« L'amour maternel est intarissable ; il résiste à toutes les épreuves. »

Louise Colet

La lumière illumine la pièce. J'ouvre les yeux timidement. Mes pensées s'orientent directement vers ma soirée d'hier soir. Je ricane intérieurement, qui l'eut crû qu'après deux long mois d'attentes, cet imbécile est une panne. Je tâte mon lit. Alex ? Je me lève, mais je suis seule dans ma chambre. Je récupère mon téléphone sur ma table de nuit. Un message d'Alex m'attend :

« J'avais cours à 8 heures, je n'ai pas osé te réveiller. On se voit plus tard. A. »

Effectivement, il n'y a qu'Alex pour connaître mon emploi du temps et savoir que je ne commence pas avant midi aujourd'hui. Je saute dans la douche avant de commencer à préparer mon petit-déjeuner. Ollie m'a laissé un mot, elle veut tous les détails ! Vive l'interrogatoire de ce soir, j'ai hâte d'y être ! Je pense sarcastiquement.

Je jette un coup d'œil à la pile de courrier en retard. Je passe mon temps à repousser à plus tard. Je hais toutes ces paperasses administratives. Je fouille dans la pile en triant le plus urgent quand je tombe sur sa lettre. Elle m'a écrit une lettre ? Comment est-elle au courant que je suis ici ? Je ne me souviens pas l'avoir prévenu de mon déménagement. Les souvenirs m'assaillent immédiatement.

Je vois ma mère assise à la terrasse d'un café, elle ne m'a pas encore reconnu dans la foule. La rue est emplie de passants qui courent à droite à gauche. Ça fait bientôt 2 ans que je ne l'ai pas vu. Ses traits sont tirés par la fatigue et l'âge. Elle est marquée par la vie. Elle était une belle femme autrefois, mais les années ont fini par avoir raison d'elle. Ce qui me frappe, c'est sa ressemblance avec sa fille, celle qui est morte. Sa main tremble. Je me demande si elle appréhende notre rencontre. Mon père est mort, il y a deux semaines. Je l'ai croisé à l'enterrement, mais nous n'avons pas échangé un mot. Elle connaît mon avis sur leur mariage bidon. Ils sont restés mariés uniquement pour les apparences, mais les tromperies ont terni cette belle institution longtemps avant sa mort. 

J'ai changé, je me demande si elle va me reconnaître. Mes cheveux sont plus courts et plus sombres. Je ne me maquille plus désormais et j'ai transmuté les jupes et talons pour un bon jean-basket.

Je ne sais pas si je suis capable de faire ça, l'écouter me dire comment elle lui manque autant qu'à moi, qu'elle aussi elle l'a perdue. Je ne veux pas savoir. Je vais devoir supporter un tête-à-tête que je n'ai aucune envie d'avoir pendant une longue heure. Je ne veux pas l'entendre me parler de sa vie, de ses problèmes et surtout de ma sœur. Je me sens coupable, parce que je ne ressens rien. Je l'ai supprimé de ma vie à l'instant même où mon cœur s'est éteint. Elle croit sans doute que je lui en veux pour sa mort, sauf que c'est le contraire. Je n'en ai plus rien à foutre. Je me fous de cette famille pourrie. Ils m'ont gâché la vie pendant des années et j'étais en éternel conflit avec eux. Je les voyais le moins possible, mais depuis l'accident, notre relation a complètement cessé d'exister. La dernière chose que je voudrais faire, c'est de lui parler. Elle m'a envoyé un mail, il y a deux jours pour qu'on se voie. Je n'ai pas répondu. Elle ne sait donc pas si je vais venir ou non. Je pourrais tout simplement partir. Je regrette déjà, je ne pourrais pas être empathique, parler pour qu'on puisse porter à deux notre douleur. Je ne pourrais pas comparer nos douleurs, notre perte, notre chagrin. Je n'ai pas de douleur. Je suis vide.

Je repense à la discussion que j'ai eue avec mon dernier psychiatre. Je ne compte même plus le nombre de thérapeutes que j'ai rencontré ces deux dernières années. J'ai perdu ma sœur et mon père, pourtant, je n'ai jamais versé aucune larme. On m'a tout expliqué de ma situation, comme s'il la connaissait mieux que moi. Alors que j'en suis parfaitement consciente. Je suis devenu un véritable phénomène de foire.

