Chapitre 11
"L'amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour"
Omar Khayyam
Je suis devant le bâtiment d'économie, il m'impressionne par son air majestueux. Un soleil radieux frappe ma nuque. Qu'il fasse aussi beau un lundi matin ne peut que m'aider à passer ma mauvaise humeur. Le cours doit commencer dans cinq minutes, mais je regrette déjà de devoir y aller. Samedi, j'ai fait la plus grande connerie de ma vie.
Depuis quatre ans, je suis devenue le pire monstre. Jamais je n'aurais pu penser être aussi insensible au monde qui m'entoure et plus particulièrement rompre tout lien affectif, mais c'est arrivé. Au début, cette situation me convenait. Je n'avais aucun code moral, aucun scrupule et surtout aucune culpabilité. Une vraie princesse guerrière au cœur froid. Je me foutais complètement du mal que je pouvais faire autour de moi. Les gens souffraient, mais pas moi alors je ne me prenais pas la tête. J'ai fini par me reprendre et depuis, j'essaie de respecter un certain code d'honneur.
Ce n'est pas pour moi que je le fais, je n'éprouve aucune culpabilité. Jamais. J'ai choisi de ne plus faire souffrir mon entourage. Mon petit entourage, car j'ai perdu beaucoup d'amis, et d'autres choses encore plus importantes pendant ma période de dépravation. Aujourd'hui je respecte les autres. Surtout, parce qu'ils sont capables de ressentir quelque chose. J'aimerais plus que tout pouvoir être à leur place. Alors je veux leur laisser la chance de n'avoir que des sentiments positifs et agréables, ou du moins que mes actions ne soient pas responsables de leurs souffrances.
Durant cette soirée, j'ai failli, j'ai franchi la limite que je m'étais fixée. Embrasser Alex était une connerie monstre. Je l'ai fait pour les mauvaises raisons et j'en suis parfaitement consciente. Ce n'était pas seulement par attirance, mais essentiellement pour énerver Kyle. C'est vraiment malsain et je le sais. Je le savais. Je me suis servie d'Alex et il ne s'en est pas douté un seule seconde. Le sourire rayonnant qu'il m'a adressé lorsque je pris mon taxi était sans équivoque. Il m'a d'ailleurs envoyé trois messages hier et tout montre que je vais piétiner son petit cœur. Je suis horrible. J'en ai marre d'être cette horrible reine des glaces, mais rien ne pourra jamais changer. Je suis coincée dans cet état depuis tellement longtemps que je ne saurais même pas comment en sortir. Ce qui s'annonçait comme une simple relation amicale avec affinités se transforme en véritable tragédie Shakespearienne avec moi dans le rôle de la Garce.
Le pire dans tout ça, c'est le regard de Kyle quand j'ai embrassé Alex devant lui. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi furieux. Son regard brûlait de haine. Je n'aurais pas été surprise si je m'étais enflammé sur place. Une colère noire est un euphémisme face à l'attitude qu'il avait après nous avoir vu pour la seconde fois nous embrasser. Le pire dans tout ça, c'est qu'il était complètement conscient que ce baiser ne représentait rien pour moi et que mon but n'était que le provoquer. Alex est son meilleur ami et je me suis servi de lui. Victoria est un ange tombé du nid à côté de moi.
J'aurais pensé que m'enfuir comme une voleuse aurait été le pire de ma soirée, mais ça ne s'était pas arrêté là. J'ai reçu un sms de Kyle plus tard dans la nuit.
« On aurait pu utiliser la manière douce, tu ne me laisses pas le choix. La guerre est déclarée. K ».
Impossible de savoir ce qu'il sous-entendait exactement, mais Monsieur Connard avait définitivement choisi l'attitude qu'il aurait avec moi. On avait dépassé le stade : on essaie d'être ami. Une seule chose était parfaitement claire, il m'avait déclaré la guerre. Je suis foutue.
Je sors de mes pensées, il ne me reste que deux minutes avant d'avoir à affronter Kyle. Je ne vais pas me laisser impressionner par lui, je n'ai pas peur de lui. Que peut-il me faire ? Impossible qu'il puisse me faire le moindre mal, je ne ressentirai rien. Pourtant, je sais que le comportement qu'il aura dorénavant avec moi n'aura rien d'amicale. Il m'a déclaré la guerre. La partie est sur le point de commencer.
La salle de cours est pleine d'étudiants. Je remarque Kyle à l'instant même où je rentre dans la pièce, mon cerveau semble avoir un détecteur qui me permet de savoir automatiquement s'il est là ou non. Il est installé à sa place habituelle, mais à ma grande surprise, il n'est pas seul. Une fille que je n'ai jamais vue est assise sur ses genoux. Il lui murmure quelque chose à l'oreille et elle explose de rire.
