Tønsberg, Norvège — 1536

Monstre. Abomination.

Les mots résonnaient en boucle dans sa tête alors qu'il marchait à travers la ville. Son aura irradiait tout autour de lui, faisant fondre la neige sous ses pieds nus. La rage et la haine le consumaient. Il devait tous les détruire, leur faire payer chaque coup, chaque insulte.

Ils allaient tous mourir cette nuit.

Monstre.

Il tendit une main tremblante de colère. Des colonnes de feu jaillirent de sa paume, foncèrent droit sur la construction la plus proche, embrasant une pauvre auberge branlante. Son attaque calcina plusieurs personnes au passage pour son plus grand plaisir.

Abomination.

Nouvelle attaque en direction d'une autre bâtisse. Nouvelles victimes.

Les cris et les hurlements d'agonie faisaient écho aux crépitements des flammes, à sa douleur. Tout autour de lui, les gens couraient, essayaient de le fuir... Certains restaient figés sur place, le dévisageant avec horreur. Chaque regard lui faisait l'effet d'un coup de poignard, c'était mille fois pire que la chaleur cuisante qui irradiait dans l'air.

La ville était devenue à l'image de son âme. Un véritable enfer.

Monstre. Abomination.

Sans cesser de marcher, hurlant sa rage et sa douleur, il déversa ses colonnes enflammées encore et encore. En réponse à sa volonté meurtrière, le feu dévorait impitoyablement tout sur son passage. Et Tønsberg ne fut bientôt plus que cendres et fumée.

C'était tout ce que la ville et ses habitants méritaient.

Il lança une nouvelle attaque, mais les flammes explosèrent soudain dans d'immenses gerbes d'étincelles violettes. Ses yeux rencontrèrent alors d'étonnants iris améthyste.

Debout au milieu de tout ce brasier, indifférent au chaos environnant, un jeune homme se tenait face à lui. Le port altier, il le dévisageait avec un petit sourire au coin des lèvres.

Le personnage n'avait rien à voir avec tous ces maudits paysans.

La trentaine tout au plus, il était habillé avec soin. Depuis ses traits fins et délicats, ses joues creusées d'adorables fossettes, sa peau laiteuse, en passant par sa chevelure corbeau, il était d'une beauté sensuelle et insolente, presque surnaturelle. Et ses yeux ! Par les Dieux, ses orbes violets étaient hypnotisants, tout simplement magnifiques.

Qui était donc cet inconnu ?

— Tiens, tiens... mais qu'avons-nous donc là ? Un petit Dragon en colère...

Sa voix était charmeuse, caressante, avec des accents hautains, en parfait accord avec son apparence si soignée et élégante. Il n'y avait aucune peur, aucun dégoût dans son regard, juste de la curiosité. La tête légèrement penchée sur le côté, l'étranger le couvait d'un œil intéressé, presque clinique. Comme si lui, le Monstre, n'était qu'un animal de foire...

Dans un brusque accès de fureur, il visa alors le nouveau venu et de puissants jets de flammes jaillirent de ses paumes tendues. Sans se départir de son rictus, son adversaire dévia cependant son attaque d'une simple pichenette. Puis sans crier gare, des fouets de lumière de la même couleur que ses yeux apparurent dans chacune de ses mains. Ils claquèrent violemment dans l'air, avant de se déployer vers lui. Le Monstre. L'Abomination.

Avant qu'il ne puisse réagir, les cordes lumineuses s'enroulèrent autour de son corps. Elles ramenèrent ses bras derrière son dos, le faisant tomber à genoux dans la neige fondue.

L'étrange jeune homme s'approcha ensuite d'une démarche nonchalante tandis que lui, le Monstre, essayait de se libérer de ses entraves. En vain.

— Qui êtes-vous ? ne put-il que hurler alors que l'inconnu arrivait à sa hauteur.

Des frissons parcoururent sa colonne vertébrale lorsqu'il croisa son regard joueur. Ses iris violets trouaient la nuit d'une fascinante lueur surnaturelle. Il sut alors que cet homme était là pour le tuer. Les Dieux l'avaient sûrement envoyé pour faire le ménage...

— Et maintenant, petit Dragon, que vais-je faire de toi ? murmura le bel inconnu en effleurant doucement son visage couvert de suie du bout de l'index.

Il était si près... Le contact de son doigt frais sur sa peau brûlante lui arracha de nouveaux frissons. Il ne put s'empêcher de humer les envoûtants effluves mentholés qui émanaient de cet homme si magnifique... Ils chassaient délicieusement l'odeur de brûlé dans l'air ambiant.

Pendant un instant, cette senteur lui fit oublier la rage, la haine, la douleur, les insultes. Ses yeux se fermèrent malgré lui, tandis qu'il savourait la douce fragrance. Son cœur d'adolescent tambourina frénétiquement dans sa poitrine...

Et puis ce fut l'évidence. Elle le frappa soudain avec la force d'un coup de poing. Cet homme... peu importe son nom, ses intentions... Cet étranger... s'il ne le tuait pas. Si lui, le Monstre, survivait à cette nuit... il se promit alors de tout faire pour le retrouver.

Peu importe combien de temps cela prendrait. Peu importe les sacrifices à faire.

Cet inconnu aux yeux améthyste serait à lui.

A lui tout seul.