Chapitre 16


Pour une Alfe, peu importe les évènements de sa vie, les malédictions qu'elle subirait, il existait une chose qu'on ne pourrait jamais lui arracher. La raison même de sa venue au monde. Cette chose, c'était un souvenir. Celui de sa naissance.

La naissance d'une Alfe demeurait un mystère pour le monde. Elle naissait d'une énergie inconnue, menait une vie à la raison inconnue, vivait de manière inconnue. Elle pouvait vivre sans manger, sans boire, survivait en solitaire ou en groupe, n'avait besoin ni de soleil ni d'obscurité. Elle vivait et un jour, peut-être, elle périssait. Sa mort pouvait être aussi mystérieuse que classique. Tout dépendrait de son assaillant. Il en était de même avec leurs capacités et leurs aptitudes.

Une Alfe possédait des ailes et des yeux de la couleur des lilas. Son nom était un reflet de son identité. On les savait également dotées de jeunesse éternelle et d'immortalité. Certaines d'entre elles se liaient avec la terre. Comme moi. Les Fées de la Vie.

Ma naissance, je m'en souvenais avec une précision possédée pour aucun autre souvenir. Je me souvenais de la peur et de la tristesse. De la douleur aussi. Les Alfes possédaient une plus grande résistance à la souffrance, cela n'était pas sans raison. Mais ensuite, il y avait eu comme un flash de couleur. Une multitude de teintes dont le mélange ne donnait qu'une obscurité rayonnante et éclairante. Et une voix. Sans parole, sans langage, elle avait murmuré un réconfort. Je n'étais pas seule, je possédais une mère, une déesse créatrice.

Mes yeux s'étaient ouverts sur la lumière d'un soleil magnifique. Sous le feuillage épais d'un arbre, la tête reposant sur les genoux d'une femme, les rayons de l'astre perçaient par moment. Le visage de la femme était souriant, et celui de toutes les autres aussi accueillants.

« — Je suis Eden, l'une de tes sœurs. Ta sœur ainée. »

Une famille.

« — Et toi, tu es Lys. »

Voici comment j'étais venue au monde. Rien de plus, rien de moins. La plus merveilleuse et parfaite des naissance.

Avec mes sœurs, la vie avait été merveilleuse. Nous avions assisté à tant de chose. A la création des univers, à celle de la vie. Et puis un jour, à celle des humains. Chaque dieu avait créé son peuple, les laissant vivre sur des terres merveilleuses avant de finalement les abandonner à l'évolution terrestre dont la science nous révélait les secrets petit à petit.

Mais avant cela, il y avait eu Adam.

Ma curiosité avait été grande et Adam se trouvait être curieux. Une erreur qu'aujourd'hui je regrettais mais qu'en ce temps je ne percevais pas comme un danger. Son dieu créateur lui avait offert un don merveilleux. Celui des mots et de leur pouvoir. Par ce dernier, j'avais succombé. Mais son regard si étrange avait ranimé mes instincts pour me prévenir, m'alerter du danger collant à la peau de ce premier des Hommes. Ce qui m'avait sauvé de la peur, alors même que mes sœurs le pensaient être bon, c'était un rêve. Une nuit, un ange avait pénétré mes songes.

Un si doux rêve... J'y avais vécu durant plusieurs nuits la plus parfaite des vies en compagnie d'un ange d'une grande gentillesse et prévenance malgré sa froideur apparente. Il m'aimait, je l'aimais. L'amour était aussi simple que ça.

Et comme toujours, Adam avait tout détruit.

Aujourd'hui encore, je devais fuir mon amour et mes désirs. A cause de lui.

— Lys, si tu penses encore à cet emplumé d'ange à la con, je te plume les ailes, menaça Shany en remontant ses lunettes de soleil sur la tête.

Mais c'était plus fort que moi. En cet instant, il devait certainement avoir eu vent de ma disparition. Je pouvais sans peine l'imaginer en colère. Si Gabriel était capable d'une telle maitrise de ses émotions devant ses frères au point de paraitre tel un robot, jamais me dire avoir le pouvoir de le pousser à un panel d'expressions habituellement inexistant.

