Chapitre 14


« Je n'aime que toi, j'ai soif de ta beauté, j'ai faim de ton corps »

Oscar Wilde


-Pourquoi ? Je murmure. 

Alex me fixe d'un air désolé. Il s'avance vers moi, mais je recule vivement. C'est bien la peine d'essayer de respecter un code moral pour ne pas être une garce si c'est pour se retrouver dans cette situation. Je ne comprends pas quel est son but. Je lui n'ai rien fait à lui. À part le prier de coucher avec moi, ce qui est quelque chose d'agréable en général. Je suis vraiment perdue. 

-Gabrielle, je suis désolée.

-Ta gueule Connard ! Ne t'approche plus de moi. 

Victoria se rapproche d'Alex et le prend par la main. Elle lui donne un langoureux baiser. Beurk. C'est affreux. Sa bouche tel un poulpe lui absorbe la moitié des lèvres. Il se laisse faire. C'est loin d'être leur premier baiser, ça se voit. Il ne la repousse pas et lui répond avec encore plus de fougue qu'à l'ordinaire. Alors là, j'ai loupé beaucoup d'épisodes, beaucoup trop. 

Finalement, tout me parait évident. Je comprends mieux pourquoi je l'ai surpris en train de la mater plusieurs fois. Il est fou amoureux d'elle, prêt à faire n'importe quelle connerie possible. L'amour donne des ailes et parfois des mauvaises. 

Elle voulait se venger, cette garce s'est servie de lui. Le problème, c'est que je n'en ai strictement rien à foutre de ces photos. On ne voit quasiment rien. Qu'est que ça peut me faire ? Mal ? Rien ne peut me faire mal. Je m'en fous, sauf que Victoria pense sans doute que je suis blessée jusqu'au plus profond de mon âme. Faux. Ça me passe complètement au-dessus de la tête.

 Victoria n'est pas mon ami. Par contre, j'ai encore en travers de la gorge la trahison d'Alex. Il m'a complètement utilisée, pour sa copine aux yeux de biche. Je suis certaine qu'elle le quittera dans une ou deux semaines. Enfin, je ne sais même pas depuis quand ils sont ensembles. La première chose que je voudrais faire c'est éclater de rire, mais je me retiens. 

Je ne me souviens même pas d'elle, même pas de ce que j'ai pu faire. Je n'ai pas en mémoire ce pari qui a détruit sa vie. J'ai détruit quelqu'un et je n'ai pas une once de remords, car je ne m'en souviens même pas. Aucune idée de ce dont elle parle. Ma sœur était partie depuis un an et à part être défoncée sans arrêt, je n'ai que très peu souvenirs de cette période. Je pensais encore que quelque chose pouvait me faire ressentir quelque chose, que je n'étais pas éteinte à jamais. J'avais tort. 

Je me retourne vers Ollie. Elle semble vraiment furieuse contre moi. Victoria et elle n'ont beau pas s'entendre à merveille, l'humiliation que je lui ai faite subir n'est pas pardonnable facilement. Il va vraiment falloir que je me rattrape. Ollie est la première personne dont je me sens proche en dehors de mes deux meilleurs amis parisiens. Je n'ai pas envie qu'on ne se parle plus, encore moins que je sois obligée de déménager.

-Alors LEROY, qui a gagné ? Me demande Kyle, un sourire victorieux affiché sur le visage. 

-Tu étais au courant ? 

-À vrai dire, c'était mon idée. Annonce-t-il fièrement.

La rage me prend tout à coup, tel un feu ardent qui remplit tout mon être. Je suis dans une fureur comme je n'en ai jamais connue. Je ne comprends pas quel est son problème. J'avais faux sur toute la ligne. Kyle voulait que je couche avec Alex, il savait que je le ferais si je pensais que ça pourrait l'énerver. Son plan était parfait, car si par malheur, je rompais avec Alex, j'aurais probablement fini dans le lit de Kyle et le résultat aurait été le même. Je suis à deux doigts de lui sauter dessus. Je ne suis pas violente en temps normal, mais à l'instant même, je suis sur le point de perdre tout contrôle. 

-C'est quoi ton but ?

Il se rapproche de moi. Ses yeux semblent ravis de la situation.

-Je veux que tu souffres. 

Une vraie phrase de sadique, Monsieur Connard s'est transformé en super méchant. Je vais le tuer. Il souhaite tellement me voir souffrir que s'en est effrayant. Je ne sais pas du tout à quoi il joue, mais les blagues puériles sont terminées maintenant et il est rentré dans la cour des grands. Pourquoi veux-tu que je souffre Kyle ? Mes dernières défenses menacent de lâcher, mais je peux encore donner quelques coups avant qu'il finisse de m'achever dans cette guerre. J'ai perdu, c'est évident, mais je ne rendrais pas les armes sans me battre encore un peu. Je suppose qu'au regard d'Alex pour Victoria. Il ne se doute pas une seule seconde que son meilleur ami saute sa « copine ».