Je ricane intérieurement, s'il pense me toucher comme ça, c'est raté. Il a mal évalué son adversaire. Je monte les marches jusqu'à ma place à côté de lui et l'ignore totalement. J'affiche fièrement un air hautain sur mon visage.
-Excuse-moi, je peux prendre ta place s'il te plaît ? Minaude la fille assise sur les genoux de Kyle.
-Non.
Mon ton sec est plus que clair.
-Pardon ?
Je souffle exaspérée et me tourne vers eux.
-Tu m'as bien comprise. Tu peux te passer de lui une heure. C'est ma place et je n'ai l'intention d'en changer.
Sa mine est abasourdie. Cette fille n'a sûrement pas conscience du ridicule de son attitude, jouée les amoureuses transies alors qu'elle ne sera qu'un énième nombre dans la liste des conquêtes de Kyle. Ce dernier lève un sourcil en réaction à mes propos. Elle se tourne vers lui en attendant qu'il réagisse.
-Tu ne dis rien ? Tu connais cette fille ? Lui demande-t-elle.
-C'est juste un coup d'un soir que j'ai oublié de rappeler. Elle a du mal le prendre, dit-il en haussant les épaules.
Je suppose que sa plaisanterie l'amuse, mais je ne réagis pas. La fille s'en va d'un air dépité. Je n'ai pas tué sa mère tout de même. Je sors mes affaires en l'ignorant. Je me concentre et fais abstraction totale de Kyle pendant le début du cours.
-Quelqu'un peut-il me donner le nom du courant économique européen au 17ème siècle en Europe ? Demande le professeur.
-Le mercantilisme. Je souffle.
-Le mercantilisme, cri mon voisin.
-Excellent Monsieur Hamilton.
Je me tourne vers Kyle. Il me regarde, visiblement fière de lui. Je me penche un peu vers lui.
-Arriver avec une fille en cours et me prendre mes réponses. Hamilton, si c'est ça la guerre pour toi. Je suis déçue.
Son regard s'intensifie.
-Ne jamais sous-estimé son adversaire. Gabby.
Je me mords l'intérieur de la joue pour me retenir de le réprimander sur mon surnom, répondre à sa provocation ne servirait à rien. Je me re concentre sur le cours.
TAC TAC TAC.
Je remarque le son que j'entends est du à mon adorable voisin, Kyle tapote son stylo en rythme sur sa chaise.
Ce bruit est insupportable. Je n'entends plus que ça. TAC TAC TAC. Tous mes efforts de concentrations s'estompent peu à peu. Je n'entends plus que ce bruit qui se répète encore et encore, sans jamais vouloir s'arrêter. Apparemment, ça n'a l'air de déranger que moi, car aucun de mes camarades ne se permet de faire une réflexion. Je prie pour que quelqu'un finisse par lui dire d'arrêter pour que ça ne soit pas à moi de le faire.
Personne ne se dévoue, Kyle tapote sur sa chaise depuis une dizaine de minutes, puis d'un coup il s'arrête. Oh mon dieu. C'est un véritable soulagement.
-Pour vos travaux de fin d'année, vous vous mettrez en binôme. Vos sujets vous seront envoyés d'ici la fin de la semaine. Avant que vous me posiez la question, les groupes ont été choisis de manière aléatoire. Aucun changement ne sera admis. Je vous donne la liste.
Notre enseignant commence à énoncer les binômes puis je finis par entendre mon nom.
-Gabrielle LEROY et Kyle HAMILTON.
L'univers se fou clairement de moi aujourd'hui, ou alors il s'essaie à l'humour, mais en tout cas, ce n'est vraiment pas drôle.
-Excuse-moi Monsieur, avec tout le respect que je vous dois Mlle LEROY a un problème d'autisme alors si on pouvait avoir un sujet qu'elle puisse comprendre afin que je ne fasse pas tout le travail, annonce Kyle.
L'amphi entier éclate de rire. Un problème d'autisme ? Ce babouin attardé me traite d'autiste ? Il n'a vraiment aucun respect. Je suis le centre de l'intention et tous les regards sont tournés vers Kyle et moi dorénavant. J'aurais pensé que l'humiliation s'arrêterait là, mais c'était sans compter le manque de perception ironique de notre professeur.
-C'est très gentil à vous Monsieur HAMILTON, je n'étais pas au courant. Je le prendrais en compte lorsque je vous enverrai les sujets. Dit-il d'un ton compatissant en me regardant.
Tous les étudiants éclatent de rire une nouvelle fois. J'avais beaucoup de considération pour notre professeur, mais c'était jusqu'à aujourd'hui. Je me tourne vers Kyle qui est affalé sur son siège en riant aussi fort qu'il peut se le permettre. Je n'ouvre pas la bouche. Après tout, on vient récupérer un sujet facile grâce à ça et je serais sûrement noté plus facilement.
