Chapitre 18



L'obscurité la plus opaque n'accueillait ni le Mal ni les démons infernaux. Même en Enfer, chacun apprenait à craindre ce qui s'y cachait. Dans l'ombre, il n'existait qu'une réalité : rien. Et rien n'était aussi terrifiant que rien.

Evidemment qu'Adam était dangereux, évidemment qu'il pouvait être aussi effrayant que le Mal et ses multiples reflets. Evidemment que les dieux eux-mêmes ne prenaient pas à la légère la menace qu'il laissait planer au-dessus de leurs têtes comme une épée de Damoclès. Evidemment. Il ne lui manquait que peu de chose pour parvenir à ses fins.

Lolita avait peur de bien de chose. Des vampires, des humains et de redevenir une enfant. Son angoisse la plus profonde serait toujours celle de perdre à nouveau Amarok. Mais jamais Adam ne serait à la hauteur de ce que l'obscurité accueillait en son sein. Ce qu'il y avait là... Lolita l'avait un jour effleuré et elle espérait que plus jamais cela n'arrive encore. Être redevenue Calice, en plus d'être une sorcière particulièrement douée, l'aidait autant à fuir ça qu'à le percevoir davantage. Les récents évènements ne firent qu'empirer la situation.

La rupture du contrat de Lilith, le retour de la mémoire des Alfes, Adam se rapprochant de son désir de devenir un dieu...

Ça ne pouvait pas être un hasard.

Elle ferma un instant les yeux, faisant face à cette noirceur. Si sombre qu'on n'y percevait que le vide. Pourtant, quelque chose se tapissait là. On le sentait, on le savait, mais on ne le voyait pas. S'aventurer sur ce chemin pourrait bien être dangereux, d'autant que le chemin n'existait pas.

Mais si l'on tendait l'oreille, que l'on prêtait attention à ce silence pesant et lourd d'une pesanteur bien étrange, on pouvait entendre. Des cognements. On frappait à une porte.

Où était cette porte ?

Elle est là.

Où donc ?

Toc, toc.

Tendre la main était facile, ouvrir aurait pu être tout aussi accessible pourvu que l'on puisse apercevoir l'entrée.

Qui était donc à la porte ?

Qui est là ?

Qui est à la porte ?

Un sourire...

La sorcière rouvrit aussitôt les yeux. Non, vraiment, rien n'allait. Ces derniers évènements semblaient faire revenir un être plus terrifiant encore. Une création qui n'en était pas une.

— Les Hommes sont devenus encore plus stupides qu'avant, se moqua Adam en regardant plusieurs journaux depuis son ordinateur.

— Ils ne sont pas plus stupides, ils n'ont jamais été intelligents.

Il se tourna vers elle. Stupide d'attirer son attention mais si tentant...

— Je vais te confier un petit secret.

Il tourna l'écran de son ordinateur vers elle. Lolita se trouvait assise sans autre lien qu'un cercle magique au centre duquel elle se trouvait piégée. Aussi, elle n'eut aucune autre occupation immédiate que celle de regarder une page web. Une découverte scientifique parmi tant d'autres. Une découverte récente supposée rendre le monde meilleur. Comme toujours.

— Tu sais à quel point j'ai été proche de Dieu, n'est-ce pas ? Ou peu importe le nom que tu lui donneras. Eh bien ceci, pointa-t-il du doigt la découverte. Ceci est un don qu'il nous avait offert. La science.

Il tourna à nouveau l'ordinateur vers lui.

— Il s'agissait d'un cadeau pour nous permettre de comprendre la Création. Ça en a énervé plus d'un parmi les dieux. Heureusement pour eux, les humains préfèreront toujours détruire et tuer en leurs noms plutôt que d'évoluer.

— Tu n'es pas si différent.

Il leva ses yeux vers elle, attendant sans doute qu'elle exprime le fond de sa pensée. Mais cette fois, Lolita le vit. Elle venait de franchir la limite.

— Non, surtout ne te réfugie pas dans le silence, se leva-t-il de sa chaise pour la rejoindre. En quoi serais-je semblable à ces créatures souillant leur libre arbitre tout en méprisant les dieux et leurs cadeaux pour mieux les vénérer ?

Il se dégageait de l'homme une fureur silencieuse, invisible. Ce calme qu'elle connaissait si bien. Le calme cachant la colère et la capacité à l'anéantissement.

Elle déglutit péniblement, se décidant tout de même à parler.

— Tout ce qui t'anime depuis toujours n'est que la destruction. Tu méprises celui qui t'a donné la vie, tu méprises ceux qui créa par la suite et tu uses des présents de la Création pour simplement les souiller d'un but impure.

Il eut un petit rire amusé qui la glaça.

— Calice, l'objet divin ayant trouvé son indépendance dans le désir des dieux.

