Chapitre 1 : Il était une fois, il y a bien longtemps...
La hache défonça la porte du carrosse lancé au triple galop. Plaquée contre la paroi, Siehildra hurla. Les gardes étaient-ils tous morts ? Empêtrée dans sa robe de cérémonie, la princesse désarmée paniquait. Un cavalier vêtu de cuir épais se laissa tomber lourdement dans l'habitacle et tendit une main vers la jeune femme terrifiée.
Sans plus réfléchir, cette dernière se jeta par l'autre porte.
Les Six puissent la protéger !
Le choc sur le bas-côté fut rude, quoiqu'amorti par les multiples jupons. Emportée par l'élan, Siehildra roula vers les taillis, le chemin forestier donnant sur une pente raide couverte de neige. Hébétée, la jeune femme se releva en titubant. En haut de la côte, le carrosse avait déjà disparu, trainé par les chevaux emballés. Une silhouette se découpa à contre-jour.
— Sale lecherelle ! cria la voix du brigand emplie de fureur. J'vais t'retrouver ! Tu vas regretter de m'avoir fait courir !
La princesse repoussa ses boucles brunes emmêlées par la chute et détala.
Plus facile à dire qu'à faire dans ces bois sauvages des territoires nordiques. La terreur ne suffisait pas à occulter la difficulté à se déplacer sur le sol glacé avec de fines bottines aux talons instables. Siehildra ne chercha pas à se retourner pour voir si son agresseur se rapprochait. Le bruit de broussailles écrasées et les jurons étouffés suffisaient à l'en convaincre.
Elle ne le sèmerait pas à la course. Où se cacher ? Les talus feraient un bien piètre refuge, les sapins n'étaient pas assez larges pour dissimuler l'ampleur de sa robe d'un bleu trop criard. Peu habituée à de telles activités, la jeune femme tomba de tout son long : les fougères et la neige camouflaient les aspérités du terrain. Siehildra se releva, déjà hors d'haleine. Un corset trop serré et une peur panique ne faisaient pas bon ménage.
Courir. Elle n'avait d'autre choix.
D'un geste fébrile, elle ôta ses chaussures et prit son élan. L'idée, en apparence bonne, se révéla désastreuse : les bas fins accumulaient les aiguilles de pins et les pieds délicats souffraient le martyre au contact glacial de la neige. Trébuchant, boitillant, Siehildra résolut pourtant d'ignorer la douleur. Si ce malandrin la rattrapait...
Elle l'entendait juste derrière elle. Un craquement sinistre la fit s'immobiliser.
L'homme approchait. Il venait d'arracher une branche avec laquelle il jouait d'un air mauvais. Il n'avait même pas l'air essoufflé. Tremblante, Siehildra continua à reculer lentement. Elle n'avait pas une chance et tous deux le savaient.
— Je... je suis princesse de sang, se risqua-t-elle. Vous pourriez tirer un bon prix d'une rançon s'il ne m'est fait aucun mal...
Sa voix mourut sous l'air méprisant de l'homme.
— Parce que tu crois que j'vais prendre le risque de m'faire connaitre ?
Siehildra se força à détacher son regard du brigand pour tenter de trouver une échappatoire. Les broussailles, les arbres aux branches inextricables, quelques pierres au sol émergeant de la neige. La princesse se baissa pour ramasser un gros caillou ce qui fit éclater l'homme d'un rire moqueur.
— Ouais, vas-y, t'as raison ! Défends-toi, qu'on s'gale un peu !
Siehildra jeta la pierre au visage de son agresseur au moment où il se ruait sur elle. Piètre tentative de défense qui se solda par un échec cuisant. Il lâcha sa branche pour saisir sa proie à la gorge. De son autre main, il lui tordit le bras violemment ce qui arracha à la jeune femme un cri de douleur étranglé.
— J'vais te...
Il s'écroula, les yeux agrandis de surprise. Libérée, Siehildra recula aussitôt. Venait-il de perdre l'équilibre ? Était-il mort ? Pas le temps de se poser de questions. Faisant volteface, elle se remit à courir.
Le hurlement de douleur que l'homme lâcha dans son dos la fit se retourner et s'immobiliser.
Le brigand était au sol, inconscient. Siehildra cligna des yeux. Venait-elle de voir quelque chose bouger sur lui ? Une branche ? Un petit animal de couleur brune ? Il n'y avait plus rien, à présent.
Tremblante, autant de peur que de froid, la jeune femme scruta les alentours. Rien ne bougeait dans les buissons. Les branches des sapins ployaient sous une brise légère, paisibles. Que s'était-il passé ?
La jeune femme allait se résoudre à tourner le dos à cette scène sinistre, lorsqu'une silhouette se détacha de l'ombre d'un arbre, près de la dépouille du brigand.
Surprise, Siehildra recula d'un pas. Elle était pourtant certaine qu'il n'y avait personne un instant plus tôt !
Il s'agissait d'un jeune homme qui dépassait d'au moins deux têtes tous ceux qu'elle avait croisés jusqu'à présent. La peau mate, le crâne rasé, vêtu d'une lourde pelisse et de bottes de fourrure, il tendit un bras nu au-dessus du corps inerte et fouilla dans les vêtements.
Pétrifiée, Siehildra n'osait plus faire un geste. Sa respiration saccadée formait un nuage devant elle. Cet inconnu l'avait forcément repérée. Pourtant, il ne paraissait pas prendre garde à la présence incongrue d'une noble de haut rang dans les bois.
Au terme d'une longue inspection, il se désintéressa du cadavre et croisa enfin le regard de la princesse. Cette dernière retint son souffle. Les yeux blancs rappelaient ceux d'un aveugle, mais elle ne douta pas un instant qu'ils la voyaient parfaitement. Si ce jeune homme décidait de s'en prendre à elle...
