1.2🌖La chasse au traitre

— Tu as assisté à l'exécution de la sorcière hier ?

— Non, il n'y avait plus de place, mais ça devait être quelque chose !

— Un danger en moins !

Je rajuste ma casquette et ma veste trouvées dans les ordures de cet air de route avant de quitter les toilettes pour femmes du diner où ma seule consommation a été un verre d'eau.

Je tuerais pour y manger, mais ce serait con de retourner en prison maintenant.

Comme prévu, merci à mon instinct, je vois passer un corbillard et ralentir pour tourner entre le motel et le diner.

— Excusez-moi, interpellé-je un homme en train de nettoyer l'entrée du motel, où est-ce que va cette route ?

— Ça mène au crématorium et au cimetière. C'est là-bas que sont emmenés les corps des prisonniers du centre pénitentiaire.

Je le remercie silencieusement avant de suivre cette route de terre pendant un long moment. Je recroise la route du corbillard, mais il me faut encore une bonne heure de marche plus tard pour arriver devant les deux bâtiments imposants au style colonial.

Il me suffit de me concentrer pour mettre fin à mes doutes et me diriger en direction du cimetière. Je dois attendre que la nuit tombe pour m'y engager et traverser les tombes anonymes des créatures ayant connu le même sort que « moi ».

Lorsque j'arrive à une tombe fraichement installée et dont une pelle est toujours plantée dans la terre, je m'active pour creuser profondément jusqu'à tomber sur un cercueil en bois recyclé et couvert de sceau magique.

Pas mal comme protection pour éviter aux pilleurs de tombes de pratiquer la nécromancie.

Mais ce n'est pas mon cas, parce que la chose qui se retrouve là-dedans est à la fois morte et vivante.

Mon chat de Schrödinger.

Quand je fais sauter les fermetures avec la pelle et que j'ouvre le cercueil, je me retrouve nez à nez avec moi-même. La peau pâle, froide et dont la nudité n'est camouflée que par quelques mèches noires.

— Ginger, réveille-toi.

— BOUAAAAAAAH !

Mon double se redresse d'un coup avant de basculer en arrière et de se retrouver à moitié dans la terre. Il tousse à la mort pendant un long moment jusqu'à ce qu'il me regarde et s'exclame :

— Il me reste quatre vies ! Tu te rends compte d'à quel point c'est peu pour un chat à mon âge ?!

— Tu n'étais pas obligé de venir m'aider.

— Tu parles ! Si ma maitresse meurt, c'est comme si je me condamnais ! Bon sang, Raven ! Dans quelle merde tu t'es mis ?

Ginger est mon familier depuis presque deux siècles.

Les sorcières ont tendance à préférer les chats noirs, les corbeaux et parfois même les renards... mais les chats roux ? C'est un choix original, et j'adore me démarquer.

Ginger perd progressivement mon apparence, le sortilège de métamorphose s'effaçant de sa peau, lorsqu'il redevient un jeune homme à peine majeur aux cheveux roux dont seule la forme des yeux trahit sa nature de chat.

Je lui jette ma veste pour qu'il ne reste pas à poil avant de l'aider à sortir et de commencer à reboucher le trou.

— Tu as pris ton temps, mais dans ma grande bonté, je ne t'en veux pas. Tu n'avais aucun moyen de savoir que j'étais emprisonnée.

— Oh, je l'ai su très tôt. Mon instinct l'a senti pendant ta première année, mais j'avais une vie à abandonner avant de venir te sauver. J'aimais bien l'Italie, mais bon, ça a fini par me lasser et j'avais envie de te retrouver.

— Que de générosité, Gin !

— J'ai dû remonter ta piste et retrouver ta fausse identité. « Maverick Granth », c'était pas mal. Ça m'a permis de retrouver où tu avais planqué tes affaires de secours...

— « Dans l'endroit le plus sécurisé et improbable ».

— J'ai dû me faire passer pour un futur étudiant de Mapplewood et convaincre le doyen Waverly de quitter son bureau pour chercher ton sac. Mais j'ai réussi. Ensuite, j'ai dû trouver où tu avais pu être emmené, puis j'ai attendu longtemps. J'ai rôdé, puis j'ai abandonné pour visiter le pays, et je suis revenu il y a quelques mois dans l'espoir que tu trouverais un moyen de me faire rentrer.

— Toi au moins, tu n'as pas dû vivre dans une cellule minuscule à te concentrer pour maintenant ton niveau de magie stable. J'ai encore l'impression d'en être dépourvu. Je ne sais même pas pourquoi je continue avec cette pelle alors que d'un claquement de doigts, je pourrais tout recouvrir.

Je jette la fameuse pelle sur la terre avant de tapoter mes mains et d'expirer à fond.

