Chapitre 19

La vraie identité de Clark Kent

Violet

- Mademoiselle ? Mademoiselle, vous m'entendez ?

J'ai l'impression d'être sur un nuage, de flotter lentement dans le ciel qui n'est pas bleu, mais rose. J'essaye de bouger ma main mais c'est comme si elle n'existait pas. En fait, je ne sens aucun de mes membres. Mes paupières restent clauses, si bien que je sens juste mon nez se retrousser quand j'essaye de les ouvrir.

- Mademoiselle, ok vous m'entendez je suppose.

Oui je t'entends mais je me sens juste défoncée. Plus défoncée que la première fois que je me suis fait opérer en fait.

- On va vous anesthésier. Le calmant qu'on vous a administré n'a pas bien fonctionné donc j'étais obligée de vous réveiller avant ça. On va aller au bloc opératoire, d'accord ? Je vais vous demander de bien respirer quand je poserai le masque sur votre visage.

Opérer, masque, bloc. Les mots se bousculent dans ma tête et rien n'est cohérent. J'essaye d'hocher la tête mais je ne suis pas sûre du tout de ce que ça doit rendre en réalité. Putain, c'est fort ce qu'ils m'ont donné ! Doucement, un truc se pose sur mon visage et ça me chatouille. Par réflexe, j'ai envie de me gratter le nez mais aucun de mes membres ne bougent, trop engourdis pour daigner me répondre.

Je respire comme la dame a dit, lentement mais pleinement. Je ne sens rien, c'est juste de l'air tout ce qu'il y a de plus normal. Je respire encore et encore jusqu'à avoir envie de bailler. Le pire du pire, c'est que ça ne sort pas. C'est exactement la même sensation que quand tu essayes d'éternuer mais qu'en une seconde, plus rien. Horrible.

Moi qui pensais ne plus sentir ma tête, j'ai d'un coup l'impression qu'elle est trop lourde pour moi, bien que je sois allongée. Le ciel rose réapparaît sous mes paupières, j'ai l'impression que mon âme est aspirée hors de mon corps jusqu'à ce que plus rien. Les nuages disparaissent, engloutis par les ténèbres, et mon ciel si vaste se transforme en une ombre noire qui m'emporte avec elle.

***

Nate

***

- Putain, mais dites-moi où vous l'emmenez ! hurlé-je dans les urgences alors que Violet a déjà disparu depuis de longues minutes.

- Monsieur, me dit une infirmière pour au moins la dixième fois, vous n'avez pas le droit de rester ici. Allez attendre dans la salle d'attente comme tout le monde, on vous tiendra au courant quand on en saura plus !

- Mais je m'en fous, dites-moi ce que vous allez faire !

Je suis hors de moi. De base, je venais juste acheter un dessert pour aller dîner chez Harper avec les petits quand j'ai entendu un énorme bruit dans l'arrière-boutique du café. Un hurlement, puis le cri de Layla qui devait récupérer la commande de cette pauvre madame Brown qui ne sort de sa tanière que deux fois par an. Et ça se voit, je ne la toucherai même pas avec un bâton si je devais. J'ai couru dans la réserve pour voir Layla totalement pétrifiée devant Violet au sol.

Du sang, beaucoup de sang. Violet était blanche comme du marbre, une petite auréole se formant derrière son crâne. Et sa jambe... Mon Dieu. Je ne pensais même pas que c'était possible d'avoir une jambe avec un angle comme ça.

Les ambulanciers nous ont rassurés, comme quoi plus de peur que de mal apparemment, hormis sa jambe cassée et une légère coupure sur la tête, mais tout ce sang... Je l'ai suivi en voiture le temps que Layla ferme la boutique, sans prévenir Eden pour une histoire de rendez-vous ou je ne sais pas quoi, je n'ai pas trop cherché à comprendre. J'ai suivi l'ambulance d'aussi près que je pouvais, m'en foutant des excès de vitesses jusqu'à ce qu'une voiture refuse de me laisser passer. À partir de là, j'ai eu du retard sur Violet.

J'ai appelé toute sa famille, soit Roméo et ses parents qui sont censés me rejoindre. Sa mère a éclaté en sanglots quand je lui ai expliqué la situation, mais je ne pouvais pas la rassurer. Parce que moi-même, je suis mort de trouille.

- Monsieur, m'interpelle un médecin en blouse blanche qui ne m'a pas l'air très sympathique. Si vous n'écoutez pas cette infirmière, je vais devoir appeler la sécurité et vous foutre dehors. Vous n'êtes pas de la famille, alors allez patienter comme tout le monde dans la salle là-bas.

J'ouvre la bouche pour répliquer, les poings serrés, mais il lève son doigt pour me couper comme si j'étais un enfant. J'ai envie de le cogner, de le cogner si fort que son gros pif disparaîtrait. Une petite main se pose sur mon avant-bras avec douceur.

- Monsieur, s'il-vous-plaît, m'implore l'infirmière.

Je soupire et lui demande de me donner des nouvelles dès que possible. Elle acquiesce avant de retourner à ses activités et que moi j'aille dans la salle d'attente. Dedans, que des groupes qui pleurent en silence ou se rongent les ongles. Je marmonne un bonjour hésitant avant de trouver une place seule, entre une vieille dame et un homme peut-être un peu plus vieux que moi.

