Chapitre 11
Paris -Brest, retour aux sources.
Violet
Cette première journée de travail a été éreintante. Après ma soirée catastrophique de mercredi, Eden m'a forcé à prendre une béquille le temps que ma jambe soit moins douloureuse, et a reporté mon premier jour de travail à aujourd'hui. Autant vous dire que quand j'ai débarqué au café avec ma jambe toujours en vrac et ma vieille béquille d'enfant, elle a voulu me renvoyer chez mes parents.
Seulement voilà, il existe plus têtue qu'Eden dans ce monde : moi.
Toute la journée, j'ai enchainé à servir des clients tout en reposant ma patte, sous l'œil avisé de Layla qui observait le moindre de mes mouvements. Elle m'a appris à faire la moitié de la carte, mais prenait le pas sur moi quand il s'agissait de servir des clients où de se déplacer dans la boutique. En gros, j'ai passé toute l'après-midi ou presque derrière le comptoir avec une chaise à disposition. Le seul avantage que j'ai pu trouver, c'est le pourboire. Soyez un peu mal en point, et les gens sont plus généreux.
- Nerveuse ? Me demande Eden alors qu'elle sonne à la porte de chez mes parents.
- J'ai envie de vomir...
Elle me sourit tendrement en passant sa main sur mon épaule qu'elle presse légèrement. Après cette journée, mes parents ont prévu un dîner avec notre famille, Eden et Zack. Le moment parfait pour apprendre à ses parents qu'on est atteint d'un cancer.
Nouvelle que mon frère n'a d'ailleurs pas bien digéré. J'ai échangé avec Zack qui a tout appris par l'intermédiaire de son mari, et l'état de Roméo est préoccupant. Il voit une amélioration, mais depuis trois jours il est totalement dans les vapes, alternant crise de pleurs avec fou rires incontrôlables. Il refusait de me voir.
Il est convenu qu'il garde tout pour lui le temps que j'annonce aux parents, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir une boule au ventre quand maman nous ouvre et que je me rends compte que le temps presse. Elle me prend dans ses bras, nos deux corps maigres entrechoquant nos clavicules. Je la serre un peu contre moi, profitant de ses cheveux courts et du parfum qu'elle dégage avant qu'elle ne s'écarte. Elle m'envoie un regard interrogateur auquel je réponds avec un petit sourire. Il faut que j'attende.
Nous entrons dans la petite maison suivant maman jusqu'à la salle à manger où mon frère et son mari sont déjà installés. Je les salue brièvement, ne voulant pas brusquer Roméo qui me sourit comme si de rien était. Son visage est radieux, comme toujours. Je passe dans la cuisine saluer papa qui cuisine — ou qui essaye de ne pas cramer le plat de maman plutôt — puis viens m'installer à table. Très vite, les discussions s'emmêlent dans la joie et la bonne humeur, les rires fusent et les anecdotes de vie aussi. Comme d'habitude, j'écoute sans vraiment intervenir, préférant ouvrir la bouche quand quelque chose de pertinent peut en sortir. À ma droite, Eden se lance corps et âme dans une discussion sur les chats avec maman qui semble plus jolie aujourd'hui. Non pas qu'elle soit moche, mais j'ai l'impression qu'elle s'est maquillée alors qu'elle ne le fait jamais. Et ses cheveux, ils me semblent un peu plus clairs sur les pointes qu'à la racine.
Roméo en face de moi discute vers l'autre bout de la table avec papa et Zack à ma gauche, mais j'ai un peu perdu le fil. Ils mangent, parlent fort et discutent baseball avec Zack de temps en temps. Je me contente de manger mes patates pendant quelques minutes, puis l'appétit disparaît, laissant la moitié de mon assiette remplie. Roméo le remarque mais ne dit rien, comme lorsque nous étions enfant et que l'un faisait une bêtise à table. Le silence, le chantage, et la résignation.
- Violet, ma chérie, tu n'as pas faim ? Me demande maman alors qu'elle commence à débarrasser la table.
Je vais pour me lever mais une main lourde s'abat sur mon épaule pour me faire rassoir. Le visage sévère, Zack me lâche et se lève pour aider ma mère, un regard entendu.
Je déteste qu'on me traite différemment.
- Je n'ai pas vraiment faim, mais tes patates sont bonnes, papa.
- C'est à ta mère que je dois tout, déclare-t-il en faisant les yeux doux à sa femme. Pour le dessert par contre, tu pourras flatter mon égo.
Un rire sans joie m'échappe, et je me contente de me taire. Déjà plus d'une heure que nous sommes à table, et j'ai été incapable de discuter avec mes parents. Eden m'a tendu des perches à plusieurs reprises, pensant que faire le parallèle entre mon problème et celui Will dans Avant toi. Comme si on pouvait comparer quelqu'un avec un cancer à quelqu'un de tétraplégique... Je préférais encore quand elle parlait de zombie.
Tout le monde débarrasse sauf moi et Eden qui a interdiction de mettre la main à la patte, mais je profite de leur absence pour distribuer les couverts du dessert et les petites assiettes. Roméo arrive près de moi, juste de quoi me frôler pour que j'entende ce qu'il me dit à voix basse.
- Dépêche de tout balancer, ils pensent que tu es enceinte et que tu as peur d'avouer.
Piquée par ce qu'il vient de me dire, je me redresse d'un coup, une sueur coulant le long de mon échine. Moi enceinte. C'est encore plus gros que si j'annonce que j'ai un cancer. Pour moi, en tout cas.
