Épisode 4 - Le dernier sacrifice

Le portail les conduisit dans une ruelle quelconque avant de disparaître. Lars parcourut les lieux d'un œil méfiant au cas où un des moutons du révérend surgirait de l'ombre pour essayer de l'attaquer en traître. Personne cependant.

Aucune âme qui vive dans les parages, pas même un chat. Il flottait un silence aussi lourd qu'une chape de plomb. L'ambiance était sinistre à souhait et les décorations de Noël partout n'arrangeaient pas les choses. C'était lugubre et inquiétant.

— Ok. Et donc... c'est par où ? demanda le petit Chat.

Sa question se perdit dans le néant du silence avant que Liv ne se décide enfin à se montrer raisonnable. Elle poussa un long soupir agacé, puis prit les devants avec toute la mauvaise foi du monde. Lars ne rata pas son regard suspicieux lorsqu'elle passa près de lui. Il leva les yeux au ciel en réponse. Madame la maire avait décidément la rancune tenace.

Il ne fit cependant aucun commentaires et lui emboita le pas, les lèvres pincées en une petite moue mi-contrariée, mi-amusée. Il se retrouva derrière, avec le petit Chat, également laissé en plan par sa petite amie ? son ex petite amie ? On n'était jamais sûr de rien avec les jeunes d'aujourd'hui.

Son regard mauvais en disait cependant long sur les ressentiments qu'elle nourrissait à l'égard de cet idiot. Idiot qui n'en avait visiblement rien à faire, au vu de son attitude nonchalante. Pistolets en mains, il marchait d'un bon pas aux côtés de Lars, un léger sourire au coin des lèvres. A croire qu'il faisait une promenade de santé.

Lars sentit l'amusement le gagner, mais son attention fut vite détournée lorsqu'une écoeurante odeur de soufre le prit soudain à la gorge. L'aura nauséabonde de Déchet envahissait désormais l'atmosphère. Et à mesure qu'ils remontaient la rue, un léger halo rougeâtre ondulait paresseusement dans les airs. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : cette maudite Poubelle avait commencé à dévorer l'âme des enfants pour augmenter sa puissance. Lars serra les poings à cette pensée.

Qu'est-ce que tu prépares, petite raclure, songea-t-il au moment où Liv stoppait sa marche.

Ils étaient à nouveau devant la mairie. L'imposant bâtiment se dressait au milieu d'une brume de couleur pourpre. Lars parcourut les lieux du regard, mais aucune trace de Déchet et encore moins des otages. Perdant patience, il fit de gros efforts pour ne pas taper des pieds sur le sol. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas être simples pour une fois ?

— Sors de ton trou, Hellboy (1) du bac à sable ! lança brusquement le petit Chat, signe que Lars n'était pas le seul à avoir hâte d'en finir avec cette longue et irritante nuit.

Le gamin fit d'ailleurs un pas en avant et Lars roula des yeux exaspérés en posant une main autoritaire sur son torse. Il ne manquerait plus que cet idiot se fasse désintégrer par une barrière magique érigée autour des lieux. Non pas que sa vie ait une quelconque importance, mais ses compétences pourraient s'avérer utiles plus tard. Et puis laisser mourir un si beau garçon sans avoir pu en profiter ! Ce serait un véritable gâchis quand même !

— Restez en arrière, ordonna sèchement Lars aux trois autres.

— Merci, mais je préfère me passer de votre protection, Strøm, cracha Liv sur le même ton.

— Appelez-moi, Lars, susurra l'interpellé avec un petit sourire charmeur.

Il leva ensuite la main devant lui et une lumière violette irradia de sa paume. Pendant une fraction de seconde, rien ne se produisit. La brume rouge semblait bloquer son aura, puis soudain, ce fut comme si l'air se fracassait tout autour d'eux. Le brouillard pourpre explosa en millions d'éclats avant de disparaître en une myriades d'étincelles.