Sans un mot, la vieille dame me tend quelque chose sans même me regarder. J'hésite un peu avant de tendre la paume vers elle et un bonbon emballé tombe dedans. Je la remercie, puis l'ingurgite pour m'occuper un peu.

- Qui vous attendez ? me demande-t-elle de sa voix rocailleuse.

- Une amie. La sœur de mon meilleur ami en fait. Et vous, si ce n'est pas trop indiscret ?

- Ce n'est pas indiscret, c'est moi qui s'introduit dans votre vie sans que vous n'ayez rien demandé, alors je me dois bien de vous dire. Je ne vais pas tarder à aller fumer une clope de toute façon, j'ai toujours détesté ces putains d'hôpitaux.

J'aime bien cette dame en fait. Malgré ses airs stricts, elle est vraiment très belle avec sa longue chevelure blanche. En fait, je suis presque sûr qu'elle faisait des concours de beauté ou ce genre de choses dans sa jeunesse.

- J'attends mon mari. Enfin non, mon ex-mari plus précisément même si nous ne sommes pas réellement divorcés aux yeux de l'État. Il s'est fait larguer par sa nouvelle femme, une conne prétentieuse qui a ruiné notre vie. Enfin non, je suis heureuse qu'il m'ait trompé, j'ai pu reprendre ma vie en main et tout changer.

Ses yeux verts trouvent les miens, et je suis un peu plus frappé par sa beauté. Son visage fin est tiré, comme si elle n'avait pas dormi depuis des jours, mais la seule chose qui gâche un peu tout ça, se sont ses lèvres un peu jaunies qui trahissent une consommation excessive de nicotine. La voir comme ça me donne presque envie d'arrêter, même si je pense être assez raisonnable en général.

- Je te raconte ma vie même si tu t'en fous, mais voilà. Il a repris contact avec moi il y a... oula... Peut-être quinze ou vingt ans ? À propos de notre fille, mais bref. Je l'ai régulièrement au téléphone, et là il a fait une tentative de suicide. Il est vieux et trop gras pour réussir ce porc. Mais je suis quand même là, à attendre qu'on me dise s'il est mort ou pas. Toute cette route pour ça...

- Vous ne venez pas d'ici ?

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que cette femme a besoin de parler. Et discuter avec elle me fait un peu oublier où on se trouve et l'état de Violet qui m'inquiète tant. Le temps que sa famille arrive, je dois m'occuper l'esprit.

- Non, je viens d'un peu partout en fait. Actuellement, je suis vers Forks, une petite ville que j'ai connu dans un film pour adolescent. Et mon ex vient du Mississippi mais il s'est déplacé pour voir un match de basket je crois. Sa connasse de femme l'a plaqué sur la route près d'ici alors il a essayé de se faire renverser.

C'est triste. J'ai l'impression qu'elle ne porte pas son ex-conjoint dans son cœur, mais en même temps, je ne suis pas sûr qu'elle le déteste. Personne ne se déplacerait de si loin pour venir voir quelqu'un qu'on ne peut pas saquer.

- Et quand vous dites que c'est une bonne chose qu'il vous ait trompé, pourquoi ?

La femme ricane doucement, un peu comme une sorcière dans un dessin animé, avant de s'enfoncer dans son siège pour observer le plafond.

- J'ai dû faire des choix difficiles. J'étais jeune, impulsive et sous emprise. Je crois que je l'aimais vraiment, mais il me rendait mauvaise. Ça m'a permis de fuir, laissant tout derrière moi pour reprendre ma vie.

- Et votre fille ? Enfin, vous avez dit que vous en aviez une.

- Oui, et un fils aussi. Je ne les ai vu qu'en photo mais tard, parce que je n'ai pas été en contact avec mon mari pendant très, très longtemps. Mais je ne veux pas reprendre contact avec eux. Je ne les connais pas, eux non plus. Enfin, elle. Mon fils... bref. J'étais terriblement jeune, mais j'ai pu refaire ma vie.

Je ne sens aucun regret dans sa voix. Comme si abandonner deux enfants ne lui faisait ni chaud ni froid. C'est assez troublant. Elle se lève d'un coup, avec un peu de difficulté mais refuse mon aide.

- J'ai absolument besoin d'une clope, répète-t-elle. J'espère que ton amie ira bien et que mon ex crèvera. N'oublie pas qu'on a qu'une vie, il faut faire des choix parfois mais ne jamais regretter. Je ne regrette rien, même pas d'avoir eu un premier enfant à seize ans et de les avoir abandonnés. Pense à toi avant tout, soit égoïste.

Elle avance un peu plus vers la porte avant de se retourner une dernière fois, un léger sourire sur ses lèvres gercées.

- J'ai toujours rêvé d'être la vieille dame qui donne un conseil nul à un inconnu, comme dans les films. J'espère que je n'ai pas dit trop de bêtises et que mes paroles raisonneront en toi de n'importe quelle manière.

