Chapitre 17
I wish you knew that I'll never forget you as long as I live
Violet
Voir Lola se débrouiller si bien à faire des pirouettes me remonte un peu le moral. Quand maman a enfin compris ce que voulait dire métastatique — ou du moins, quand elle l'a réalisé — et que c'était le cas de mon cancer, elle ne m'a pas lâché d'une semelle. Je crois même que son carré brun avait plus de cheveux blancs que d'habitude. J'ai sauté sur l'occasion de m'évader quand Eden m'a proposé de se joindre aux Myers pour un petit pique-nique. J'ai hésité sur le coup, pas vraiment d'humeur à sortir et je me disais qu'au pire, j'allais m'enfermer dans ma chambre, mais le discours d'Eden m'a convaincu.
Ici, près des kiosques cachés au milieu d'une petite forêt accessible en passant par un champ, elle ne se sentait pas d'affronter cette épreuve seule. Depuis la mort de Gareth, elle n'a jamais eu la force ni le courage de remettre les pieds dans cet endroit. Si le peu de force que j'ai en ce moment peut lui permettre de tourner une nouvelle page de sa vie, c'est avec joie que je l'aide.
À notre arrivée, j'ai préféré rester à l'écart pour la laisser respirer correctement. Je sentais son corps tendu, son hésitation en arrivant près des champs et l'émotion en voyant le premier kiosque apparaître. Je n'ai pas osé venir la soutenir, mais son amie rousse l'a fait à ma place. Toutes les deux, elles ont surmonté cette étape, main dans la main.
Ce n'est que plus tard que je me suis sentie de trop, quand Harper a cherché la petite bête pour me déstabiliser. Bingo, elle a tapé dans le mille. Dieu merci, Lola m'a sauvé la mise avec ses petites ailes bleues de fée. Elle m'a poussé à danser pour elle, pour lui apprendre un petit bout de mon savoir, jusqu'à ce que j'en oublie ma jambe encore douloureuse.
— On va peut-être faire une pause ? demandé-je gentiment à la petite fille aux cheveux de lion qui commence une roulade arrière.
En fait, c'est carrément de la gym qu'elle devrait faire à ce stade.
— Oui, oui ! Je m'entraîne en attendant !
Son enthousiasme me fait sourire alors je l'abandonne à sa roulade. Un coup d'œil aux adultes qui discutent, mais ce n'est pas elles qui me frappent en premier. Nate a les yeux rivés sur nous, les paumes tenant son menton en coupe. Je me détourne, sentant mes joues me brûler. Bon, ce n'est pas très grave s'il nous a observé. Après tout, nous ne sommes pas les seuls à avoir eu l'idée de pique-niquer, et Nate ne doit pas être le seul à nous avoir regardé.
Je sors le kiosque à l'opposé de notre petit groupe, bien décidée à aller me balader un peu. Je descends avec précaution les quelques marches qui me séparent de l'herbe puis commence à avancer vers les arbres qui sont posés à droite et gauche de la plaine. Évidemment, j'essaye d'éviter les gens au maximum pour ne pas les déranger, mais l'espace est si grand que je ne gêne personne. J'observe un peu tout ce qui passe sous mes yeux, profite de l'herbe bien verte sur mes pieds, de la légère brise qui bouge les feuilles des arbres ou encore les quelques animaux qui se battent pour un peu de nourriture. Tout est si calme...
Les oiseaux qui chantent me sortent un peu du rêve sans pour autant que ça soit désagréable, et j'entends presque le bruit de la mer quand ils se taisent.
— Tiens, me dit quelqu'un dans mon dos.
Quand je me retourne, Nate est là, face à moi. Ses cheveux sont un peu en fouillis, comme s'il avait passé une main dans ces mèches noires pour les écarter de ses yeux, et il me tend une fleur. Une petite fleur rose qu'il a dû cueillir sur le sol mal tondu, où quelques petites résistantes à l'automne approchant se dressent fièrement, l'air de dire qu'elles sont plus fortes que les saisons. Mon cœur se serre à ce souvenir, quelques années plus tôt, et je n'ai pas envie de refuser son cadeau.
Je le remercie tout bas en attrapant la plante pour la caler derrière mon oreille. Avec ma robe verte, ça devrait faire joli. Nate se joint à mes côtés pour marcher en silence, comme bien souvent avec lui, jusqu'à ce que nous arrivions au parking d'où nous sommes arrivés. Je ne sais pas vraiment pas où nous sommes passés, mais peu importe.
