Chapitre 5
« C'est le propre de l'amour véritable, laisser une personne être ce qu'elle est vraiment »
Jim MORISSON
Je rentre dans l'amphithéâtre, cinq minutes avant mon premier cours de la matinée. Une pluie torrentielle s'abat sur la ville et je suis trempée. De la pluie à Los Angeles ? J'ai cru qu'on me faisait une blague quand je suis sortie de mon appartement ce matin. Je m'installe à une place libre et sirote mon café en attendant l'arrivée du professeur.
-T'es nouvelle ?
Un blondinet me fixe. Je ne suis pas d'humeur à essayer d'être serviable.
-Pourquoi ?
-On pourrait faire connaissance ?
Son sous-entendu est beaucoup plus qu'évident.
-Non.
-Pardon ?
-Tu m'as parfaitement comprise. Salut.
Le blondinet ne s'attarde pas et va rejoindre ses amis. L'avantage quand on ne ressent rien, c'est qu'on est beaucoup plus honnête que la plupart des gens, pas besoin de prendre des pincettes par peur de froisser quelqu'un. Les réponses sont claires, nettes et précises.
L'amphi est bondé. Impossible de deviner le nombre de personnes qui se pressent dans la salle. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de monde pour un cours d'économie générale. Ce cours est une option pour moi, mais en ayant lu le descriptif, je me suis laissée tenter. Toutes les années sont mélangées et je me rends compte que des premières années côtoient des dernières. On reconnaît les premières années à leurs joues rouges, stressées par ce premier cour d'études supérieures alors que les quatrièmes, eux ont tous des airs de m'as tu vu.
Le prof rentre dans la salle, et le silence est immédiat. En installant ses affaires, il nous débite son discours de rentrée.
-Bonjour à tous et bienvenue dans ce cours. Je me présente, Professeur MILLER. Le premier semestre sera consacré à l'étude du 17e et 18e siècle. Vous aurez une dissertation à me rendre chaque semaine et plusieurs œuvres à lire pour le partiel de fin novembre. Beaucoup de personnes ici abandonneront d'ici quelques semaines. En effet, ce n'est pas parce que ce cours est une option que je n'attends pas de vous une certaine rigueur. D'ailleurs certains d'entre vous peuvent le confirmer puisqu'ils m'ont déjà eu comme professeur l'an dernier.
La porte s'ouvre sur un retardataire. J'aperçois que ce n'est nul autre que Kyle. La pluie ne semble pas l'avoir épargné. Il porte un T-shirt noir qui lui colle au corps et ne laisse pas de place à la suggestion sur le détail de sa musculature. J'aurais voulu continuer mon investigation, mais je n'ai pas oublié le regard qu'il m'a lancé quand je l'ai vu avec Victoria et apparemment lui non plus puisqu'il me fusille littéralement des yeux.
Pour ne rien n'ajouter à mon malheur l'une des seules places de libre est à côté de moi. Je prie silencieusement tous les dieux que je connais pour que je ne passe pas le reste de l'année assise à côté de lui deux heures par semaine.
-Monsieur Hamilton, je suis ravie que vous ayez l'honneur de vous accorder votre présence. Allez-vous installer.
Génial, même le prof est sous son charme. Il n'aura même pas besoin de lui lécher les bottes pour avoir un A, j'en suis persuadée. Bien évidemment, il vient s'installer à côté de moi. Il va falloir que j'apprenne la liste des dieux égyptiens pour la prochaine fois. Son regard est toujours brûlant et ne me lâche pas un seul instant. Je tache de me concentrer sur mes notes tandis que le professeur reprend là où il s'était arrêté.
-Je ne savais pas que tu venais aux Etats-Unis.
Sa voix est parfaitement calme. D'accord, ce gars est complètement lunatique. Je lève la tête de mes notes et lui envoie une réplique qui je l'espère sera cinglante.
-Je ne pensais pas qu'on en était déjà à ce degré d'intimité.
-Quel degré voudrais-tu qu'on ait ?
