Chapitre 7




« La puissance de l'amour parait dans sa souffrance »
Pierre Corneille

-Comment te sens-tu Gabrielle ?

Je suis dans le bureau exiguë du Dr WELLS. Une plaque dorée avec son nom trône sur le bureau, sont aussi affichés sur le mur la multitude de diplômes qu'il a obtenu dans diverses écoles et universités. Je le vois plus comme une façon de légitimer son travail afin d'amener ses patients à lui faire confiance. Ce mur semble vouloir dire « Vous êtes entre de bonnes-mains ». Une plante verte repose dans un coin de la pièce. Elle mériterait un peu d'eau mais je ne le fait pas remarquer. En dehors de ces quelques éléments la pièce blanche à un style parfaitement épuré. De grandes fenêtres illuminent la pièce.

Je suis confortablement installée sur un fauteuil en velours rouge tandis que le Dr WELLS est assis en face de moi dans un fauteuil identique au mien. Mon psychiatre approche de la cinquantaine. Ses cheveux grisonnants ainsi que sa bedaine apparente montrent que les traits de sa jeunesse l'ont définitivement quitté depuis quelques temps déjà. Pour mon plus grand plaisir, il ne porte pas de blouse blanche. Je hais ses médecins qui portent leurs blouses sans arrêt. Elle ne va pas les aider à faire mieux leurs travails. Il affiche un sourire aimable afin de me mettre en confiance. Je sais que mon précédent psy lui a donné mon dossier. Il est donc déjà au courant de tout. Chaque détail.

-Bien.

C'est la vérité, l'inlassable et unique vérité. J'aimerais qu'il en soit autrement, mais non. Je vais bien, juste bien. Je ne souffre pas, ni suis ravagée par mon passé. Je ne suis même pas peinée de tout ce qu'il m'est arrivée. Je n'ai aucun plaisir ou très peu. Je ne suis jamais dans un état de béatitude ou de bonheur intense. Je suis juste dans l'état le plus neutre au monde et il ne peut en être autrement.

-Pouvez-vous me parler un peu de vous ?

-Que voulez-vous savoir ?

Ce jeu me fatigue déjà. Il pense qu'en parlant de ce qui s'est produit, je vais réussir à aller mieux. Je n'ai aucun problème pour parler de l'accident. Les mots que je prononce quand j'en parle ne me font rien, c'est ça le point noir.

-Parle-moi de l'accident.

-Ma sœur était sur le siège passager. Son copain conduisait. Un camion a grillé un feu rouge. Le chauffeur était en train d'écrire un sms. Le choc a été frontal. Le copain de ma sœur a été tué sur le coup. Elle est morte de ses blessures à l'hôpital. Il n'y a rien à dire de plus.

-Tu n'oublies rien ?

-Non.

Je le vois noter quelque chose dans son carnet. Il me sourit d'un air bienveillant.

-Pourquoi es-tu la ?

-Je suis dans un état dépressif avec un déficit émotionnel se traduisant par une anhédonie ainsi qu'un émoussement affectif. C'est-à-dire une perte de la sensibilité au plaisir ainsi qu'une perte de la capacité à agir, à exprimer et à ressentir qui se traduit par une absence de réactions affectives.

-Je vois que tu maîtrises le charabia de médecin, dit-il en plaisantant. Si tu devais décrire ton état avec tes mots à toi, comment le dirais-tu ?

Je souris de son intervention.

-Je suis une psychopathe. Je pourrais tuer sans une once de regret, avoir des enfants sans ressentir le moindre bonheur, gagner au loto sans une seule pointe d'euphorie. Je suis éteinte.

Je suis éteinte.

-Tu dis que tu es éteinte, c'est bien ça ? Tu soulignes donc le fait que ton état n'est pas permanent, réplique-t-il tout en notant de nouveau dans son carnet.

-J'espère que non, être une reine des glaces, c'est amusant cinq minutes. Là, je commence à en avoir assez.

-Imaginons que j'appuis sur un bouton et que par magie tous tes sentiments remontent à la surface ! Que penses-tu qu'il t'arriverait ?

J'aime bien sa question. Un bouton. Kyle ? Je repense à lui, au contact de sa paume sur ma joue qui m'a éveillée pendant quelques secondes après des années de silence.

-Douleur. Je ressentirais sûrement de la douleur. J'aimerais bien à vrai dire.

