Chapitre 6eme
Lonesome
Je poussai un cri de terreur jetant mon carnet le plus loin de moi possible, et pris mes jambes à mon cou. Je devenais fou.
J'ouvris les yeux lentement, le soleil tapait contre mon visage à travers le velux. J'avais dû me rendormir après ce qui, je pensais était l'un des pires cauchemars de toute ma vie. Je revoyais encore tous ces cadavres flottant dans cette eau trouble et glacée, et plus particulièrement celui du jeune homme aux cheveux corbeau. Un frisson me traversa.
Je me redressai doucement, mais une drôle de sensation me titilla le creux de la main. Comme si un petit morceau de papier s'y trouvait. Cependant, je ne me souvenais pas avoir pris quoi que ce soit avant de ne m'être endormi. Peut-être avais-je pris une feuille d'un de mes carnets en dormant. C'était étrange, mais pas impossible. Naturellement curieux, je dépliai mes doigts pour découvrir, à ma plus grande surprise, une petite carte en papier dur. Je ne vis pas de suite ce qu'il y était inscrit, les yeux encore brumeux de sommeil. Je la portai à mon visage et en lu l'inscription "Herboristerie Huang, depuis 1857" et une adresse, sûrement celle du magasin. Je me demandais bien comment elle avait pu se retrouver là, dans ma main... Étrange... Cependant je n'y prêtai pas plus attention. Depuis mon cauchemar, je me sentais sale et je n'avais qu'une seule envie, prendre une douche pour me débarrasser de cette sensation désagréable qui me prenait au corps.
Las, je levai ma carcasse pour me déplacer jusque dans la salle de bain, laissant la carte derrière moi, sur les draps.
Je poussai la porte en bois maigre pour voir que ma fenêtre était encore ouverte. Je ne comprenais pas comment elle faisait pour se retrouver toujours ouverte. J'en étais sûr, je l'avais fermé la veille... Était-elle cassée ?
Je m'avançai vers cette dernière et en examinai le loquet. Intacte. Je restai, quelques instants, dubitatif devant ma découverte. Mais la fatigue et l'envie de me laver me fit rapidement choisir de ne pas y porter plus d'importance. De toute façon que risquais-je d'une si petite fenêtre ouverte au troisième étage. A part la pluie et quelques insectes, trois fois rien.
Je la verrouillai rapidement avant de me dévêtir. Je retirai d'abord ma chemise de nuit en me regardant dans le petit miroir d'en face. Je faisais peur à voir. J'avais les cheveux sales et collés à mon visage à cause de la sueur. Mes traits étaient creusés, et mes cernes si grandes que l'on aurait pu croire à un mort. Il fallait vraiment que je fasse quelque chose pour ces insomnies et cauchemars, ou bientôt je finirai en asile, ou pire, sous terre.
Mes mains glissaient sur mon torse comme pour m'examiner, mais lorsqu'ils entrèrent en contact avec la tâche de naissance qui décorait le bas droit mon ventre, une douleur me traversa. Par réflexe je penchai la tête pour en connaître la cause.
Là, à l'endroit exact où cette chose m'avait touché, se trouvaient des griffures. Plusieurs, plus ou moins profondes. Comme si on avait essayé de me l'égratigner pour me la retirer. Mais était-ce bel et bien ce monstre qui avait fait ça ? Ou me l'avais-je moi-même infligé.
Je regardais mes doigts minutieusement à la recherche de la moindre marque, du moindre morceau de peau qui pourrait me laisser croire que je m'étais griffé moi-même, et avais tout inventé. Mais rien. Il n'y avait rien sous mes ongles, et aucune petite tache suspecte sur mes doigts.
Je commençai sincèrement à douter de ma santé mentale. Avais-je tout inventé, étais-ce un rêve ou la réalité ? Peut-être ma réalité n'était qu'en fait un rêve et mes rêves la réalité. Peut-être étais-je mort, ou peut-être étais-je dans un coma. Peut-être que tout ce qui m'entourait n'était que fruit de mon imagination délirante et j'étais en train d'en perdre le contrôle.
