18.1🌖Ce que tu m'as volé
Mon amour est indépendant de ma raison.
Ne cherche pas à le comprendre,
tant qu'il t'est entièrement dédié.
— Ma corneille.
Sa main effleure tendrement mes cheveux, alors que je m'étire paresseusement dans les draps encore imprégnés de notre odeur. La tête enfouie dans l'oreiller, je lutte contre l'envie de me plaindre de sa manière un peu brutale de me tirer du sommeil, surtout après une nuit où il m'a presque anéantie.
Dans un sens, il a plutôt bien réussi.
— Je dois partir, souffle-t-il à mon oreille avant de poser un baiser sur ma tête.
Ma main se lève machinalement pour le retenir, sentant le tissu de sa chemise sous mes doigts. Je relève la tête, battant des paupières pour chasser les derniers voiles du sommeil, et nos regards se croisent.
Blake semble curieusement plus éveillé et reposé que ces derniers jours, malgré les courtes heures de repos que nous nous sommes accordées.
C'est vraiment effrayant, les vampires.
— Edgar restera avec Ginger et toi. Est-ce que ça ira ?
« Où vas-tu ? »
Il ne répond pas, même si je suis persuadé qu'il a compris ce que mon silence lui demandait.
La réponse me frappe avec la force d'une révélation soudaine : Mia. Elle a émergé de son long sommeil et réclame sa présence.
Si mes gènes de sorcière désiraient se venger par le sang, la Raven submergée par ses démons n'y arrive plus.
Tout ce que j'ai connu ne mérite pas d'être vécu par une autre.
Mais maintenant, je suis envahie par la peur et la jalousie. Malgré toutes les assurances de Blake, l'ombre de Mia plane, semant le doute sur ma place dans son cœur.
En tant qu'humaine, je n'ai rien de plus qu'elle. Je suis même... fade.
— Tu n'es pas comme ça.
J'oublie toujours que mon vamphex peut facilement lire dans mon esprit humain.
— Tu n'as pas à être jalouse, poursuit-il en prenant place à mes côtés. Ce que nous avons vécu... et pas seulement cette nuit... Il n'y a qu'avec toi que je ressens ça. Je sais que je ne suis pas le type le plus clair dans ses intentions et que j'ai encore beaucoup de choses à régler, mais j'aimerais que tu me croies. Avec toi, tout est différent. Je...
Un instant d'hésitation transparaît dans son regard, qui se perd un moment vers la bibliothèque murale, comme s'il cherchait ses mots dans les titres des livres alignés.
— Lorsque tu seras plus en forme, demande à Edgar de te montrer mes lettres.
Des lettres ? Celle de King's Lynn ? Non, elles sont trop vieilles...
— Cette petite ride qui se forme entre tes sourcils quand tu t'inquiètes... Elle n'a pas lieu d'être. Je reviendrai dès que possible.
Se penchant vers moi, Blake réduit la distance nous séparant pour capturer mes lèvres dans un baiser empreint de tendresse. Son parfum m'enrobe, une dernière caresse, avant qu'il ne m'enlace brièvement et se redresse.
— Je t'enverrais un message quand je partirais de Londres.
Acquiesçant, je dissimule mal ma tristesse face à son départ. Il n'y a pas de mots, pas de gestes qui pourraient le retenir davantage.
Blake me regarde quelques instants de plus, ses yeux sondant les miens, puis pousse un soupir lourd de non-dits et se dirige vers la porte.
— Prends soin de toi, ma corneille.
Pourquoi est-ce que sa phrase sonne comme un adieu ?
🌖
Étrangement, depuis la longue nuit agitée passée avec Blake, mes cauchemars sont moins virulents.
Il y a deux jours, Blake s'est envolé pour Londres, laissant un vide dans son sillage, pour s'occuper de Mia. Malgré ses assurances, une ombre d'inquiétude plane toujours sur moi.
Je joue distraitement avec mon portable, espérant un signe de lui, tandis que Ginger s'est roulé en boule devant la cheminée, sombrant dans un sommeil paisible.