-Intéressant.

Il marque une pause un instant puis reprends la parole :

Tu m'as dit que tu étudiais les lettres, c'est bien ça ?

Je hoche la tête en signe d'approbation.

Que penses-tu de cette phrase de corneille « La puissance de l'amour parait dans sa souffrance ». ?

-Je ne comprends pas où vous voulez en venir. Je n'aimais pas assez ma sœur pour pouvoir souffrir de sa mort, c'est ça ?! Je sais que je l'aimais. D'accord ?! Je me souviens que je l'ai aimé même si aujourd'hui, je n'aime plus personne.

-Je n'insinue pas cela, au contraire.

Il se lève et va chercher quelque chose dans un tiroir de son bureau. Je sais déjà ce qu'il va me proposer. Mon ancienne psychiatre a essayé maintes et maintes fois de me donner un traitement médicamenteux, mais j'ai toujours refusé. Il pose sur la table basse devant moi, une boite de cachets. Je décline poliment.

L'heure se termine et je quitte son bureau avec un nouveau rendez-vous pour la semaine d'après.


Les jours passent à une vitesse affolante. On est jeudi soir et je buche depuis des heures sur mon cours de poésie. J'ai toujours aimé les mots, j'aime les étudier même si je déteste écrire. Comment écrire avec la bonne justesse si on ne ressent rien ? Je suis d'ailleurs étonnée d'avoir réussi mes examens de littérature ces dernières années alors que j'ai aucune sensibilité face à ce que je peux lire. Mes enseignants ne manquent jamais de souligner le sarcasme dont je fais régulièrement preuve dans mes copies.

Ollie est sorti dîner dehors avec James, on n'a d'ailleurs pas abordé le sujet de leurs relations depuis notre dernière conversation. Je n'aurais pas pu rêver meilleure colocataire. Elle ne m'a pas posé de questions qui l'aurait sans doute plus gêné que moi si j'avais dû y répondre. En plus de ça, on s'entend très bien et elle est assez discrète. Je me rends dans ma salle de bain pour me brosser les dents en prévision d'une bonne nuit de sommeil quand j'entends qu'on tambourine à la porte. Ollie a son trousseau de clés. Je jette un rapide coup d'œil dans le judas et je vois Kyle. J'ouvre la porte et m'apprête à lui demander ce qu'il fait ici lorsque je me rends compte qu'il n'a pas son attitude habituelle. Son air arrogant a quitté son visage. Il penche légèrement sur le côté et ses yeux sont injectés de sang. Je m'approche de lui. Il pue l'alcool, du whisky si je me fie à mon odorat.

Mais pourquoi est-il dans cet état ? Et surtout pourquoi est-il venu jusqu'à chez moi ? Avant d'avoir pu dire quoique ce soit, il s'invite dans mon salon. Je ne dis rien, vu la situation, je doute sincèrement qu'il puisse répondre à une de mes questions. Je vais chercher un verre d'eau dans la cuisine ainsi que deux aspirines. Quand je reviens dans le salon, Kyle n'a pas bougé. J'avoue avoir eu peur qu'il n'est l'envie de saccager mon appartement après que je l'ai laissé seul. Je pense qu'Ollie m'aurait fusillé s'il avait cassé quelque chose. Kyle s'est affalé sur mon canapé et a retiré ses chaussures. Vu son attitude, je devine qu'il n'est pas dans ses intention de partir de chez moi tout de suite. J'ai cours à huit heures demain et je n'avais pas l'intention de passer ma nuit à faire du baby-sitting. Tant pis. Je lui tends le verre et les deux cachets.

-Tiens avale ça, tu le regretteras moins demain.

Il prend le verre et avale d'un coup sec les deux comprimés.

Je remarque qu'il grelotte. On est en septembre, mais ces derniers temps les nuits sont plutôt fraiches. Il ne porte qu'un simple t-shirt sans aucune veste, laissant apercevoir ses muscles saillants ainsi que son tatouage qui recouvre son bras gauche.

-Tu as froid, tu veux une couverture ?

-Ouais.

Le retour de Mr. Connard ! Je ne sais même pas pourquoi je suis sympa avec lui, il aura sûrement tout oublier demain. On devrait me donner une médaille. Je vais dans ma chambre récupérer une couette et un oreiller. Kyle n'a pas bougé. Je m'installe dans le fauteuil en face de lui.

