Chapitre 5 : ... et un retour à la réalité.
Le jeune homme n'avait, semblait-il, pas davantage envie de discuter. Il sortit un bol de terre et un couteau à la lame taillée dans la pierre et au manche d'os ciselé avec délicatesse. Il les posa près des couvertures où se tenait Siehildra et s'assit à même le sol. Il tenait à la main deux petites dépouilles d'écureuils bleus. D'un geste vif, il en incisa le ventre pour en découvrir la chair. Puis il fourra l'une des bestioles encore chaude dans les mains de la princesse médusée et commença à dévorer l'autre en retroussant la peau.
Du sang dégouttant le long de son menton, il fit signe Siehildra de manger à son tour.
Prise d'un haut-le-cœur, cette dernière lâcha le petit cadavre et se leva précipitamment pour courir dehors.
Cet homme n'était qu'un barbare ! De la viande crue d'écureuil ? Fallait-il n'avoir aucun savoir-vivre pour tomber si bas ? Malgré son estomac qui criait famine, jamais la jeune femme ne pourrait se résoudre à se nourrir de la sorte ! Elle n'était pas un animal !
Elle jeta un regard vers la caverne. Saule, toujours assis, l'observait à nouveau comme si elle était faible d'esprit. De là où elle se trouvait, Siehildra entendait les petits os qu'il rejetait cogner contre le bol en terre. Le jeune homme essuya ses doigts sanglants sur la fourrure, puis, sans se formaliser davantage de l'étrange comportement de son hôte, il se mit à dévorer le second écureuil.
Révulsée, La princesse s'éloigna. Impossible de rester avec un tel sauvage ! Non, décidément, elle se débrouillerait par elle-même, quitte à traverser la forêt à l'aveuglette ! Pour se restaurer, quelques fruits sauvages feraient sans doute l'affaire. Dans les romans qu'elle lisait au château, les fugitifs se nourrissaient toujours ainsi. Peu érudite sur le sujet, Siehildra espérait tout de même repérer au moins des framboises ou des fraises des bois. En espérant ne pas se tromper et avaler des baies toxiques.
La forêt baignait dans un soleil tiède, le ruisseau au murmure enchanteur invitait à la promenade. Pourtant, après quelques pas mal assurés sur ses pieds toujours blessés, la jeune femme dut se rendre à l'évidence : elle ne trouvait rien de comestible. Peut-être certains champignons l'étaient-ils, mais elle ne préférait pas tenter les Six. Était-elle condamnée à manger des écureuils sanglants en compagnie d'un barbare tout juste humain ?
Elle allait renoncer, lorsque de minuscules boules rougeâtres, tirant sur le noir, la firent bondir : des mûres ! Pas très... mûres, justement, mais le ventre gargouillant de la princesse s'en moquait bien.
Comme elle commençait à en manger tout en prenant garde à ne pas se tâcher, un cri de colère se fit entendre. Son sang se glaça.
Saule se précipitait vers elle. Sans prendre garde aux épines, il lui arracha la branche qu'elle tenait entre les mains.
L'impassible désinvolture du jeune homme venait de voler en éclat. La mâchoire crispée, il proférait dans sa langue venteuse ce qui ressemblait à de tempêteuses insultes.
Pétrifiée, Siehildra n'osait plus bouger. Pourquoi se fâchait-il ainsi contre elle ? Elle s'était déjà pourtant éloignée une première fois sans qu'il ne s'en émeuve. Alors, que lui prenait-il ?
— Tu es le... monstre ! s'exclama-t-il soudain. Les humains ! Tous les monstres ! Je ne pense pas mais... Je ne crois pas, mais... Oui ! Le monstre ! Comment tu peux ?
Chercher ses mots semblait le pousser encore plus hors de lui. La princesse osa quelques pas en arrière. Sans doute aurait-elle pu lui rétorquer que ce n'était pas elle qui mangeait des écureuils crus encore chauds, mais la stature terrifiante de Saule, encore barbouillé de sang frais, lui donnait davantage envie de fondre en larmes ou de prendre ses jambes à son cou que de se rebeller.
Ce fut peut-être son air perdu qui poussa d'ailleurs le jeune homme à se calmer un peu. D'un geste vif, il l'éloigna des branches, regarda ces dernières avec attention, puis se redressa en fronçant les sourcils. Siehildra dut se faire violence pour ne pas se recroqueviller sous ses yeux accusateurs.
D'une voix de professeur contrarié, Saule désigna le buisson :
— C'est... mal ! Ce sont les bébés. Tu ne pas dois... dois pas faire mal les bébés.
