- Mais enfin, c'est de la folie ! objecta Sai avec conviction. Comment comptes-tu t'y prendre dans ton état, hein ? Et puis même, c'est impossible !

Naruto le repoussa sans ménagement, un brin agacé.

- Laisse-moi faire.

Il leva les yeux vers la terrifiante statue géante. Il savait exactement quoi faire. Restait encore à savoir comment...

L'enfant de la prophétie ferma les yeux. Il fit abstraction de Sai et de l'inquiétude non feinte qu'arboraient ses traits ainsi que du chaos ambiant. Naruto se concentra et oublia tout ce qui l'entourait. La seule chose qui subsistait à ses yeux était la douleur. Fidèle compagne qui l'accompagnait déjà depuis de nombreuses heures, il ne pouvait cependant toujours pas s'habituer à sa présence persistante.

Fronçant les sourcils, il sonda son esprit, dépassant le stade de la douleur, et il le sentit. Cette puissante énergie qui ne lui appartenait pas et dont on lui avait fait don il y avait peu. A bien y réfléchir, cela lui paraissait remonter à une éternité, et pourtant.

Il avait grandement puisé dans cette force lors de sa tentative d'évasion de ce monde maudit, et Naruto craignait qu'elle ne vienne à manquer, ce chakra n'étant pas renouvelé ici, comme l'en avait informé Kurama à son arrivée.

Il laissa les résidus de ce puissant chakra l'envahir, bien qu'il lui semblait que cette énergie avait perdu beaucoup de ses capacités normales : lui offrant d'ordinaire de grandes capacités de régénération, son corps meurtri ne se régénéra pas pour autant. Ses prunelles azurées prirent une teinte dorée, scindée d'une pupille singulière, relevant de la combinaison du mode Ermite au mode Kurama. Un manteau doré de chakra recouvrait ses épaules et les vestiges de sa tenue de combat avaient pris une teinte noire sur laquelle étaient dessinées les marques d'or de magatama.

Le chakra du Mode Ermite de Rikudo.

- Mais qu'est-ce que... souffla Sai, sidéré. Mais quel est ce chakra ?

Sentant le chakra en question s'évaporer à une vitesse surnaturelle, Naruto comprit que la moindre seconde lui était comptée et ne s'attarda pas dans des explications.

- Je vous expliquerez tout cela plus tard, assura-t-il d'un geste de désinvolte de la main.

Il avait une idée fixe en tête et le fils héritier des Uzumaki savait quoi faire. S'il avait fait appel à ce mode, c'était pour exploiter une de ses particularités uniques : ce chakra offrait à son utilisateur la capacité de léviter, et c'était ce qui intéressait Naruto.

A l'aide de la capacité de lévitation de son chakra, il s'élança en l'air en direction des yeux de la statue, serrant les dents pour ne pas céder son corps à la souffrance. Les poings serrés sur les côtés de ses flancs, Naruto tâchait de ne pas flancher, le regard vaillant. Les six sphères de vérités, les gudôdamas, avaient repris leur position initiale : défiant la gravité, lévitant fidèlement auprès de leur invocateur.

Arrivé devant les yeux de la statue, Naruto inspira longuement, afin de chasser les petits tremblements qu'exprimait son corps. Des tremblements de rage et de colère, de frustration et de tristesse à l'attention des huit êtres qui n'avaient pas eu sa chance, et qui n'avaient pas survécu. Il fit une seconde inspiration pour se calmer.

Le ninja intima à l'une de ses sphères de vérité de prendre la forme d'un disque sur lequel il pouvait se poser, limitant ainsi la consommation de chakra nécessaire à la lévitation. Naruto fixait intensément le premier œil qui lui faisait face, celui-ci retenant Shukaku, le démon des sables de Suna, autrefois détenu dans le corps de Gaara. Il modela dans sa main droite une deuxième sphère de vérité, lui donnant dès lors une forme de bâton. Dans un mouvement sec de poignet, il planta avec fermeté son arme dans l'œil de la statue, le visage fermé.

Sai, quant à lui, observait son camarade avec de l'appréhension mêlée à un étrange sentiment de curiosité. De là où il se trouvait, il vit Naruto enfoncer son étrange pieux dans le premier œil de la statue d'où s'échappa une drôle de substance rosée. Du chakra, devina-t-il. Celui-ci vint envelopper Naruto tandis qu'il passait à l'œil suivant. Comme envoûté par l'étrange spectacle qui se déroulait sous ses yeux, son pinceau toujours dans la main, Sai faisait abstraction de tout ce qui l'entourait, les yeux rivés sur son ami, à plusieurs mètres de hauteur du sol. Ce ne fut que le souffle d'une explosion qui le tira de sa contemplation et le poussa à reprendre les combats, à contrecoeur.

