Chapitre 15
Première chose à faire lorsque l'on venait de se souvenir de toute sa vie et de sa sœur menacée par un psychopathe ambitieux ? Sauver sa sœur. Mais Lys se trouvait ailleurs, en sécurité sans aucun doute. Autrement dit, elle n'était pas là.
Que faisait-on lorsque la première chose à faire devait être mise en suspens à cause de l'absence de sa sœur en détresse ? Manger, boire, draguer et se battre. Pour ce qui était de manger, Shany avait déjà bien trop abusé, et concernant la boisson... Disons qu'elle se demandait si elle possédait une vingtaine de doigts ou s'il s'agissait seulement de sa vision troublée. Draguer, elle avait dû le faire même si elle ne s'en souvenait pas. Quant à se battre...
— Petite, tu ne tiens même pas debout. Arrête un peu et décuve.
Mais essayer de raisonner la grande Shany aux talons aiguilles meurtriers et aux yeux enflammés était aussi facile que d'apprendre à un poussin à dire autre chose que piou-piou. Ou que de débattre sur un sujet philosophique avec un singe. Ou bien de...
La main de l'homme s'approcha et je fis un pas chassé sur le côté en lançant un « Hop-là, loupé » à l'encontre du beau blond.
— Allez, j'vais te... te mettre la misère, Gargamel. Tu mangeras pas mes Schtroumpfs.
— Pourquoi est-ce que je dois toujours m'occuper des idiots ne tenant pas l'alcool ?
Mais lorsque l'homme reçu un coup violent au visage au point de lui faire saigner le nez, ses yeux changèrent très vites de couleur.
— Oh merde... Oh merde...
Shany décuva en une fraction de seconde alors que devant elle l'homme révéla une partie de sa nature non-humaine. Certes, elle avait choisit un bar pour monstres. Mais elle ne pensait pas tomber sur un monstre destructeur !
La peau de l'homme rougissait alors que ses cheveux se mettaient à flotter tels des flammes incandescentes. Son regard de braise ne montrait que de la fureur alors qu'il l'empoignait par le col. Il était brûlant. Shany aussi.
— Béhémoth, calme-toi, intervint alors une voix masculine.
Un homme élégant venait d'apparaitre. Un autre barman aux longs cheveux platines. A ses côtés, une femme lui ressemblant tenait son plateau de serveuse et de ses deux mains tenant fermement l'objet, elle frappa Béhémoth. Ce dernier reprit son apparence humaine, révélant la ressemblance frappante entre les trois individus.
— Léviathan, espèce de brute, grogna tout de même Béhémoth.
— Chère cliente, nous sommes navrés pour le comportement déplacé de notre frère.
Béhémoth, Lévianthan... L'homme aux longs cheveux devait être Ziz.
Ziz prit Shany par la main, l'incitant à revenir s'asseoir à l'intérieur pour sans doute prendre une consommation gratuite afin de faire pardonner le comportement de Béhémoth. Mais ce dernier arracha la main de Shany à celle de son frère.
— Petite, pas plus de boisson pour toi ce soir. Rentre chez toi, je vais t'appeler un taxi.
Le monstre était encore bouillant. Une personne normale aurait sans doute supplié pour qu'on la lâche à cause de cette morsure brûlante. Pas Shany, qui livra son propre regard rubis à l'homme. Elle aussi était capable de s'enflammer si elle le voulait.
Mais tandis qu'elle s'apprêtait à se battre, tout disparu dans son esprit. Une sensation rafraichissante envahit son esprit. Une présence s'insinuait en elle. Shany n'avait plus ressenti ça depuis des millénaires et bien plus encore. Alors un sourire étira ses lèvres. Elle s'écarta des trois frères capables à eux seuls de détruire le monde. Elle la sentait en elle.
Eden...
Shany ferma les yeux, laissant sa sœur lui transmettre sa demande. Et elle su ce qu'elle avait à faire.
***
Les dieux convoitaient les prières. Sans elles, ils pouvaient vivre. Bien sûr, ils ne dépendaient pas d'elles pour leur survie, ni à la manière de l'eau permettant à un être vivant de ne pas dépérir. Il ne s'agissait pas de quelque chose de vitale.
Mais ce n'était pas sans raison que les dieux étaient entrés en guerre, pour ces prières.
S'il était vrai que rien ne se créait à partir de rien, s'il était vrai que tout ne se résumait qu'à des transformations et des évolutions, que chaque créature possédait ses compétences, ses dons et ses faiblesses, une seule énergie semblait déjouer toutes les règles du monde. La prière était puissante, offrant son énergie à l'être pour lequel elle se destinait. Une énergie dont la source intarissable ne connaissait pas de point d'origine, de créateur étrange. Une puissance que le prieur formait à partir de rien, seulement de ses émotions et de sa foi.
