13.2🌖Charmant corbeau
Les lumières de Londres, dans leur éclat nocturne, défilent doucement devant nous alors que le taxi nous conduit vers mon hôtel. Ginger, blotti sur mes genoux, somnole, agité de temps à autre par de légers sursauts.
Quant à Blake, il caresse machinalement la tête de l'oiseau de « malheur » qui pique du nez sur son genou, lui aussi plongé dans un demi-sommeil.
Depuis notre départ du carré VIP, aucun mot n'a été échangé, mais je connais bien mon vamphex favori, et je sais que les questions ne vont pas tarder.
Avec lenteur, Blake retire ses lunettes de soleil, les nettoie contre sa veste, puis les glisse dans sa poche. Son œil valide se pose sur le chauffeur, vérifiant son attention portée à la route plutôt qu'à notre conversation, avant de se tourner vers moi.
Mais j'anticipe.
— Oui, je trouve autant de plaisir avec les hommes qu'avec les femmes, ou tout être qui sait m'offrir de l'attention, car j'en ressens un manque cruel. Satisfait ?
— Ce n'était pas ma question, réplique-t-il.
— Mais tu aurais aimé savoir, n'est-ce pas ? Si j'ai eu d'autres relations après toi.
— Il aurait été surprenant que tu restes seule si longtemps après notre séparation.
— Pourtant, tu l'as été toi, n'est-ce pas ? Si on oublie les coups d'un soir, bien sûr.
Blake acquiesce, puis laisse son regard se perdre sur le défilé nocturne de la ville à travers la vitre.
— Mais tu n'as aimé que moi, parait-il.
Cette affirmation fait vaciller mon cœur. Je pose ma tête contre ma main, mes doigts tambourinant nerveusement sur ma joue.
— C'est si désespérant ? dis-je finalement. De s'accrocher autant à un amour perdu ?
— Tu fais ce que tu veux et personne n'a le droit de nous juger. Nous sommes...
Il marque une pause, son regard se détournant brièvement vers le chauffeur.
— « Expérimentés ». Nous avons vécu suffisamment pour comprendre que l'amour ne commande pas une vie, qu'il n'est pas un objectif suprême... Mais qu'il peut contribuer à un sentiment de bien-être, à une plus grande joie. Tu en es la preuve vivante.
— Vraiment ?
— Tu es une femme accomplie depuis « longtemps ». Tu n'as pas cherché le grand amour, mais ta liberté. Le pouvoir. Tout ce qui te faisait envie. Tu n'as jamais eu besoin de moi pour avancer dans la vie. Et moi je n'arrête pas d'agir comme un con. Pourtant...
Nos regards se rencontrent, se fixent. Les lumières des réverbères baignent son visage pâle de vamphex, soulignant les cernes sous ses yeux.
— Pendant cinq longues années, j'ai cru que tu m'avais abandonné, Raven. J'ai commis l'erreur de penser que tu en étais capable, parce que tu avais changé. Tu n'étais plus la femme que j'avais connu à l'époque. Tu étais un mélange pétillant, mais dangereux qui allait s'inviter dans mon quotidien. Je me sentais prêt à t'accueillir... du moins, je le croyais. Sinon, peut-être que j'aurais affronté ma peine et tenté de comprendre pourquoi tu avais disparu.
— On sait tous les deux la cause de cette complication entre nous. Edgar m'a révélé l'existence de ma soi-disant dernière lettre. Et si ce n'est pas toi qui as envoyé le rapport m'ayant « causé des ennuis », alors...
— Je sais.
Il passe une main dans ses cheveux, les ébouriffant davantage, puis laisse échapper un long soupir.
— Je sais, pour Mia. Mais tout s'est compliqué et tout l'est encore.
— Pour moi, la solution est simple. Ta fiancée s'est jouée de nous pour nous séparer et elle doit en assumer les conséquences.
— Mia est toujours plongée dans le sommeil.
