Sans attendre ma réponse, Luciane s'empare de mes lèvres dans un baiser sauvage et impérieux. Comme par le passé, embrasser un démon éveille en moi cette part d'ombre et de désir inassouvi.

C'est une sensation envahissante, presque effrayante, comme si elle pouvait puiser dans mes désirs les plus profonds et les plus sombres.

Ses lèvres contre les miennes créent une sensation électrique, un picotement qui parcourt ma peau, mêlant frisson et attraction. Il y a une force dans son baiser, presque comme si elle aspirait mon âme.

Mais en dépit de l'intensité du moment, je me rends compte que ce n'est pas aussi satisfaisant que d'embrasser Blake. Avec Luciane, c'est le frisson du danger, l'excitation de l'interdit ; avec Blake, c'est une sensation plus profonde, plus connectée.

Elle se détache finalement, un sourire satisfait sur les lèvres.

— Appelle-le maintenant. Ici. Tout de suite.

Je m'éloigne d'elle, reprenant mon souffle, alors que ce que je pensais être le prix à payer... Je n'étais qu'un apéritif.

— Il y a un champ anti-magie dans tout ce lieu, réponds-je en essuyant mes lèvres.

— Nous savons toutes les deux que cela ne t'arrêtera pas. Tu es presque celle qui a conçu ce système.

« Volé » serait le terme plus approprié, mais je laisse de côté les questions de propriété intellectuelle pour l'instant.

Je me tourne vers Blake, dont l'aura de colère est si dense que je commence à ressentir une certaine appréhension à son égard.

— Nous n'avons pas le choix, dis-je d'une voix résolue.

Il acquiesce, même si son visage trahit son désaccord face à notre situation actuelle.

Luciane ordonne à ses vigiles de vider le carré VIP. Pendant ce temps, je me mets à l'œuvre, déplaçant les tables et récupérant les bougies cramoisies dispersées autour pour tracer un cercle d'invocation sur le sol.

— Blake, aide-moi s'il te plait, dis-je en tendant mon doigt vers lui.

Avec une hésitation visible, Blake accepte finalement de percer la peau de mon pouce avec une de ses canines, laissant s'échapper quelques gouttes de sang.

— Je ne peux pas garantir dans quel état il va se manifester.

— Je m'en fous, je veux ce que tu me dois.

Alors que je commence à murmurer les incantations, l'air se charge d'une énergie électrique. Effectivement, les champs anti-magie de cette époque sont étrangement plus faibles qu'il y a une centaine d'années, et il est facile pour quelqu'un comme moi de les percer.

Le cercle de cire que j'ai tracé commence à luire d'une lumière rougeâtre, pulsant au rythme de mon incantation. Blake reste à mes côtés, une présence rassurante malgré l'incertitude qui se lit dans ses yeux.

Luciane observe la scène avec un mélange de fascination et d'impatience.

— Rapide et efficace, comme toujours.

Alors que l'incantation atteint son apogée, le cercle s'illumine d'une lumière éblouissante. Un frisson nous parcourt, et un silence pesant s'abat sur la pièce, nos regards fixés sur le centre du cercle.

Soudain, accompagnée d'un son qui évoque le murmure du vent, une silhouette se matérialise au cœur du cercle. Mais à ma grande surprise, ce n'est pas une seule entité qui apparaît. Ils sont deux.

— Edgar ?! s'exclame Blake en surprenant son familier.

Le spectacle est à la fois bizarre et amusant : Edgar, une paire d'as dans la main, semble tout aussi désorienté que son partenaire de jeu.

Ginger cligne plusieurs fois des yeux et semble perdu jusqu'à ce qu'il me voit.

— Raven ? Qu'est-ce que... commence-t-il, sa voix trahissant son désarroi.

Je me sens coupable, sachant que j'ai rompu une promesse faite il y a un siècle de ne jamais utiliser cette convocation à nouveau.

Mais les circonstances désespérées exigent des mesures désespérées.

L'atmosphère se charge d'une tension électrique au son du rire moqueur de Luciane. Ginger se métamorphose aussitôt en chat et fonce sur elle, toutes griffes dehors, déterminé à infliger une blessure mortelle.

Sauf que la démone parvient non seulement à esquiver l'attaque mais aussi à capturer Ginger par la queue, le soulevant dans les airs – un affront ultime pour un félin – avant de le lancer sans ménagement vers Edgar.

Pris de court, Edgar adopte sa forme de corbeau en un éclair et trouve refuge sur l'épaule de Blake.

— Salut mon chou ! s'exclame Luciane d'une voix enjouée, s'approchant de Ginger avec une affection feinte. Que le temps m'a paru long sans toi.

Gin, les yeux injectés de sang et la paupière frémissante d'indignation, se tourne vers moi.