Liv et sa gamine poussèrent un cri horrifié lorsque Déchet se dévoila à eux. Le démon se pavanait au milieu d'un pentacle formé par des runes gravées sur le sol, juste devant la mairie. Réunis en cercle autour de lui, les dix enfants flottaient à un mètre au-dessus du sol. La tête rejetée en arrière, ils semblaient inconscients, malgré leurs yeux et leurs bouches grandes ouvertes. Un épais filet de lumière blanche s'échappait d'entre leurs lèvres pour rejoindre celles d'un Déchet totalement exalté. Son sourire s'agrandit en voyant Lars.

— Tu en as mis du temps, Strøm, ricana-t-il en exhibant ses immondes crocs en un rictus carnassier. Je m'attendais à te voir débarquer beaucoup plus tôt...

— Espèce d'enfoiré, laisse ces enfants tranquilles ! s'écria Liv avec fureur.

Son intervention se perdit dans le vent, même si Déchet daigna lui accorder un bref regard. Ses lèvres se tordirent en une grimace condescendante. Cela ne fit que l'enlaidir davantage avec son visage à moitié brûlé. Il reporta ensuite son attention sur Lars, la mine déçue.

— Tu n'es pas venu seul. Et moi qui espérais un peu d'intimité. Juste toi et moi...

Lars le toisa avec dédain en réponse à son regard lubrique. Cette horreur lui donnait juste envie de vomir avec ses sous-entendus salaces. Non pas qu'il soit du genre prude ou coincé. Au contraire, Lars adorait flirter et plus si affinités. C'était même un de ses passe-temps préférés. Mais pas avec n'importe qui ! Et encore moins avec cette vermine dégoûtante. Surtout que ses tentatives de "séduction" étaient tout simplement ridicules !

— Tu vois ? Quand je te disais que ce type veut absolument te baiser. Gare à ton cul, l'Aristo ! commenta le petit Chat sur le ton de la plaisanterie.

Tout en parlant, il se plaça tranquillement à ses côtés, ses pistolets en mains et une nouvelle cigarette aux lèvres. Lars ne répondit pas, il se contenta de lever les yeux au ciel pour la millionième fois de la nuit. Le langage de ce gamin était un véritable supplice pour les oreilles. Sans parler de son humour plus que douteux. Avec un grognement affligé, Lars préféra se reconcentrer sur l'autre abruti cornu, analysant froidement la situation.

Plus malin qu'il en avait l'air, Déchet avait érigé une barrière de protection devant lui. Il s'était également placé de manière à anticiper toutes les possibles attaques, ne se gênant pas pour utiliser les enfants comme bouclier humain. Lâcheté, sournoiserie...cet imbécile collectionnait décidément tous les clichés du pathétique petit démon des enfers. Désolant.

Lars souffla un grand coup pour marquer son exaspération. Sans sa foutue conscience, il n'aurait eu aucun scrupule à sacrifier les otages pour se débarrasser de la vermine. Mais en tant que personne raisonnable, il préférait éviter les massacres inutiles.

— Laisse partir les gamins, Déchet et je te promets une mort rapide et sans douleur, lança-t-il finalement en agitant une main ennuyée en direction de son interlocuteur.

— C'est Bechet, répliqua ce dernier avec une grimace vexée.

— Bechet, Déchet, je ne vois pas trop la différence.

Lars esquissa un rictus goguenard, le petit Chat ricana sans retenue à ses côtés.

— Tu te crois drôle, mais tu riras beaucoup moins quand je te ferai suer et crier mon nom, Strøm ! Tu me supplieras de continuer encore et encore ! siffla Déchet avec colère.

Blablabla, songea Lars, agacé. Il n'avait pas de temps à perdre avec les fantasmes ridicules de cet imbécile. Heureusement, il venait d'élaborer un plan pour s'en débarrasser, mais pour cela, il lui fallait l'aide d'un ravissant blondinet aux yeux verts... Pas le choix. Il avait besoin d'assistance pour éliminer Déchet sans blesser les mioches. Et son acolyte de fortune semblait très bien se débrouiller avec les armes à feu. Ce qui était mieux que rien.