— Tu dansais très bien, tout à l'heure, me complimente-t-il en observant ses Converses noires. Enfin, je n'y connais rien, mais tu as du niveau.
— J'ai tout perdu, tu veux dire. Tu n'y connais rien, effectivement, alors arrête de mentir.
Nate s'arrête d'avancer pour m'observer, le visage dur. Son regard se fixe au mien comme s'il avait des centaines de reproches à me faire, mais pourtant, il ne dit rien.
— J'apprécie ce que tu viens de dire, me justifié-je comme je peux, un peu gênée de voir sa réaction. Mais je ne danse pas bien, je ne danse pas vraiment en fait. Quand on ne sait pas, on ne dit rien.
— Et j'essaye d'être gentil, Violet. Tu sais, je le pense quand je trouve le courage de venir te voir en face pour t'avoue que tu te dandines bien... Étant donné que danser n'est pas le mot juste d'après toi, tout ce que tu fais avec ton corps est magnifique.
Il m'énerve. Cet air supérieur qu'il prend pour me parler me donne envie de lui en coller une. Je sais ce que je dis, c'est mon domaine. Comme il l'a avoué, il n'y connait rien du tout. Voyant que je ne change pas de position, ses épaules s'affaissent un peu et un long soupir rauque s'échappe de sa bouche. Je vois ses mains se crisper, par contre.
— Violet, j'essaye de rétablir un dialogue mais tu ne me rends pas la tâche facile depuis hier.
— Et pourquoi ça ? Après tout, je ne suis qu'une sale égoïste, non ?
Nate se recule un peu comme s'il venait de se prendre ça en plein cœur. La chaleur monte soudain autour de moi, comme s'il faisait mille degrés. Le soleil tape un peu sur nous, mais pas delà à avoir si chaud.
— Roméo m'a demandé de faire un effort avec toi alors je le fais, explique-t-il en me crachant sèchement ses mots, contenant la colère qui semble monter. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans votre famille et même si je meurs d'envie de savoir, je ne suis pas prêt d'être au courant car même ton frangin ne veut rien me dire ! La seule chose qu'il a réussi à me pondre, c'est une simple demande de réconciliation avec sa sœur avant qu'il ne me dise tout. Alors s'il-te-plaît, fais un effort.
Sur ce dernier mot, sa voix déraille légèrement. Je ne sais pas si c'est parce que ça lui crève le cœur de devoir faire la paix avec moi ou si c'est parce qu'il en a réellement envie, mais je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à Roméo. Mon frère a eu le culot de se mêler de nos affaires. Si jusqu'ici il était assez raisonnable avec ma maladie, maintenant il a rejoint le groupe de ceux qui pensent que je vais bientôt mourir. C'est évident qu'il a demandé à Nate de se réconcilier avec moi pour que notre embrouille ne pèse pas sur sa conscience quand je serai partie dans un autre monde.
Morte. Rien que de penser à ce mot j'ai un frisson qui me parcourt le corps.
Après tout, peut-être que ça sera la meilleure solution pour tout le monde je crois.
— Je sais qu'on a chacun nos torts dans cette histoire, je ne te dis pas que tu es la seule fautive.
Super, maintenant il parle des mains comme un Italien. Ses tatouages m'obnubilent à se mouvoir comme ça sur sa peau, prenant vie à chaque mouvement. Foutu t-shirt noir.
— Mais il a peut-être raison. En te voyant pleurer sur la plage, je me suis dis merde, elle est triste et je ne fais rien pour l'aider. Au lieu de ça, j'étais tiraillé entre ma rancune et le fait de venir te voir. Si l'un l'a emporté, avec du recul je me dis que j'ai quand même douté. J'ai douté sur le fait d'avoir envie d'aider la petite sœur de Roméo. Quel genre d'ami je suis si je ne viens pas en aide aux membres de sa famille ? Je ne te dis pas que je change d'avis sur tout. Au contraire, je maintiens tout ce que je pense depuis que tu nous as quitté pour poursuivre un rêve vain.
Ses mots me font mal, mais je retiens la boule qui se forme dans ma gorge. J'en ai assez de pleurer. Je suis assez grande pour me manger quelques vérités en pleine face.
