Chapitre 7 : ... la princesse se vit contrainte...
Épuisée, Siehildra luttait pour ne pas s'endormir. Dans ce froid désormais glacial, nul doute que si elle fermait les yeux, jamais elle ne les rouvrirait. Elle se couvrit de la plus grosse couverture et se força à se lever pour marcher de long en large à travers la grotte. La neige en avait envahi l'entrée et le blizzard soufflait au dehors. Au moins, la jeune femme ne sentait-elle plus du tout ses pieds meurtris.
Les secondes semblaient s'étirer indéfiniment lorsqu'un mouvement dans les environs fit s'immobiliser la princesse. Le cœur battant, cette dernière entendait une masse s'approcher furtivement. Ses yeux à présent habitués à la semi-obscurité ne discernaient encore rien dans la végétation. Un animal sauvage ? Saule ?
Le jeune homme surgit soudain entre deux arbres, à la lueur des lunes. Siehildra reprit son souffle, soulagée. De nouveau, le Sylve avait le crâne rasé et la première chose qu'il fit fut de poser au sol ce qui ressemblait à un gros sac de peau. Il paraissait contrarié et marmonnait dans sa langue.
Avisant la princesse qui l'observait en claquant des dents, il eut l'air peiné et ouvrit les bras.
— Tu es froid. Chaleur ?
Siehildra se mordit les lèvres en espérant que l'obscurité dissimule le rouge qui lui montait aux joues. Lui proposait-il vraiment un câlin pour la réchauffer ?
— Euh... Non, je vous remercie... je me porte bien...
En quelques enjambées il se rapprocha et posa une main chaude sur son front. Elle put discerner les yeux redevenus blancs de son hôte.
— Si. Très froid.
À nouveau, ce regard qui semblait se demander si elle avait perdu l'esprit. Qu'elle puisse ne pas vouloir se blottir contre un inconnu tout nu, aussi séduisant soit-il, ne paraissait pas lui effleurer l'esprit. Il haussa les épaules et désigna la forêt.
— Je pense revenir vite. Ne pas croire rester longtemps... Attends pas beaucoup... Et beaucoup...
Une étrange chaleur semblait irradier de son corps. Un souffle d'air tiède ne tarda pas à souffler à travers la grotte. Comme Siehildra ne faisait pas mine de s'approcher de lui, il fit demi-tour et entreprit d'ouvrir son sac.
Des peaux tannées bien pliées, un récipient de terre scellé d'un lien de cuir, un... livre. Surprise, Siehildra s'agenouilla pour en effleurer la couverture. Elle était ornée de cercles concentriques, de courbes stylisées, surmontant un seul mot : Humain.
— Qu'est-ce donc ? Un livre sur mon peuple ?
Saule sursauta, surpris :
— Tu peux lire ?
Un peu vexée, Siehildra s'empara du livre et l'ouvrit à la première page.
— Bien entendu. J'ai appris mes lettres lorsque j'étais enfant et ai reçu un enseignement dans les principales disciplines qui siéent à une damoiselle.
— Je ne pense pas les Humains lire. Je pense parler, parler... pas lire.
— Je vous ai déjà dit que nous n'étions pas des animaux stupides, lui rappela la princesse avec patience. Et donc, les Sylves seraient également lettrés ?
— Lettrés ?
— Savez-vous lire ?
— Oui.
À en croire son expression, s'il avait eu plus de vocabulaire, sans doute lui aurait-il asséné un "bien entendu" vexé.
Curieuse, Siehildra parcourait les lignes. Il y avait plus de dessins de cercles que de mots et ces derniers paraissaient se suivre sans aucun sens commun. Parfois, une petite phrase ou une expression se laissait lire, mais jamais aucunes ne semblaient liées entre elles.
— De quoi parle cet ouvrage ? questionna-t-elle, de plus en plus intriguée.
— C'est livre apprendre Humain. Je parle mal. Tu restes ici, j'ai demandé le roi. J'apprends Humain, pratique.
La princesse bondit :
— Je vous demande pardon ? Vous avez conversé avec votre souverain ? Qu'entendez-vous par le fait que je demeure en votre compagnie ?
Saule se gratta la tête et souffla d'un air las.
— Rien comprendre. Dire encore.
Siehildra tenta de réfréner son impatience et reformula plus calmement :
— Avez-vous parlé au roi ?
— Oui. Il dit tu restes ici, oui, bien.
— Mais... je devais me marier, libérer mon père...
— Père li... béré. Libéré. Contrat dit tu restes. C'est bien. Ici, pas dangereux.
Il lui accorda un sourire franc et déplia l'une des peaux. C'était en réalité une tunique souple sans ornements. La seconde se révéla être un pantalon large, ainsi que la dernière.
— Vêtements importants Humains. J'apporte tu. Et... je. Je essaye. Tu arrêtes regarder je...
Il mima une mine horrifiée, mi dégoutée, mi gênée. Sans doute l'expression que Siehildra arborait en voyant la nudité de Saule. La jeune femme rougit mais se mit à rire.
— Je vous remercie. Je vois que vous faites beaucoup d'efforts pour m'accueillir. Mais êtes-vous bien certain que mon père est sauf ? Je veux dire : mon père est-il libéré ?
À elle aussi de tâcher d'être plus claire dans ses propos afin de ne plus le mettre mal à l'aise.
Saule hocha la tête :
— Oui. Père libéré. Tu restes là. C'est bien. Les Humains contents. Les Sylves contents.