Depuis qu'il avait recouvré la mémoire, l'archange avait tendance à dévoiler facilement ce qu'il ressentait. Non, en vérité cela avait commencé le jour où ce dernier avait cédé à mes provocations tentatrices de succubes désinvoltes. Peut-être était-il resté un robot devant ses frères, lorsque je ne me trouvais pas auprès de lui ? Peut-être que non ? Comment le savoir alors que dans ces moments je ne me trouvais pas à ses côtés ? Egoïstement sans doute, j'en venais à croire qu'il ne montrait tout ça qu'à moi. A moi et à personne d'autre.

— Ceci est plus ou moins exact, Lili.

Je pivotais rapidement pour observer la personne venant d'arriver. Shany et moi étions toutes deux allongées sur une chaise une longue, non loin de la mer, protégées par un parasol immense. D'après Shany, il fallait vivre la vie comme elle venait. Ne pas s'occuper des problèmes et les détruire s'ils tentaient d'apparaitre.

Derrière nous, une personne toute autant désinvolte s'approchait jusqu'à nos boissons installées sur une petite table. Elle en prit une.

— Délicieux. Vous ne vous refusez rien.

— Lezia, que fais-tu ici ?

Lezia cessa d'aspirer le contenu de ma boisson avec le paille, reposant le verre.

— Rien de spécial, moi aussi je me cache des anges. Et quoi de mieux que cette île paradisiaque aux multiples protections anti-monstres ? Quoiqu'avec toi dans les parages, il va être difficile pour moi de continuer à me cacher.

En quoi aurais-je été la responsable ?

— Oh mais parce que ton Gabriel est ton Compagnon Eternel, l'alter ego des fées. Autrement dit, votre lien est puissant. D'autant plus que chacun de vous deux à accepter l'autre comme étant son partenaire. Par conséquent, il te retrouvera, peu importe où tu iras. Et puisque tu ne sais pas comment détruire ce lien ni comment empêcher Gabriel de te retrouver par ce biais...

Elle haussa des épaules après avoir de nouveau répondu à une question se trouvant dans ma tête. Lire dans les pensées étaient un gains de temps considérable, surtout lorsque l'on avait la flemme de poser les questions à voix haute.

Lezia tendit de nouveau la main, cette fois pour prendre la boisson de ma sœur, mais elle stoppa son geste pour se tourner vers elle.

— Je suis persuadée que ton désir de me tuer sera bien réel. Par contre, il est peu probable que tu parviennes à un quelconque moment à ce miracle.

— Ne sous-estime par une Fée de la Vie, pétasse voleuse de boisson.

— Je ne sous-estime pas votre espèce. Mais une Alfe sera toujours inférieure à une créature divine.

Par divine, il était certain que Lezia ne devait pas sous-entendre autre chose que l'aspect « dieu » de sa nature.

— Les anges ont affirmé que tu étais une prêtresse.

— Les anges affirment ce qu'ils veulent tant que ça les arrange.

— Lezia, si tu es une divinité, tu pourras peut-être m'aider dans ce cas.

— Non, non et oui

— Non ?

— Je t'explique. Non, tu ne peux pas esquiver la mort. Non, je ne peux pas t'en sauver. Mais oui, tu peux être sauvée. D'ailleurs, le dieu de la mort égyptien t'as déjà expliqué que ton âme n'était pas en danger, n'est-ce pas ?

En effet, il me l'avait avoué.

— En gros, tu es aussi inutile que le reste des dieux, en conclut Shany en reprenant sa boisson avant que la « déesse » ne s'en empare.

— Les dieux contrôlent difficilement le Destin. Et je ne suis pas une divinité de la destinée.

— Alors quel genre de déesse tu es ?

— Bonne question.

Elle s'installa devant nous, sur le sable, face au soleil aveuglant de l'île paradisiaque. Des vacances improvisées par Shany que j'avais cru ne pas être véritablement consciente de la situation problématique dans laquelle je me trouvais. Mais d'après ce qu'en révélait Lezia, l'île était particulière.