Monstre.

J'ai donc appris les étapes du deuil, en effet, selon les psychiatres, il en comporte 5. Selon mon état, je suis dans le déni, la colère et la dépression en même temps. J'emmerde ces putains de psychiatres à la con. Il m'explique que c'est normal. Chaque personne réagit différement à la perte d'un proche. Ils tentent de me convaincre que ma souffrance s'exprime de manière différente. Ils ne comprennent rien. Je voudrais tellement souffrir. Sentir son absence. Elle ne me manque même pas, je suis en pause. Je ne vis plus, je travaille, je révise, je parle uniquement quand j'y suis obligée, mais ce n'est qu'une façade. Ce n'est rien que du vide pour moi.

Ma mère lève les yeux vers moi, je me fige. Elle m'adresse un sourire timide. Une larme commence à couler sur sa joue.

Non, je ne peux pas faire ça, mentir, l'écouter, être patiente et la réconforter alors que je ne comprends rien. J'ai encore assez de respect pour ne pas lui mentir dans une situation si importante que celle-là. Je ne peux même pas imaginer ce qu'elle ressent. Je n'arriverais pas à lui mentir pendant 1 heure. Je m'en vais en courant.

Au revoir maman.

Je n'ai pas revu ma mère depuis ce moment-là. J'étais venu lui dire adieu. J'aurais pensé qu'elle avait compris, car elle n'a jamais tenté de me contacter depuis ce temps-là. J'ouvre sa lettre et commence à lire ce qu'elle a pris le temps de m'écrire.

« Gabrielle,

J'ai appris que tu étais partie aux Etats-Unis. C'est une très mauvaise idée, si tu veux mon avis. Tu aurais dû me prévenir, je suis tout de même ta mère. Je t'ai laissé tout le temps dont tu avais besoin pour te remettre, mais maintenant, il faut rentrer, tes bêtises ont assez duré.

Ta sœur est morte il y a quatre ans maintenant. Il faut passer à autre chose. Elle n'aurait pas voulu qu'on ne se parle plus, tu le sais. Je t'ai pris un billet d'avion pour rentrer pendant les vacances de noël. Il faut passer noël avec sa famille, Gabrielle. Je suis ta famille.

En plus, j'ai quelqu'un à te présenter. Tu l'aimeras beaucoup, j'en suis sûre. Je t'attends.

Maman. »

Je crois halluciner quand je finis ma lecture. Cette femme est pire que moi. Un dragon. Pourtant son cœur est censé fonctionner correctement contrairement au mien. Elle m'ordonne de revenir vivre avec elle après quatre ans d'absence. Cette femme a perdu le droit d'être ma mère il y a longtemps. Je ne ressens peut-être plus rien, mais je n'ai pas oublié ce qu'il s'est passé. Qui est la responsable de la situation qu'on vivait il y a quatre ans. Je sais pertinemment que si j'étais capable de ressentir quelque chose pour elle, ça ne serait sûrement pas de l'amour. Je serais sûrement en prison à l'heure qu'il est pour tentative de meurtre. Elle ne changera jamais. Ma mère a mis au monde deux filles. Elle les a toutes les deux perdues définitivement. Aujourd'hui, elle est sûrement plus proche de ma sœur disparue qu'elle ne le sera de moi pour le restant de ma vie.

Les examens se rapprochent dangereusement et j'ai passé ma semaine à la bibliothèque. Je suis épuisée par ce rythme de travail éreintant. Il me reste deux semaines avant la pause pour Thanksgiving. Ollie rentre dans sa famille et Alex aussi. Je vais me retrouver seule étant donné que je ne célèbre pas cette fête. Je vois plutôt ça comme du temps pour rattraper mon retard. Mon diplôme de littérature me demande énormément de travail et j'ai pris du retard dans mes lectures et je vais pouvoir profiter de ces quelques jours de repos pour combler mes lacunes.

J'enfile mon costume de Lara Croft. Je rejoins Ollie dans sa chambre. Elle est ravissante dans son déguisement, une véritable Wonder Woman blonde.

-Gab ! Viens là ! Je vais te maquiller et m'occuper de tes cheveux.