Siehildra sentit son ventre se nouer mais garda le silence. Elle se sentait soulagée pour sa famille, oui... Quant à se prétendre heureuse... Elle n'était certes pas maltraitée par Saule, mais de là à se réjouir de vivre dans une grotte... Jusqu'à présent, elle avait attendu dans l'espoir de retrouver son père. À présent que son destin de princesse semblait scellé, elle n'était plus certaine de savoir où elle en était.
— Tu sens beaucoup, la coupa Saule en plissant le nez. Je montre où laver. Je donne vêtements. Je soigne pieds encore. Tu montres vêtement comment... je mets.
Il mima le fait de s'habiller et agita le pantalon d'un air interrogateur. De toute évidence, il avait déjà organisé la journée. Désorientée, Siehildra remarqua que les cheveux du jeune homme étaient réapparus en une courte toison dorée sur son crâne. Au dehors, la température était revenue à une fraîcheur supportable. La neige fondait doucement au soleil, éblouissante. La jeune femme décida de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Au moins ne s'ennuierait-elle pas avec toutes les questions qu'elle avait à poser au Sylve !
Siehildra ne rêvait qu'à un bon bain chaud aux plantes aromatiques, suivi d'un repas gourmet, mais sans doute pouvait-elle oublier ce genre d'exigence. Se forçant une nouvelle fois à garder le sourire, elle emboîta le pas au jeune homme qui s'était saisi des vêtements. Il paraissait avoir compris qu'il ne devait pas avancer trop vite et se retournait fréquemment pour vérifier qu'elle le suivait bien. Siehildra entendait un son sourd au loin, qui semblait se rapprocher à mesure qu'ils avançaient.
Les arbres se clairsemèrent bientôt pour découvrir une étendue d'eau alimentée par une cascade scintillante. L'origine du bruit ! Bouche bée, la princesse se demanda si elle ne venait pas de plonger dans un de ces romans enchanteurs. La lumière se reflétait sur la surface et des papillons dansaient sur la rive habillée par des étendues de fleurs sauvages, perçant les dernières plaques de neige qui fondaient au soleil. Une odeur entêtante de mousse fraîche embaumait l'atmosphère et fit pousser un soupir de satisfaction à la jeune femme émerveillée. Il faisait à nouveau aussi chaud que lors d'une belle journée de printemps et il était tentant de nager dans ces eaux claires.
- Tu laves, coupa Saule sans ménagement.
Siehildra sursauta en reportant son attention sur le jeune homme. Il arborait à nouveau une crinière d'un blond-roux flamboyant et des yeux d'un vert tendre. Il paraissait tellement dans son élément : magnifique, puissant, sauvage. Il lui lança un coup d'œil interrogateur et elle rougit une nouvelle fois en s'apercevant qu'elle le dévisageait.
Comme il ne paraissait pas décidé à s'en aller, elle hésita un instant avant de demander :
— Sans vouloir vous offenser, je souhaiterais être seule pour me dévêtir.
Un instant de silence pendant lequel il parut chercher un sens à la requête, puis il secoua la tête :
— Pourquoi les vêtements importants... Humains ?
— C'est... une question de pudeur... et d'habitude, je suppose. Mais je préférerais que vous me laissiez le temps que je me lave et que je me rhabille à nouveau.
Il haussa les épaules, laissa encore courir son petit sourire moqueur sur ses lèvres et se détourna :
— Oui. Tu appelles... fini. Je viens.
À sa plus grande gêne, Siehildra saisit à cet instant qu'elle allait devoir faire un nouvel effort.
— Saule ! Attendez... Je... Je vais avoir besoin de votre aide pour défaire les lacets... de ma robe.
Ses derniers mots n'avaient été que marmonnés tant elle se sentait mal à l'aise. Au château, une servante prenait soin d'elle et jamais elle n'avait eu à se préoccuper des fermetures alambiquées dans le dos. Comme Saule la regardait sans comprendre, elle lui mima de défaire les cordons comme elle le pouvait.
Lui ne parut pas gêné le moins du monde. Il acquiesça, saisit les lacets et se mit à tirer. La princesse étouffa un cri.
— Cessez donc ! Vous allez me couper la respiration ! Il faut vous y prendre avec plus de délicatesse !
Comment lui expliquer, alors qu'il n'avait sans doute jamais rien vu de pareil ? Il s'immobilisa, fronça les sourcils, puis parut chercher quelque chose au sol. Un instant plus tard, il se relevait avec une pierre effilée dans la main.
Siehildra n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que les cordons de la robe, comme du corset, se voyaient coupés nets. La princesse retint ses habits juste à temps pour les plaquer contre elle et s'efforça de ne pas avoir l'air aussi choquée qu'elle l'était.
— M... merci... C'était... efficace...
Maintenant, elle n'aurait vraiment plus d'autre choix que d'accepter la tenue apportée par Saule. Elle n'y avait plus qu'à espérer qu'elle lui aille.
— Je pars ? demanda le jeune homme qui ne cherchait même pas à dissimuler son amusement.
— Oui... encore merci. Je vous appellerai.
Siehildra mit de longues minutes après la disparition du Sylve avant d'oser se dévêtir tout à fait. Elle termina par ses bandages salis aux pieds. Ses blessures semblaient en bonne voie de guérison, malgré ce qu'elle leur avait fait subir.
L'eau lui parut glaciale, mais un bain était nécessaire après ces jours passés sans hygiène. Elle avait encore du sang d'écureuil séché sous les ongles. Ses longues boucles brunes étaient emmêlées de brindilles et collées de poussière. Après un temps d'adaptation, la princesse trouva le courage de plonger la tête sous l'eau et ferma les yeux.
Lorsqu'elle refit surface, elle poussa un cri.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top