-Donc, si je comprends bien, vous vous partagez la même copine ? Je ricane. 

Suite à mes propos, Alex lève la tête surpris, beaucoup plus intéressé par notre conversation qu'il y a quelques instants. Bingo, j'avais deviné juste.

-De quoi tu parles ? Me demande ce dernier.

-Gabrielle, ferme-là ! M'ordonne Kyle.

Son sourire a laissé place à une fureur sans précédent. J'affiche un sourire hypocrite à Victoria. Elle sait très bien ce que je vais révéler. Ma soirée ne pouvait pas mieux tourner. Monsieur Connard ne contrôle plus la situation. Je peux donner encore quelques coups et pas des moindres. 

J'éclate de rire, vu le comique de la situation. Ils ont cru m'humilier avec un plan qui pouvait être audacieux, sauf que ce n'est pas une petite photo qui va me faire mal. Ce n'est rien. Insignifiant. La seule chose qui peut me toucher, ce sont les propos de Kyle. 

« Je veux que tu souffres ». Moi aussi. Je crois qu'il a presque atteint sa mission. 

Je me rapproche de Kyle, et le fixe droit dans les yeux, afin de murmurer des paroles que seul lui pourra entendre.

-Je ne ressens rien, ne l'oublie pas. Aucune culpabilité. Je ne t'appartiens pas, jamais. 

Je me retourne vers Alex et reprends un peu plus fort afin que tout le monde m'entende :
Tu sais comment j'ai rencontré ta « copine », Alex ? Dans une salle de bain. En train d'embrasser ton meilleur ami !

Kyle tente de protester, mais Alex ne lui en laisse pas le temps. Victoria et Ollie essaient de le retenir, mais en vain. La réaction est immédiate. Alex fonce sur Kyle. Il lui assène un coup-de-poing magistral. Dis donc, il peut être efficace quand il veut. Qui aurait pensé qu'une colère pareille se cachait sous la personnalité si charmante d'Alex ? Je ne pourrais rêver mieux. Si j'étais normale, je serais au bord de l'euphorie. On va peut-être perdre tous les deux. Hors de questions que je tombe sans que Kyle ne me suive dans ma chute.

La lèvre de Kyle se fend et il se met à saigner. J'aurais pensé qu'il répondrait, mais il ne bouge pas attendant le prochain coup. Alex se rue vers la sortie suivie de Victoria, cette dernière n'oublie pas de me jeter un regard assassin. Cette fille ne mérite pas ce que je lui ai fait à l'époque, mais elle ne mérite pas non plus Alex. Il est beaucoup trop bien pour elle. J'espère qu'il trouvera une fille adorable et qu'il oubliera Victoria le plus vite possible.
Je me tourne vers Ollie. Elle semble complètement effrayée. Ses yeux sont agrandis par la peur.

-Comment peux-tu être aussi cruel ?

Aie.

-Ollie, je me défends, c'est tout ! Dis-je en m'approchant d'elle.

-Ne me touche pas ! Je veux que tu sois partie de mon appartement d'ici la fin du week-end ! Hurle-t-elle.

Je me stoppe, ahurie par ses paroles. On affiche une photo de moi dénudée dans une maison remplie d'étudiants et elle m'en veut. Je peux comprendre qu'elle puisse être en colère pour l'humiliation que j'ai faite subir à sa sœur, mais c'était il y a trois ans. Par contre, que je me défende, c'est normal. Elle savait parfaitement que Kyle et Victoria couchaient ensemble. Ce n'est pas la nouvelle du siècle.

-Ollie...

-Tu es un monstre.

Je suis un monstre, jusqu'à la fin.

Elle sort elle aussi, suivi de James qui m'adresse un sourire compatissant. Je suis sûrement bizarre, mais je ne comprends pas ce que j'ai pu faire du mal. Je me suis tout simplement défendue. Elle aurait voulu que je me mette à pleurer ?

-Alors LEROY ? Qui a gagné ?

-Ferme-là Kyle !

-Gabby, ne t'énerves pas, s'il te plaît ! J'ai peur ! Se moque-t-il de moi. 


Je me rue vers la sortie. Les étudiants me laissent passer sans rien dire. Certains regards curieux me matent sans vergogne, tandis que d'autres me fusillent. Je viens d'arriver en tête des ragots, pour mon plus grand plaisir. Je garde la tête haute et sors sans un regard en arrière. Je me retrouve sur la route et me rends compte que j'étais venue avec Ollie. Je ne sais même pas si je peux rentrer à l'appartement, elle m'a mise dehors après tout.