-Tu te sens comment ?

-Euh... Ça va, dit-il avec une voix plus aiguë qu'à l'ordinaire mais pas moins sexy pour autant. T'es jolie, tu sais ?

Il mime un clin d'œil sauf qu'avec l'alcool qu'il a ingurgité, il est tout bonnement ridicule. Je m'empêche de pouffer de rire.

-Kyle, arrête tes conneries !

J'allume la télé tandis qu'il s'allonge sur le canapé trop petit pour l'accueillir entièrement, ses jambes dépassent d'au moins trente centimètres. Je zappe de chaînes en chaînes jusqu'à trouver une rediffusion de Fight Club. J'entends un ronflement au bout d'une dizaine de minutes, je tourne la tête vers lui. Il s'est profondément endormi. J'aperçois sa poitrine se lever et s'affaisser au rythme de sa respiration. Il ne ressemble plus au grand garçon sûr de lui qu'il s'efforce à être en permanence. Sa bouche est légèrement ouverte, ce qui lui donne un air beaucoup plus jeune, plus vulnérable. J'arrête de l'épier et me re concentre sur le film. Ollie m'envoie un message pour me dire qu'elle ne rentrera pas ce soir. J'aimerais tellement voir sa réaction demain matin lorsqu'elle va trouver Kyle profondément endormi sur son canapé. Je décide d'aller me coucher, mais avant d'avoir atteint le couloir, je distingue des gémissements.

-Non ! Lachez-moi ! Aidez-là ! Aidez-là putain ! Mon dieu ! Hurle t-il.
Il tente de se débattre avec sa couette. Ses bras s'agitent rageusement. Je ne sais pas quoi faire, est ce que je dois le réveiller ? Ce n'est pas une crise de somnambulisme. Il semble vivre un véritable enfer. Il continue de hurler à la mort.
Je me rue sur Kyle et le secoue énergiquement.

-Kyle ! Réveille-toi ! Tu étais en train de faire un cauchemar.

Après quelques minutes, j'arrive enfin à le réveiller. Il ouvre finalement les yeux. Ses pupilles sont complètement dilatés par la peur, il est totalement effrayé. Son front dégouline de sueur. Il s'empresse de regarder autour de lui. Ses yeux se posent sur moi et sur mes mains posées sur son torse, je les enlève brusquement comme si ces dernières avaient été chauffées à blanc à son contact. L'effet de l'alcool a l'air de s'être complètement effacé par le souvenir de son cauchemar et il est de nouveau complètement lucide.

-Pourquoi t'es là ? Me demande-t-il.

Je tente de lui expliquer comment il a débarqué chez moi sans prévenir avec au moins six grammes d'alcool dans le sang. Je ne savais pas quoi faire de lui alors je l'ai laissé squatter le canapé. Il se lève tout en m'écoutant, il récupère son téléphone et remet en vitesse ses chaussures.

-Kyle tu peut rester ici, je ne suis pas sûre que tu sois en état de conduire...

Avant d'avoir pu terminer ma phrase et sans dire un mot, il se rue vers la sortie et claque la porte dans un fracas assourdissant. Il est parti. Encore.

Je ramasse la couette et l'oreiller et me dirige vers ma chambre. Je suis complètement perdu et folle de rage. Ce mec débarque chez moi dans un état pitoyable, squatte mon canapé et s'en va sans même me remercier. Je me souviens de notre discussion de lundi. Ce mec est impossible à suivre. J'aurais pensé qu'après qu'on soit allés au restaurant nos échanges serait plus paisible. Alors qu'il se comporte à nouveau comme le plus gros connard que la terre est jamais portée. Je me couche en réfléchissant à ce que je vais lui dire dès que je le recroiserai. Il pense sans doute que je ferais comme si rien ne s'était produit. Il se trompe lourdement. Il est hors de questions qu'il continue de changer de comportement toutes les deux minutes. Je me remémore son cauchemar, ses gémissements. Il était littéralement tétanisé de peur. Je connais ça. Je connais les cauchemars. J'ai fait beaucoup de rêves sombres durant mon adolescence, mais aucun ne me faisait me réveiller dans un état semblable à celui de Kyle.


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Chapitre un peu plus court que d'habitude mais ces deux scènes sont importantes ! Dites moi ce que vous en pensez ! J'espère que ça vous plaira ! Merci à vous pour vos soutiens !

Maureen ^^

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