Aucun scrupule, comme d'habitude. Gabrielle, tu es fidèle à toi même.
À la fin du cours, Kyle se lève brusquement et renverse sa bouteille d'eau ouverte sur mon ordinateur flambant neuf. C'est une caméra cachée, c'est ça ? Je lève les yeux vers lui.
-Toujours déçue Gabby ?
-À quoi tu joues ? siffle-je entre mes dents.
-Tu me remercieras plus tard. Gabby.
-Je veux surtout que tu me rachètes un ordinateur et que tu me foutes la paix.
-Oui et non.
-Hein ?
-Je te rachèterai un ordi, je suis blindé. Par contre, hors de question que je te foute la paix.
-Tu vas vite te lasser, déclare-je.
-On verra, ne doute pas de ma détermination. À plus Gabby. J'ai une magnifique fille qui n'attend plus que moi.
Il s'éloigne sans un mot de plus en retrouve la fille du début du cours. Il s'empresse de lui donner un baiser fougueux et me jette un regard pour vérifier que j'ai bien assisté à la scène. Avant de sortir, il me fait un clin d'œil.
Je décide de quitter l'amphithéâtre, je dois rejoindre Ollie pour manger. En l'attendant devant mon bâtiment je repense à ce qu'il vient de se passer. Kyle sait pertinemment que rien ne pourra me faire craquer alors je ne comprends pas à quoi il joue, peut-être que ça l'amuse. Comment pense-t-il pouvoir gagner à ce jeu là ? Je ne suis pas la reine des glaces pour rien. Beaucoup ont essayés de me ramener à la vie mais ils se sont tous retrouvés face à un mur. Tout ça parce que j'ai choisi de sortir avec Alex. Le jeu n'en vaut pas forcément la chandelle.
-Comment allez-vous Gabby ? Me demande le Dr MORREL.
-Bien. Vous allez me poser la question à chaque fois, c'est ça ?
-Pourquoi pas. Bien, c'est une bonne réponse non ?
-Je ne pense pas, car dans ma situation répondre mal, horrible, insupportable, affreux, atroce serait beaucoup plus approprié.
Il prend note de ma réponse dans son carnet. Son bureau n'a pas changé depuis la semaine dernière. L'unique différence est le café brûlant qu'il m'a préparé à mon entrée dans la salle et qui est maintenant posé sur la table.
-Alors on va commencer par un petit exercice, tu n'as pas le droit de répondre bien à aucune de mes questions, d'accord ?
Je hoche la tête en signe d'approbation.
Comment trouves-tu Los Angeles ? Me questionne-t-il.
-Différente. La ville est très différente de Paris.
-Pourquoi avoir choisi de partir et de tout quitter ?
-Je n'ai rien, on peut quitter quelque chose que l'on n'a pas ?
-Je vois, comment trouves-tu les gens ici ?
Je ne peux m'empêcher de penser à Kyle. Arrogant ? Insupportable ? Con ?
-Intéressant, je réponds.
Le docteur prend quelques notes.
-Peux-tu me parler des gens que tu as rencontrés ici ? Comment s'appellent-t-ils ?
Je commence par lui parler d'Ollie ainsi que de James. J'enchaîne sur mes professeurs avant de finir par Alex.
-Tu me le présentes comme ton petit-ami, mais l'aimes-tu ? As-tu une onde d'affection pour lui ou te sers tu de lui ? Si oui, pourquoi le fais-tu ?
-Vous savez parfaitement que je ne l'aime pas, mais je ne me sers pas de lui, il n'est pas forcé de sortir avec moi.
-Je comprends ce que tu me dis Gabrielle, mais pourquoi t'obliger à avoir une relation sérieuse alors que tu dis n'éprouver que le besoin d'aventures sans lendemain.
-Je n'avais jamais vu les choses comme ça. J'avoue au docteur Morrel.
-Je ne fais que des suppositions, mais peut-être que c'est une manière pour toi de t'intégrer dans la vie normale. Avoir un petit ami est le signe d'intégration sociale à un groupe. Réfléchis à ça. As-tu rencontré d'autres personnes en dehors des gens dont tu m'as parlé ?
J'ai l'impression que mon psychiatre lit dans mes pensées. J'ai omis de parler de Kyle. Cependant, techniquement, je ne l'ai pas rencontré à Los Angeles. Bizarrement, je ne veux pas parler de lui. En même temps, comment pourrais-je le présenter ? Un mec arrogant qui passe son temps depuis peu à me mener la vie dure par pur plaisir. Je ne pense pas que ça soit très important.