Sa main traversa la cercle. Elle n'eut pas l'occasion de s'échapper alors qu'il se saisissait d'elle par la gorge, l'approchant contre la paroi invisible formée par ce cercle enchanté.

— Calice, écoute-moi attentivement parce que je n'aime pas me répéter.

Et elle écouta.

—Tu es peut-être l'une des choses les plus précieuses de ce monde, mais tu restes un objet. Tout au plus un jouet entre mes mains. Et je suis le genre d'homme capable de casser ses jouets.

Le message fut suffisamment clair pour qu'il daigne la relâcher. Elle tomba au sol au moment où la porte de la chambre s'ouvrait.

Eve apparaissait.

Presque chétive, comme dépourvue d'âme tant elle avait été remodelée par Adam, elle était sans aucun doute la créature la plus misérable que le monde ait vu naitre. L'erreur de Dieu avait été d'aimer Adam. L'erreur de Lilith avait été de ne pas se battre à ce moment-là.

Si elle n'avait pas pactisé avec Lucifer, si elle avait décidé de se battre contre Adam et de le détruire, sans doute Dieu aurait-il été en fureur. Mais jamais il n'aurait touché à une Alfe. En ce temps-là, la plupart des dieux étaient de même puissance. Et une Alfe était précieuse aux yeux de n'importe quel être divin.

Mais celle que l'on appellerait plus Lilith aujourd'hui avait eu peur autrefois. Et à présent il était trop tard.

— Adam...

— Elle viendra, coupa-t-il sa femme en se réinstallant à son bureau.

— Lys a réveillé un premier cavalier. Si elle...

Il braqua ses yeux sur Eve. Aussitôt, cette dernière se tut.

—Me prendrais-tu pour un idiot ?

— Je n'ai jamais... Je suis désolée.

— Elle appellera tous ces cavaliers et je les détruirai tous. Sais-tu pourquoi ?

Sa main pointa Lolita.

— Parce que j'aurai la puissance d'un dieu. Elle n'aura alors plus d'autres choix que de se soumettre et de m'offrir la légitimité dont j'ai besoin pour le sort.

— Et si elle refuse ?

— Je tuerai son ange. Elle ne m'a pas affronté à l'époque par égard pour sa fonction auprès de Dieu. Elle serait prête à tout pour sauver ce moucheron. Même à me laisser devenir un dieu.

Puis il se tourna de nouveau vers Lolita.

— Maintenant, à nous deux.

Eve s'approcha à son tour, tout comme l'homme. Elle ferma de nouveau les yeux.

— Adam, tu n'échapperas pas à sa fureur.

Sur ces dernières paroles, elle sentit la main d'Adam lui traverser le corps. L'instant d'après, Calice reprenait une forme paralysante qu'elle avait souhaité ne jamais retrouver. Elle était redevenue un objet. Un attribut divin.


***


Conquête était revenu parce que je le lui avais demandé. Sa couronne sur la tête, en roi des rois, il se montrait tout de même fidèle à Dieu et se soumettait à l'Agneau, titre que je portais à présent.

— Je pensais que tu prendrais davantage ton temps avant de poursuivre ton devoir, me confia-t-il.

— Je n'ai pas le temps d'attendre.

Aussi, je joignis mes mains, me mettant à prier des paroles divines. L'instant d'après, un cheval de la couleur du feu. Celui qui le chevauchait était un guerrier dont la longue épée ne demeura pas dans son fourreau. Il l'en sortit, pointant le ciel. Alors la foudre tomba, assombrissant le ciel.

Guerre venait d'apparaitre pour arracher toute paix sur Terre.

Descendant de son cheval, il me prit la main pour y déposer un baiser.

— Bonjour petit Agneau.

— Bonjour, Guerre.

— Je te savais aimer la destruction, mais l'Apocalypse... Tu es plus vilaine que je ne l'espérai, ma Reine infernale.

Aussitôt, Gabriel m'arracha loin du Cavalier entreprenant, allant jusqu'à déployer ses ailes pour m'isoler du reste du monde.

— Elle n'est plus une démone, elle n'est plus une Reine.

— Et un Archange pour amant... Je suis assez heureux d'avoir pu assister à ça durant mon éternelle de vie.

Gabriel fini par retirer ses ailes sans pour autant me relâcher. Ce n'était son manque de confiance en moi qui le rendait jaloux mais l'idée que d'autres puissent être intéressés par celle qui fut autrefois un magnifique succube.

— Gabriel, tout va bien.

Mais l'homme-robot, malgré le retour de son inexpressivité, ne sembla pas se calmer. Ma main se glissa derrière sa nuque, l'attirant près de mes lèvres.

— Je pourrai également me montrer vilaine avec toi, mon ange.

Il rougissait... Il rougissait vraiment !