Je la dévisage un peu jusqu'à ce que ses traits s'impriment dans ma rétine. Son visage me dit quelque chose et pourtant, je suis persuadé de ne l'avoir jamais rencontré. Elle attrape sa tignasse blanche pour mettre ses boucles sur une seule épaule, avant de me saluer de la main.

- Peut-être qu'on se recroisera un jour, bonne continuation.

- Attendez ! Comment vous vous appelez ? J'aimerais bien m'en souvenir pour prendre des nouvelles de votre ex.

La femme se retourne pour être dos à moi, ouvre la porte de la salle d'attente puis murmure assez bas.

- Susan Clark. Bonne continuation jeune homme.

Elle referme la porte derrière elle, et deux minutes après se sont les Davis qui entrent, totalement chamboulés. Miranda pleure à chaudes larmes dans les bras de Michael tandis que Roméo est à peine soutenu par Zack qui semble totalement désemparé. Je me lève pour les saluer, et Miranda me saute littéralement dans les bras. Son corps frêle me sert contre elle, pleurant sur mon t-shirt. Je lui rends son étreinte avant qu'elle ne s'écarte en reniflant.

- Vous avez des nouvelles ? demandé-je en les regardant un à un. Ils n'ont rien voulu me dire et elle avait sa jambe en vrac et sa tête qui saignait et... Enfin voilà, je ne sais pas quoi faire là.

Zack me dépassa pour poser Roméo sur le siège que j'ai libéré, puis Michael en fait de même avec Miranda. Son carré brun est totalement en pagaille tout comme les boucles dorées de son fils qui, on dirait, a vu un fantôme.

- En fait, commence Michael avec la voix un peu enrouée, Violet s'est cassée la jambe. On nous a dit qu'elle avait une petite coupure à la tête mais rien de bien méchant par rapport au sang qu'il y avait, donc juste un ou deux points vont suffire. Mais sa jambe...

Tout le monde se tait. Miranda lâche un gémissement douloureux avant de se remettre à pleurer. Roméo se réveille un peu, juste assez pour la prendre dans ses bras.

- Mais ce n'est qu'une jambe cassée, non ? Questionné-je avec précaution. Enfin, je veux dire, ils vont juste la réparer comme il y a quelques mois. Elle aura juste un peu plus de mal à marcher mais ça ira avec la rééducation.

Silence de mort. J'ai l'impression d'avoir dit une connerie. Zack me fait signe de le suivre alors je ne me fais pas prier et le suis à l'extérieur de la pièce. Il n'arrête pas de se triturer les doigts à cause de la nervosité ce qui me rend anxieux. J'ai vraiment l'impression d'avoir dit de la merde alors que je ne suis pas fou, elle a juste une jambe cassée, ça arrive à tout le monde. La seule explication que je trouve pour justifier la réaction de sa famille, c'est que ça veut dire adieu à sa carrière de danseuse. Mais ce n'est pas nouveau, non ? C'était déjà évident hier ou avant-hier qu'elle ne pourrait plus danser ? Pourquoi en faire un drame à la Shakespeare ?

- Nate... commence Zack avec hésitation.

Sa peau noire brille sous la lampe au-dessus de nos têtes comme si ce qu'il s'apprêtait à me dire était au-dessus de ses forces. Étonnant pour un grand gaillard comme lui.

- Personne ne voulait te dire parce que c'est une sorte de secret de famille. Et ce n'était pas mon rôle de te tenir au courant de base, sache-le. Elle s'est cassée la jambe par deux fois parce que son os est fragilisé. Ce n'est pas le seul de son corps mais c'est lui le pire. Les médecins viennent de la prendre en charge pour une opération mais il y a eu des complications.

- Je ne comprends pas Zack, viens-en aux faits.

- Violet a un cancer, Nate. Un cancer des os qui s'est déclaré quand elle s'est cassée la jambe.

J'ai l'impression de rêver. Les mots qu'il me balance rentrent par une oreille mais ressortent par l'autre immédiatement, comme si mon cerveau ne voulait pas comprendre ce qu'il me disait.

Cancer. C'est grave, non ? Je n'en sais rien en fait.

- Elle devait commencer la chimiothérapie demain pour réduire la tumeur et ainsi se faire opérer. Sauf qu'il y en a dans ses poumons et on ne sait pas encore trop comment ça va évoluer.

Tumeur. Poumons. Chimiothérapie.

- Sauf qu'en tombant, elle a réussi à se faire bien, très bien même, mal. Enfin, je sais pas ils ne savent pas encore ce que ça va donner, s'ils vont enlever un bout de la tumeur en même temps ou j'en sais rien.

Violet a un cancer. Violet a un cancer.

Elle a un cancer.

C'est le seul mot qui revient en boucle dans mon esprit.

Cancer.

- On doit attendre maintenant, jusqu'à qu'ils nous disent ce qu'il en est. Mais sache qu'il y a une possibilité et c'est ça qui nous met tous dans un état second. En fait...

Zack commence à m'expliquer mais mon cerveau décroche. J'essaye de l'écouter avec attention, mais quand je comprends enfin ce qu'il me baragouine, mon cœur est à deux doigts de m'abandonner.

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