— Puis-je compter sur toi, petit Chat ? lui demanda Lars de but en blanc.

— Arrête de m'appeler comme ça ! Mon nom c'est Leo, grogna le gamin.

Il retrouva cependant bien vite le sourire en levant ses pistolets de chaque côté de son joli visage.

— Mais ouais, bien sûr que je te suis, l'Aristo. Je suis là pour ça : buter cette sous-merde !

La sous-merde en question ne lui prêta aucune attention, car trop occupée à dévorer Lars d'un regard malsain. Vu sa tête réjouie, il n'était pas du tout inquiet que le combat se fasse à deux contre un. Il sous-estimait clairement le gamin et ses armes. Cet abruti avait décidément la mémoire courte pour ce qui était de sa langue et sa queue coupées... mais Lars n'allait pas s'en plaindre. Au contraire, c'était parfait. Tout simplement parfait.

— Nous n'aurons droit qu'à une seule tentative, lança-t-il calmement tandis que ses iris et ses poings fermés s'illuminaient d'une intense aura violette. Tu sais où viser.

— Arrêtez ! Qu'est-ce que vous f... hurla Liv, mais Lars tendit les deux mains en avant.

Un cercle de lumière se dessina aussitôt devant ses paumes qui projetèrent une puissante rafale d'énergie droit sur Déchet et ses otages. Comme il s'y attendait, la décharge lumineuse s'écrasa dans un grondement sourd contre une barrière protectrice érigée par les runes infernales. La rafale explosa en un immense feu d'artifice améthyste, illuminant la nuit, tandis que Lars en lançait une autre. Puis une autre. Encore et encore... sans discontinuer.

Rictus aux lèvres, il enchaîna les attaques, tout en avançant lentement vers sa cible. Et bientôt, les grondements sourds s'accompagnèrent de doux grésillements, signe que le pathétique dôme protecteur n'était pas insensible à ses assauts. Des coups de feu vinrent soudain s'ajouter à la cacophonie. Le gamin ne visait cependant pas le dôme, mais plutôt le sol où étaient marquées les runes. Malin, le petit !

— Deux contre un, ce n'est pas du jeu ! rugit bientôt Déchet avec colère, alors que le duo improbable continuait impitoyablement de le canarder à coup de magie et de balles. Approchez encore et je vous jure que je vide complètement ces mioches de leur âme...

— Cause toujours, connard !

Sur ces belles paroles du petit Chat, Lars décida de passer au niveau supérieur.

Sprekke ! s'écria-t-il en fouettant l'air de ses bras.

La rafale d'énergie se divisa en plusieurs lianes de lumière qui s'agitèrent une seconde dans les airs, tels des serpents féroces. Elles fondirent ensuite sur le dôme pour le transpercer de leurs pointes aiguisées. Dans un parfait timing, une balle tirée par le petit Chat fit exploser l'extrémité d'une rune à cet instant précis.

Le coup de grâce acheva la barrière protectrice dont la base se fendilla dans un craquement sinistre. Comme dans une scène au ralenti, les fissures rejoignirent celles créées par les lianes de Lars... puis la barrière finit par voler en éclat, telle une vulgaire vitre fracassée.

Déchet poussa un rugissement furieux, il attrapa l'enfant le proche dans l'intention de l'égorger en guise de représailles, mais ni Lars, ni le petit Chat ne lui en donnèrent le temps. Le gamin bondit en avant en pressant sur la détente de ses armes, un grand sourire sadique aux lèvres. Lars tendit les deux mains en avant, ses fouets de lumière se déployèrent vers les otages. Les cordes lumineuses s'enroulèrent autour des enfants, au moment où la balle touchait Déchet en plein front. Le choc éjecta brutalement le démon en arrière.