S'écartant de moi, sa propre main pour protéger son visage, il préféra s'appuyer contre un meuble et tourner le dos aux spectateurs de cette nouveauté.

Ma main se glissa de nouveau dans la sienne.

— Guerre, va et sème le chaos ! En compagnie de Conquête pour t'épauler, ça ne pourrait qu'être la promesse d'une Apocalypse magnifique.

Les deux disparurent bien vite sans plus de discussions, ne laissant que moi, Gabriel et ma sœur...occupée à faire la dentition de Lucifer.

— On m'avait dit que tu étais un vampire il y a quelques années. Pourquoi tu n'as plus de canine ?

Elle sursauta au moment où Lucifer laissait poussé des crocs.

— Oh, tu es vraiment une énigme, une splendeur de la nature. Et tes ailes ?

Il s'amusa à satisfaire la curiosité de la rouquine détraquée, sans doute ravie de pouvoir se pavaner comme un paon devant une personne vraiment intéressée. Il s'agissait du moment idéal.

— Viens, attira-t-elle Gabriel pour les éloigner des deux individus.

Se glissant entre les portes entrouvertes, ignorant les distances imposées par les couloirs et le grand nombre de pièces en ce palace appartenant au prince de l'Enfer, je nous emmenais dehors. Le jardin fut ma destination.

Gabriel ne broncha pas lorsque je le tirai pour le domaine des roses. Nous perdant dans ce labyrinthe, je finis par m'arrêter dans un charmant lieu. Une petite fontaine à l'eau claire et des bancs de pierres, les roses ici arboraient une couleur immaculée. Ma main finit par lâcher celle de Gabriel. Je m'installais au bord de la fontaine.

— Lucifer a créé un jardin entièrement composé de roses. Est-ce que tu sais pourquoi ?

Il ne semblait pas que la question intéressait l'archange ignare et jaloux.

— A cause de toi.

Je me levais pour cueillir l'une de ses fleurs.

— Je ne sais pas si tu te souviens, mais lorsque nous étions... Lorsque j'étais encore... Avant que je ne pactise avec Lucifer, que nous étions seulement amoureux, tu m'offrais ces fleurs. Tu me disais les avoir dérobé du jardin d'Aphrodite...

— ....parce qu'elles sont les fleurs créées du sang de la déesse de l'amour. Elles sont les fleurs de l'amour, entachées par le sang de deux corps unis lorsqu'elles prennent une teinte écarlate. Je me souviens.

A son tour, il s'approcha. Sa main me déroba la belle fleur blanche.

— Notre amour a donné de l'espoir à Lucifer, celui de pouvoir aimer et être aimé de Mikhael. Même de sa mémoire perdue, il lui était impossible d'oublier cet espoir. La rose est pour lui le symbole de ce que nous représentons.

— Et que sommes-nous supposés représenter ?

— L'amour, le premier lien d'Alter Ego.

Obligeant Gabriel à s'asseoir sur l'un de ses bancs, je m'appuyais à ses genoux, plongeant sur son visage. En tentatrice, je ne fis qu'effleurer ses lèvres pour l'affamer sans l'aider à satisfaire sa faim montante.

— Tu es cruelle.

— Et tu ne connais pas le pire de moi.

Je m'éloignais de quelques pas, me dirigeant vers la fontaine pour y plonger lentement, sans hésitation. Mes grandes ailes se déployèrent et Gabriel se releva brusquement, laissant tomber sa fleur.

— Tu...

Mon corps se perdait dans une étrange transparence. Au contact de l'eau, qui savait si mon corps se trouvait bien ici ? Mais si mes ailes aussi semblaient ne plus être totalement présentes, perceptible à la manière d'un mirage, d'une hallucination, l'eau n'y était pour rien.

Le Soleil, la lumière me confondait et me protégeait du monde.

— Nous nous sommes connus dans un rêve, Gabriel. Toi, le visiteur des songes et moi en créatrice de ces derniers.

Ce qu'il voyait, seules mes sœurs en avaient connaissance puisqu'à leur manière elles aussi possédaient cette énergie désirée par Adam.

Gabriel me tendit la main, mais finalement choisit de me soulever par la taille afin de me sortir de la fontaine. Il me conserva dans son étreinte, admirant cette apparence irréelle.

— Est-ce... toi ?

— La plus réelle de mes apparences. Un rêve...

— Un rêve si réel.

Cette fois-ci, il n'y eu plus aucune tentation ni aucun jeu. Gabriel m'attira, refusant de laisser échapper cette chance. Ses lèvres s'entrouvrirent pour un doux baiser. Il m'embrassait, me gardant dans son étreinte qui n'avait rien de contraignante.

Nous nous étions rencontrés dans un rêve.

Mais la réalité finit toujours par rattraper les rêveurs.

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