Je me sentais perdre pied. Tout autour de moi se mit à vaciller. Qu'étais-je ? Que faisais-je ?
J'ouvris le robinet et m'aspergeai le visage d'eau glacée.
Retour à moi-même.
Finalement, je préférai faire comme si de rien n'était. Ignorer complètement et simplement ces événements et essayer de reprendre ma vie en main. C'était la meilleure chose que je pouvais faire. C'était sans doute la seule chose que je pouvais faire.
J'entrai dans la douche d'un pas déterminé et laissai l'eau chaude couler sur ma peau, enlevant avec elle cette sensation glacée qui me prenait aux tripes.
Je laissais mes mains se balader sur mon corps, jouant à repousser l'eau, remontant à contre-courant. Je fermai les yeux et me laissais bercer par le clapotis des gouttes et le chant du pommeau de douche. Un long soupir de bien-être traversa la barrière de mes lèvres. Je me sentais revivre. Comme si la solution à tout était une simple douche chaude.
Je tournai un peu plus le robinet pour augmenter la chaleur. J'aimais sentir l'eau brûlante réveiller ma peau.
Mes doigts effleurèrent à nouveau la tâche qui me suivait depuis le premier jour, je sentais chacune des griffures et cela me rendit triste. Si triste. Pourquoi vouloir enlever la seule chose qui me liait encore à ma mère ?
Depuis toujours cette tache violacée habillait le bas de mon ventre, contrastant avec ma peau pâle et mes taches de rousseur. Elle avait une forme si particulière, elle ressemblait à une fleur. Un jour, alors que je n'avais que six ans, je me baladais en ville avec quelques-uns de mes camarades de l'orphelinat, et fut stupéfait de voir, dans la boutique d'un fleuriste, une fleur qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à ma marque. Curieux, je me précipitai dans la boutique et demandai au vendeur ce qu'était cette fleur. Il m'expliqua gentiment que cette fleur était un œillet, et qu'elle représentait le deuil et l'amour éternel.
Dans mon esprit de petit garçon qui manquait fortement d'une mère, j'avais donc tout de suite associé " ma petite fleur" à l'amour éternel que me portait ma mère, peu importe où elle pouvait bien se trouver. Ce soir-là je n'avais pas pleuré de son absence, et plus aucun soir depuis.
Toujours les yeux clos ma paume se posa contre "ma petite fleur" comme pour la protéger de l'eau trop chaude. Je pris une longue inspiration pour essayer de détendre chacun de mes muscles, mais alors que l'air ressortait d'entre mes lèvres, l'image macabre du jeune homme aux cheveux de jais, flottant dans le lac noir, vint ternir ma vision.
Tout à coup l'air me manquait, comme si j'y étais à nouveau et j'étais incapable d'ouvrir les yeux. Je reculai contre le mur carrelé et glacé de ma douche pour essayer de me retenir à quelque chose. Je poussai sur mes paupières pour les forcer à s'ouvrir, mais rien n'y faisait. Je lâchai un cri sourd, quand je sentis un souffle sur mon oreille. Une voix, une voix d'homme me murmura un prénom.
"Seo ChangBin"
J'ouvris les yeux d'un coup et put reprendre mon air. En face de moi, la fenêtre était de nouveau ouverte.
×××
Je me laissai lourdement tomber sur mes draps, nu comme un ver. Je n'avais pas eu la force de me rhabiller et la chaleur de l'été me permettait clairement de rester en tenue d'Adam.
Aurais-je dû dormir encore un peu ? Rattraper ma nuit tourmentée ? J'étais bien tenté par la possibilité de retrouver les bras de Morphée et m'y abandonner, mais les petits bruits et autres craquements que j'entendis me firent vite changer d'avis. Si j'avais voulu dormir. Il m'aurait fallu trouver un meilleur endroit. Ici tout me rappelait ces événements étranges... Peut-être le petit parc ? Ou peut-être aurais-je dû simplement retourner au lycée. Cela faisait un moment que je séchais les cours. Si je manquais plus encore, j'aurai sûrement été incapable de récupérer tout le retard, déjà que je n'étais pas spécialement un bon élève. Ou pire, peut-être aurai-je été renvoyé tout bonnement.