— J'ai préparé du thé, annonce Edgar en s'avançant vers moi. Tu en veux ?
Je me redresse et acquiesce, suivant Edgar à travers le seuil qui mène à la cuisine où la bouilloire siffle doucement. Avec hésitation, ses gestes étant peu familiers, il prépare deux tasses dont la vapeur aromatique de l'hibiscus se mélangeant à l'air.
Il verse le thé avec précaution, la couleur pourpre se fondant dans l'eau chaude, avant de me tendre ma tasse en souriant.
Depuis notre danse, le corbeau est plus amical avec moi et il m'offre plus de sourires qu'il en donne à son maitre.
Nous nous installons dans un silence réconfortant, seulement troublé par le crépitement distant du feu dans le salon, lorsque je me souviens des paroles de Blake à son départ.
Avec mon portable, je parviens à communiquer mon souhait à Edgar, qui, après un moment de réflexion, me guide vers l'imposante bibliothèque qui encadre la télévision de Blake.
— Voyons voir... Ah oui, Jane Austen, se remémore-t-il à voix haute.
Je m'attendais à ce qu'il sorte l'édition complète des œuvres de Jane Austen que j'avais autrefois offerte à Blake. Pourtant, Edgar se saisit d'un volume anonyme, sans titre, placé juste à côté. À l'ouverture du livre, une fine clé, dissimulée entre ses pages, se révèle à nos yeux.
Guidée par Edgar, je traverse l'espace jusqu'à la chambre de Blake qui est presque identique à son bureau, si ce n'est moins encombré par les livres et avec d'épais rideaux empêchant le moindre rayon de lumière d'y pénétrer.
Devant le meuble robuste en bois sombre, Edgar insère la clé avec précaution dans la serrure d'un tiroir, le débloquant avec une lenteur. Il s'écarte ensuite, me cédant sa place pour que je puisse découvrir ce qui y est soigneusement caché.
Des lettres, une multitude, s'étalent devant moi.
Je prends place devant le bureau, la curiosité piquée au vif, tandis qu'Edgar choisit de s'installer sur mon lit. Ginger entre dans la chambre et vient se mettre à ses côtés en m'observant avec attention.
Chaque lettre renferme les réponses à celles que je lui avais envoyées depuis Mapplewood. Ses réponses qui ne me sont jamais parvenues et m'ont fait croire que Blake m'avait vraiment trahi.
Les lignes dévoilent des mois de correspondance ininterrompue, des fragments de son existence quotidienne, des habitudes, des anecdotes, et surtout, ces phrases qui résonnent avec une force particulière :
Envahis mon corps,
mon esprit et mon âme.
Pille tout ce qui m'appartient,
mais tout est déjà à toi,
Ma corneille.
Et tant d'autres encore. Chacune de ces lettres, à mesure que je les parcours, serre un peu plus mon cœur.
Blake éprouvait les mêmes sentiments que moi, malgré les kilomètres qui nous séparaient, malgré les erreurs et les malentendus qui avaient jalonné notre parcours.
Tu es coupable de plusieurs crimes mais il n'y en a qu'un qui me touche particulièrement : m'avoir fait succomber à nouveau à ton charme.
Je m'applique à trier les lettres par date, chaque mouvement accompagné par le goût réconfortant de mon thé, dont la chaleur s'échappe lentement.
La fraîcheur de l'air, chargée de l'odeur unique de la pluie sur les pavés, se faufile à travers l'entrebâillement de la fenêtre.
Lorsque j'arrive à la dernière date, je suis surprise que le tiroir soit encore à moitié rempli.
Le papier utilisé est différent sur l'une des lettres... rempli de rature. Mais j'arrive à lire ces mots :
Blake
Arrête de vivre dans le passé.
Oublie-moi, définitivement.
Il ne l'avait pas détruit.
