Chapitre 2
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
Lamartine
-Dis-moi tout, que puis-je faire pour t'aider ?
Kyle se rapproche, je ne peux m'empêcher de le relooker.
-Je dois laver mon manteau, tu peux m'accompagner à une laverie à cinq minutes d'ici pour te faire pardonner de m'avoir renversé ton verre dessus ?
-Tu as peur ?
Si seulement. Je voudrais avoir peur de quelque chose. Je voudrais ressentir un putain de truc. Si j'ai choisi de partir c'est pour essayer de repartir à zéro, en pensant que vivre de nouvelles expériences pourrait m'aider à aller mieux. Aujourd'hui je ne suis qu'un corps vide. Cependant, l'effet que Kyle me fait m'intrigue. J'ai vraiment envie de voir s'il peut m'aider même si ce type semble être bipolaire. Arrogant d'un côté et sympa de l'autre. Si ça se trouve il est juste aussi brisé que moi. Enfin lui il peut ressentir quelque chose... être furieux par exemple. J'aimerais tellement que la rage me submerge, que quelque chose me submerge en réalité.
-Non je n'ai pas peur. Je veux juste éviter de me faire violer. Ça ferait beaucoup trop de paperasses.
-Alors d'accord, je te suis.
Il semble intrigué de la situation, en même temps je connais ce mec depuis une heure et je lui donne les conditions parfaites pour me violer. Il doit penser que je suis surement suicidaire.
-Tu ne préviens par les autres que tu pars ? Je lui demande.
Il me montre du doigt son téléphone. Il doit probablement dire qu'il part avec moi et je suis bonne pour un interrogatoire en règles de Benoit et Léo demain matin. Je n'ai plus qu'à prier pour qu'ils ne s'en souviennent pas.
On marche jusqu'à la laverie. Il devrait y avoir une tension, un de nous devrait prendre la parole pour compléter le silence mais je n'en ressens pas le besoin. C'est un silence agréable. La nuit est tombée depuis longtemps mais Paris ne dort jamais. Les feux illuminent la rue et le bruit des voitures m'enveloppe comme une berceuse. On tourne dans une rue plus calme et je n'entends plus que nos pas. On se retrouve devant une vieille laverie qui doit dater d'avant ma naissance. L'enseigne lumineuse transperce la nuit noire. Kyle me tient la porte et me fait signe d'entrer. Je me dirige vers les machines et fourre mon manteau trempé et puant l'alcool dans un automate. L'automate en question est proche de rendre l'âme mais je prie pour que ce ne soit pas ce soir. Je cherche de la monnaie dans mon sac et me rend compte que je n'ai rien sur moi à part ma carte Bleue.
-Tu as besoin de quelque chose ?
Kyle pose sur moi un regard amusé. Cette situation semble l'enchanter. Je hais demander quelque chose à quelqu'un. Les gens pensent toujours que la compassion peut m'aider. Alors qu'ils ne se montre agréable avec moi uniquement pour assouvir leur bonne conscience. Je perçois qu'il cerne parfaitement mon attitude. Il tend vers moi une pièce d'un euro.
-Merci.
Ce mot m'arrache la gorge. A l'instant où nos mains se touche, je ressens un léger picotement, presque qu'imperceptible. Je retire ma main à la hâte. Ce gars sort de nulle part et voilà qu'il me fait ressentir plus de choses que n'importe qui depuis quatre ans. Je lève les yeux vers lui. Son regard sombre ne laisse transparaitre aucune émotion. Il ne semble pas avoir relevé ce qui de vient de se passer et j'en viens à me demander si je n'ai pas tout imaginé. Je deviens folle, voilà ce qui se passe. J'ai tellement envie d'aller mieux, de réussir à retrouver un semblant de vie que je m'imagine n'importe quoi.
-Je t'en prie.
Je me retourne vers la machine et lance le programme de lavage approprié. Kyle s'est installé sur l'une des chaises en fer qui doivent donner envie aux gens de ne jamais revenir ici à moins de souhaiter une scoliose. Je m'installe à côté de lui sans lui jeter un regard.
Je le vois se tourner vers moi et je tourne la tête. Il me fixe. Je crois qu'il va parler mais il n'en fait rien. C'est comme un jeu à celui qui parlera le premier. Je sens mon souffle s'accélérer et mon cœur battre plus fort. Je ne veux pas perdre alors je joue le jeu, je ne dis rien.
-On ne se reverra jamais. Me dit-il.
J'ai gagné, il a parlé avant moi.