Seulement... Mon esprit ne me permettait pas de me concentrer. Je n'arrivais même plus à dessiner. Et pourtant c'était bien la seule chose que je savais faire en toutes circonstances.
Mes bras glissèrent le long de mon corps pour s'étaler mollement sur mon lit, ce fut à ce même moment que mes doigts entrèrent en contact avec la petite carte que j'avais laissée là plus tôt. Était-ce un signe du destin ? L'univers me disait-il que je devais m'y rendre ? Moi qui ne savais que faire et qui ne voulais rester dans cet appartement, cette carte tombait à pic.
Je la ramenai une nouvelle fois vers mon visage pour l'inspecter. Elle n'avait pas changé, heureusement, ou j'aurais fini de croire que j'étais devenu fou à lier. C'était décidé ! Je me rendrais à cette herboristerie.
Sans perdre de temps, j'enfilai des vêtements propres. Je me dirigeai vers l'habituel endroit où je posais ma sacoche pour la prendre mais me rendis bien vite compte qu'elle n'était pas là. Je fis un rapide tour sur moi-même avant de me rappeler que je l'avais perdu ce fameux soir... Tant pis. Je soupirai longuement et pris simplement un parapluie. Le temps était couvert. Il ne s'était que très peu découvert durant ces derniers jours, comme si le ciel pleurait la disparition de cette jeune lycéenne.
Je fermai la porte derrière moi et descendis jusque dans la rue où je croisai madame No et son fils en train de jouer aux cartes sur la petite table devant le bâtiment. Naturellement, je les saluai poliment, puis, ne sachant vraiment comment me rendre à l'adresse indiquée par la carte, je demandai mon chemin à la vieille dame. Elle m'indiqua gentiment le chemin à prendre, et ne manqua pas de me faire remarquer qu'elle était étonnée d'apprendre qu'une herboristerie se trouvait ici. Elle qui avait toujours vécu ici n'avait jamais entendu parler de ce lieu ni même ne l'avait vu, pourtant d'après la carte, la boutique n'était pas toute jeune, elle avait presque une centaine d'années. Bien que cela soit étrange, je n'y portais pas attention, car j'avais ce sentiment en moi qui me poussait à me presser. Après avoir remercié et salué la petite dame et son fils, j'emboîtai la marche vers ma destination.
En quelques longues minutes, je me trouvais dans la rue de l'herboristerie, mais ne la vis pas. Mon esprit était tout à coup comme embrumé, perturbé par des réminiscences. Je me revoyais, amorphe, porté par ce jeune homme aux cheveux noirs. La pluie tapait violemment contre nos corps détrempés. Il faisait si sombre et froid. Cette odeur de mort revint me prendre à la gorge.
J'avançai à demi conscient dans cette avenue, cherchant du regard un quelconque indice de la présence de la boutique Huang. En vain. Cette boutique n'existait-elle donc pas ?
Je me sentis perdre pied. Comment tout ça était possible ? Ça n'avait aucun sens. Mes doigts vinrent se poser sur mon visage, comme pour essayer de me faire revenir à la raison, mais aussi pour essuyer ces sueurs froides qui coulaient le long de mes tempes.
Tout à coup une main se posa sur mon épaule et une douce voix me sortit de ma torpeur.
" Excusez moi ? Vous vous sentez bien ?"
Cette voix ne m'était pas inconnue. Je me retournai rapidement pour tomber nez à nez avec un jeune homme brun aux traits fins et long. Il était menu de corpulence mais dégageait un charisme fou. Je l'avais déjà vu, je le connaissais. Mais il m'était impossible de me souvenir ou l'avais-je déjà rencontré.
Je restais idiot face à lui ne sachant que dire. Non je ne me sentais pas bien et encore plus de ne pas réussir à le reconnaître.
" Félix, c'est ça ? Suivez-moi. Je vais vous donner de quoi vous requinquer."