J'aurais voulu refuser, mais elle me tire brusquement et m'ordonne de m'installer. Impossible de dire non à cette fille. Je me suis rendu compte que sous ces airs de gentille fille, elle a un sacré caractère. Quand elle a une idée en tête, c'est inconcevable de pouvoir la faire changer d'avis.

Elle commence à s'occuper de moi, me maquille légèrement, mais applique un rouge à lèvres flamboyant sur mes lèvres pour les mettre en valeur. Je choisis de me faire une simple queue de cheval. Il est hors de questions qu'elle m'enfonce des barrettes pointues dans les cheveux. Je vais prendre des heures à les retirer ensuite.

-Alors, comment s'est passé ta soirée avec Alex ? Me demande-t-elle.

-Tu vas à la chasse aux infos ?

-Ouuuuuuui ! En réalité, je n'aime pas trop ce mec. Tu ne trouves pas ça bizarre qu'il attende autant pour coucher avec toi. Vous avez 23 ans pas 16.

-En réalité...

Avant d'avoir pu finir ma phrase, Ollie comprend mon sous-entendu et m'assaille de question.

-Non ! C'était bien ? Il est comment ? Vous avez dormi ensemble ? C'est lui qui t'a embrassé ?

-Pas envie d'en parler Ollie, désolée. Les détails croustillants, ça sera pour la prochaine fois. On va être en retard.

En réalité, j'adore Ollie, mais j'ai bien l'intention de faire croire à Kyle qu'on a bien couchés ensemble. Or, si Ollie le sait, elle va finir par craquer avant même que j'ai le temps de me venger de Kyle. Je connais mes cartes, j'en ai peu, sauf que bien utilisées, elles vont me permettre de gagner la guerre. Je suis diabolique.

Je reconnais tout de suite les lieux. Nous sommes dans la même fraternité où Ollie m'avait m'emmener au début de l'année. Cet endroit même où j'avais découvert que Kyle et moi partagions maintenant la même université. L'endroit a été décoré pour Halloween. Une chose est sûre, ce ne sont pas les décorations minables qu'on peut trouver dans les vitrines en France. Ici, des citrouilles avec des bougies entourent le jardin. Des toiles d'araignée artificielles sont éparpillées partout, du faux sang est étalé sur les murs ainsi que plusieurs fausses têtes tranchées sont accrochées en haut de chaque porte. Un cocktail de bienvenu écarlate est distribué à l'entrée, mais je décline. Je n'ai pas envie de boire aujourd'hui. J'ai un très mauvais pressentiment. Des écrans géants diffusent des vidéos lugubres en accord avec le thème de la soirée. Dans mon souvenir, il n'y avait pas autant de télévisions. Ils ont dû les rajouter en prévision de ce soir. L'ambiance d'Halloween est merveilleusement bien retranscrite. Une véritable maison hantée. Je croise des costumes plus originaux les uns que les autres. Une licorne, une boite de conserve, un éléphant, Jésus, et autres. Un étudiant a même choisi de passer dans une bulle géante. J'adore le concept. Je suis Ollie qui se faufile dans la foule, jusqu'à un coin plus tranquille. On se retrouve dans le même salon que la dernière fois. La piste de danse est déjà bondée. L'alcool coule à flots. Je jette un coup d'œil à mon téléphone, j'attends des nouvelles d'Alex. Il est sans doute déjà arrivé, mais dans cette immense maison, je pense que je ne le retrouverai jamais avant des heures. James nous rejoint et prend Ollie dans ses bras. J'ai loupé un épisode ? Ils n'avaient pas choisi d'être un couple discret pour ne pas énerver Victoria. Je suis toujours perdue avec ces deux-là. Impossible de comprendre leurs histoires. Je n'aurais pas dû penser à Victoria, car cette dernière choisit ce moment pour entrer dans la pièce suivie de Kyle et d'Alex. Elle est déguisée en Ange. Je crois qu'elle s'est vraiment trompée de costume, mais qui suis-je pour la juger. Je suis un peu mal placée, cette fille est un amour à côté de moi. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle mime un air de dégoût.

Contente de revoir Victoria.