La fameuse lettre que j'ai « écrite ». Ce qui est choquant, c'est que c'est bien mon écriture. C'est magnifiquement copié...
Sauf que je signais chacune de mes lettres par « Toujours à toi, La Sorcière ». Même si je voulais oublier Blake, j'aurais trouvé une formulation différente. Mais j'aurais signé.
Si on a pu imiter mon écriture, cela veut dire qu'on a eu accès à mes précédentes lettres. Quelqu'un d'assez proche de Blake pour les trouver et les lire. Elle.
Mia Joy.
La frustration m'envahit, et d'un geste irrité, je repousse ma tasse de thé presque vide.
Comment va-t-il agir ? Que va-t-il lui dire ?
Mon regard glisse une nouvelle fois vers mon portable, toujours muet.
Il me reste encore des lettres à découvrir, marquées cette fois par un désespoir palpable. Les écrits de Blake, truffés d'erreurs et de corrections, portent les stigmates d'une période sombre.
— Ce sont celles qu'il a écrites pendant ces cinq années sans toi, intervient Edgar, recueillant Ginger dans ses bras. On te laisse les lire en paix. Si tu as besoin, je suis là. Et... désolé pour ce que j'ai pensé de toi. La douleur de Blake a influencé ma vision des choses.
Son regard empreint de regret croise le mien, et je lui offre un sourire empli de tristesse.
« Je n'arrive pas à croire qu'elle m'ait fait ça... et en même temps, elle en avait le droit. J'ai trahi Raven il y a de cela quatre siècles et j'ai encore l'impression de le payer.
Est-ce à cause de cela qu'elle est partie ? Et ses autres lettres ? N'était-elle que des illusions ?
Je ne sais plus quoi penser, ni si je peux faire confiance aux autres. »
À mesure que je progresse dans la lecture, les mots semblent s'alourdir d'une tristesse croissante.
« Raven... Ma corneille...
Pourquoi m'as-tu abandonné ? Reviens-moi, s'il te plait.
J'accepte d'être ce que tu veux. D'avoir la place qui te convient dans ton cœur.
Traite-moi comme un moins que rien, mais reviens. »
La douleur dans ses lignes fait naître des larmes aux coins de mes yeux.
Les pages suivantes sont marquées par l'amertume, la colère, une profonde sensation de trahison et d'abandon.
Avec le temps, pourtant, un changement s'opère dans le ton de ses écrits. Blake mentionne ses séances chez un psychologue, ses sorties croissantes avec Mia, qui semble lui apporter un soutien nécessaire.
Sa présence à elle est décrite comme un baume, bien que cela me serre le cœur.
Curieusement, au fil des années, je note une absence de détails passionnés sur son amour pour Mia. Il parle de son soutien, mais d'une manière qui sonne étonnamment détachée.
Il s'adresse à moi, encore et toujours, partageant les étapes de sa guérison, de son effort pour se libérer de ce qu'il appelle son « obsession » pour moi, sa sorcière. Certains mots vibrent d'une intensité particulière :
« Nous ne nous sommes jamais appartenus. Pourtant, j'ai toujours eu le sentiment que mon cœur n'était qu'à toi.
Qu'as-tu fait ? M'as-tu volé ?
Rends-le-moi, si tu veux que j'avance. »
L'envie de l'enlacer me submerge en découvrant la profondeur de son mal-être à travers ces lettres.
Je ne sais pas combien de temps je passe à le lire, mais la pièce s'est assombrie et, sans m'en rendre compte, Edgar est venu me ramener une nouvelle tasse et allumer la lumière.
Toutes les lettres sont désormais triées par date.
Il n'en reste plus qu'une, écrit quatre mois avant nos retrouvailles inattendues.
☕Nouveau chapitre JEUDI 9H☕
On arrive au moment où on commence à mieux comprendre le Blake du début de l'histoire 👀
Raven après sa nuit de folie avec Blake :
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🌖🌖🌖
P.S : voici la nouvelle couv du tome 1 réalisé par ES Desigraphy 💛 :
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