Sans attendre, il glissa sa main dans mon dos et m'invita à entrer dans la boutique qui se trouvait juste là. Je levai la tête vers l'enseigne et y lut, à ma plus grande surprise, " Herboristerie Huang". Elle était juste là depuis tout ce temps, comment se faisait-il que je ne l'eut vu plus tôt ? Mais je n'eus le temps de me poser plus de question que quelque chose d'autre me frappa. Il connaissait mon prénom ?
" Nous nous connaissons ?"
Demandais-je d'une voix fébrile alors que nous pénétrons dans la boutique. A l'intérieur il y faisait chaud et une odeur de plantes séchées embaumait la pièce.
" Oh oui. Vous ne vous souvenez peut-être pas, mais vous êtes déjà venu ici il y a de cela quelques lunes. Ce n'était pas une soirée très joyeuse pour vous et un autre jeune homme. Vous étiez complètement catatonique. Mais cessons de ressasser ces mauvais souvenirs."
C'était donc cela. Il était présent ce soir-là. Mais je n'arrivais pas à me souvenir de lui.
Il me fit signe de m'asseoir sur un fauteuil qui se trouvait là, et je ne me fis pas prier pour m'exécuter. J'avais les jambes chancelantes, et le cœur qui battait étrangement fort. Peut-être aurais-je dû avaler quelque chose avant de partir.
Il se rendit dans l'arrière-boutique, puis revint avec une tasse fumante et un paquet de petits biscuits.
" C'est une infusion, et j'y ai ajouté quelques herbes médicinales. Elle vous remettra sur pieds, et mangez un peu, vous semblez vraiment faible."
Il posa le tout sur le comptoir et m'accorda un large sourire qui me réchauffa le cœur. Ce jeune homme semblait particulièrement, profondément, et sincèrement gentil. Le genre de personne à qui l'on confierait sa confiance aveuglément.
" Merci beaucoup Monsieur."
Je pris la tasse et en bus une petite gorgée, faisant attention à ne pas me brûler. Une odeur de rose et d'hibiscus s'empara de mes narines puis ne tarda pas à envahir mon palais. C'était doux et rassurant. Comme les bras d'un être cher.
" De rien, je ne fais que mon métier. Mais dites-moi, en quoi puis-je vous aider ?"
Je n'avais pas réfléchi à cette question. J'étais simplement venu sur un coup de tête.
" Je ne sais pas... Je me suis simplement réveillé avec votre carte dans la main et me suis dit que je devais venir, sans savoir réellement pourquoi."
" Je vois. Et bien ça tombe bien car, à dire vrai, je vous attendais. J'ai deux choses pour vous."
" Vous... M'attendiez ?"
Je fronçais les sourcils, je n'étais pas sûr de comprendre. Il m'attendait ? Comment savait-il que j'allais revenir ? Alors que moi-même ne me rappelait même pas de ce lieu.
" Ne vous méprenez pas. C'est simplement car j'ai quelque chose qui vous appartient, et je me doutais que vous viendriez le récupérer."
C'est à ce même moment qu'il sortit mon cartable de son comptoir. Surpris, je posais la tasse et me levais d'un bond pour me précipiter dessus. Je le pensais perdu à jamais, ainsi que tous mes dessins qui s'y trouvaient. Il était intact.
" Comment ?"
Demandais-je sous le choc. L'avais-je simplement oublié ici l'autre soir ? Pourtant. Dans mes souvenirs, bien que flous, je ne l'avais plus dans la ruelle déjà.
" L'autre jeune homme qui était avec vous ce soir-là l'avait en sa possession et il me l'a apporté il y a deux jours. Il vous a laissé un mot."
Me répondit-il le plus calmement du monde tout en me tendant un petit morceau de papier.
Je le pris en le remerciant et le lu.
" Voici vos affaires. Je ne sais par quel miracle elles ont été sauvées de la pluie mais elles sont intactes. J'aurais voulu vous les remettre en mains propres mais les circonstances font que cela m'est impossible.
Si vous souhaitez tout de même entrer en contact avec moi, je vous laisse mon nom et mon adresse ci-dessous.
Seo ChangBin
13 Jong-ro, Donui-dong, Jongno-gu, Seoul.
J'espère sincèrement avoir de vos nouvelles, cordialement, Seo ChangBin."