Il marqua un temps d'arrêt puis se redressa. Alors, sans mot dire, il se détourna vers les arbres.
— Attendez !
Siehildra se surprit elle-même d'avoir crié. Mais son instinct de survie avait dû réagir avant sa prudence et conclure que, si elle restait seule dans cette forêt, elle ne passerait pas la nuit.
L'inconnu parut d'abord ne pas l'entendre mais finit par se retourner lentement. Siehildra en profita pour remarquer la décoration en crocs d'animal de la pelisse. Deux énormes griffes servaient d'accroches sur le devant. A voir la stature du jeune homme, la princesse l'imagina aisément tuer les bêtes à mains nues. A moins que son imagination ne s'emballe ? À vrai dire, il lui faisait à peine moins peur que le brigand.
Comme il se contentait de la regarder d'un air impassible et ne disait rien, Siehildra s'éclaircit la gorge.
— Je... me suis égarée et...
Sa voix tremblante devait faire pitié à entendre. Pourtant, le jeune homme ne réagit pas.
—Je vous en prie... Je sollicite votre aide. Je vous saurais gré de m'indiquer l'auberge la plus proche...
Il se décida enfin à souffler et secoua la tête négativement. De toute évidence, la requête l'ennuyait.
— Je vous en supplie ! Je perdrai la vie, en ces lieux ! J'ignore même où nous nous trouvons. Je pourrai vous payer !
Il haussa les épaules comme si la proposition l'indifférait. Au vu de la robe de soie richement ouvragée, il devait pourtant se douter que Siehildra ne mentait pas ! Désespérée, la princesse se fit violence pour faire un pas vers lui.
— Laissez-moi vous accompagner, au moins !
La supplique tira un bref sourire à l'inconnu. Se montrait-il condescendant ou vaguement amusé ? Peu importait à la jeune femme qui décida de lui emboiter le pas alors qu'il reprenait sa marche en silence.
Aucun chemin pour faciliter la progression dans les taillis, des ornières boueuses, un tapis de fougères et de pierres gelées... Autant de pièges pour une demoiselle habituée aux tapis moelleux d'un château de conte de fées. L'homme des bois, lui, se mouvait avec aisance parmi les sapins.
La marche éreintante usa les dernières forces de la princesse. À présent que l'angoisse était en partie atténuée, Siehildra mourait de froid dans sa fine robe de cérémonie. Elle avait cessé de sentir ses pieds depuis longtemps et c'était sans doute mieux ainsi : ses bas déchirés laissaient des trainées sanglantes dans la neige.
L'inconnu marchait d'un bon pas et la jeune femme craignit bientôt de se faire distancer.
— Attendez-moi... haleta-t-elle à bout de souffle et d'énergie.
L'air glacé lui cisaillait la gorge à chaque inspiration. Cette fois, encore, elle crut qu'il ne l'avait pas entendue, tant il réagit lentement. Il la dévisagea et une ombre de surprise passa dans le regard blanc. Siehildra aurait presque juré qu'il l'avait oubliée ! À moins que ce ne soit l'état pitoyable de la jeune femme qui l'étonne.
Il se passa encore une fois de répondre et se contenta d'un vague signe de tête vers l'avant, comme pour lui enjoindre d'avancer. Contre toute attente, il ralentit pourtant le pas, à défaut de rester à la hauteur de son invitée forcée.
Siehildra avançait à présent sans plus réfléchir. L'esprit rendu cotonneux par l'épuisement, les vertiges l'empêchaient de se concentrer. Ce ne fut que lorsqu'elle s'écroula à genoux dans la neige, parcourue de tremblements incontrôlables, que l'inconnu s'arrêta à nouveau. La princesse puisa dans ses dernières forces :
— Je...
Elle claquait des dents si fort qu'elle ne parvint même pas à prononcer sa supplique. Elle n'eut que le temps de voir l'ombre du jeune homme se pencher sur elle avant de s'évanouir.
***
Bonjour à tous et à toutes ! Je suis très heureuse de vous rencontrer - ou vous retrouver - pour ce premier chapitre d'Altesse ! :D
Pour ceux qui ont lu Traqueur, Officieuse, Guérisseur et/ou Adelphes, ce roman-ci se passe une centaine d'années avant. Les Traqueurs et les Officieuses n'existent pas encore et la situation politique est bien différente.
J'ai décidé de partir sur une ambiance "conte de fées" (mais sans oublier un peu d'action, sinon je m'ennuie ! :P). Saurez-vous reconnaitre de quel conte je m'inspire (un peu ^^) ?
Comme toujours, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, en bien ou en mal, à me faire remarquer d'éventuelles incohérences, les fautes de frappe ou d'orthographe etc. Je corrige au fur et à mesure les petits détails.
J'en profite pour rappeler que j'ai un compte auteur sur instagram (Aislenn Hantson) où je publie des informations supplémentaires sur mon monde. J'ai prévu, entre autres, quelques aesthetics. Je vous attends ! ^^
Pour finir, petite info pour ceux et celles qui auraient remarqué : dans mon premier jet, j'avais utilisé l'insulte "panosse" (qui signifie, entre autres, "femme faite comme une sorcière" en ancien français) avant de me rendre compte que ce terme était encore usité, en Suisse et dans certaines régions françaises, avec une signification de "serpillère". Bon, clairement, ça cassait un peu l'ambiance ! Du coup, j'ai opté pour "lecherelle", à la réécriture, qui signifie "femme débauchée" en ancien français. Tellement sympathique !
Quant à "se galer", c'est "s'amuser" en ancien français.
Voili voilou ! On se retrouvera au rythme d'un chapitre par semaine maximum, je pense. À très bientôt ! :) ***
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