Chapitre 10

Super-connard, le retour du con

Nate

Je fume une dernière taffe de ma clope qui rend l'âme tant j'ai été jusqu'au filtre avant d'éteindre les dernières cendres pour jeter le mégot dans une poubelle. J'hésite à en prendre une deuxième pour apaiser ma colère qui ne redescend pas, mais une tête blonde m'en empêche en passant à toute vitesse devant moi, fonçant vers une voiture garée.

Dans la nuit, ses boucles blondes restent aussi éclatantes qu'au soleil, dorées de la racine à la pointe. Il ne peut s'agir que de Roméo.

Je me lève de l'endroit où je me suis posé pour courir à sa poursuite, le rattrapant juste avant qu'il ne déverrouille la voiture. Quand il lève la tête pour voir qui se trouve près de lui, je remarque directement ses yeux rouges remplis de larmes et son air perdu qu'il m'a tant de fois montré. En silence, je m'approche de mon pote jusqu'à pouvoir le prendre dans mes bras et le serrer le plus fort possible. Son cœur bat trop fort dans sa poitrine alors je tente de le calmer un peu, qu'il partage la douleur dont je ne sais rien avec moi. Mon épaule se retrouve vite humide mais je m'en fous, il peut pleurer autant qu'il veut sur mon épaule, je serais là.

Au bout de quelques minutes — oui, oui, des minutes — je l'entends renifler et bouger légèrement pour se redresser. Il me lâche pour sécher ses joues et recoiffer ses cheveux avant de sourire en pleurant de plus belle.

- L'avantage avec toi c'est que t'es pas très bavard, déclare-t-il dans un rire sans joie.

Je lui souris avec un brin de tristesse aussi, parce que ça me fait mal de voir mon meilleur ami dans cet état sans que je sache pourquoi. Je regarde rapidement autour de nous mais pas de trace de Violet qui était avec lui au bar il y a quelques temps maintenant. Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire pour le mettre dans cet état ? Sans que je ne me contrôle, la tristesse que je ressentais se mue et rage et je me retiens de faire une remarque acerbe à voix haute qui pourrait blesser Roméo ou le faire redevenir triste.

- Ça va mieux ? Je me contente de dire avec précaution.

Il secoue la tête plusieurs fois comme pour se convaincre lui-même que tout va bien, et ça commence à m'inquiéter. Roméo est sentimental, ce n'est pas nouveau. Mais je crois que je ne l'ai pas vu aussi chamboulé depuis qu'il a perdu son lapin, Buzuc. Je détestais ce lapin.

- T'es pas en état de conduire, bro, j'essaye de le raisonner quand il s'appuie d'une main sur le capot. Tu trembles comme une feuille et t'as des paillettes sur la gueule.

Il fronce les sourcils et se passe une main sur le visage avant de faire le lien avec mon torse. Il regarde les tatouages qui parcourent mon cou et mon buste ainsi que la fine couche brillante que je me suis appliquée dessus. Puis à mon grand étonnement, il explose de rire. Mais pas un rire triste comme tout à l'heure ou quoi, non. Il explose réellement de rire, se remettant à pleurer en se pliant comme il doit avoir mal au ventre.

Quelques rires nerveux m'échappent, mais je commence surtout à me demander si je ne vais pas appeler Zack pour qu'il vienne à la rescousse. Je crois que mon pote devient fou. Je passe une main dans son dos pour le soutenir au mieux jusqu'à ce que les spasmes se calment et qu'il redevienne lucide.

Décidément, drôle de soirée jusqu'au bout.

- Bon, Roméo tu me fais peur là, repris-je d'un ton sérieux. Qu'est-ce qu'il se passe à la fin ?

Il se tait, se redresse lentement pour planter ses iris bleues dans les miennes mais je ne vois que de la profonde tristesse. Si Zack m'avait prévenu de son comportement inhabituel en ce moment, je ne peux que confirmer ses dires.

- Tu veux que j'appelle Zack ? finis-je par demander mais mauvaise pioche.

- Surtout pas ! S'exclame-t-il trop vite et trop fort comme s'il paniquait. Je vais rentrer de suite, je suis fatigué et j'avais besoin d'air. J'ai besoin de dormir, c'est tout.