-C'est une question ?
-Non, une simple constatation. Alors dis-moi...
Il ne finit pas sa phrase.
-Dis-moi quoi ?
Ce mec joue clairement avec moi en espérant que je tombe dans le panneau. Il croit qu'une histoire sans lendemain m'intéresse. Ce n'est pas le cas. Enfin, c'est vrai que j'aimerais savoir si ce que j'ai ressenti lorsqu'il m'a effleuré se confirme.
-Quelle est ton secret ? Tu sembles différente.
Son regard cherche à confirmer ses propos. J'ai l'impression qu'il cherche à lire au plus profond de mon âme.
-Et toi ? Quelle est ton secret ?
-Qui te dit que j'ai un secret ?
-Ta réaction au bar.
Je me rappelle son air furieux après qu'il ait dû révéler qu'il est été trompé. Il parait se remémorer ce moment et je vois un éclair traverser son regard noisette.
-C'est vrai. Parle-moi de ton secret, je parlerais du mien.
Ce jeu est dangereux et son ton devrait m'effrayer. Après tout ce n'est qu'un simple inconnu. Pourtant, j'ai envie de lui dire. Demain je serais à l'autre bout du monde et je ne le reverrais jamais sauf que je n'en ai jamais parlé à personne. Peu de mes amis sont au courant et s'ils l'ont compris, ils ont toujours eu la politesse de ne pas m'en parler.
-Devine. Tu as le droit à 5 questions et à une seule proposition. Je répondrais par oui ou non sans explication. Par contre si tu ne trouves pas, j'ai quand même le droit d'essayer de deviner ton secret.
-D'accord, ça me semble correct.
Je souris, ce jeu commence à m'amuser. En plus, c'est impossible qu'il trouve. Kyle semble aussi prêt à en découdre. Je crois qu'il meure d'envie de deviner.
-Ça concerne ta famille ?
-Oui mais pas que.
-Tes parents ?
-Non
-Tu es fille unique ?
Sa question me consumerait si seulement je pouvais ressentir de la douleur. Je suis surement devenue un monstre après 4 an à vivre sans rien ressentir. Ni le bon, ni le mauvais. Je n'ai aucun scrupule, pitié, compassion. Je suis devenue un monstre froid et sans cœur.
-Oui.
-Est-ce que ça se voit ?
-Non, ça se ressent disons.
Je me rends compte de l'ironie de ma réponse et j'éclate de rire.
Kyle me regarde avec des yeux surpris tandis que je suis pris d'un fou-rire incontrôlable.
-Qu'est-ce qu'il y a drôle ?
-Je suis dans une laverie automatique avec un parfait inconnu. Il est deux heures du matin, mon seul manteau a été tachée par la bière de la petite amie de mon ex. Cet ex avec qui je serais surement toujours en couple si justement je n'avais pas ce secret. Et l'indice que je viens de te donner est tellement le contraire. Je réussis à calmer mon fou-rire mais j'entends le rire de Kyle. Son rire emplit la pièce.
-Je crois que j'ai trouvé et je crois aussi pourquoi tu m'intrigues tellement.
Je m'arrête de rire. Comment aurait-il pu voir ce que personne n'a vu.
-Tu es sûr ? Tu as le droit encore à une question.
- « Les habits de deuil ont beau s'user et blanchir, le cœur reste noire. »
Je ne connais pas cette phrase pourtant j'étudie la littérature française depuis trois ans. Ces mots résonnent à mes oreilles. J'ai l'impression qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert. Kyle me perce à jour comme personne ne l'avait jamais fait. J'observe la veine de son cou et remarque son souffle s'accélérer. Il sait. Il a réussi à comprendre en trois minutes. Mais qui est ce gars sorti de nulle part ? Je lève les yeux vers lui. Je suis happé par sa beauté parfaite mais à travers son regard, je cherche son âme. Ses yeux n'éprouvent aucune pitié. Il comprend, il me comprend. Je me demande si lui aussi il a perdu quelqu'un. J'ai l'impression que la terre s'était arrêté de tourner et qu'elle vient seulement de repartir. Mon cœur bat plus fort dans ma poitrine. Je parcoure du regard son corps et m'arrête sur son tatouage. Je remarque que ce que j'ai pris pour des lignes fouillis est en fait un ensemble de mots. Je ne vois qu'une partie du tatouage mais cela ressemble à un calligramme. Automatiquement, je ramène ma main à mon poignet, où se trouve gravé à l'encre noire, le secret de ma vie.
