Chapitre 3 : ... qui rencontra un homme des bois.

Après un long moment d'hésitation, Siehildra se décida à approcher à nouveau son étrange compagnon et à briser le silence. La jeune femme devait retourner à la civilisation au plus vite. Le sort de son père en dépendait. Comment faire comprendre à cet inconnu qu'il devait absolument la guider vers l'auberge la plus proche ?

— Je vous prie de bien vouloir m'excuser...

Visiblement dérangé, le jeune homme s'immobilisa. Résolue à faire preuve de plus de politesse que lui, Siehildra ne se départit pas de son sourire :

— Pourriez-vous m'aider, je vous prie, à retourner auprès des miens ? Je...

— Non.

Le ton était sans appel et il recommença aussitôt à préparer la peau. L'air aimable de la princesse se crispa quelque peu devant cette réponse malpolie. Faisant un effort sur elle-même pour garder son calme, elle se résolut à insister :

— Messire...

Comment s'appelait-il, d'ailleurs ? Il était fort grossier de ne pas donner son nom à une dame, mais quelque chose disait à la jeune femme que le sens des convenances échappait totalement à cet inconnu. Bien qu'elle n'ait jamais eu à se présenter elle-même car une personne de son entourage s'en chargeait toujours selon le protocole, elle retint un soupir et poursuivit patiemment :

— Je suis la princesse Siehildra de Ranoria, princesse du royaume Silbérien.

Il ne lui accorda pas un coup d'œil mais, à nouveau, ce sourire un tantinet moqueur lui étira les lèvres. Ne la prenait-il pas au sérieux ?

— Et, vous êtes ? demanda la jeune femme en s'efforçant de ne pas laisser transparaitre l'agacement qui montait peu à peu.

Il se décida enfin à lui accorder son attention. La réponse, si c'en était une, fit lever les sourcils à Siehildra. Une sorte de murmure, de bruissement de feuilles dans le vent, venait de s'échapper de la bouche du jeune homme. Elle retrouvait les sons de la mélopée. Était-ce un mot de sa langue ? Son nom, réellement ?

Comme elle paraissait dubitative, il répéta ces inflexions atypiques une seconde fois.

— Veut dire... le nom d'un arbre, dans votre langage, expliqua-t-il au bout d'un moment. Saule, je dis.

— Saule ?

— Vous pouvez appeler Saule, vous voulez.

Il haussa les épaules et se remit à travailler la peau d'écureuil sans plus se soucier d'elle. Siehildra ne se permit aucune remarque. Ce nom était étrange, mais... pourquoi pas. Certaines filles portaient bien un nom de fleur. Et puis, pour quelqu'un qui vivait dans les bois, ce choix était plutôt cohérent.

— Messire Saule... Je suis attendue. Je dois impérativement me rendre auprès du roi des Sylves.

— Roi ?

Il paraissait intrigué par le terme. Vivait-il en reclus depuis si longtemps qu'il ignorait les coutumes ou organisations hiérarchiques les plus élémentaires ?

— Oui... Celui qui dirige les Sylves. Connaissez-vous ce peuple ?

Il soupira, de l'air de celui qui voudrait travailler en paix, mais se fait déranger sans cesse. Puis, comme s'il se résignait à s'occuper d'un petit enfant fatigant, il repoussa en arrière une mèche de ses longs cheveux sorblons et reprit :

— Je connais. Mauvais... Ne pas aller voir les Sylves. Dangereux. Le... roi ? Roi. Le roi est très dangereux.

Siehildra se rembrunit. On savait peu de choses de ce peuple. Certains leur prêtaient une bestialité monstrueuse et prétendaient qu'ils dévoraient la chair humaine. D'autres racontaient qu'il s'agissait d'êtres supérieurs d'un raffinement merveilleux aux arts enchanteurs. En réalité, personne ne paraissait avoir eu affaire à eux de source sûre. Les légendes se mêlaient aux racontars et la vérité ne pouvait éclore.

— Je n'ai guère le choix, messire. Mon père est retenu en échange de ma main.

— Ta main ? interrogea Saule en saisissant un doigt de la jeune femme pour l'observer de près.

Siehildra se recula prudemment.

— Non... Il s'agit d'une façon de parler, d'une expression. Je dois l'épouser.

Comme ce terme ne paraissait pas davantage compris, elle insista :

— Je suis censée m'unir au roi, passer ma vie à ses côtés.