Là-haut, Naruto faisait son possible pour conserver sa concentration bien que rien ne l'y aidait. Leurs ennemis ne semblaient pas avoir encore remarqué ce qu'il était en train de faire, mais tout n'était qu'une question de temps. La détonation d'une explosion retentit dans un coin de la grotte. Le ninja grimaça. Son épuisement grandissait au même rythme qu'il se rapprochait de son objectif et chaque geste lui coûtait un effort surhumain. De la sueur perlait à ses tempes, mêlant leur eau à son sang.

Un à un, il libérait le chakra des bêtes à queues retenues dans le Gedô Mazô. Il leur devait au moins ça. Saboter les projets de l'Akatsuki même en ce monde... Cela lui convenait. Avec l'ombre d'un sourire à cette pensée, il plongea son pieux dans le huitième œil. Son chakra imita les sept premiers et vint l'envelopper dans une douce et agréable chaleur, comme pour le remercier, avant de se dissiper dans l'air.

Sentant ses forces l'abandonner, il serra les dents, luttant pour garder l'esprit vif. Un dernier œil lui faisait face.

Kurama... Tiens bon, je suis là.

Telle mue d'une volonté propre, sa main s'enfonça dans l'ultime œil, armée de son pieux.

Au même instant, une brusque pulsion le parcourut, semblable à un battement de cœur raisonnant plus fort que les autres. Naruto poussa un hoquet d'étonnement avant de lâcher son arme. Le disque de matière noire sous ses pieds menaçait de s'éclipser autant que le mode Ermite de Rikudo risquait de s'éteindre. Grinçant les dents, il s'accrocha désespérément à l'idée de réussir et tint bon.

Cependant, un second battement semblable au premier se fit sentir. Ses yeux s'écarquillèrent de stupeur. La main crispé sur son manteau au niveau de son cœur, il suffoquait. Il semblait au ninja que son organe vital s'était mis à battre au ralenti et que, en revanche, chacun de ses battements étaient capables d'ébranler des montagnes. Au troisième battement, il n'eut le temps de voir le chakra de son démon s'échapper de l'orbite de la neuvième iris de la statue que le chakra de Rikudo l'abandonna. Le disque sur lequel il se tenait s'évapora.

Naruto se sentit tomber en arrière au ralenti.

Un quatrième battement.

Il chutait. Mais il souriait. Survivrait-il à cette chute, lui qui avait survécu à la semi-extraction de son démon ? Il l'ignorait. Et Naruto ne souhaitait pas savoir. Pour la seconde fois, il se demandait ce à quoi ressemblerait la mort.

Le temps d'une seconde, il souhaitait oublier.

Le temps d'une seconde, il souhaitait lâcher prise.

Le temps d'une seconde, je souhaite renoncer.

Le vent sifflant à ses oreilles, il ne souffrait plus. Ses cheveux hérissés tourbillonnant sur sa tête, il sentit son bandeau de ninja glisser de son front. Ce bandeau... Son plus fidèle camarade de combat.

Un doux sourire aux lèvres, cette pensée nostalgique le plongea dans ses souvenirs. Des souvenirs tristes, joyeux, bons et mauvais.

Son enfance miséreuse et ses quatre-cents coups.

L'obtention de son diplôme de ninja.

La formation de l'équipe 7.

Les nombreuses missions qu'ils réalisèrent tous les quatres, Sasuke, Sakura, Kakashi et lui.

La désertion de Sasuke et leur combat dans la Vallée de la Fin.

Ses trois ans d'entraînement auprès de Jiraya.

La recherche effrénée de Sasuke.

Puis la guerre.

17 ans de vie et de souvenirs... C'était si peu...

Mais si rempli.

Son corps fendait l'air et avalait à une grande vitesse les nombreux mètres qui le séparait du sol. S'il ne faisait rien, Naruto s'écraserait et se briserait sur le sol d'ici quelques secondes.

Mais il n'avait pas envie de faire quoique ce soit pour empêcher l'inévitable. Il ne sentait déjà plus son corps.

- Merci pour tout, souffla-t-il faiblement.

Naruto ferma les yeux.

Alors que le sol était plus que proche, le disciple de Jiraya sentit une immense force s'engouffrer en lui. Puis plus rien.

Juste le vide.

Un vide immense et des ténèbres.

Le temps d'une seconde, la vie quitta son coeur.