16.2🌖Pourquoi moi ?

Je me sens lourde. L'esprit embué.

Où suis-je ?

La chambre est inconnue, baignée dans une lumière douce qui peine à me réchauffer. J'ai dormi, longtemps, peut-être trop, et pourtant, je me sens épuisée, comme si mon sommeil avait été une lutte plutôt qu'un repos.

Je me redresse, les muscles engourdis, et m'approche de la fenêtre pour l'ouvrir. L'air frais caresse mon visage, portant avec lui les parfums de la terre humide et des feuilles en décomposition.

Dehors, la ville bouge sous un ciel gris, les rues pavées serpentant entre des bâtiments anciens aux façades sombres. Les arbres sont dépouillés de leur verdure et le murmure urbain, un mélange de voix et de roulement de voiture, est si constant qu'il en devient un bruit de fond rassurant.

Je respire profondément, essayant de calmer les battements précipités de mon cœur. L'air est froid mais vivifiant, il remplit mes poumons, et me réveille peu à peu.

Les yeux encore voilés de sommeil, je prends le temps de détailler l'endroit qui m'accueille. Ce n'est pas tant une chambre qu'un bureau, où le lit semble avoir été ajouté.

Les murs sont tapissés de bibliothèques, si pleines que certains livres semblent prêts à s'échapper de leur confinement, comme si chaque étagère était une bouche béante débordant de mots et de récits. Le parfum du papier vieilli se mêle à l'odeur qui s'infiltre par la fenêtre entrouverte.

Sur le bureau, massif en bois sombre, résident des piles de documents, de notes griffonnées, et surtout, une collection de tasses de thé aux bords tachés.

Je devrais me sentir comme une intruse dans cette pièce et pourtant, elle me rassure. Je suis attirée par cette cacophonie silencieuse.

Lorsqu'un bruit, derrière la porte, m'interpelle. Sous la lumière grise d'un ciel d'automne, le salon s'offre à moi, un lieu où le temps semble suspendu.

Les murs sont habillés de bois sombre, étagères et boiseries minutieusement sculptées. Sur ces étagères, une collection éclectique d'objets : globes anciens, instruments de navigation obsolètes, et de multiples reliques qui semblent avoir été collectées à travers les siècles. Des tapis épais, aux motifs complexes et sombres, recouvrent le sol, étouffant mes pas alors que je m'avance, toujours curieuse de savoir où j'ai atterri.

Près d'une des fenêtres, un tourne-disque ancien repose sur un petit meuble, entouré d'une collection impressionnante de vinyles, dominée par les icônes du rock anglais des années 80.

À côté, une table basse en bois massif est jonchée de livres ouverts, de carnets de notes éparpillés, et d'une impressionnante variété de tasses de thé. Certaines encore à demi pleines, entourées de petites boîtes de thé, allant des classiques Earl Grey et Darjeeling aux mélanges plus exotiques et aromatisés.

Niché dans un recoin accueillant, à côté du crépitement rassurant de la cheminée, trône un fauteuil en cuir patiné. Juste au-dessus, une lampe projette une lueur apaisante sur un ouvrage imposant à la couverture vivement colorée : l'œuvre complète de Jane Austen.

C'est le même livre que j'avais choisi avec soin et offert à Blake, il y a de cela cinq ans...

Soudain, la réalisation me frappe.

Je suis... chez Blake ? Mais... pourquoi ?

— Raven ? Par tous les diables...

Blake émerge d'une pièce voisine, sa silhouette désordonnée se dessinant soudainement dans mon champ de vision. L'air épuisé, vêtu à la hâte, ses cheveux ébouriffés témoignent d'une nuit agitée, ses lunettes absentes accentuant son regard perdu.

D'un geste distrait, il abandonne sur le canapé une pile de livres qu'il tenait, avant de se précipiter vers moi pour m'enlacer.

Blottie dans ses bras, une sensation de sécurité m'envahit, teintée d'une vulnérabilité inconnue.

Moi, vulnérable ? Mais je suis une sorcière, la Maîtresse des Arcanes Interdites.

Pourquoi me sentirais-je faible ?

— Raven, je t'en prie, ne panique pas.

J'aimerais lui répondre, mais les mots se figent dans ma gorge.

— Tu as été inconsciente pendant deux jours, depuis notre arrivée à Édimbourg. Je t'ai conduite ici en voiture.

Édimbourg ? Mais pourquoi ?

Les questions se bousculent, sans trouver de sortie.

— S'il te plaît, dis quelque chose.

Je veux parler, mais je n'y parviens pas.

C'est alors qu'un chat roux surgit, glissant entre nous avec agilité. Il miaule joyeusement, se frottant contre ma jambe, semblant réclamer attention ou peut-être... une aide ?

— Ginger attendait que tu te réveilles. Il ne peut plus reprendre forme humaine, ni parler notre langue. C'est...

Ginger ?

Comment ai-je pu ne pas le reconnaître immédiatement ?

— Parle-moi.

Les mots restent coincés.

Je ne peux plus parler.

Je ne peux plus.

Les mains crispées sur ma gorge, je tente désespérément de faire sortir un son, mais en vain.

JE N'Y ARRIVE PLUS.

Exsanguis Arcanum.

Mon lien avec Ginger, rompu.

Mes pouvoirs, envolés.

Mes défenses mentales, dissoutes.

Ma voix, éteinte.

Mon essence, arrachée.

J'ai tout perdu.

La réalisation de ma vulnérabilité et de mon impuissance déclenche quelque chose en moi, une étincelle qui se transforme rapidement en un brasier.