— Ah.

Le jeune homme poussa un soupir encore plus profond et posa la peau pour plonger ses yeux verts dans les siens.

— Le roi - est - très - dangereux, répéta-t-il lentement comme si elle était simple d'esprit. Ne pas unir... Mauvaise idée. Très - très - dangereux.

Gênée par ce regard insistant, Siehildra se détourna, agacée :

— J'ai compris, je vous remercie ! Cependant, la vie de mon père est en jeu ! Il va mourir si je ne me rends pas au royaume Sylve ! Et puis, pourriez-vous, je vous prie, vous vêtir un tant soit peu ? Cette situation est on ne peut plus dérangeante !

Nouveau froncement de sourcils. De toute évidence, elle allait devoir simplifier ses phrases pour se faire comprendre.

— Des vêtements ! articula-t-elle en saisissant sa robe pour tirer dessus.

Il y eut un instant de flottement tandis que le jeune homme réfléchissait. Puis il parut saisi d'une inspiration et acquiesça... avant d'attraper à son tour le tissu dans l'idée évidente de l'en débarrasser.

Siehildra bondit en arrière, horrifiée :

— Non ! Enfin ! Je souhaite garder mes atours ! Je vous demande d'en mettre, vous !

— Pourquoi ?

Saule la regardait à présent comme si elle était folle à lier. Il avait l'air de se demander s'il devait se moquer ou compatir devant un tel comportement. Siehildra remit une distance raisonnable entre eux et inspira pour retrouver un semblant de calme.

— Eh bien, parce que cela ne se fait pas...

— Froid ?

— Non, je... Il ne s'agit point de cela !

Était-il complètement stupide ? Saule tendit une main et lui tapota la tête, ce qui fit ouvrir de grands yeux excédés à Siehildra. Elle n'eut cependant pas le temps de protester car il articula :

— Princesse, ne pas crier. Crier fait... courir... partir, les animaux. Tu veux manger ? Alors ne pas crier. Très calme, ici.

Non seulement il se comportait avec elle comme avec une enfant turbulente en la faisant taire, mais en plus il se permettait de la toucher sans son accord ! Fort bien. Elle n'obtiendrait rien de ce sauvage, elle allait se débrouiller par elle-même, puisque c'était ainsi.

— Dites-moi juste comment partir, je vous prie, étant donné que ma présence semble vous déranger.

Les bras croisés sur ses pectoraux, Saule la regardait d'un air amusé.

— Tu veux partir... où ?

— Menez moi à une auberge, n'importe laquelle.

— Auberge ?

— Une maison pour manger, boire et dormir.

Il eut un geste pour la grotte.

— Ici, tu peux manger, boire et dormir.

Siehildra dut se contenir pour ne pas exploser. Ce dialogue de sourd l'épuisait !

— Tu es fatiguée, reprit Saule comme s'il saisissait ses pensées. Tu dors et je fais la nourriture. Oui ?

Eh bien... Au moins était-il gentil. Un peu radoucie, Siehildra hésita. Il avait raison. Elle avait besoin de reprendre des forces. La tête lui tournait encore. Il lui faudrait faire preuve d'autorité pour être prise au sérieux si elle arrivait tout échevelée dans une taverne et réclamait de l'aide. Elle ignorait également ce qui l'attendrait quand elle se rendrait au cœur du royaume sylve. Mieux valait retrouver son énergie avant de tenter quoi que ce soit d'irréfléchi.

Après, une dernière hésitation, elle accepta de s'asseoir sur les fourrures. Dormir ne lui paraissait pas concevable. Cet étrange individu lui faisait trop peur. Les Six seules savaient ce qu'un tel sauvage risquait de se permettre si elle ne le surveillait pas.

Saule s'était levé et saisit d'une fronde. Sans un mot, il quitta la grotte et laissa là son invitée.

Le calme de la nature reprit ses droits.

La brise portait l'odeur de la forêt et des oiseaux voletaient de branche en branche. Le murmure de la source berçait les environs d'une musique apaisante. Muchée sous ses couvertures de fourrure, les paupières lourdes, Siehildra se sentit peu à peu gagnée par une torpeur insidieuse.

Sa volonté faiblissante ne put bientôt plus résister à une idée tentatrice : puisque le jeune homme était parti... elle pouvait bien dormir un peu, non ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top