— Quelque chose m'échappe quand même, et Roméo me le fait comprendre. Je ne pense pas pouvoir te pardonner de nous avoir abandonnés, explique-t-il avec une teinte de pardon dans la voix, mais mon instinct me dit qu'il est temps de tourner la page. J'ai trente ans et putain, j'ai encore l'impression d'être un gosse ! Je suis strip-teaseur et je m'engueule avec une amie pendant des années, je vais à des teufs étudiantes et je baise des gens tous les jours ou presque. Quand je vois Harper qui a quelques années de plus que moi et tout ça autour d'elle, je me dis que j'ai foiré un truc.
Je suis un peu perdue avec tout ce qu'il me raconte mais j'ai l'impression que tout ne m'est pas adressé, comme s'il fallait qu'il s'exprime à haute voix pour se rendre compte lui-même de sa vie.
— Roméo et Zack ont une entreprise, mes anciens amis sont tous mariés, et moi je suis tonton. C'est super hein, mais tout ça pour dire que je me sens comme un enfant. Un grand enfant mais un enfant quand même. Je suis le plus adulte d'entre nous, c'est à moi de te forcer la main pour faire la paix...
— Ok...
Je ne trouve rien d'autre à répliquer alors il tire une grimace en se tirant les cheveux.
— S'il-te-plaît, dis autre chose qu'un ok parce que je me sens à poil, là. Pire que quand Greyson me demande des conseils pour ne pas paraître ridicule devant Harper dans son lit.
Un petit rire m'échappe mais il ne semble pas plus rassuré que ça.
— C'est... adulte de ta part, dis-je tout simplement en haussant les épaules sans trop de conviction. Je comprends ce que tu dis, je l'entends et...
Je respire un bon coup pour me redonner du courage, ce que Nate ne semble pas vraiment comprendre. C'est quand même un gros travail sur soi d'accepter tout ce qu'il vient de me dire sans broncher tout en sachant que l'initiative vient de mon frère et non de lui. Je déteste mentir, mais il n'a rien d'un adulte de trente piges. Même moi, je suis plus adulte que lui. Et à mon avis, je ne suis pas prête d'arrêter de grandir en voyant ce qui m'attend.
— Je suis prête à tout pour mon frère, j'explique avec tout le sérieux dont je suis capable. Si ça peut le soulager, je veux bien faire un peu la paix mais comme tu as dit, je reste sur mes positions aussi. Je pense tout ce que je te reproche depuis trois ans, rien ne change.
— Merci Violet, je...
— Ne me remercie pas trop vite, je le fais pour Roméo, pas pour toi.
Nate me sourit de toutes ses dents comme un idiot.
— De toute façon, faudra bien qu'on fasse des efforts tous les deux. Maintenant que tu es de retour, faudra qu'on s'adapte.
Si seulement tu savais...
Un cri strident qui menace de dépasser le mur du son se fait entendre, émanant d'une Lola qui court à toute vitesse pour se jeter sur Nate. Celui-ci l'attrape à la volée mais un caillou qui trainait là l'achève en le faisant basculer en arrière. Il entoure fermement Lola de ses bras pour qu'elle ne se fasse pas mal quand ses fesses touchent le sol dans un claquement bruyant. Lola éclate de rire alors qu'une minuscule larme s'échappe du coin de son œil à lui.
Décidément, Lola est toujours là au bon moment.
Elle commence à lui expliquer je ne sais quoi mais je suis vite distraite par mon téléphone qui vibre dans la poche de ma robe. Une notification m'indique que quelqu'un souhaite s'abonner à mon compte Instagram que j'ai toujours mis en privé depuis sa création. Je n'ai pas beaucoup de personnes qui me suivent et peut-être une ou deux publications comme il ne me sert principalement qu'à communiquer. Je clique sur le profil qui ne me dit rien du tout, et suis un peu étonnée de voir un danseur en photo de profil. De loin, les ombres dansent sur sa peau pour que seule sa silhouette mince et athlétique ne soit reconnaissable. Son visage est trop dans l'ombre pour que je distingue quoi que se soit et quand je vois son nom, @charles.lefebvre.off, il ne me dit rien non plus. Il n'est pas rare que je jette un coup d'œil, non. Il n'était pas rare que je jette un coup d'œil aux danseurs de l'Opéra de Paris par curiosité sans jamais m'abonner, mais c'est tout. Comme je passais ma vie à tous les repousser, aucun n'a jugé bon de s'intéresser à mon profil qui, dans tous les cas, ne comporte rien d'intéressant sur moi. Une formalité sociale, rien de plus.