— Elle l'est, intervint de nouveau celle qui s'auto-proclamait divinité. Il s'agit d'un refuge de monstres riche fuyant le monde des monstres.

— Mais si tous les monstres venant ici fuient des monstres, alors pourquoi les monstres les recherchant ne viennent pas.

— Ah ça, c'est enfin une excellente question. Le système de protection est génial ici. Ne l'as-tu pas remarqué ? Vous êtes les seuls monstres, entourés de touristes humains.

En effet, pour un refuge de monstres, c'était assez étrange.

— Aucun monstre qui ne l'est pas autorisé ne peut se rencontrer. Moi je suis spéciale comme personne, donc je fais ce que je veux et je peux voir absolument tous les monstres qui vivent sur l'île. Mais pas les anges. Le seul problème, je le répète, c'est que Gabriel te retrouvera.

Finalement, il s'avérait inutile de se cacher. Gabriel me ramènerait immédiatement au Paradis s'il me retrouvait. Et ça, je ne le voulais pas.

— Le Paradis est pourtant l'endroit le plus sûr pour toi, continuait Lezia sans prendre en considération l'intimité de mes pensées. Adam ne peut pas y entrer. Ou plutôt, il ne peut plus entrer dans le jardin d'Eden. Son accès lui est interdit.

— Mais Adam est intelligent et toutes les créatures ne sont pas interdites d'accès à jardin de ma sœur.

— En effet. Et le Destin trouve toujours un moyen de provoquer sa fatalité.

En effet, Lezia avait raison.

Alors, lorsqu'un frisson parcouru mon corps, mes instincts me prévenant d'un danger imminent, je me relevais immédiatement. Au loin, je pouvais le voir qui approchait.

— Bon, je vous laisse. Je n'ai pas envie d'être dans les parages. Bon courage.

Et aussitôt, Lezia partit, accompagnée par la plupart des humains qui semblaient animés par la même angoisse que cette dernière, nous laissant Shany et moi face à les pires menaces que le monde puisse connaitre. Celle d'un homme. Un humain. Celle d'Adam, le premier homme du trio monothéiste.

Il arrivait à quelques mètres de moi, ce même sourire trompeur sur le visage qu'autrefois.

— Bonjour Lys. Tu m'as manqué.

Quelque chose sifflait dans mes oreilles alors que chaque son disparaissait. Je connaissais les sensations soudaines qui m'envahissaient. Elles m'avaient habité si souvent avant que Lucifer n'accepte de me protéger par un contrat. Il s'agissait de la peur.

A ses côtés, une femme bien terne se tenait presque courbée, liée à toute jamais à Adam. Eve, la femme désespérant l'amour de son époux au point d'accepter de faire n'importe quoi pour lui.

— Je peux te pardonner de m'avoir ôté la mémoire, Lys. Tu n'as pas avoir peur de moi.

Et il me tendit la main. Comme autrefois.

Je secouais de la tête. J'aurai dû écouter Gabriel, rester auprès de lui, parce qu'à présent je devais affronter mon pire cauchemar. Seule, sans sa lumière pour me guider ni ses bras pour me protéger. Lilith la Reine des succubes n'avait pas besoin qu'on l'aide. Ni Lys, Fée de la Vie. Mais chacun avait ses peurs et ses faiblesses. La terreur de mon existence se trouvait là, devant moi. Que pouvais-je bien faire à l'exception de me pétrifier sur place et de trembler de peur ?

Il y avait bien une chose. Une seule autre chose.

— Lys, cesse de me repousser. Cet ange t'a monté la tête contre moi.

Le fait était pourtant que Gabriel n'avait jamais rien dit ni pensé de mal concernant la création de son Père. Il n'avait encore jamais eu vent des projets d'Adam jusqu'à présent. Alors non, il n'avait jamais tenté de me monter la tête contre lui. Jamais.