Je fronce les sourcils et il me répond par un joli sourire dont il en a le secret mais que je sais faux. Je soupire et prends une mine résignée pour le faire craquer mais monsieur montre ses dents maintenant.

- Qu'est-ce que je vais faire de toi, hein ?

- Tu m'aimes, dit-il doucement.

Et il a du bol, parce que plus d'un serait parti en courant en voyant sa crise de nerf. Je me détourne de lui pour le laisser rentrer avant que ma conscience ne prenne le dessus. J'hésite, serre les poings pour me retenir mais ma langue et mon cerveau me trahissent. Je me retourne et finis pas lui demander.

- Tu étais avec Violet, où est-elle ?

Roméo qui avait ouvert sa portière se fige et je le vois presser ses doigts à s'en faire blanchir les phalanges.

- Elle est dans le Milady's je crois. Enfin, j'en sais rien. J'ai besoin de prendre le temps d'assimiler ce qu'elle vient de me dire.

- Ce qu'elle vient de te dire ?

Il grimace puis rentre dans la voiture sans répondre à ma question. Si j'étais déjà énervé de voir mon meilleur ami dans cet état, savoir que c'est sa peste de sœur qui l'a rendu si mal me donne envie de cogner dans quelque chose. Roméo démarre la voiture, attend que je ne m'écarte pour me dépasser et me dire au revoir de la main.

Quand il s'éloigne, je décide de retourner travailler parce que là, c'est même plus une pause que je viens de faire, les heures supplémentaires pour rattraper ça vont être nécessaires. Je dépasse quelques personnes qui fument devant l'entrée du club, salue brièvement le videur qui a pris la relève sur l'idiot de Lois et percute quelqu'un de plein fouet quand je passe la marche qui mène à la porte du club. Je titube en arrière et manque de m'éclater au sol mais dieu merci, mes jambes sont en béton armé. Il en faut plus que ça pour faire chavirer.

La blonde titube aussi devant moi mais elle tombe littéralement sur les fesses en poussant un petit cri de douleur. La vache, elle doit être sacrément bourrée pour tomber si facilement. En un instant, le videur réagit et part l'aider à se lever, paniqué quand il entend les gémissements de la femme.

Je cligne des yeux plusieurs fois avant de reconnaitre son visage fin et ses yeux bruns qui m'ont hypnotisé pendant longtemps me faisant reculer comme si je m'étais pris un coup.

- Excusez-moi, gémit-elle en regardant sa jambe qui tremble plus que nécessaire.

Le videur la soutient parce qu'elle ne peut pas tenir debout, lui pose quelques questions auxquelles elle répond normalement, pas du tout alcoolisée.

- Je vais la soutenir, dis-je au videur en prenant le bras de Violet qui redresse enfin la tête.

Quand son regard croise le mien, elle écarquille ses yeux comme si elle venait de voir un fantôme, arrêtant de pleurer un instant. Je sens son corps se raidir quand ma main passe près de sa côte pour la tenir plus fermement. Je la dégage de l'entrée pour éviter qu'on ne gêne, et ignore ses regards insistants qui me dévisagent. Je dégaine mon téléphone et envoie un message à Eden qui me répond immédiatement. Elle vient la chercher.

J'entraîne Violet dans le coin où je fumais tout à l'heure, la prend par la taille pour la poser assise sur un muret face à la route. Son corps maigre entre mes mains reste tendu comme un piquet, mais je pense que c'est sa posture naturelle finalement. Elle renifle encore en essuyant ses joues avec la manche de son gilet en mailles vertes puis s'excuse encore pour m'avoir bousculé, bégayant légèrement.

- C'est moi qui suis désolé, je la coupe sans la regarder. Ta jambe...

- Je suis tombée juste avant, encore, faut croire que c'est ma soirée.

Je ne réponds pas et me pose à ses côtés pour éviter de devoir la regarder. Je sens mon cœur battre vite dans ma poitrine mais j'essaye de l'ignorer. Le visage de Roméo en larmes remonte dans mon esprit mais j'essaye aussi de le chasser. Elle a l'air assez troublée, je ne vais pas en rajouter en l'engueulant parce qu'elle a fait pleurer son frère.