Lars en profita pour tirer sur ses fouets, les enfants s'envolèrent dans les airs, celui qui avait failli se faire égorger atterrit dans ses bras. Pour son plus grand déplaisir, Lars ploya sous le poids du mioche et se retrouva à genoux sur le sol enneigé. Et pour couronner le tout, ses armes s'évaporèrent dans la nuit en une myriade d'étincelles.

Il ne manquait plus que ça ! Voilà qu'il se retrouvait désarmé en plein combat, avec en prime, un marmot évanoui dans les bras. Que rêver de mieux ?!

— Ça m'apprendra à jouer les preux chevaliers, grommela-t-il pour lui-même.

Il s'assura quand même d'un bref coup d'œil autour de lui que les autres enfants allaient bien. Entourés d'un faible halo améthyste, ils flottaient à quelques centimètres dans les airs. Ils étaient vivants, mais semblaient dans un état catatonique. Leurs têtes et leurs membres pendaient mollement dans le vide. Ce n'était pas bon du tout.

Lars agita une main, dégageant la neige et le verglas sur le sol, puis les corps inertes s'y déposèrent en douceur. Liv et sa fille se précipitèrent vers lui, ou plutôt vers le garçonnet inconscient dans ses bras qui se trouvait être Sander. Lars ne se fit pas prier pour leur refiler le fardeau, il se redressa ensuite d'un geste impatient.

Il chercha son ravissant acolyte des yeux, ce dernier partait en éclaireur. Il s'avançait prudemment vers l'endroit où s'était écrasé Déchet.

— Merde alors ! s'écria-t-il, la mine légèrement déconfite. Cet enfoiré a disparu ! Comment il peut encore être en vie ? Je l'ai touché en pleine gueule !

Quoi ? Mais quel abruti !

— Des balles en toc, voilà ce que tirent tes petits pistolets. Tu parles d'un chasseur de démon, fulmina Lars, désormais sur ses gardes. Reviens tout de suite ici si tu veux vivre.

— Oh ça va, grogna le gamin en s'executant à reculons, ses armes toujours braqués devant lui. Je suis pas encore un pro. Mon contact m'avait assuré que ces balles seraient efficaces contre les démons et comme un con, je l'ai cru. Enfoiré de Nephtali !

Lars ne savait pas qui était ce Nephtali, mais il s'était bien joué du petit Chat.

— Tes balles ne sont pas consacrées, voilà pourquoi ça n'a pas marché.

— Ok, mais ça peut le blesser, non ?

Lars ne répondit pas, trop occupé à regarder autour de lui avec méfiance. Où était donc passée cette maudite vermine ?

— Oui, si tu vises où il faut, tes tirs peuvent le ralentir, finit-il par dire, tout en réfléchissant aux prochaines actions que pourraient entreprendre leur ennemi.

Il n'avait aucune idée des plans de Déchet, mais ce dernier n'avait plus de buffet gratuit sous la main pour augmenter sa puissance. Il s'était pris une balle en pleine tête. Ce détritus des enfers devait être fou de rage. Il allait sûrement tout faire pour les tuer.

Comme s'il en était venu à la même conclusion, le petit Chat rechargea ses armes, rictus aux lèvres. Ses gestes étaient parfaitement calmes et méthodiques, tandis qu'il fouillait les alentours d'un œil expert. Lars en était sûr maintenant. Peu importe son jeune âge, ce petit était sans aucun doute un tueur professionnel qui n'en était pas à son premier contrat.

Vraiment intéressant... Surtout que d'après ce que Lars avait pu voir jusqu'à présent, il se débrouillait plutôt bien. Bon d'accord, il était excellent ! Sans parler de leur tandem contre Déchet qui avait étonnamment bien fonctionné. Étrange, mais ils n'avaient même pas besoin de parler ou se faire des signes, comme si tout coulait de source...

