Chapitre 2 : Une princesse égarée dans les bois
Le chant des oiseaux. Une brise fraiche chassant l'air tiède d'un printemps ensoleillé. Le murmure d'une source. La douceur d'une fourrure.
Siehildra ouvrit les yeux, éblouie par les rayons du soleil. Au-dessus d'elle, une paroi rocheuse. La jeune femme se trouvait de toute évidence dans une grotte grande ouverte sur la forêt. Son cœur fit un bond comme les derniers événements revenaient, telle une ombre menaçante. En s'asseyant avec précaution, la princesse grimaça : elle s'était sans doute couverte de contusions en dévalant la pente. Ses pieds aussi la faisaient souffrir. En relevant sa robe au tissu de soie déchiré, elle gémit : ses bas étaient plus rouges et bruns que blancs. Elle n'osait regarder en-dessous.
Autour d'elle, des fourrures à même le sol de terre, des récipients taillés dans de l'os posés dans un coin et une tenture de cuir tanné au fond de l'anfractuosité rocheuse. Peut-être la grotte s'enfonçait-elle davantage dans la montagne. La vaste ouverture sur la forêt laissait apparaitre des arbres couverts de fleurs et une herbe d'un vert tendre sans la moindre trace de neige. Intriguée, Siehildra se leva en ignorant ses pieds meurtris.
L'hiver sévissait depuis plus d'un mois dans le royaume silbérien. Comment, par les Six, le temps pouvait-il être aussi clément dans cette contrée ? Où le jeune homme l'avait-il emmenée ? D'ailleurs, où se trouvait-il ?
Un écureuil bleu fila dans les feuillages, mais aucune présence humaine ne se faisait connaitre. Perdue devant ce mystère, la jeune femme décida de se rendre à la source qu'elle entendait gargouiller non loin. Il lui fallait baigner ses pieds ; les panser, peut-être. Elle claudiqua ainsi en se fiant à son ouïe jusqu'à arriver à un petit cours d'eau limpide. Enlever ses bas crottés lui tira de nouveaux gémissements de douleur. Préservée dans son château, la princesse n'avait jamais subi de telles blessures. Même le courant d'eau glacial lui parut d'une violence insoutenable et il lui fallut plusieurs tentatives avant de parvenir à laver ses plaies.
Enfin, épuisée par ses mésaventures, la jeune femme resta assise sur le bord du ruisseau. Si elle n'avait plus froid, les borborygmes de son ventre suffisaient à lui rappeler qu'elle n'avait pas mangé depuis... depuis combien de temps, d'ailleurs ? Ce changement de saison inopinée perturbait ses sens.
Un craquement, du côté de la grotte, la fit sursauter. Une silhouette se déplaçait. Un homme chevelu et... nu. Il parut observer les fourrures avant de se retourner et scruter la forêt. Il ne tarda pas à repérer la princesse dont la robe bleue n'aidait certes pas à passer inaperçue. Aussitôt, il se dirigea vers elle à grands pas souples.
Aussi imposant que l'inconnu qui l'avait aidée à se débarrasser de son agresseur, celui-ci lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, si ce n'était de longs cheveux lisses lui tombant jusque dans les reins. Leur couleur d'un jaune d'or s'harmoniait étrangement avec ses yeux d'un vert lumineux et tranchaient sur la peau mate. Si Siehildra n'avait pas été autant gênée par la nudité inconvenante du nouvel arrivant, elle aurait sans doute noté la musculature parfaite que ce dernier arborait.
Détournant les yeux, la jeune femme se concentra sur la nature environnante. L'inconnu ne disait rien. Il s'était contenté de l'observer d'un œil critique et devait poursuivre son inspection dérangeante. Siehildra eut soudain l'impression de voir la vieille nonne qui veillait sur elle, prête à lui reprocher son maintien ou son léger embonpoint indigne d'une princesse. Elle replia ses jambes contre elle dans une position défensive.
Seulement, pour briser ce silence désagréable, il fallut bien qu'elle se décide à parler la première.
- Je vous souhaite le bonjour. Puis-je savoir où votre... ami m'a emmenée ?
Comme il ne répondait pas et que Siehildra n'arrivait pas à se résoudre à le regarder en face dans cette tenue, elle ne sut pas s'il avait changé d'expression. Ce qui était certain, en revanche, c'était qu'il n'avait rien répondu.
- Je lui suis redevable et j'aimerais le remercier en personne. Cependant, des affaires importantes m'att...
- C'est moi, la coupa le jeune homme d'une voix rude.
- C'est vous ?
Que voulait-il dire, par les Six ? Ce ne fut qu'en croisant son regard à nouveau, que la jeune femme comprit. La façon dont son interlocuteur l'observait, avec un mélange d'ennui et d'amusement, ne laissait aucun doute : son sauveur et lui ne faisaient qu'un. La raison pour laquelle des cheveux lui avaient poussé demeurait un mystère... Prise d'une angoisse subite, Siehildra s'exclama :
- Combien de temps suis-je restée inconsciente ? Se serait-il écoulé des jours ? Plus d'une saison ? Et...