On m'a tout pris.

Malgré l'absence de mes pouvoirs, une rage purement humaine, viscérale, s'empare de mon être.

Tout me revient en tête. Le rituel. Les barrières qui disparaissent. Les souvenirs désagréables enfouies si profondément qu'ils n'existaient même plus.

Tout ce que l'on m'a fait subir depuis que j'existe.

Depuis que je suis femme.

Je repousse les bras de Blake, me dégageant avec une force que je ne me connaissais pas. La pièce semble rétrécir autour de nous, chaque objet, chaque ombre, chargé de ma colère.

Pourquoi moi ?

Je commence à déambuler dans le salon, chaque pas plus assuré que le précédent, alors que je rassemble les fragments de ma volonté.

Pourquoi moi ?

Je renverse la table basse d'un geste brusque, les livres et les tasses de thé s'éparpillant au sol dans un chaos retentissant. Les vinyles sont balayés d'un revers de main, leurs pochettes éclatant contre le mur dans un fracas.

Pourquoi moi ?

Blake, témoin de cette transformation, essaie d'intervenir, mais ma rage est une barrière infranchissable. Je le repousse avec force, mon regard lançant des flèches invisibles.

Pourquoi moi ?

« Ne me touche pas ! » est ce que je voudrais crier, mais ces mots restent piégés dans ma gorge.

Pourquoi moi ?

Je saisis une tasse de thé abandonnée, la lançant contre le mur où elle se brise en un écho de ma fureur. Puis une autre, et encore une. Toutes celles à ma portée suivent.

Pourquoi moi ?

Ginger s'est réfugié sous un meuble, ses yeux dorés écarquillés d'effroi et d'incompréhension.

Pourquoi moi ?!

Les éclats de porcelaine au sol sont comme les pièces d'un ancien moi, un moi qui ne peut plus exister dans cette nouvelle réalité.

POURQUOI MOI ?!

Au paroxysme de ma fureur, alors que je m'apprête à déverser davantage de chaos dans ce qui reste du salon, des bras fermes m'enlacent, immobilisant les miens dans un geste à la fois doux et déterminé.

C'est Blake, qui, bravant l'orage de ma colère, vient m'entourer de sa force, tentant de canaliser cette tempête qui me consume.

— Je suis là, ma corneille, murmure-t-il à mon oreille.

La proximité de son corps, la chaleur de son étreinte agissent comme un ancrage, me ramenant à la réalité de l'instant.

Dans cette étreinte, une lutte s'engage entre ma volonté de me libérer pour poursuivre ma destruction et le désir soudain de m'abandonner à ce réconfort inattendu.

« Laisse-moi ! » pensé-je, ou du moins, j'essaie de le penser, car une part de moi s'accroche désespérément à lui.

— Je suis avec toi, insiste Blake, ses mots se frayant un chemin à travers les remparts de ma fureur.

Sa présence, inébranlable malgré la tempête qui m'entoure, commence à apaiser ma colère. Ma résistance faiblit peu à peu sous le poids de son étreinte, mes bras cessant de se débattre, mon corps se relâchant.

La chaleur de Blake, son souffle régulier contre ma nuque, tout contribue à essouffler ma rage, laissant émerger une vulnérabilité que j'avais refusée d'admettre.

Quelque chose en moi cède.

Mes larmes s'échappent enfin de mes yeux pour s'écouler librement le long de mes joues.

Je me sens soudainement si fatiguée, si profondément atteinte par les événements qui m'ont menée ici... mais Blake reste là, immobile, m'enlaçant avec une patience presque douloureuse.

Il ne dit rien, comprenant instinctivement que les mots sont superflus, que ce dont j'ai besoin par-dessus tout, c'est de sentir que je ne suis pas seule.

Sa main caresse doucement mes cheveux, un geste apaisant qui m'aide à me calmer, à rassembler les morceaux de mon cœur.

Peu à peu, mes larmes se tarissent, laissant derrière elles une sensation de vide. La tempête intérieure s'apaise, faisant place à une quiétude fragile, comme après le passage d'un ouragan dévastateur.

Je me sens épuisée, vidée de toute force, mais curieusement plus légère.

Blake, sentant le changement, ajuste son étreinte, me berçant doucement, un phare dans la nuit de ma détresse.

— Tu n'es pas seule, murmure-t-il finalement, brisant le silence.

Ces simples mots, prononcés d'une voix douce, résonnent en moi avec une force inattendue.

Soudain, une petite forme chaude et douce se presse contre ma jambe. C'est Ginger qui, après s'être tenu à distance, vient se frotter à moi et ronronner.

Je baisse les yeux vers lui, et nos regards se croisent. C'est comme si, malgré sa forme féline, il cherchait à me communiquer son soutien, à me rappeler que l'affection et la présence ne dépendent pas de la parole.

Doucement, je tends une main pour caresser son pelage, et il s'installe à mes côtés, blotti contre moi.

Nous restons ainsi pendant un long moment, tous les trois, et j'en perds tant la notion du temps que je finis par sombrer dans le sommeil.

Je ne suis plus une sorcière.



Perdre tout ce que l'on a accompli pendant quatre siècle. Vraiment tout perdre après tant d'épreuves...
Je crois que moi aussi, j'aurais pété un câble.

Nouveau chapitre MARDI 9H

10% de la rage de Raven :

N'hésitez pas à soutenir cette histoire en votant/cliquant sur l'étoile et en laissant un petit commentaire. Ça fait toujours plaisir de lire vos retours et ça m'encourage à continuer !🥰

🌖🌖🌖



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top