. Je me doute que beaucoup trop de gens dans cet hôpital ont vu mes fesses, mais je préfère rester dans le déni pour le moment.
Je soulève lentement le drap, mais reste interdite en voyant ce que je découvre.
Je ne sais pas si c'est possible, mais je sens littéralement mon cœur se fissurer dans ma poitrine. Mes doigts se mettent à trembler autour du drap, le serrant un peu plus pour me raccrocher à quelque chose de bien réel.
Ce n'est pas possible. Je rêve là.
L'air commence à manquer mais je ne me rends même pas compte que je ne respire plus. Mes yeux sont braqués sur le bas de mon corps, paralysée.
— Madame Dav... commence une infirmière qui vient d'entrer dans la pièce.
Elle se coupe en voyant mon état. Je dois être plus blanche que la neige. J'essaye de prendre une première inspiration mais mes poumons ne se gonflent pas. Prise de panique, mes yeux s'embuent de larmes alors que mes mains tremblent de plus en plus sur la couette.
La dame se précipite vers moi pour me faire lâcher prise, puis me place un masque à oxygène sur le nez en voyant que je ne respire plus. Rien n'y fait, même si l'air continue à me maintenir en vie, j'ai l'impression que mon cœur a été arraché de ma poitrine.
La douleur vive que je ressentais dans mon corps devient pire encore car c'est ma détresse psychologique qui se rajoute à l'équation.
Je ne veux pas y croire. Je vais me réveiller.
Tremblante, j'arme ma main pour me pincer le bras, mais je ne rêve pas.
— Non... j'arrive à chuchoter d'une voix rocailleuse qui me brûle la trachée.
J'entends à peine l'infirmière appeler un médecin que je continue à me pincer tout le bras jusqu'à en venir au sang.
— Madame ! Arrêtez maintenant ! me réprimande l'infirmière en attrapant mes bras.
Affolée, je me tourne vivement vers elle pour l'observer. Ses yeux bruns me fixent avec une pointe de tristesse dans le regard. Non. De pitié. Elle a pitié de moi.
— Il faut que vous vous calmiez ou on va vous refaire dormir, m'explique-t-elle avec gentillesse et inquiétude mélangée. Ça fait trois jours que vous dormez, Violet.
Trois jours. Ça fait trois jours que j'essaye de me réveiller mais que rien ne se passe. Le choc est d'autant plus rude. J'ai envie de pleurer mais les larmes qui me brouillent la vision ne coulent pas.
Non, je ne veux pas pleurer. Je vais me réveiller de toute façon.
— Madame Davis, déclare le médecin Smith avec un sourire idiot plaqué sur les lèvres. Comment allez-vous ?
Comment je vais ? Comment veut-il que j'aille sérieusement ?! Je n'arrive pas à parler, quand j'ouvre la bouche, c'est de la bile qui remonte dans ma gorge.
L'infirmière constate que je suis calmée, ou du moins que je vais arrêter de me pincer comme une idiote, donc me lâche doucement. Elle s'écarte puis me retire le masque à oxygène pour que je réponde au médecin.
Mais je l'ignore.
— Je sais que c'est difficile. On va vous laisser vous remettre du choc puis nous allons appeler votre famille pour dire que vous êtes de nouveau parmi nous.
Ma famille. L'infirmière. Le médecin.
Tout se mélange dans mon cerveau. Lui qui était si paniqué il y a quelques instants, j'ai l'impression d'être droguée maintenant, comme perdue dans un monde parallèle.
Je vais me réveiller. Ce n'est qu'un cauchemar.
Il me parle en expliquant ce qu'il s'est passé pendant l'opération, chaque détail me fait l'effet d'un coup de couteau. Je me concentre pour ne pas l'écouter. C'est trop tôt. Je ne veux pas savoir. C'est un rêve. Je vais me réveiller.
« Cause the players gonna play, play, play, play, play
And the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate
Baby, I'm just gonna shake, shake, shake, shake, shake
I shake it off, I shake it off »
Taylor Swift me hurle dans les oreilles, prenant possession de mon cerveau le temps que le médecin finisse sa tirade dégueulasse.
— L'avantage, dit-il entrain, c'est que vous n'avez normalement plus de cancer dans la jambe ! On va faire de la radiothérapie pour votre thorax, en espérant que ce n'est pas assez métastatique dans le sens où, peut-être qu'on arrivera à faire quelque chose. Bon. On reparlera de ça avec votre famille, je vais tout leur expliquer et on aura le temps de discuter avant votre sortie le 4. Soit dans...un peu plus de deux semaines ! Bref, reposez-vous, réfléchissez à ce que je vous ai dit et appuyez sur le bouton quand vous avez besoin de plus d'antidouleur. C'est normal de sentir de drôles de sensations ou des douleurs donc ne vous inquiétez pas. Prévenez-moi aussi quand vous vous sentirez prête à recevoir de la visite.