Je lève les sourcils, étonnée. Elle aurait dû se réveiller depuis le temps, étant donné que l'usage de Sanguinvitalis, malgré sa demande considérable d'énergie, ne devrait pas l'avoir maintenue dans un tel état de torpeur.
Ce qui veut dire que cette application, mais surtout les gens derrière ont peut-être des ambitions dépassant mes premières idées.
— Je veux juste... régler cette histoire, poursuit Blake.
— Et après ? Tu comptes toujours te marier ?
— Je dois discuter avec Mia.
— Tu n'imagines pas de suite entre nous, c'est cela ?
— Nous avons changé, Raven.
Le silence s'installe entre nous, lourd de regrets.
La voiture continue de fendre la nuit, et je fixe le paysage nocturne qui défile, cherchant du réconfort dans l'obscurité enveloppante, tandis que Blake se perd dans ses propres pensées.
— Nous avons dépassé l'époque où nous étions de jeunes amants insouciants à King's Lynn. Je ne savais même pas que tu avais été en...
Il hésite, le terme « Enfer » suspendu dans l'air, inexprimé.
— Pendant un demi-siècle, confirmé-je. C'est un endroit où je n'avais pas à me soucier de vieillir.
— Je comprends. Quant à moi, j'ai été confiné dans une sorte de... repos, pour une durée similaire.
Je savais que certains vampires choisissaient de se retirer dans des cercueils pour hiberner pendant des siècles, afin de renouveler leurs forces.
Mais Blake a-t-il choisi cette retraite de son plein gré, ou y a-t-il été contraint ?
— Il nous reste tant à découvrir l'un de l'autre. Les personnes que nous étions se sont diluées avec le temps. Parler de notre passé ne me pose pas de problème, mais est-ce nos personnalités n'ont pas changé elles aussi ? Nos objectifs ? Notre moral ? Ce que tu as fait, dans cette boite de nuit...
— Je sais que tu désapprouves fortement et que je te dégoute un peu plus de moi, et qu-
— Tu étais magnifique.
Blake se tourne vers moi, ses yeux sondant les miens dans l'obscurité.
Je bats des paupières, déconcertée, tandis que mon cœur, ce traître, s'emballe sous l'effet d'un frisson inattendu.
— Tu étais prête à tout pour Ginger. Et tu as saisi cette opportunité pour assouvir ta vengeance. Je me serais attendu à ressentir de la terreur, de l'indignation, mais en te voyant avancer à travers la pièce avec tant d'assurance, tu as ébranlé les fondations de ma morale. Je me suis dit que c'était justifié. Que ma tentative de réprimer cette fureur en toi tout au long de la soirée était une erreur. Que tu étais en droit de manifester ta colère et ta haine. Raven... si je peine à envisager un futur pour nous, c'est parce que tu défies les principes même sur lesquels je m'étais construit. Si je parais froid et distant, c'est pour me protéger de l'avalanche d'émotions que tu éveilles en moi. Je suis contraint de prendre du recul, d'analyser, de comprendre. Je ne peux pas me permettre de plonger à nouveau aveuglément dans tes bras... Même si j'en brûle d'envie.
Les mots de Blake résonnent dans l'espace confiné de notre échange, laissant flotter des questions non formulées et des désirs inavoués.
— Je ne cherche pas à fuir ce que nous avons été... ou ce que nous pourrions encore être, ajoute-t-il doucement, rompant le silence. Mais je suis terrifié à l'idée de répéter les erreurs du passé, de nous infliger à nouveau du tort.
La vulnérabilité qu'il montre est rare, un aperçu de l'homme derrière le masque froid du vamphex.
— Et si... nous prenions le temps de redécouvrir qui nous sommes désormais ? proposé-je, hésitante. Sans pression, sans attentes démesurées... Juste toi et moi, et peut-être, le chemin nous mènera à quelque chose de nouveau, quelque chose de solide et de vrai qui n'aurait pas à craindre l'intervention d'une meilleure amie jalouse pour se déchirer ?