- Non...
Le jeune homme parut réfléchir et chercher ses mots.
- Quelques... heures ? tenta-t-il. Oui, quelques heures.
Ainsi, ils ne partageaient pas la même langue maternelle à en croire ses hésitations. Il expirait chaque syllabe comme s'il tentait de les souffler doucement. Étrange accent. Il y eut un instant de silence pendant lequel il observa sans bouger les pieds blessés de la jeune femme.
- Eh bien... Merci. Merci du fond du cœur pour votre assistance inattendue.
Comme il ne réagissait pas, elle se remit à scruter les alentours, dans l'espoir d'oublier cette vision dérangeante. À dix-neuf ans, voir des hommes nus n'était pas dans ses habitudes et, à vrai dire, c'était même la première fois qu'une telle aventure lui arrivait. Une princesse se devait d'avoir des fréquentations respectables.
Aussi, elle sursauta et battit en retraite quand il s'approcha soudainement d'elle. Accroupi à son niveau, il la regarda comme si elle avait perdu l'esprit et désigna ses pieds :
- Aide ? Tu es... malade.
Siehildra se calma un peu et reprit une respiration plus normale. Ainsi, il proposait juste de la soigner.
- Oui... Blessée. Je me suis blessée en courant.
Elle n'y entendait rien en plantes médicinales. Un homme des bois, puisque c'était ce qu'il semblait être, connaitrait sans doute quelques remèdes. Comme elle s'était écartée et avait couvert ses blessures par pudeur, il tendit la main comme on le ferait vers un petit animal effarouché :
- Tu donnes les jambes... pieds. Tu donnes les pieds.
Le premier réflexe de la jeune femme fut de reculer encore. Ridicule, dans cette situation. Cependant, l'idée qu'un parfait inconnu, aussi séduisant soit-il, pose ses grosses pattes sur elle, lui déplaisait fortement. Rien ne prouvait qu'il allait réellement la soigner.
- Je... qu'allez-vous faire ?
- Je fais soin. Tu es ble...
- Blessée, compléta la jeune femme devant l'hésitation.
Non, vraiment, elle n'avait aucune envie que cet homme étrange l'aide. Seulement, elle n'avait guère le choix.
- Avez-vous besoin de quelque onguent ? demanda-t-elle pour éviter un nouveau silence gênant.
Il la regarda de l'air de celui qui n'avait rien compris et qui s'en moquait complètement. Il se releva, retourna à la grotte et, après avoir cherché quelque chose derrière la tenture, s'assit avec un pot entre les mains au centre de ce qui devait être son habitation.
Perplexe, Siehildra comprit qu'elle allait devoir le rejoindre. Elle rinça ses bas déchirés dans l'eau jusqu'à pouvoir envelopper ses pieds avec. Puis elle boitilla jusqu'à la cavité rocheuse.
Les yeux fermés, le jeune homme s'était assis en tailleur et psalmodiait une mélopée plus proche du souffle du vent que de paroles humaines. Il avait mélangé dans un récipient ce qui ressemblait à de l'argile et le faisait tourner lentement entre ses mains.
Perplexe, la princesse s'assit à une distance raisonnable. Cet inconnu avait beau dégager une beauté sauvage envoutante, elle n'avait aucune envie de l'approcher de trop près. Ce côté trop parfait pour être humain la mettait mal à l'aise. Sans compter cette nudité éhontée !
Malgré la fatigue, Siehildra n'avait qu'une envie : quitter ce petit havre de paix. Tant qu'elle n'aurait pas fait son devoir, son père serait en danger.
Au moment où la jeune femme, peu habituée à ce qu'on la fasse attendre, s'apprêtait à intervenir, son sauveur ouvrit les yeux.
- Soin. Donne.
Comme Siehildra répugnait encore à se confier à lui, aussi bien par pudeur que par crainte, il tendit la main, cette fois avec un agacement impatient non dissimulé.
À regret, la jeune femme se décida à obéir et dégagea son pied jusqu'à la cheville. Le jeune homme esquissa un de ces sourires moqueurs dont il avait, semblait-il, l'habitude et étala avec précaution la pâte argileuse qu'il venait de préparer.
Surprise, Siehildra observa son pied. S'il n'était bien entendu pas guéri par miracle, elle sentait déjà une fraîcheur bienfaisante. Sans lui demander son avis, l'inconnu s'empara du second et lui fit subir le même sort. Après quoi, il se leva et retourna derrière la tenture, sous l'air inquiet de la princesse. Il revint un instant plus tard avec deux bandes de peaux souples qu'il enroula avec soin jusqu'au chevilles. Des liens de cuir achevèrent de fixer les pansements.
Puis, sans un mot, le jeune homme s'éloigna un peu et ignora à nouveau la princesse. Il se mit à gratter avec une pierre plate une peau qui devait être celle d'un écureuil bleu à en juger par la taille et la couleur. De toute évidence, il estimait avoir fait son devoir et avait à présent du travail.
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