Intriguée avant de valider ou non sa demande, je suis quand même intriguée de savoir qui a bravé l'interdit. Je défile les images une à une, souvent de représentations ou de photos plus classiques, jusqu'à en voir une qui attire mon œil. Je clique dessus pour découvrir une ancienne de mes professeures, un bouquet de tulipes à la main dans le studio de danse, prenant un selfie avec un homme.
Lui.
Je reconnais sa peau brune, ses yeux similaires et ses longs cils noirs. Cette tenue blanche et grise que portent tous les danseurs ainsi que ce corps élancé, fin et musclé.
C'est lui.
C'est lui l'homme avec qui je devais boire un verre le jour de mon accident. Charles. Il s'appelle donc Charles.
— Violet, tu viens avec nous ? me demande Lola de sa petite voix de chipie.
— J'arrive, je vous rejoins.
Charles. Son prénom glisse dans mes pensées avec facilité. Un nom et prénom bien français dont je ne suis même plus sûre de réussir à prononcer tant j'ai l'impression que ça fait cent ans que je suis revenue de France.
Sans trop réfléchir, j'accepte de suite et m'abonne à mon tour à son compte, un peu excitée comme une adolescente. Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
S'il ne me faisait pas plus d'effet que ça sur le moment, je dois reconnaître que le fait qu'il m'ait retrouvé est assez sexy. Surtout quand je vois toutes ces photos de lui sous cet angle. Le voir comme ça avec autant de recul, ça brise autant le cœur que ça ne me le réchauffe.
C'est la seule chose excitante qui se passe dans ma vie en ce moment, en même temps.
À peine une minute plus tard, soit même pas un mètre parcourut pour mes jambes, je reçois un message de sa part. Théoriquement, il faudrait que j'attende un peu avant d'ouvrir la notification pour faire genre que je suis quelqu'un de très occupée et pas du tout sur mon téléphone, même si la deuxième chose est véridique en général, mais mon cerveau ne veut pas. Je clique sur le message pour qu'il apparaisse, cessant de respirer le temps de le lire. Heureusement pour moi, il l'a écrit en anglais ! Mon français est un peu rouillé même si je pense pouvoir me débrouiller.
« Salut Violet ! Je ne sais pas si tu te souviens de moi, Charles Lefebvre... On devait aller boire un verre après un entraînement à l'Opéra mais on a eu un accident. Je suis désolé d'avoir mis tant de temps avant de prendre de tes nouvelles, mais tu n'es pas facile à trouver.
Sérieusement ? @little-blossom1989 ? Fan de Taylor Swift, je suppose... Enfin bon, aucune Violet Davis à l'horizon, mais j'ai réussi au final. Tout ça pour te dire que je suis désolé de ce qu'il s'est passé, je me doute que c'est très dur de s'en remettre et sans toi, je pense que je ne serai plus de ce monde. Laisse-moi payer ma dette en se rencontrant. Je crois que tu es rentrée chez toi, aux USA ? On nous a dit ça après toute cette tragédie. Et justement, voilà. Ma mère est américaine, française par alliance, alors on se fait une petite virée tous les deux sans mon père. On est dans le pays pendant un petit moment alors je me disais, si tu me communiquais ta ville et tout ça. Je te paye un verre ? ;) J'attends ta réponse avec impatience, jolie fleur. »
Je relis le message au moins trois fois avant de m'autoriser à assimiler ce qu'il me dit. Entre l'accident, l'annonce de mon cancer et le reste, j'avoue ne pas avoir vraiment pensé à lui. Pendant les quatre premiers mois, oui, un peu, mais il n'est jamais venu me rendre visite.
Bon, ok j'avais interdit l'accès à tout le monde sauf Eden, mais il aurait pu forcer un peu !
— Violet !! râle Lola dans le kiosque vers lequel j'arrive enfin. Tu viens ou passs ?
Je lève le nez pour voir la petite fille piquer sa crise toute seule puis range mon téléphone. Après tout, il est là pour un petit moment il a dit. Si je réponds ce soir en rentrant, ça ne lui fera pas de mal et comme ça, j'aurais le temps de réfléchir minutieusement à mes mots.
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