Je fis un pas en avant, posant ma main à la gorge. Anubis m'avait prévenu que mon âme serait sauve. Pour ce faire, je n'avais qu'un seul choix immédiat.

— Non, Lys ! hurla alors Shany.

Trop tard pour ma sœur pour m'empêcher quoique ce soit. Mes mots sortirent d'eux-mêmes dans un langage oublié des Hommes. Une citation connue seulement des croyants. Et mes griffes égorgèrent. Le geste fut rapide et l'entaille trop peu profonde pour mettre en danger ma vie. Mais le symbole était là, le sang coulait sur le sable.

La main d'Adam retomba le long de son corps, la fureur sur le visage.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

Le ciel s'obscurcit, l'air devint menaçant. Et au loin, il surgit un cavalier. Installé sur son cheval blanc, il prenait l'apparence d'un sauveur, d'un berger. Certains y voyaient là l'apparition du Christ. Ceux-là seraient trompés et le Paradis ne leur ouvrirait pas ses portes. Ce qui arrivait au galop n'était pas le Christ, mais Conquête. Il ne s'arrêta qu'après être arrivé près de moi.

— L'Agneau sacrifié qui aura brisé le premier sceau... Je ne pensais que ce dernier serait un sacrifice aussi précieux.

Il prit ma main, faisant un baisemain des plus gentleman.

— L'Agneau doit ouvrir chacun des Sceaux. Il ne peut mourir dès maintenant.

— L'Agneau est censé mourir et déclencher l'Apocalypse depuis les cieux.

— On peut faire dire tout et n'importe quoi d'un texte. Un texte écrit par un homme ayant eu des visions. Ce qu'il a vu, il l'a interprété également. Ce qu'il a écrit, il ne l'a pas rédigé exactement comme aujourd'hui on nous le traduit.

Mais les symboles étaient une vérité. Tant qu'on y croyait, ils avaient du pouvoir.

Conquête à la peau d'albâtre se tourna vers Adam.

— Serais-tu la raison de la destruction du monde ?

Puis il partit pour faire ce pour quoi il avait été créé. Conquérir le monde.

Furieux, Adam sortit une épée. Un objet légendaire qu'il n'aurait pas dû posséder entre ses mains. Excalibur non plus ne désirait pas être asservie ainsi.

Il avança jusqu'à moi, prêt à se battre. Et soudain, une autre épée fit barrage. Enflammée et étincelante, son porteur était un être majestueux. Un ange de lumière, venu pour protéger un Agneau, pour sauver une Alter Ego.

Gabriel était venu pour moi.

Il repoussa Adam, levant sa main pour m'attirer contre lui. Il tremblait. Ses grandes ailées dressées tremblaient.

— J'ai cru te perdre.

— Je vais bien.

La vérité n'était pourtant pas aussi simple. Mais en cet instant, je me sentais réellement bien. Gabriel était là, je me trouvais dans son étreinte. Rien n'aurait su me détourner de ce bonheur de quelques instants.

L'archange dressa son épée devant Adam.

— Adam, mon Père t'a rejeté. Tes actions sont une menace pour le domaine des dieux tout entier. J'ai l'autorisation pour te détruire.

— Un ange tuant un humain n'a qu'un seul avenir.

Adam avait raison, Gabriel ne pouvait pas se permettre de le tuer. S'il le faisait, qu'importe les autorisations, il deviendrait un déchu. J'avais suffisamment côtoyé l'Enfer pour ne pas vouloir de Gabriel là-bas. Lucifer avait amené son archange et les deux y semblaient heureux. Mais mon amour n'était pas aussi cruel au point de condamner mon ange à la damnation éternelle. Alors même que le Paradis était son chez lui.

— Lui ne peut pas, mais les Cavaliers le peuvent.

Alors je croisais mes mains, menaçant d'appeler de faire sauter dès maintenant le second saut de l'Apocalypse. Adam ne prit pas le risque. Il partit.

A présent, j'étais armée. Une arme mortelle. Celle de l'Apocalypse. Avec elle, mon âme serait sauve. Voici tout ce qui importait.

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