Bon sang, qu'est-ce que ça pourrait bien donner au lit !

L'idée lui arracha un petit sourire malgré lui et ses yeux se posèrent à nouveau sur le petit Chat, tout de noir vêtu. Hiver oblige, celui-ci portait un blouson épais, style militaire avec pleins de poches partout et un de ces affreux pantalons aujourd'hui très tendances chez les jeunes. Comment ça s'appelait déjà ? Un jean ! Non mais quelle horreur ces chiffons ! Même si, dans le cas du blondinet, le vêtement moulait admirablement bien son...

— Attention, l'Aristo !

Le gamin le tira brutalement en arrière et pour la deuxième fois de la nuit, Lars évita de justesse de se faire crever les yeux par Déchet. A la place, il se retrouva au sol, avachi et complètement empêtré dans les bras du petit Chat. Juste à la merci du démon qui bondissait droit sur eux, toutes griffes dehors et les yeux brûlants de haine.

Utvis ! hurla Lars en propulsant ses deux bras en avant, créant une onde de choc qui envoya leur ennemi voler au loin.

Ce dernier parvint cependant à se réceptionner à quatre pattes, ses ongles acérés glissèrent sur le verglas dans un crissement sinistre. Ses prunelles rougeâtres restaient rivées sur Lars, le regard hargneux au possible. Il avait un gros trou sanguinolent en plein milieu du front et ce n'était pas du tout beau à voir. La plaie était en train de se refermer, mais au vu de sa tête grimaçante, la régénération ne devait pas être une partie de plaisir. Bien fait.

Dans un grognement bestial, il leur fonça dessus à toute vitesse, les griffes à nouveau sorties. Lars esquissa un rictus mauvais. L'attaquer de front ? Vraiment ? Cet imbécile n'apprenait décidément pas de ses erreurs.

Lars se redressa d'un bond, écartant le petit Chat sans ménagement. Il déploya à nouveau ses fouets, les bras tendus de part et d'autre de son corps. Les lianes lumineuses virevoltèrent dans la nuit, avant d'entamer une danse meurtrière et acharnée avec Dechet.

Sans quitter son adversaire des yeux, Lars fit claquer ses armes avec une joie féroce. Tels des serpents, elles déchirèrent l'air et fondirent sur son adversaire dans un sifflement infernal. A défaut d'exceller au corps à corps et au combat à l'arme blanche, Lars avait appris à manier le fouet depuis son plus jeune âge. Il était passé maître dans l'art.

Malgré toute sa rapidité et son agilité démoniaque, l'autre Poubelle n'avait aucune chance d'éviter les coups, et encore moins de l'approcher. Lars le regarda s'agiter dans tous les sens avec un rictus sardonique. Il se délectait du spectacle. C'était tellement jouissif de le voir se démener en vain face à ses fouets qui claquaient et l'acculaient de toute part.

Surtout lorsque les cordes lumineuses se déployèrent tout autour du pauvre petit Déchet, telle une toile monstrueuse. Il se retrouva rapidement cerné, coincé comme un pathétique animal en cage. Pendant un bref instant, les lianes ondoyèrent en cercle autour du démon avant de fondre sur lui pour s'enrouler autour de son cou, ses bras et ses jambes sans aucune douceur. Il tomba à genoux devant Lars.

Il continuait cependant d'afficher sa tête réjouie, même lorsque les cordes se ressérèrent autour de sa gorge et de ses membres. Il avait l'air absolument ravi de découvrir cette facette meurtrière de Lars. La pointe de sa langue fourchue courait sur ses lèvres, ses yeux rouges aux pupilles fendues le fixaient avec avidité et fascination.

— Lars Strøm dans toute sa splendeur... c'est tellement magnifique ! gargouilla-t-il.