De toute évidence, il tentait de lui inculquer les bonnes manières... de sauvage. Siehildra ne voyait que cette explication, puisqu'il lui faisait les gros yeux comme à une vilaine enfant mal élevée.
— Des... bébés ? souffla-t-elle en se demandant où il voulait en venir.
Y avait-il des nourrissons cachés dans les fougères ? Il ne croyait tout de même pas à cette idée stupide selon laquelle les enfants naissaient dans les fleurs ? Il devait s'être trompé de mot... Pourtant, Saule hocha la tête avec assurance :
— Oui : les bébés. Tu dois laisser les bébés. Ils vont... grandir et devenir...
Il réfléchit, chercha comment s'exprimer et parut à nouveau s'énerver de buter sur ses mots, car il marmonna des paroles incompréhensibles dans sa langue.
— Devenir... les petits arbres. Tu comprends ?
Comme il avait saisi une branche et caressait doucement une mûre, la lumière se fit dans l'esprit de la jeune femme. Vraiment ? Il dévorait des écureuils mais se posait en défenseur des végétaux ? Cette situation sans queue ni tête l'épuisait. Trop, c'était trop ! Elle soupira, avec une irrépressible envie de pleurer. La douleur, la fatigue, la faim, la peur lui faisaient monter les larmes aux yeux.
Comme elle baissait la tête en se retenant à grand peine, Saule tendit une main et lui releva doucement le menton pour l'observer :
— Tu es ble...ssée ?
Il paraissait réellement inquiet. Un peu ennuyé, comme s'il ne comprenait pas ce qui se passait.
Siehildra recula, encore une fois et se détourna. Non, elle n'était pas blessée, juste exténuée par ces mésaventures qui ne semblaient pas vouloir prendre fin. Pourquoi ne pouvait-elle pas avoir été simplement recueillie par une gentille famille de bûcherons comme dans un de ces contes pour enfants ? Elle ne se sentait pas capable de partir seule, elle était bien trop faible. Si elle ne pouvait manger aucun végétal, qu'allait-elle devenir ? La simple idée de se nourrir de viande crue à même un cadavre la révulsait.
Saule garda le silence un instant, puis reprit le chemin de la grotte :
— Tu viens, assena-t-il d'un ton qui ne souffrait pas la réplique. Je vais aider... Tu dois manger.
Comme elle ne le suivait pas, terrifiée à l'idée qu'il veuille la forcer à ingurgiter un nouvel écureuil, il la saisit par le bras sans brusquerie mais avec une fermeté qui n'autorisait pas la contradiction :
— Quoi les humains mangent ? Ne pas la viande ?
Puisqu'elle ne pouvait pas résister à la force qui l'entrainait, la princesse se résolut à lui emboîter le pas en tremblant.
— Si... mais nous la cuisinons avant. Nous la consommons cuite ou séchée.
— Cuite ?
Il venait de la lâcher, peut-être conscient qu'il l'effrayait. Siehildra retrouva un peu d'emprise sur elle-même, convaincue que s'il lui avait voulu du mal, il l'aurait tuée depuis longtemps et n'aurait pas cherché à la nourrir. Apparemment, leurs éducations différaient, tout bonnement. Mais comment lui expliquer autant d'évidences ?
— Eh bien... nous la faisons chauffer...
— Chauffer ?
— Avec du feu.
Il hoqueta, choqué, et fit à son tour un pas en arrière comme si elle était l'Obscur en personne.
— Cela est... véritable ? Les Humains... Vous... prenez... le feu ? Pourquoi ?
Il avait l'air au moins aussi horrifié que lorsqu'elle s'était attaquée au buisson de mûres. Hésitante, Siehildra haussa les épaules :
— Eh bien... nous utilisons des cheminées pour allumer le feu. Ce dernier nous permet de cuire nos aliments et de nous réchauffer. Nous pouvons aussi forger...
— Forger ?
— C'est...
Elle s'interrompit subitement et reprit, frappée par un détail qui n'en était peut-être pas un :
— Les Humains ? Comment cela, "les Humains" ? Qu'êtes-vous donc, vous ?
Saule écarta les bras comme pour l'inviter à l'observer, ce qui la fit évidemment rougir jusqu'à la racine des cheveux et détourner les yeux de ce corps un peu trop nu et parfait... pour être humain, justement.
— Je suis Sylve.
*** Joyeux Noël à tous et à toutes ! J'espère que le père Noël vous a gâtés ! Cette année, je n'ai pas réussi à rattacher un chapitre à Noël comme je m'étais amusée à le faire avec Officieuse, mais j'espère que ça vous plait quand même ! :) ***
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top