Je ne put retenir un petit cri de surprise qui surprit le vendeur. Nous partagions la même adresse ! Il vivait donc dans le même bâtiment que moi. Comment avais-je fait pour ne jamais le croiser ? Mais un autre fait troublant me sauta à l'esprit... Seo ChangBin était le nom que j'avais entendu dans ma douche... ce prénom résonnait en moi comme un mauvais souvenir et comme un appel irrésistible. J'en eus la tête qui tourne, les souvenirs du jeune homme me revenant peu à peu. Je me rappelais de son visage vivant, de celui noyé, de sa main chaude dans la mienne et de son corps gelé contre le mien.
Je dus me rasseoir en vitesse sur le fauteuil et pris une grande gorgée d'infusion qui me brûla la bouche.
" Tout vas bien ?!"
Demanda le jeune homme, visiblement inquiet pour ma personne. Il fit le tour du comptoir pour venir face à moi et commencer à m'ausculter.
" Je... Je vais bien Monsieur, ne vous inquiétez pas. Je suis juste surpris d'apprendre que cet homme. Seo ChangBin, habite dans le même bloc appartement que moi."
Il me sourit, mais son air était grave. Il termina sa petite auscultation malgré moi, puis se redressa et alla vite dans l'arrière-boutique, sans un mot. Je restai immobile quelques instants sans comprendre. Avais-je dit, fait quelque chose de mal ? Où peut-être mon état était terriblement inquiétant... Ça ne m'étonnerait guère... Je dormais mal et mangeai peu. De plus j'étais dans un stress constant. A l'affût du moindre bruit étrange, de la moindre silhouette sombre, du moindre mouvement dans l'obscurité.
Je serrais le bout de papier entre mes doigts les yeux rivés sur ce prénom et cette adresse. C'était tellement étrange. Comment ce genre de coïncidences pouvait arriver... Peut-être n'en était-ce pas une après tout. Une sueur froide coula le long de mon dos. Pourquoi m'arrivait-il tant de choses étranges ? Je n'étais qu'un simple lycéen orphelin sans histoire, qui ne cherchait qu'à vivre sa vie de jeune homme, et profiter du monde que je trouvais magnifique, jusqu'à ce soir. Ce soir où j'avais, avec cette autre personne, découvert le cadavre d'une lycéenne portant le même uniforme que moi.
L'herboriste revint alors avec un petit sachet et un verre remplis d'un liquide d'apparence pâteux et rosâtre. Il posa le tout à côté des biscuits et de ma tasse.
" Buvez ça. Vous êtes en train de tomber malade. Vous devriez faire un peu plus attention à vous Felix. Vous ne devez pas céder à ce qu'il se passe. Mangez, dormez... vivez. Je vous ai préparé un somnifère assez fort mais sans accoutumance. Cela devrait vous aider à dormir."
J'étais totalement perdu. Cet homme brun était bien plus que mystérieux ! Comment pouvait-il savoir tout ça ? Mais une partie de moi était si désespérée que je me dis que s'il y avait un quelconque remède à mon mal, une quelconque façon de ne plus avoir ces visions, il fallait que j'essaie. Je pris le verre au liquide étrangement rose, et le bus d'une traite. Ça avait un goût d'argile et d'herbe ainsi que la texture de fruits bouillis. C'était très étrange et vraiment peu appétant. A peine eus-je fini de boire que je me précipitais sur les petits biscuits pour passer le goût de terre qui restait collé sur ma langue.
" Lorsque vous aurez fini... Pourquoi ne pas aller voir ce fameux ChangBin ? Il semblait véritablement désireux de vous revoir Félix."
Je manquai de m'étouffer et du avaler une gorgée de l'infusion encore chaude. J'avais bien prévu d'y aller.
" J'irais... Dites-moi monsieur ? Comment savez-vous tout ça ?"
" Je suis médecin en plus d'herboriste, de plus, j'ai déjà discuté avec ChangBin et il semble souffrir des mêmes symptômes que vous."
" Oh... Mais... Comment avez-vous su de quoi je souffre ?"
" Votre visage, votre pouls, votre énergie vitale... et ce qui vous suit."