— Assez jouer, rétorqua l'interpellé d'un ton abrupt en tournant lentement autour de son prisonnier ligoté. Ses iris continuaient de luire dans la nuit, telles deux inquiétantes lucioles violettes. Qu'est-ce que tu cherches ? Pourquoi toute cette mise en scène ridicule ?

Il avait besoin de comprendre les véritables motivations de cet adversaire aussi imprévisible que tenace. Déchet était pire qu'un cafard : increvable et avec une chance monstre. Lars avait beau l'écraser sous ses pieds, il arrivait toujours à s'en sortir. C'était exaspérant.

— Pour avoir l'Anneau et faire plier la Gardienne, il te suffisait juste de cibler sa famille. Tu n'avais pas besoin de rassembler une crèche entière pour attirer son attention.

Déchet ricana en réponse. Il toisa ensuite Lars avec une incrédulité amusée.

— Pourquoi ? Mais parce que c'est beaucoup plus amusant ! Si tu savais comme c'est devenu ennuyeux aux Enfers ! Depuis que notre Maître...

Il s'interrompit, l'air frustré, mais retrouva vite le sourire et reprit comme si de rien n'était.

— J'avais besoin de faire un peu la fête, tu vois ?

Sans quitter Lars des yeux, il se passa ensuite la langue sur les lèvres. Une lueur à la fois lubrique et moqueuse s'alluma dans ses horribles pupilles fendues.

— Et puis... je me disais qu'un petit massacre de mioches là où l'Anneau était caché ne manquerait pas d'attirer l'attention de tes Dieux... qu'ils enverraient aussitôt leur petit chien préféré pour voir ce qui se passe... Et te voilà devant moi ! Je constate que les rumeurs ne te rendent pas grâce, Lars Strøm : ta beauté est tout simplement irréelle ! Même Rukkia, le prince du huitième cercle de Dante, ne t'arrive pas à la cheville. Tu es éblouissant...

Il prononça les derniers mots d'une voix gémissante sans cesser de fixer Lars avec avidité. Avec un désir de possession qui frisait la folie. Et pendant une fraction de seconde, cette lueur dans ses yeux arracha des frissons d'horreur au principal intéressé. Elle lui rappelait de lointains souvenirs, un passé qu'il essayait tant bien que mal d'enterrer dans un coin de son esprit. Mais ce n'était pas simple, il avait constamment affaire à ce genre de regard.

— Putain, mais c'est une véritable déclaration d'amour ça ! s'exclama soudain le petit Chat d'un ton ironique. T'as vu comment ce type est grave dingue de toi, l'Aristo ? Il a sûrement une bague planquée quelque part ! Ou alors c'est cet anneau qu'il va te passer au doigt...

Le gamin avait décidément de l'humour, se dit Lars dont les lèvres s'étirèrent malgré lui en un mince sourire face à la tête vexée de Déchet. Soulagé de se faire arracher à ses sombres pensées, il s'empressa de les chasser, les repousser au fond du trou dans lequel il s'évertuait à les enterrer depuis plusieurs centaines d'années. Tout allait bien maintenant. Il devait juste éviter d'y penser, ne surtout plus y penser...

— Mais alors... tous ces enfants blessés... ce n'était juste qu'un jeu ? s'écria Liv.

Folle de rage, elle bondit sur ses pieds, le petit Sander toujours serré contre elle. Son regard s'assombrit, ses poings serrés autour du mioche irradièrent d'une lueur blanche. Déchet ne lui accorda cependant aucun regard, trop occupé à fixer le petit Chat avec haine.

— Sale petite larve, cracha-t-il. Tu feras moins le malin quand je vais t'étriper vivant !

Le gamin lui répondit par un grand sourire carnassier. Il faisait preuve d'une telle assurance. Aucune peur n'émanait de ses deux émeraudes. Juste une joie féroce qui mettrait presque Lars mal à l'aise s'il avait été une petite nature. Il se dit que Déchet devrait arrêter de le sous-estimer. Il y avait quelque chose de très dangereux et dérangeant chez ce petit.