Merde, je soupire d'anxiété alors que je commence à réaliser qu'ils attendent une bonne nouvelle mais que je n'en ai aucune à raconter. Papa, maman, j'ai un cancer ! Non, ne vous inquiétez pas, ça s'est juste propagé dans mes poumons et ce n'est pas opérable ! La chimiothérapie ? Oh, j'ai reçu un mail pour me dire que j'ai rendez-vous lundi pour en parler. Mes cheveux ? Bye, bye !
Je pouffe toute seule comme une idiote ce qui me vaut un regard noir de Roméo qui s'installe en face de moi. Oups.
Maman revient à sa place avec Zack, puis papa arrive avec une énorme pâtisserie. Le sourire jusqu'aux oreilles, il rayonne de bonheur malgré la crème brune sur sa barbe claire. Je souris en reconnaissant le gâteau, un Paris-Brest, heureuse de l'intention. Il le pose et prend une photo de son œuvre avant que maman ne le massacre à coup de couteau.
- Mes abonnés vont être ravis ! S'exclame papa avec joie.
- Tes abonnés ? demandé-je sans comprendre.
- Oui, intervient Roméo en soupirant, Michael s'est trouvé une passion pour faire des photos de bouffe sur Instagram.
- Et le pire, s'exclame maman en brandissant le couteau, c'est qu'il a du monde qui le regarde !
J'interroge mon père du regard alors il vient vers moi pour me montrer sa page dont j'ignore l'existence. J'avoue ne pas passer beaucoup de temps sur les réseaux, inutiles à mon goût. Je commence à défiler la page et c'est vrai que ses pâtisseries sont jolies, surtout quand on sait qu'il était videur de base. Je remonte tout en haut et trouve le nombre d'abonné qui est énorme !
- Papa, t'as presque trente milles personne qui te suivent pour ça ! Mais c'est fou.
- Je sais, dit-il en se la pétant fièrement. J'ai fait une vidéo où j'attaque ta mère avec de la farine, ça a bien marché donc après ça pouf, plus de contrôle sur rien.
J'hoche la tête et lui rends le portable, un peu impressionnée par ses exploits. Je m'empresse d'aller m'abonner à lui, et c'est presque s'il danse de joie en voyant un nouvel arrivant sur sa page même si c'est sa fille. Lui qui est si stoïque d'habitude, il est en forme ce soir.
Même si ce n'est pas pour longtemps.
Maman nous serre et je me délecte de ce met qui me fait saliver. La première bouchée est la meilleure, je n'arrive pas à retenir le gémissement de plaisir qui sort de ma gorge quand crème se mélange à la pâte à choux dans mon palet. Je défonce littéralement mon assiette en deux minutes tellement c'est bon, ce qui fait un ravi. Quand j'ai fini, je remarque que ni Roméo, ni Eden n'a touché à son assiette sans que ça préoccupe mes parents. La bouche encore pleine de sucre glace, ils me dévisagent en silence. Un silence lourd de sens.
J'abandonne ma cuillère dans mon assiette, pose mes mains sur mes genoux pour éviter qu'on ne me voie trembler et inspire profondément. Je me dis que c'est comme un pansement, il faut l'arracher fort.
- Papa, maman, je dis doucement et tout le monde s'arrête de manger pour me regarder.
- Oui ma chérie ? Demande maman alors que papa à la bouche pleine.
- J'ai un cancer.
Après ça, tout va vite. Papa s'étouffe avec son gâteau obligeant Zack — le plus fort d'entre nous — à lui faire la technique d'Heimlich pour qu'il recrache le morceau. Maman se met à hyper ventiler alors Eden vient l'aider comme elle le peut avec des techniques de respiration. Roméo alterne entre aller voir maman et papa, impuissant.
Et moi, j'attends. Je suis incapable de bouger. Figée, assise sur ma chaise face au mur, je n'entends que les battements de mon cœur dans mes oreilles. Je me concentre sur la circulation de mon sang, de mon aorte qui pulse la seule chose qui me maintienne en vie. Parce que oui, je vis.
Tu n'es pas encore morte.
J'entends à peine Eden rassurer mes parents, leur expliquant les rendez-vous que l'on a déjà eu, les médicaments que je prends pour le moment et ce qui est envisageable. Maman pleure mais remercie Eden de m'avoir soutenue. Papa est muet. Roméo pleure avec maman. Zack aide Eden en expliquant les recherches qu'il a fait sur internet.
Même si maman affirme qu'elle nous croit, qu'on n'aurait jamais menti sur quelque chose d'aussi gros, elle demande qu'un médecin l'affirme. Eden lui transmet la liste de mes rendez-vous dans la foulée.
Je sens qu'on me secoue, qu'on me parle, mais c'est comme si mon cerveau était déconnecté de mon corps. On me secoue de nouveau comme une folle, mais je n'arrive pas à réagir. Je me sens dépossédée de mes moyens, c'est horrible.
Une larme coule sur ma joue. Je vois passer des bras bruns près de moi, puis on me soulève. Je vois Zack qui me sourit, m'entraînant à l'étage, dans ma chambre je devine.
J'entends les pleurs de maman, Eden au téléphone avec quelqu'un. Puis je me laisse dépérir dans le matelas confortable, enveloppée par mon drap vert aux fleurs roses jusqu'à ce que mes paupières soient lourdes et qu'on m'autorise à fermer les yeux.
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