L'idée de devoir passer la soirée avec elle et Kyle annonce beaucoup de rebondissements. Je vais devoir me battre contre les deux. Facile.

Alex est en pirate comme prévu, mais Kyle... Kyle est déguisé en Kyle. Jean noir, haut noir et moue sexy. J'ai chaud tout à coup. Son regard posé sur moi me réchauffe immédiatement. Je regrette que Lara Croft porte un short et un débardeur mettant beaucoup trop en valeur ma poitrine, ma tenue est beaucoup trop aguicheuse tout à coup. Alex vient vers moi et me dépose un baiser chaste. Il ne m'adresse pas un mot et je remarque qu'il est très tendu.

Je note qu'il est encore arrivé avec Victoria pourtant, il ne me parle jamais d'elle. Or, dieu sait qu'il parle sans arrêt. Un vrai moulin à parole. Je n'ai pas cru comprendre qu'il était ami pourtant. Les ondes de la musique électro tambourinent contre les murs de la maison. Kyle m'observe. Je m'attends au pire. Il semble sérieusement avoir une idée derrière la tête vu son air malicieux. Personne ne dit un mot. Ambiance quand tu nous tiens. Je passerais presque pour quelqu'un de sociable à côté d'eux.

-Tu viens danser ? Me propose Ollie.

Ce n'est pas à mon habitude, mais l'ambiance lugubre qui règne dans le groupe me donne l'envie de fuir par tous les moyens.

-Je te suis.

Je commence à me déhancher au rythme de la musique. Ollie face à moi. Je jette un coup d'œil au groupe. Victoria aborde un air victorieux. Victoria, victorieux. Je le sens mal. Alex ne m'adresse même pas un coup d'œil. Il est vraiment très distant depuis notre soirée, probablement blessé dans son égo que la soirée ne se soit pas fini à son avantage. La musique s'arrête tout à coup. Les danseurs rejoignent leurs amis et on se dirige vers le groupe.

-Alors Gabrielle, comment vas-tu ? me demande Victoria.

-Moins bien, quand tu es là. Je rétorque.

Je ne sais pas pourquoi, mais cette fille n'est vraiment pas nette.

-Tu veux que je te confie quelque chose, je connais ton petit secret ! Dit-elle d'un air taquin.

Comment pourrait-elle savoir ? Je ne le sens pas bien du tout.

-Qu'est que tu racontes Victoria ?

-Vois-tu avant de devenir la formidable garce que je suis, j'étais une jeune fille innocente. Une magnifique jeune fille qui est partie un été à Paris.

J'essaie de la couper, mais elle m'intime de me taire et reprends :

Je suis tombée amoureuse d'un Français. C'était l'amour fou entre nous, mais sais-tu ce qui est arrivé ? Il couchait avec une fille depuis le début. Ils avaient parié que je tomberais amoureuse de lui et coucherais avec lui en moins de deux mois. Lorsque ce fut fait, il prit des photos de moi pour lui donner la preuve de sa mission accomplie. Cette fille c'était toi. Je n'ai jamais pu oublier ton visage lorsque tu t'es mis m'expliquer votre fameux pari. Ce mec était mon premier amour. J'ai fait ma première fois avec lui et tu m'as détruite. J'ai pris des mois à m'en remettre. Je me suis promis que si un jour j'avais la chance de te recroiser, je ferais en sorte de te faire souffrir autant que tu as souffert. 

Je ne peux pas souffrir, mais elle ne le sait pas. Elle tient la vengeance qu'elle c'était promis. Je l'écoute finir son histoire sans une once de regret. Je ne me souviens même pas de cette épisode.

 -Ces photos se sont retrouvées sur internet et j'ai failli perdre ma place à l'université. Je n'ai jamais pu oublier le visage de cette conasse alors que ça fait maintenant trois ans. Aujourd'hui je tiens enfin ma petite vengeance, grâce à mes amis que tu vois ici. Dit-elle en désignant Kyle et Alex.

Elle se rapproche de moi et me souffle un dernier mot à l'oreille.

-Bienvenue en Enfer !

Elle fait signe au DJ. Ce dernier lance une toute nouvelle image sur les écrans, c'est une photo de moi, prise à la dérobée. Je suis endormie, à moitié nu !

Quoi ? ALEX !