Sa voix rauque me laisse pantelante. Après la nuit dernière, j'aurais pensé qu'il était déjà en couple même s'il ne l'a jamais sous-entendu. Je retrouve le gars provocant que j'ai rencontré au bar avec une seule idée en tête et ce n'est pas joué aux cartes. Je n'ai aucune envie de rentrer dans son jeu, pas après l'autre soir et surtout pas après l'épisode de la laverie.
-Aucun. D'ailleurs, tu devrais faire attention. Je suis tellement incroyable que tu vas sûrement tomber amoureux de moi et je briserais ton petit cœur en couchant avec ton meilleur ami.
L'attaquer sur la tromperie est un coup bas, mais au moins les choses sont claires. Ma réponse a la réaction escomptée et il ne m'adresse plus paroles pendant le reste du cours. Je me félicite d'avoir réussi à lui faire comprendre que je n'étais pas intéressée. Je n'ai aucune envie d'être le nouveau joujou de Kyle.
Sauf que tu as envie qu'il te touche. Je fais taire ma conscience.
-Kyle t'a quoi ?
Ollie semble surprise après que je lui aie raconté l'incident de ce matin ainsi que celui d'hier soir. J'ai par contre omis volontairement notre première rencontre. On est installées sur le sol du salon en pleine séance de révisions.
-Parler. Un être humain qui parle, je ne pensais pas que c'était si peu courant aux Etats-Unis. Ollie pouffe de rire.
-Je reformule. Kyle Hamilton a discuté avec une fille sans finir par coucher avec. Elle siffle. Je suis impressionnée, tu dois être la première depuis au moins mille ans.
L'idée que j'avais de lui se confirme en dehors de l'épisode de la laverie, ce mec me paraissait être le pire des coureurs des jupons. Un sex-appeal associé à une connerie sans nom.
-Mais attends, tu ne lui as jamais parlé ? Ollie me jette un coup d'œil gênée.
-Rapidement, mais ma sœur Victoria est un peu sa « compagnonne de jeu attitrée ». Je rigole quand je la vois mimée des guillemets avec ses mains tout en affichant une mine dégoûtée.
-De toute façon, je m'en fous, Kyle n'est pas du tout mon genre.
-Ah oui ? Donc ton genre, c'est les binoclards maigrichons avec pleins de boutons.
Je lui balance mon livre de cours qu'elle esquive gracieusement tout en me tirant la langue.Elle a raison, Kyle est le genre de pas mal de filles avec son corps de rêve, son regard ténébreux et son look de Bad-Boy, mais je n'ai vraiment pas besoin de ça.
Heureusement, je n'ai pas recroisé Kyle depuis mon cours de lundi matin. Après quatre jours de cours, je croule déjà sous le travail. Le temps radieux ne m'a pas aidé, et je n'avais qu'une seule envie, sortir. Alors qu'au lieu de ça, j'ai fait connaissance des chaises de la bibliothèque. Super. Me voilà en train d'entrer dans le bâtiment d'économie pour mon dernier cours de la semaine. Ce week-end, je me promets de convaincre Ollie d'e m'accompagner à la plage.
Le bâtiment d'économie est impressionnant, c'est l'un des plus vieux bâtiments de l'université. Le bâtiment principal est un immense dôme, sans doute inspirée par l'architecture du sacrée-cœur. Je n'ose imaginer tous les étudiants célèbres qui ont franchis ces marches.
Le cours d'économie générale est assommant. Je suis installée à côté d'un garçon blond avec les yeux bleus. Je l'ai vu quand il s'est levé pour me laisser m'asseoir sur le siège à sa droite. Au bout d'une heure, il me sourit. C'est la première personne en dehors d'Ollie qui ne m'est pas antipathique au bout de trois secondes. À la fin du cours, alors que je commençais à ranger mes affaires, il prend la parole.
-Tu es française ? Me demande-t-il.
-Je ne savais pas qu'on était si reconnaissable. Ma tentative d'humour le fait rire.
-C'est juste que tu prends la moitié de tes notes en français.