Mais le démon se détournait déjà de lui pour porter son attention sur Liv. Celle-ci continuait de le fusiller des yeux, limite s'ils ne lançaient pas de véritables éclairs. Mais pourquoi n'utilisait-elle pas ses pouvoirs contre cet abruti cornu, d'ailleurs ? Elle se contenta juste de serrer les dents, tandis que Déchet affichait un rictus réjoui.

— Ne t'inquiète pas ma douce. Les enfants ne sont pas morts. Enfin... pas encore.

Il ponctua ses dires d'un ricanement méchant qui se perdit en pathétiques gargouillis lorsque Lars tira sur le manche de ses fouets d'un coup sec. Les lianes redressèrent brutalement Déchet par la gorge, le démon se retrouva suspendu dans le vide à la manière d'un pendu.

— A votre place, je lâcherais ce marmot, Liv, déclara Lars d'un ton posé. C'est dangereux de le garder dans vos bras comme ça. Et vous le savez très bien.

L'interpellée ne répondit pas. Elle se contenta de serrer l'enfant un peu plus fort contre elle.

— Maman ? hoqueta sa fille d'une voix larmoyante. De quoi il parle ?

— Rien, ma chérie. Ne t'inquiète pas, ça va aller pour Sander et les autres, murmura Liv.

Balivernes !

— Lâchez cet enfant, Liv, répéta Lars, avec impatience.

— Sauvez-les ! Vous êtes Lars Strøm, vous pouvez le faire ! répliqua-t-elle avec virulence.

Lars haussa un sourcil irrité. Elle devait le confondre avec le bon Samaritain, parce que là franchement, ça commençait à devenir ridicule ! Il ouvrit la bouche pour l'envoyer paître par la grande porte, mais son neveu et tous les autres choisirent cet instant pour se réveiller.

Enfin... façon de parler.

Ils se redressèrent lentement comme un seul homme, Sander s'écartant mollement de l'étreinte de sa tante. Leurs paupières s'ouvrirent, dévoilant des prunelles totalement noires. Les bras ballants, ils étaient d'une pâleur cadavérique. Exit, les petits enfants mignons, c'était de véritables horreurs qui leur faisaient désormais face. Surtout lorsqu'ils ouvrirent la bouche et qu'une longue plainte glaçante s'échappa d'entre leurs lèvres.

— Putain de bon dieu, c'est quoi encore cette merde ! s'écria le petit Chat, horrifié.

— Sander, les enfants, souffla Liv d'une petite voix étranglée, des larmes plein les yeux.

Ses épaules s'affaissèrent, ployant sous le poids de l'horreur et l'accablement. Sa fille se jeta dans ses bras en sanglotant bruyamment. Ciel, comme ses braillements étaient une torture pour les oreilles ! Lars dut se faire violence pour ne pas lui coller un bâillon magique sur la bouche, tant ses larmes de crocodile l'exaspéraient.

Même si oui, d'accord, il y avait de quoi pleurer. Les gamins (ou plutôt ce qui en restait) semblaient souffrir le martyr. Ils continuaient de gémir en chœur, entonnant une macabre symphonie qui donnait la chair de poule. C'était insoutenable.

— C'est quoi ce bordel, l'Aristo ! demanda le petit Chat, le regard toujours rivé sur les créatures en pleurs. Ces gamins sont possédés ou quoi ? Tu peux pas... faire quelque chose pour les aider ? Genre les exorciser ou je sais pas ?

— Ai-je l'air d'un prêtre exorciste ?! rétorqua Lars avec humeur.

Tout en parlant, il farfouilla dans la poche de son manteau, à la recherche de son étui à cigarettes. Il avait besoin d'en fumer une sinon il allait craquer. Il ne manquerait plus qu'il désintègre le village entier parce que ses nerfs avaient fini par lâcher.