Après tout, j'ai un minimum de conscience pour ne pas la laisser seule dans un club de strip-tease sans même pouvoir tenir debout. Je secoue la tête en fermant les yeux, tiraillé entre l'envie de sécher ses larmes et l'envie de la massacrer. Il n'y a rien de pire qu'un dilemme de ce genre. Je trouve un feu et une clope dans la poche de mon pantalon, puis l'allume pour m'occuper les mains. Je sens le regard de Violet sur moi, son parfum qui arrive à mes narines et entends le petit bruissement de ses cheveux à cause du vent, mais je me concentre sur la fumée qui rentre dans mes poumons.

- Nate...

- Je ne veux pas te parler, je la coupe avant qu'elle ne continue.

Elle se tait, et je remercie le silence qui s'installe entre nous. Les minutes filent jusqu'à ce que j'arrive au filtre orange encore une fois, puis une voiture noire apparaît. La vitre descend et je vois Eden au volant, en pyjama rose tout doux. Ça m'arrache un sourire.

- Punaise, mais je croyais que Roméo était avec toi Violet ! S'inquiète Eden en lançant un regard acéré à la jeune fille.

Violet ne dit rien, saute du muret en se rattrapant sur une seule jambe puis boite jusqu'à la voiture. Elle rentre dedans sans un mot, et j'observe chacun de ses mouvements fluides que la danse lui a apportés. Elle referme derrière elle mais la vitre ne remonte pas pour autant. Eden se penche pour que je puisse la voir, et me remercie chaleureusement d'avoir pris soin de Violet.

Un rire sarcastique remonte le long de ma gorge sans que je ne puisse le retenir.

- Si elle était un homme, je l'aurais tabassé pour avoir blessé mon frère, je crache en écrasant le mégot.

Eden soupire comme si elle savait déjà l'état dans lequel est Roméo mais je ne lui laisse pas le temps de répliquer. Je saute du muret, m'approche de la voiture pour poser mes deux bras sur la fenêtre. Raide comme un piquet, Violet regarde droit devant elle, enfoncée dans son siège. Une larme coule le long de sa joue mais je n'en ai rien à foutre. La colère que j'ai ressenti tout à l'heure en voyant Roméo pleurer dans mes bras refait surface avec violence.

- Je sais que c'est toi qui lui as fait de la peine, j'affirme d'un ton mauvais. Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais tu es une connasse égoïste comme d'habitude.

- Nate ! Crie Eden dans l'habitacle. Mais ça va pas ! Tu te rends compte de ce que tu dis ! Ta mère t'a mieux élevé que ça il me semble, et je ne suis pas sûre qu'Harper laisserait passer ce genre de propos.

Je tique en imaginant Harper apprendre ce que je viens de dire et le sale quart d'heure que je passerais. Merde.

- Excuse-toi, jeune homme, et s'il faut que je dise que j'ai 41 ans, que tu me dois le respect pour que tu le fasses, je le ferais ! À contre-cœur, certes, mais je n'hésiterais pas.

Je me retiens de sourire car c'est le genre de réflexion que les trois amies auraient pu toutes dire individuellement mais mon cœur me fait trop mal pour que j'arrive à m'excuser.

- Je ne m'excuserai pas pour ça, juste pour l'avoir bousculée et fait tomber.

Je m'écarte de la vitre sans lâcher Eden des yeux qui semble épuisée.

- Vous pouvez y aller, je dois retourner taffer de toute façon.

Eden ne dit rien, se tape le front contre le volant ce qui fait un gros bruit de klaxon dans la rue. Elle sursaute en se ratinant dans son siège quand quelques personnes l'insulte pour les avoir faits peur. Cette fois, je me fous ouvertement de sa gueule.

- Bonne nuit, Eden, je dis en me retournant pour rejoindre le club.

- Ton mégot, Nate...

- Oups.

Je le ramasse, le balance dans la poubelle la plus proche et regarde la voiture me dépasser. Le videur me pointe son poignet du bout du doigt pour m'indiquer une montre imaginaire mais je me contente de lui balancer un doigt d'honneur. Qu'il aille se faire foutre, je sais très bien que la baise m'attend.

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