Il me désigne l'écran de mon ordinateur. Je regarde mes notes, il a parfaitement raison. J'ai beau être parfaitement bilingue quand il s'agit d'économie, je ne peux m'empêcher de traduire certaines phrases en français.
-C'est vrai. Je suis ici pour un an. Je viens de Paris.
-La capitale des amoureux un. Ne m'en veux pas, mais j'ai un petit différend avec cette ville.
-Ah oui ?
-Je devais y aller avec mon ex. Elle m'a quitté trois jours avant le voyage pour partir avec mon meilleur ami. C'est un peu cliché comme rupture non ?
Je détourne les yeux. Je connais ce type depuis exactement 18 secondes et il me parle déjà de son ex.
-Désolé, il y a meilleur comme intro. On recommence ? Il passe la main dans ses cheveux comme pour traduire son malaise.
-D'accord.
-Salut, je m'appelle Alex. Californien depuis toujours. Il me tend sa main que je serre.
-Gabrielle, Californienne depuis une semaine.
Il me tend son portable et il me faut quelques secondes avant que je comprenne qu'il me demande mon numéro. Je lui donne en espérant que ce type ne soit pas un psychopathe.
Je retrouve Ollie sur la pelouse en train de profiter du soleil.
-Si on m'avait dit que les étudiants en Architecture se la coulaient douce à ce point j'aurais choisi ce cursus. Je lui pince la joue.
-Après avoir passé autant d'heures devant mes cours, je me suis octroyée une pause ! Alors ta journée ?
-J'ai sympathisé avec mon voisin d'économie générale.
-Raconte-moi tout !
Sa curiosité est communicative et je lui raconte ma rencontre avec Alex. Elle me fixe sans rien dire.
-Quoi ?
-Meuf, tu as un Karma de dingue !
Si elle savait.
-Pourquoi ?
-Alex est le coloc de Kyle donc si tu voulais l'éviter ce n'est sûrement pas l'idée la plus brillante du monde.
Alex ? Il est tellement différent de Kyle. C'est impossible d'imaginer mon voisin adorable ami avec un mec pareil.
-Je n'ai jamais dit que je voulais l'éviter. J'ai juste dit que ce n'était pas mon type. On pourrait juste être amis.
Alex est le coloc de Kyle donc si tu voulais l'éviter ce n'est sûrement pas l'idée la plus brillante du monde.
-Kyle ami et fille dans la même phrase ? Je ne crois pas.
Elle a sûrement raison.
-Au fait, tu veux aller à la plage demain ? Je n'y suis pas encore allée depuis mon arrivée.
Elle accepte ma proposition et on commence à échanger sur les personnes avec qui on devrait y aller. Je laisse Ollie aller à son dernier cours de la journée et prends le chemin en direction de ma voiture. Je fais un rapide saut au supermarché et me retrouve à l'appart.
Je décide d'appeler Benoit par FaceTime. Il répond à la deuxième sonnerie.
-Hey Gab, comment tu vas ? Alors les US ? Les mecs sont aussi canons que tu l'imaginais ?
-Si tu veux qu'on parle de Kyle. Je l'ai effectivement croisé, on a un cours en communs.
-Tu reconnais donc qu'il est canon ! Il me fait un clin d'œil complice.
-Non, mais tu aurais pu me le dire. Ce gars est un Don Juan des temps modernes. Je ne serais même pas surprise si on me disait qu'il a déjà couché avec la moitié des filles du Campus.
-Je rigole et puis tu as dû le voir 30 minutes à tout casser. Ce n'est pas comme si tu avais couché avec.
Je note que Benoit ne semble pas au courant qu'on s'est vues Kyle et moi après que j'ai quitté le bar.
-C'est vrai.
-Quoique tu devrais. Les hormones libérées pendant l'orgasme aident à la concentration. C'est prouvé scientifiquement. En plus, tu n'es pas la reine des relations amoureuses d'habitudes non ?
-Alors primo, je n'ai aucun problème de concentration, deuzio, je ne sais pas si c'est un compliment ce que tu viens de me dire et tertio, je n'ai pas besoin que tu joues les entremetteurs.