Blake reste silencieux un moment, considérant mes mots.
Alors que le taxi ralentit pour s'arrêter devant mon hôtel, il libère un soupir lourd, comme s'il laissait derrière lui une fraction de ses incertitudes et appréhensions.
— OK, murmure-t-il.
Il esquisse un sourire, fragile, mais authentique éclairant son visage pour la première fois depuis longtemps, un geste si rare depuis nos retrouvailles et qui me touche bien plus fort que je m'y attendais.
— OK, on va tenter le coup. Enfin, ça va vite partir en vrille.
— Pourquoi ?
— Parce qu'on a déjà failli coucher ensemble, et juste le fait d'être à tes côtés dans cet espace restreint éveille en moi des sensations... intenses, avoue-t-il avec une honnêteté brute qui fait battre mon cœur plus fort.
— Nous sommes arrivés, interrompt le chauffeur de taxi, une pointe d'impatience dans la voix, clairement désireux d'éviter que son véhicule devienne un lieu de coït.
Un sourire complice éclaire nos visages tandis que Blake se redresse, réveillant Edgar par la même occasion. Avec une élégance qui lui est propre, il contourne la voiture pour m'ouvrir la porte.
Je descends, tenant Ginger dans mes bras, jusqu'à ce que le petit fugueur décide de s'évader de mon étreinte pour s'étirer et bâiller largement sur le trottoir.
Sans savoir pourquoi, les mains de Blake captent mon attention. Leur façon de glisser sur la portière avant qu'il rajuste le col de sa chemise et ses cheveux...
Je pourrais miauler, mais Gin se foutrait bien de ma gueule.
— Il y a des choses qui ne changent pas, remarqué-je en observant Blake. L'esprit de courtoisie de l'ancien toi refait surface quand il s'agit de faire preuve de charme.
— Mais seulement envers toi.
Je ne peux réprimer mon sourire.
— Tu me tiens au courant dès que l'application nous révèle quelque chose de nouveau ?
— Dans la minute, promets-je. Je me fiche pas mal des victimes de mes sorts, mais ce sont les miens. Que d'autres tirent profit de siècles de recherches et de connaissances, c'est très irritant.
Alors que je m'apprête à entrer dans l'hôtel, Blake me retient par le bras, doucement, juste assez pour attirer mon attention. Il se penche, et dans un geste qui semble capturer toute l'essence de notre conversation, dépose un baiser léger sur ma joue.
— Pour la route, dit-il avec un clin d'œil, avant de se reculer. Bonne nuit, ma corneille.
— Bonne nuit... mon corbeau.
Je porte ma main à ma joue, ressentant encore la trace de son geste, et le regarde s'éloigner vers le taxi. Le véhicule démarre, emportant Blake dans la nuit, tandis que je reste un instant immobile, savourant le souvenir de notre échange.
— Du coup, intervient Ginger d'une voix ensommeillée avant de laisser échapper un bâillement, tu m'aimes au point de vous blesser tous les deux, c'est bien ça ?
— C'est tout ce que tu as retenu de notre soirée ? rétorqué-je, un brin amusée. Et tu n'es plus fâché que je t'aie invoqué de force ?
— Non, parce que ça me plaît, cette manière que tu as de montrer ton affection de façon si tumultueuse !
Ginger occupe une place unique dans ma vie, semblable à celle d'un petit frère. Il représente le semblant de famille que j'ai pu me construire au fil du temps.
Jamais je n'aurais pu envisager de le laisser repartir avec Luciane.
Et jamais je n'aurais pu quitter cette soirée sans avoir provoqué un peu de chaos.
☕Nouveau chapitre MARDI 9H☕
Est-ce que l'histoire vous plait pour l'instant ? Est-ce que vous avez des théories sur la suite ? N'hésitez pas à me donner vos avis ! 🥰
Ginger qui n'a rien retenu de la soirée et qui pionce avec un ptit sourire satisfait :
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