-Non, personne d'autre.
Le docteur se lève et va une nouvelle fois chercher dans son bureau un potentiel cocktail explosif. Il me tend la boite, mais je la refuse encore une fois. J'ai réussi à vivre sans ces cachets depuis quatre ans, je peux continuer encore un peu. Je quitte la pièce sans un regard. Encore une fois, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps.
Les semaines qui suivent passent et se ressemblent. Le mois d'octobre est proche de la fin et le temps s'est nettement rafraîchi. Les arbres abordent de belles couleurs automnales. Kyle est toujours aussi odieux avec moi. Il déborde d'imagination. Il m'a renversé son café au moins trois fois, a déclaré à toute ma classe que j'étais nymphomane en recherche de compagnon pour assouvir mes besoins. Il a mis mon numéro de téléphone sur internet, passe son temps à me jeter des miettes de pain ou autres, m'insulte sans arrêt. Il cherche à m'humilier mais je n'ai toujours pas compris pourquoi. Qu'est ce qu'il y gagne ? Son attitude ne fait rien. J'avais l'impression qu'on avait une petite connexion mais c'est fini. Il est devenu son propre stéréotype. Mon indifférence face à toutes ses tentatives de sabotages l'énerve au plus au point, mais le coup de grâce pour lui, c'est quand il me voit me balader dans le campus au bras d'Alex.
J'ai essayé de parler à ce dernier, mais il n'a rien voulu entendre. Il m'a clairement annoncé qu'il n'y avait aucune raison de se prendre la tête et qu'il était clairement au courant que je ne chercherais rien de sérieux. Face à ça, je ne pouvais que rester avec lui. Je ne peux tomber amoureuse de lui et il n'y a aucune raison qu'il tombe amoureux de moi. Il est cependant toujours aussi adorable et très drôle. Il m'a accompagné à la plage, on a fait de la randonnée, du karting et nous sommes allés au cinéma plusieurs fois. Cependant, à chaque fois que je tente de le ramener chez moi, il s'éclipse toujours au dernier moment. Il ne m'a d'ailleurs embrassé qu'une ou deux fois en deux mois. J'en viens à me demander s'il n'y a pas un problème ou s'il ne se sert pas tout simplement de moi pour énerver lui aussi son colocataire. J'en viens à regretter de ne pas avoir accepté la proposition de Kyle, coucher avec lui plutôt que d'être avec son meilleur ami dans la relation la plus platonique que je n'ai jamais connu.
Dans une semaine, c'est Halloween et Ollie m'a convaincue de l'accompagner à une fête avec elle et James. Je suis donc dans un magasin de déguisement avec ma colocataire afin de me choisir un costume.
-Tu penses quoi de celui-là ? Me demande Ollie.
Je lève les yeux du magazine que j'étais en train de feuilleter à la recherche de mon costume. Elle porte la tenue complète de Wonder Woman. Elle est tout simplement canon.
-Canon. Tu devrais prendre celui-là. Je lui conseille.
-Je pense que je vais le prendre et toi ? Tu as trouvé quelque chose ? Tu sais comment va se déguiser Alex ?
-Oui, en pirate. Je soupire. Il voudrait que je me déguise en perroquet ou en sirène pour qu'on soit assorties, mais c'est hors de question. Je vais sûrement être ridicule de toutes les façons alors autant ne pas en rajouter.
-Je vois ce que tu veux dire. Rigole-t-elle.
Je continue de feuilleter le magasine à la recherche d'une idée pas trop ridicule. J'adorais me déguiser quand j'étais petite, mais aujourd'hui, c'est vraiment une horreur. En plus avec la chance que j'ai, Kyle va surement me renverser sa bière dessus et je pourrais dire adieux à ma caution de 100 dollars.
Je jette un coup d'œil à ma montre. Ça fait déjà une heure qu'on est là et je n'en peux plus.
-Tu penses quoi de Lara Croft ? Je demande à Ollie.
-C'est génial ! Essaie-le. Me crie-t-elle à travers la cabine.
J'enfile le déguisement en vitesse et sors de la cabine. Ollie me siffle d'admiration.
Ce costume est super sexy, si je veux qu'Alex couche avec moi ce soir-là, c'est définitivement le bon costume. Je l'aime bien, mais le principe d'une relation avec affinités, c'est justement qu'on couche ensemble, je ne vois pas l'intérêt sinon. Ça fait deux mois qu'on sort ensemble, n'importe qu'elle garçon normalement constitué m'aurait déjà sauté dessus au moins une fois. Je suis contente qu'on ne se soit pas pressées, au moins je sais que je pourrais lui faire confiance, mais tout de même. Son comportement est vraiment de plus en plus étrange.
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