Il prend mon poignet et je me laisse faire. La phrase que j'ai fait gravé il y a quatre ans n'a pas pris une ride.
- « Le véritable amour se mesure à la puissance du sacrifice ». Qui as-tu perdu Gabrielle ?
- Et toi ?
-Réponds moi.
-Mon âme.
Je vois à son regard qu'il attend que je continue. Mes lèvres tremblent. Je ne l'ai jamais dit. Je n'ai jamais prononcé ses mots alors que ça fait quatre ans qu'elle n'est plus là et que je ne ressens plus rien.
-Que t'est-il arrivé ? Il insiste mais je n'arrive pas à lui dire.
On aurait dit qu'il comprenait tout. Alors je lâche tout sauf l'essentiel.
-Je ne ressens rien. Je ne ressens aucune haine, aucune douleur, aucune joie, pas d'amour. Je ne ressens strictement rien. Un néant dans un océan de rien. J'aimerais percevoir quelque chose, ressentir juste une caresse, sourire en pensant à des souvenirs heureux. J'aimerais pouvoir vivre mais je n'y arrive pas.
Sa bouche forme un "oh" surpris et je ne peux m'empêcher de la fixer.
-Alors on est différents, je ne vis qu'avec de la douleur. Son regard est empli de colère, de cet douleur qui le ronge. Je ne sais même pas pourquoi il souffre mais c'est instantané. Je suis jalouse de ses sentiments. Je suis devenue un monstre à peine humain qui n'a aucune compassion.
-Je suis jalouse, je donnerais tout pour souffrir.
-Je comprends. J'aurais surement pu t'aider.
Nos regards se croisent et on sait très bien ce qui va se passer. On ne se reverra jamais. Cet interlude ne changera rien et on continuera à vivre avec nos secrets bien cachés.
Je m'éloigne de lui en repensant à elle. J'ai l'impression de salir sa mémoire à chaque fois que je parle d'elle sans une onde d'émotion. C'est surement pour ça que j'ai choisi de ne jamais en parler et pourtant je ne l'ai pas oublié. Je pense tout le temps à elle mais pas de la façon dont je voudrais. Je pense à elle comme je pense à mes cours, mes contrôles, à l'état de mon compte en banque, bref à pas du tout de la façon dont il faudrait dont je pense à elle. Je tuerais pour ressentir toutes ces choses à nouveau.
-Perdu dans tes pensées ?
Kyle s'est levé. Il est la devant moi.
-Qu'est-ce que tu veux ? Ma voie déraille.
-Comment ça ?
-On dirait que tu attends quelque chose ?
-J'attends beaucoup de choses.
Ses lèvres se rapproche dangereusement des miennes. Je ne fais rien pour l'en empêcher. Il prend mon visage entre ses mains. Le contact de sa paume sur ma joue me donne des décharges jusqu'au plus profond de mon bas-ventre. Son regard brulant me scrute jusqu'au plus profond de mon âme. Rien qu'avec ce touché je me sens plus vivante que je ne l'ai jamais été depuis quatre ans. En fait, je n'ai jamais ressenti autant de choses rien qu'avec un simple contact comme celui-là. C'est une étincelle qui explose d'un corps qui a été en manque trop longtemps. Je ferme les yeux pour savourer ce moment. Sa main ne fait qu'effleurer ma joue pourtant je la sens jusqu'au plus profond de mon être.
-Kyle...
Je m'éteins de nouveau quand le contact entre nous se rompt. Quand j'ouvre les yeux, je suis seule dans la laverie. Aucune trace de lui.
Je suis allongé sur le lit de ma chambre d'hôtel. Je me concentre sur les détails de cette nuit. Je n'arrive toujours pas à savoir ce qu'il s'est passé. Je retourne tous les évènements dans ma tête. J'essaie de me souvenir de toutes les émotions qui m'ont assaillie alors que ce n'était qu'un simple contact avec Kyle. Son départ ne m'a pas surpris et après avoir pris quelques minutes à reprendre mes esprits. J'ai quitté la laverie, suis monté dans un taxi et me voilà en train de fixé mon plafond depuis deux heures. C'est comme si on avait appuyé sur un bouton et que je m'étais réveillé après avoir dormi trop longtemps. Sauf que tout s'est éteint de nouveau. Je suis redevenue la reine des glaces. A l'instant même où sa main à quitter ma joue, tout est redevenue noir. Les ténèbres m'emprisonnent de nouveau et je sais que je n'en sortirais jamais.
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