Le médecin me sourit une dernière fois avant de s'éclipser. L'infirmière fait quelques contrôles de routine en silence avant de me laisser seule aussi. Je repasse les dernières paroles du médecin en boucle dans ma tête jusqu'à qu'un rire m'échappe et qu'il se transforme en fou rire.
Plus dans cancer dans la jambe.
Tu m'étonnes, je n'ai plus de jambe, connard !
***
— Ma chérie ?
C'est la voix de maman, mais je fais mine de dormir sur le côté. Je n'ai aucunement envie de parler à qui que se soit, alors j'ai laissé croire à tout le monde que je dormais profondément. Honnêtement, je pense que l'infirmière n'est pas dupe de ma supercherie, mais elle n'a rien dit depuis mon réveil.
— Madame, dit-elle sûrement à ma mère, ne la prenez juste pas dans vos bras ou quoi que se soit, il faut qu'elle se repose.
Merci madame l'infirmière, cœur sur vous.
Je sens les lèvres de ma mère poser un baiser sur mon front puis celles de mon père.
— Elle restera combien de temps ? demande la voix de Roméo.
— Le médecin prévoit le 4 octobre, mais tout dépendra de la cicatrisation de sa plaie.
— Et après ? demande Zack avec un brin d'inquiétude.
— Après il y aura de la rééducation, la radiothérapie pour son thorax comme nous n'avons pas trouvé de cancer dans l'autre jambe, et un jour elle pourra utiliser une prothèse pour remplacer sa jambe manquante.
Ses mots me font l'effet d'une gifle mais j'essaye de ne pas avoir d'expression. Il faut qu'ils pensent que je dors.
— Est-ce qu'elle a mal ?
La voix de Nate me donne un long frisson le long de ma colonne vertébrale, réduisant une petite seconde ma douleur. Oui, j'ai mal. Un mal de chien et pourtant je suis droguée à l'antidouleur.
— Je pense. En fait, elle n'a pas parlé depuis son réveil. Mais elle doit souffrir, oui. Vous savez, perdre un membre est douloureux physiquement mais je pense que ce n'est pas la pire souffrance. Elle dansait, vous disiez ? Eh bien là... ça sera possible un jour, peut-être, mais psychologiquement elle a pris un gros choc. Il lui faudra beaucoup de temps surtout que...
— Surtout qu'il y a la radiothérapie, complète Nate de sa voix grave. Merci de votre franchise.
— Oh, mon bébé, se met à gémir ma mère en sanglotant. C'est horrible.
— On sera là pour elle, Miranda, la rassure papa. Et puis au moins, si son thorax se soigne bien, elle aura survécu au cancer. Les médecins n'avaient pas le choix, ils te l'ont expliqué...
— Je me sens si coupable, elle nous faisait la tête ! continue ma mère en pleurant à chaudes larmes cette fois. Tu l'as vu, hein Michael ! Elle nous évitait, elle passait son temps avec Eden parce qu'elle était là. On aurait dû faire plus encore...
Là, je suis persuadée de ne plus avoir de cœur du tout. Il est tellement en miette qu'il a disparu.
— Je pense que vous devriez sortir, dit doucement l'infirmière entre les sanglots de ma mère. Elle ressent ce qu'il se passe dans cette pièce je pense, et elle est assez peinée comme ça.
J'entends du mouvement puis je ressens moins de monde dans la pièce. Cependant, une main se pose sur mon épaule. Elle est douce sur ma peau nue, ça fait du bien un peu de contact finalement.
— Je ne sais pas si tu dors réellement, me dit Nate, mais je suis désolé Violet. Je ne savais pas ce qu'il se passait et j'ai été odieux. Je suis désolé pour ta jambe et tout ce qu'il se passe dans ta vie mais ça va aller, on est là pour toi.
Ça va aller. J'essaye de me convaincre mais non, ça ne va pas aller. Comment ça pourrait aller ? Nate pose ses lèvres chaudes sur ma joue puis je sens son contact me quitter pour sortir de la pièce. Il ferme derrière lui, et je suis de nouveau seule.
Ce n'est donc pas un rêve.
J'appuie rapidement sur le bouton pour appeler l'infirmière en constatant que sur ma table de chevet est posée une petite fleur rose. Je l'ignore puis fait comprendre à la femme que j'ai besoin de médicaments. Elle rechigne un peu au vu de la dose qu'on m'a déjà administré, mais elle se contente de le faire finalement.
« It's like I got this music in my mind and it's gonna be alright... »
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