Il avait prononcé ces derniers mots si faiblement que je ne pus les discerner. Il se retourna et commença à ranger quelques flacons çà et là, me laissant seul avec mes pensées.
Je me redressai lentement et pris mon cartable pour vérifier que tout y était. Et tout y était. Intact. Comme si mon sac n'avait jamais essuyé l'orage tonitruant de ce fameux soir. J'y glissais le sachet de somnifère ainsi que la notice et le mot de ChangBin et le refermais avant de le prendre contre moi.
" Combien vous dois-je pour tout Monsieur ?"
" Renjun. Appelez moi Renjun. Et... hum donnez-moi seulement un de vos dessins, cela suffira amplement ! Maintenant vous devriez rentrer chez vous et aller voir ChangBin. Je suis sur qu'il attend de vos nouvelles."
Je le saluai poliment en le remerciant plus qu'il ne se devait, avant de lui donner ce qu'il me demandait. Un simple dessin pour un somnifère, une infusion, des biscuits et cette boisson terreuse ? Ce jeune médecin était vraiment très étrange et bien qu'il fût très gentil, Félix ne pouvait s'empêcher de se sentir légèrement mal à l'aise en sa présence. Mais peut-être est-ce juste des fragments de mauvais souvenirs qui s'étaient accrochés à cette personne. Lui revenant en mémoire à l'entente de sa voix cristalline.
Sur le chemin du retour, je me sentais bien mieux. Le ciel couvert avait laissé place à un soleil rayonnant et chaud qui me caressait la peau avec douceur. J'avais pris le temps de me stopper dans un petit restaurant itinérant pour me remplir l'estomac plus que de raison. Après ce délicieux et copieux repas, je me rendis dans le parc près du petit bois et y passai une bonne partie de l'après-midi à dessiner, tranquillement assis sur un banc. Je me demandais si je devais oui ou non aller voir l'homme aux cheveux de jais.
La journée commençait à décliner, je décidai alors qu'il était temps pour moi de rentrer. De plus j'avais fait mon choix. J'irai voir ChangBin et lui demanderai si lui aussi vivait les mêmes choses que moi. Car au fond, je me sentais si seul et démunis face aux évènements. Bien sûr il y avait Renjun l'herboriste, mais il ne pouvait réellement comprendre ce qui m'affligeait.
Le ciel se couvrait peu à peu, il allait pleuvoir... Encore. Je pressai le pas pour ne pas me prendre l'averse. J'arrivai chez moi en seulement quelques minutes et croisai madame No qui sortait tout juste avec son bac à linge vide.
" Bonsoir Félix, dépêches-toi de rentrer il va pleuvoir ! "
M'avait-elle dit avant de tourner les talons. Mais je l'interpellai avant qu'elle ne s'en aille trop loin.
" Madame No, savez-vous dans quel appartement vis Seo ChangBin ? "
" ChangBin ? Pourquoi t'intéresses-tu à ce bon à rien ?"
" Il habite donc bien ici ? "
" Oui oui, mais tu ne devrais pas traîner avec de la mauvaise graine comme lui ! Pourris de l'intérieur ! On dit qu'il a abandonné ses grand-parents pour venir étudier la littérature... et dire que l'argent de l'État est gaspillé dans ce genre de gens... ça me répugne. Ils feraient mieux d'aider les gens comme nous ! Les gens qui travaillent !"
Je restai silencieux face aux dires de la vieille dame. Je ne partageai pas son opinion et préférai me créer la mienne. De plus ChangBin m'avait paru être une bonne personne. Il m'avait aidé, avait retourné mon cartable là où je pourrais le retrouver; et avait pris la peine de laisser un mot.
" C'est juste qu'il m'a rendu service et j'aimerai le remercier."
Elle soupira longuement et serra son bac contre elle.
" Et bien fait ce que tu veux, c'est l'appartement en face de la buanderie."
Je la remerciai rapidement avant de me précipiter à l'intérieur le cœur battant. J'étais soudainement pris d'une sorte d'excitation mélangée à de l'angoisse. Et s'il était méchant ? Et s'il ne voulait plus me voir ? Et s'il me prenait pour un fou ?... Je ralentis le pas en arrivant à proximité de la porte. Je la regardai quelques instants ne sachant que faire. Devais-je frapper ? Oui ? Non ?
Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Tellement fort que s'en était désagréable. Je pris une grande inspiration, soufflai tout mon air, puis prenant mon courage à deux mains, levai le poing, puis l'abattis contre le bois à trois reprises.
" Seo ChangBin ?"
Aucune réponse. Je réitérai mes coups sur la porte un peu plus fort cette fois.
" ChangBin ? Vous êtes là ?"
J'attendis quelques secondes, mais toujours aucune réponse. Était-il absent ? Pourtant...
Je me baissai un peu pour remarquer que de la lumière venait de dessous la porte et par le verrou. Il y avait quelqu'un... Mais cette personne n'ignorait.
Je tentais alors une troisième fois, dans l'espoir que cela sera la bonne. En vain. Personne ne vint m'ouvrir.
"Monsieur Seo ? C'est Felix... Vous savez... Le jeune lycéen du soir... enfin... la lycéenne... la ruelle... S'il vous plaît, ouvrez-moi. J'aimerais vous parler... Et surtout vous remercier..."
Rien.
" Je vous en prie... ouvrez-moi... Ne me laissez pas seul..."
Je commençai à perdre patience, et une boule se forma dans ma gorge. Mes yeux se remplirent de larmes que j'essuyais rapidement du revers de la main.
" Je... Merci pour mon cartable... Je... Je passerai demain..."
J'étais sûr qu'il y avait quelqu'un dans cet appartement, je l'entendais bouger. Je n'étais pas fou... ou peut-être que si en fait. Je pris une feuille de mon carnet pour lui laisser un mot, sur ce dernier j'écrivis :
" Bonsoir Seo ChangBin, je suis Félix. Le propriétaire du cartable que vous avez laissé à l'herboristerie. Je souhaitais vous remercier et aussi vous rencontrer en personne mais il semblerait que vous ne soyez pas disponible actuellement. Je repasserai demain matin vers onze heures.
En espérant vous revoir.
Lee Felix, locataire de l'appartement sous les combles."
Je le glissais sous la porte, mais ne pus me résoudre à quitter les lieux si vite. Je m'assis donc à même le plancher, dos contre le mur soutenant le battant de bois épais qui me séparait de son appartement. J'allais attendre un peu. Juste au cas où il revienne d'une rapide course, ou qu'il remarque mon mot.
Le temps se faisant long, je ressortis mon carnet et me mis à dessiner, seul, dans ce couloir étrangement froid.
La mine grise grattait le papier blanc dans le silence, presque étrange, de ce couloir. Je griffonnai simplement, sans idée en tête. Je laissais libre cours à mon imagination, lui faisant confiance pour sortir quelque chose.
Sans que je ne m'en rende compte, un visage se forma sous les traits. Un visage d'homme. Anguleux, des yeux en amande, un nez au bout rond, de petites lèvres en cœur. Des cheveux noirs et une chemise blanche. Il n'y avait aucun doute, je venais de faire le portrait de la personne que j'attendais.
Alors que je fixais mon dessin, les lignes se mirent à bouger d'elles-même se déformant lentement. Le visage autrefois paisible se mit à hurler en silence, comme s'il était dans une souffrance atroce, quand tout à coup il se métamorphosa. Ses joues se creusèrent. ses yeux se remplirent de noir, sa bouche s'ouvrit plus que le possible, avant que du noir ne se mit à couler part tout ses orifices. je détournai les yeux, horrifié, et lorsque je le regardais à nouveau, il était devenu la femme de cette nuit.
Je poussai un cri de terreur jetant mon carnet le plus loin de moi possible, et pris mes jambes à mon cou. Je devenais fou.
••••
Et non, cette fic n'est pas abandonnée ^^
Je met juste beaucoup de temps à l'écrire :O et je m'en excuse. Vous l'avez peut-être remarqué mais ce chapitre est un peu plus long que les autres, j'espère qu'il vous aura tout de même plut !
Merci de vos votes, lectures et commentaires, cela me fait énormément plaisir ! ♥
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