— Cette situation est improbable. J'ai vraiment tout misé sur ton retour et le fait qu'il te restait des vies, Gin.

— Je te l'ai dit, je ne supporte pas qu'il t'arrive quelque chose.

Si mon chat a du mal à me réconforter ou me montrer physiquement son amour, il a toujours été très protecteur et fiable.

J'ai longtemps regretté de lui avoir rendu sa liberté, parce que je croyais que ça détruirait notre lien, mais la magie est plus forte. Ça n'a fait qu'accroitre la confiance que j'ai en lui.

Ginger prend le temps de me dévisager d'un air un peu stupide tout en penchant la tête, au point que je crois qu'elle va l'entrainer par terre, lorsqu'il passe le pouce sur ses canines et dit :

— Tu as changé. Tu es plus...

— Vieille ?

— Musclée. C'est trop bizarre.

— Le temps est long, quand tu es isolé. Et c'est mon manque de force qui fait que l'on m'a arrêté si facilement il y a cinq ans. Mes sortilèges sont les bons, mais ils m'épuisent trop vite.

— Je n'aimerais pas que tu me mettes un pain dans la gueule.

— Ne t'inquiète pas, je les réserve tous pour un seul homme.

— Qui ?

— Blake Sinclair. La raison pour laquelle j'ai fini en taule.

Ses yeux s'agrandissent de plus en plus lorsqu'il fait le lien avec tout ce que je lui ai raconté sur mon passé.

— Tu as retrouvé Sinclair ?! Et alors ? Il est comment ?

— Diablement sexy avec une vibe de dépressif amoureux de Jane Austen... Mais c'est toujours un salaud qui prétend m'aimer pour mieux me trahir à nouveau.

Le temps de rentrer jusqu'au motel où le gérant, malgré nos tenues et nos airs suspects, nous laisse prendre une chambre que nous payons avec des feuilles transformées en dollars, je lui raconte tout.

L'université de Mapplewood, le meurtre de Gus, l'arrivée de Blake pour son enquête, Nathaniel Olsen, les lettres et notre promesse, etc.

Ginger a toujours été très curieux et n'hésite pas à me demander des détails à chaque instant. Il veut tout reconstituer pour se faire une idée précise et avoir l'impression qu'il était avec moi à ce moment-là.

J'ai même le sentiment qu'il regrette d'avoir été absent à cette période si importante de ma vie.

Nous passons la nuit à nous parler et les heures suivant notre réveil à continuer. Ginger me raconte sa vie depuis notre séparation, son voyage à travers l'Europe et comment il a « courageusement fui » pendant les deux premières guerres pour vivre aux crochets d'un riche compositeur en Suisse.

Lorsque la magie a été révélée au monde entier, il s'est enfin senti libre de vivre sans mentir à ses partenaires. Finalement, ça n'a pas eu l'air de changer grand-chose dans son existence d'immortel.

Son âme est rattachée à la mienne. Si je meurs, lui aussi. Mais si j'allonge ma vie, comme je l'ai fait pendant des siècles et récemment avec le sang de Gus, ça l'affecte également.

Tant que je ne décide pas de vieillir, il restera un jeune chat. Et honnêtement, savoir que je tue d'autres êtres vivants semble lui passer au-dessus des oreilles.

Il a autant d'empathie que moi.

Lorsque deux jours après nos retrouvailles nous atteignons enfin l'hôtel miteux où il a loué une petite chambre, à quelques kilomètres du centre pénitentiaire, ma joie est immense. Je retrouve mon sac à espace infini où j'avais pris le temps de ranger toutes mes affaires avant mon départ à Mapplewood.

Il y a mes livres, mes vêtements, mes potions, mes ingrédients, tout pour ne pas complètement repartir à zéro.

— Je viens de faire la demande à mon contact pour te créer ta nouvelle identité, me dit-il alors qu'il est assis sur notre lit avec son ordinateur portable. Tu veux qu'on y mette quoi ?

— J'aimais bien le passé de Maverick Granth, réponds-je depuis la salle de bain, mais elle est officiellement morte. J'aimerais...

Je reste silencieuse en regardant mon reflet dans le miroir face à ma longue chevelure noire naturelle et ses ondulations.

« Raven ». Je suis bien un corbeau, ou plutôt une corneille.

Je suis vivante. Dehors. Libre...

Mais j'ai encore énormément de haine en moi.

De rancueur... et une furieuse envie de brûler le monde entier.

— Raven Grimkrath. Et je veux la nationalité anglaise.

— Ton vrai nom et prénom ? OK. Et pourquoi anglaise ?

— Ce sera plus facile lorsqu'on partira à la chasse.

— La chasse à quoi ?

— Au traitre.



Nouveaux chapitres ce JEUDI 9H

Raven qui part retrouver Blake be like :

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