-T'as rencontré quelqu'un ?
Il arrive toujours à discerner les sous-entendus quand je lui parle. Je lui parle rapidement d'Alex sans trop en dire, mais je sais que ça me permettra d'avoir la paix quelque temps avant qu'il essaie de me recaser avec tout le monde. On échange les nouvelles du jour. Je vois à sa tête qu'il est crevé. Son père lui met une pression de dingue pour les cours et il a encore dû réviser jusqu'à très tard dans la nuit. Je promets de l'appeler une fois par semaine et je raccroche.
Je suis dans la cuisine en train de chercher de quoi préparer à manger quand Ollie rentre accompagné de James, le garçon qu'elle m'a présenté samedi dernier. La main de James est posée sur les reins d'Ollie et en voyant que je le remarque, Ollie me fait clairement comprendre qu'on en discutera plus tard.
J'abandonne l'idée de faire la cuisine et on finit par commander Japonais. James est plutôt drôle et les deux ne se lâchent pas du regard pendant tout le repas. Après mangés, ils vont s'isoler dans la chambre d'Ollie et je décide de mettre mes écouteurs tout en commençant mon devoir d'économie. J'ai eu plus de devoirs en une semaine que j'avais l'habitude d'en avoir en un mois.
J'entends qu'on toque à ma porte. J'enlève un écouteur. C'est James.
-Bon, bah, j'y vais, c'était cool de te revoir.
-Oui, c'était cool, Salut.
J'entends la porte d'entrée claquer et trente secondes plus tard, Ollie s'installe sur mon lit. Je me retourne vers elle.
-Alors là, il va falloir que tu m'expliques ! Lui dis-je.
-Je sais, merci de ne pas avoir posé de questions. Dit-elle timidement. On n'est pas ensemble depuis super longtemps avec James.
-Et alors ? Je sens que le problème ne vient pas de là.
-C'est à cause de ma sœur. Elle est sortie avec lui au début de l'année dernière, ils ne sont pas restés longtemps ensemble et elle l'a quitté quand elle a commencé à coucher avec Kyle. Si elle l'apprend, elle va crier sur tout le campus que je prends ses restes. Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes de sortir avec les ex de ma sœur, mais on était ami et après leurs ruptures, il se confiait à moi. De fil en aiguille...
-Je peux comprendre, c'est vrai que ta sœur n'a pas l'air super « compréhensive », mais si tu veux un conseil si un mec me faisait crier comme ça, je désigne sa chambre du doigt, je clamerais bien haut et fort qu'il m'appartient.
Elle me balance un coussin en rougissant. Je rattrape l'oreiller, une lueur farceuse dans le regard. Je lui saute dessus avec mon arme destructrice.
-À l'attaque !
Elle riposte et au bout de quelques minutes de combats intensifs, on finit par s'allonger sur le lit.
-Je suis vraiment contente de t'avoir rencontré, t'es super sympa comme fille.
Elle m'embrasse sur la joue et me souhaite bonne nuit. Elle me laisse seule dans ma chambre. En fixant le plafond, je me mets à penser à la dernière fois qu'on m'a fait « crier » comme ça. Les souvenirs m'assaillent. J'ai l'impression de regarder la vie d'une autre personne pourtant, je sais qu'il y a une période où j'ai vraiment été heureuse. Seulement, c'était il y a si longtemps et depuis je ne suis qu'une coquille vide.
Mon portable sonne pour me prévenir de l'arrivée d'un mail.
« Gabrielle,
J'ai pris contact avec un de mes confrères de Los Angeles, il pourra vous recevoir dans la semaine. Ne ratez pas le rendez-vous, vous en avez besoin.
Je vous ai laissé ses coordonnées.
Dr. Morrel »
Génial, j'aurais pensé que ma psy m'aurait oublié, mais elle persiste. Elle croit réellement que je pourrais sortir un jour du cauchemar dans lequel je vis. Elle croit que je suis brisée, mais que je pourrais réussir à me reconstruire. Je ne suis pas brisée, je suis juste insensible, nuance.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top