— Ok, mais t'es un sorcier. Tu peux faire quelque chose, non ?

Lars ne répondit pas, trop occupé à coincer une tige entre ses lèvres, avant de l'allumer en claquant des doigts. Il ne put retenir un petit soupir de contentement après avoir tiré une longue bouffée de nicotine. Bon sang, comme ça faisait du bien !

Les yeux mi-clos, Lars décida qu'il méritait quelques secondes supplémentaires pour savourer sa cigarette. Mais c'était sans compter cette enquiquineuse de Liv. Sans crier gare, elle lui flanqua une gifle qui envoya son mégot valser sur le trottoir.

— Vous vous foutez de moi ?! Sauvez ces enfants au lieu de vous taper une clope !

Cette fois-ci énervé pour de bon, Lars plissa les yeux de colère.

— Frappez-moi encore et je vous jure que je laisse les mioches dans cet état, cracha-t-il.

L'avertissement eut le mérite de calmer les ardeurs de sa charmante hôte. Les poings serrés, elle le fusilla d'un regard plein de rage et de ressentiment avant de reporter son attention sur les enfants. Ces derniers continuaient de pleurer et c'était juste insupportable.

N'en pouvant plus, Lars tendit une main impatiente vers le petit Chat.

— Tes armes, ordonna-t-il.

— Pourquoi faire ? Tu sais tirer au moins ? demanda l'autre d'un ton ironique.

Petit sourire au coin des lèvres, il ne fit pas le moindre geste pour donner ses pistolets et Lars le fusilla des yeux avant de les lever au ciel. Mais quel enquiquineur franchement !

— Aha, très drôle ! Donne-moi juste ces fichus breloques qui te servent d'armes ! s'écria-t-il avec irritation en essayant de les lui prendre de force.

Le petit Chat l'esquiva cependant très facilement, la tête toujours aussi moqueuse. Lars n'avait cependant pas dit son dernier mot : il leva une paume en l'air et l'un des pistolets s'y matérialisa dans un nuage de fumée violette.

— Hey, mais tu fous quoi, l'Aristo ?! s'écria le petit Chat avec colère alors que Lars refermait les doigts sur l'arme, l'air triomphant. Rends-moi mon flingue tout de suite ou je te jure que...

Blablabla. Le principal intéressé ne lui prêta aucune attention. Il se contenta de lever un doigt autoritaire pour faire taire le gamin avant de reporter son attention sur le pistolet.

C'était une très belle pièce tout en acier, à première vue fabriquée sur mesure comme en témoignait la surface finement ouvragée et gravée de symboles celtiques... Lars n'y connaissait absolument rien aux armes à feu, mais celle qu'il avait entre les mains dégageait une étonnante impression de puissance et de virilité. Comme un certain petit Chat...

Aaah zut, voilà que son esprit s'égarait à nouveau !

Concentration, Lars. Concentration !

Il secoua la tête en se traitant mentalement d'idiot.

Bon. Retour aux choses sérieuses. Il fit courir le bout de ses doigts sur le métal qui était agréablement tiède sous sa peau. Ses iris s'illuminèrent et il souffla doucement sur le pistolet. Une bouffée de son aura violine enveloppa celui-ci, puis elle fit brièvement scintiller les gravures avant de se fondre dans la structure et disparaître langoureusement.

— Qu'est-ce que... ? balbutia le gamin, la tête ébahie, alors que Lars échangeait leurs armes de mains. Il répéta le même rituel sur l'autre pistolet avant de le rendre à son propriétaire qui, passé l'étonnement, inspecta aussitôt son arsenal d'un œil suspicieux.

Lars lui répondit par un petit sourire supérieur, avant de faire un signe de tête dédaigneux vers Déchet, toujours pendu dans les airs par la gorge.

— Et maintenant, petit Chat, fais-toi plaisir. Vise la tête. 


(1) Hellboy : un démon, anti-héros des comics Dark Horse 


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top