— Alors c'était pour ça l'invocation forcée ?!

— Ma cannelle, laisse-moi t'expliquer...

— Il n'y a rien à expliquer, coupe Luciane. Ginger, tu m'appartiens.

Blake, le front plissé par la confusion et une pointe d'irritation, nous fixe tour à tour, cherchant des réponses.

— C'est quoi cette histoire ? Ce chat est supposé être le familier de Raven, non ?

— Il était MON chat bien avant que cette traîtresse ne décide de me quitter, emportant avec elle non seulement mon cœur mais également mes précieux grimoires et... mon chat ! MON CHAT !

— Ginger, un chat des enfers ?! s'étrangle Edgar tout en agitant ses ailes.

Mon chat roux se tend de plus en plus, ses poils se hérissant et son feulement s'intensifiant jusqu'à devenir un rugissement puissant et grave qui emplit la pièce. Un son étant l'écho lointain de ses origines infernales.

— Ce n'est pas parce que ma maitresse a oublié ce que tu lui as fait subir que c'est également mon cas ! s'exclame-t-il.

Ce que j'ai oublié ? De quoi parle-t-il ?

Peu importe, je dois prendre le contrôle de la situation.

— Tu as vu ce que tu voulais, Luciane ? Maintenant, fais ce que tu as promis. Connecte-nous à ton réseau.

— C'était déjà en cours pendant que tu étais occupée avec ton rituel. J'ai contacté mon supérieur. Vous aurez simplement à suivre les instructions qui apparaîtront sur l'application dans quelques jours. Mais avant cela...

Sa voix s'estompant, elle se tourne soudainement vers Ginger. Dans un geste rapide comme l'éclair, elle le saisit par le cou.

Mon cœur rate un battement.

— Je reprends mon chat. Tu l'as gardé trop longtemps, voleuse.

— Va te faire foutre ! s'exclame Gin en reprenant forme humaine pour se débattre, en vain.

Je ressens chaque once de sa détresse, comme si le lien mystique qui nous unit transformait sa souffrance en mienne. Son désespoir, sa rage, sa peur me transpercent.

Je jette un coup d'œil un Blake et, sans un mot, on se comprend.

Il hoche doucement la tête, l'air résolu, comme pour me dire « fais ce que tu dois faire ».

— Allez Raven, coupe tes liens avec lui. Gin est à moi.

Un rire sardonique s'échappe de mes lèvres alors que je baisse la tête, fixant intensément le sol, un sortilège se formant dans mon esprit.

L'agacement transparaît sur le visage de Luciane, ses traits se tordant d'une irritation palpable face à ma réaction.

— Dépêche-toi, Raven. Ou tu le regretteras.

Je plante mon regard dans le sien, l'intensité de mes yeux défiant ouvertement sa menace.

— Ginger n'a jamais été ta propriété. Si proclamer haut et fort qu'il est à moi est la clé de sa liberté, alors considère-le fait. Ginger appartient à mon cœur, non pas comme un objet de possession, mais comme un compagnon de vie. Alors ôte tes sales pattes de démone de lui.

— Sinon quoi, chérie ? Tu vas me transformer en mouton ?

— Tu manques cruellement d'un sens de l'attention.

D'un geste ample et précis de mes mains, le silence se fracture sous un crépitement sonore qui domine la mélodie jouant au-delà de notre espace VIP.

Au-dessus de nous, des milliers de stalactites.

— Comment as-tu...

Le « comment » est le fruit d'un pacte avec un esprit qui a entendu mon invocation en échange d'une parcelle de mon essence vitale.

Je réprime l'urgence d'un sanglot sanguin menaçant d'éclater de ma gorge, tandis qu'une chaleur familière envahit mes narines. Il ne faudra qu'un instant avant qu'une traînée rouge ne vienne colorer mon visage certainement devenu pâle.

Mais ça vaut le coup.

Pour Ginger, tout en vaut la peine.

— Tu l'as dit toi-même, répliqué-je avec un sourire teinté d'ironie, je suis une sorcière d'une puissance telle que même un champ anti-magie devrait me sembler trivial à surmonter. Maintenant, libère mon félin, à moins que tu ne souhaites être réduite en miettes.

— Si tu vas au bout de ton sortilège, il n'y aura pas que moi qui en subirai la violence. On pourrait tous y passer, et...

— Elle le sait parfaitement, intervient Blake d'une voix posée. Et cela ne me dérange pas le moins du monde. Toi, par contre, je te conseillerais de céder.

Blake a toujours du mal à mentir, conscient des risques que nous courons, mais il soutient le bluff.

Il est aussi tordu que moi.

☕Nouveau chapitre MARDI 9H☕

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