J'entends des pas derrière moi et je prie pour que personne ne m'adresse la parole. Je suis dans une colère noire. Une véritable colère. Mon cœur n'est plus qu'un feu ardent. J'enrage, je fulmine. Ma tension s'accélère tel un volcan prêt à exploser. Aucun mot ne pourrait décrire mon état.
Je me retourne et me retrouve face à Kyle, la dernière personne que j'ai envie de voir. Il recule un instant quand il me voit. Je dois faire peur à voir. Je ne serais pas surprise qu'un halo de fumée sorte de ma tête. Je suis tellement en colère. Je serais prête à le tuer juste pour apaiser ce feu qui brûle ma poitrine. Mon cœur tambourine avec une force surhumaine sur ma cage thoracique. Mes oreilles sifflent, ma respiration est saccadée. Mon corps s'embrase.

-J'ai gagné LEROY ! Crie-t-il afin d'être certain que je l'ai bien entendu.

La dernière résistance de mon corps lâche et j'explose. Je me rue sur lui, ma force est indéniablement trop faible face à son mètre quatre-vingt-dix de muscles, mais ma colère est tel que je me fous du ridicule de la situation. Quand j'arrive à sa hauteur, je le roue du coup de poing, mais il m'emprisonne de ses bras et je suis immobilisé. Je tente de me défendre et gesticule dans tous les sens. Je lui donne un coup de pied dans le tibia, mais il ne veut pas bouger. Je tente de m'échapper, mais rien n'y fait. Il est vraiment plus fort que moi.

-Pourquoi tu m'as fait ça ? Tu es content du résultat ?! Je vais te tuer Hamilton et je te renverrais chez toi par petits morceaux. Hurle-je.

Je ne reconnais pas la rage dans ma voix.

-Je suis content du résultat.

Je ne comprends rien à son charabia et gesticule encore plus fort. Sa poigne se referme sur moi et je suis de nouveau immobilisée. Il prend mon menton entre ses longs doigts et me force à relever les yeux vers lui. Le contact de sa peau me procure des étincelles, comme à chaque fois qu'il me touche. C'est incroyable, toujours aussi puissant. Je me plonge littéralement dans son regard. Il me sourit et reprend :

- Tu ressens quelque chose ! Tu es en colère Gaby. 

- OH MON DIEU. Je souffle.

Il a raison. Je suis en colère. Je suis folle de rage. Je suis en colère. OH MON DIEU. 

C'est la première fois que je ressens quelque chose sans que ce soit dû à un contact avec lui. C'est venu de moi. Juste de moi. Lorsqu'il voit que j'ai compris où il voulait en venir, il me sourit et je lui réponds. C'est extraordinaire. Son plan était vraiment audacieux et avec peu de chances de réussite. Pourtant, il l'a fait. Kyle a réussi là où tous les psychiatres du monde échouent depuis des années. C'est un rêve inespéré. Il me relâche et je reprends mon souffle.
Je me rends compte que ma colère s'est maintenant dissipée et je reviens dans cet état comateux, un monde en noir et blanc. Sauf que c'est différent, cet état n'est pas, plus permanent. Je vais pouvoir le changer. Je vais pouvoir rajouter un peu de couleurs, être en colère. J'ai longtemps cru que ma vie s'était terminée il y a quatre ans quand j'ai perdu, tout perdu. Je pensais que Dieu m'avait oubliée, laissée dans un corps sans âme. J'étais persuadée que tout était fini, que j'attendais juste que la mort vienne me libérer de cette sentence. J'avais tort, ce n'est que le début.

-Je t'avais dit que je te voulais toi. Je vais tout faire pour obtenir ce que je veux, me promet Kyle.

J'espère qu'il a raison. J'aimerais que sa prophétie se réalise, plus que tout.

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« Bienvenue Colère.


Tel un Phoenix qui renaît de ses cendres,
Je m'éveille après une trop longue absence,
La rage m'envahit jusqu'au plus profond de mon âme.
La renaissance tant espérée d'une femme,
Trop longtemps endormie.

Noire est ma colère, mais rien d'amer,
Mon corps n'est plus obligé de se taire.
Cet ancien silence enfin remplacé,
Revigoré par cette animosité.
Finalement, je revis.

Voilà enfin ma réincarnation,
Après tant d'années d'expiation,
Les chaînes de mon enfer se brisent
Pour libérer un courroux après cette traîtrise.
Peut-être que la clé est ici.

La vie retrouve pour de bon sa valeur première,
Je suis maître de mon destin pour succomber à mes émotions primaires

Bienvenue Colère. »

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