Avec les prières, les dieux gonflaient leur puissance. Certains avaient choisi la stratégie de s'unir en panthéon, d'autres de posséder plusieurs identités. La plupart des dieux solitaires avaient été oubliés. Et il y avait le Père de Gabriel et de tous ses frères. Un dieu cumulant divers noms et ayant fait la stratégie de permettre à ses anges de recueillir les prières pour lui. On pouvait prier auprès d'un ange. Et ce dernier pouvait répondre à la demande. Mais la puissance laissée par la prière reviendrait toujours au Père.
Une stratégie ingénieuse.
Il était bien trop peu d'individu, même parmi les créatures non-humaines, qui avaient connaissance du fonctionnement des prières, de leur véritable utilité. Bien malheureusement.
Si je faisais partie des personnes bien renseignées sur le sujet, je ne le devais que par ma nature. Une Alfe ne naissait pas d'un dieu. Une Fée de la Vie venait au monde par le biais d'une toute autre force bien plus mystérieuse. Moi et mes sœurs avions sans doute été parmi les premières à connaitre les prières, à en faire. Et parmi nous, certaines s'en étaient nourris. Comme Eden.
Le bel arbre ne présentait qu'un témoignage du passé. Mais à mes yeux, ma sœur s'y trouvait encore, capable de réceptionner une prière et d'y répondre. Alors je priais, encore, espérant que quelque chose en elle puisse s'éveiller. Espérant qu'elle puisse m'entendre et me venir en aide.
Je devais sortir d'ici.
Soudain, un bruit se fit entendre. Cela ne provenait pas du jardin mais d'ailleurs. Comme un coup. Le bruit se produisit de nouveau, plus fort, plus proche. Puis une troisième fois. Et lorsqu'il fut assez proche, je pus sentir le sol trembler. Il s'agissait d'explosion !
Et brusquement, une partie du jardin se détruisit dans un boum puissant, faisant voler en éclat un mur de ma prison magnifique. Dans la fumée et la poussière soulevées, une silhouette s'avançait pour prendre une pose de héros badass. Main sur la hanche, bazooka soulever facilement dans l'autre, son sourire tenait un cigare entre les dents. Ses cheveux rouges étaient attachés en une queue de cheval haute, laissant les grosses et lourdes boucles tomber sur ses épaules. Ses yeux lilas, semblables aux miens, luisaient légèrement d'une braise excitée. Shany venait d'apparaitre.
— Et la foule est en délire alors que la grande Shany éblouis les tribunes de sa beauté, s'auto-acclamait-elle en se mettant à imiter des cris d'une foule imaginaire de spectateurs. Allez p'tite sœur, on s'casse du pigeonnier.
— Shany, comment... Comment es-tu entrée ? Attends, mais pourquoi tu es venue d'ailleurs ?
— Pas l'temps de niaiser, comme dirait les canadiens.
— Québécois.
— Quoi ?
— Les québécois, pas les canadiens.
— C'est pas pareil ? Bah, on s'en fout, les humains sont tous pareils de toutes façons.
Préférant ne pas m'attarder sur des futilités pourtant amusantes, je rejoignis Shany, lui prenant au passage son cigare.
— Tu te refuses rien. Un cigare Samedi ? Vraiment ?
— Je crois que j'ai dragué le Baron Samedi aujourd'hui. Mais je n'en suis plus certaine, j'étais bourrée.
— T'es encore bourrée ?
— C'est possible. Mais t'inquiète, je gère.
Nous sortions par la porte de sortie créée avec le lance-roquette de ma sœur. Quelques anges vacillaient et toussaient, mal en point.
— Je leur avais pourtant demander de ne pas me faire chier, soupira Shany, désespérée que les anges n'aient pas écouté ses mises en gardes.
— Tu connais les anges. Trop coincés pour se laisser aller...
— Et trop frustrer pour réfléchir autrement qu'en écoutant le Grand Manitou, compléta-t-elle notre expression. Bon, la sortie est là.
— Où ?
Elle arma son bazooka, visant le sol plus loin et tirant. Un énorme trou se forma.
— Là.
Toujours dans la délicatesse.
— Si aucun chemin ne te mène à destination, alors créé ta propre route.
***
Une solution. Voici tout ce qu'il avait à offrir à sa fée de la Vie. A son Alfe. Gabriel avait cru que trouver un moyen d'aller contre une prophétie serait plus long, qu'il en aurait eu pour une éternité. Mais avoir Sandalphon pour aide était un trésor précieux. Grâce à lui, Gabriel sauverait rapidement Lily et lui redonnerait sa liberté de vivre sur Terre, chez les hommes.
Il avait conscience qu'elle n'aimait pas le Paradis. Et encore moins le jardin d'Eden, un lieu funèbre pour une Alfe puisqu'Eden avait été l'une de ses sœurs. La première d'entre elle.
Lily, sans haïr pour autant ce jardin, devait sans aucun doute rester accolée au bel arbre dont les fruits défendus étaient une tentation de chaque instant. Tout en demeurant ainsi le dos contre le tronc solide, assise entre les racines du vestige de sa sœur, se noyait-elle dans le passé qu'elle n'avait jamais pu fuir ou cherchait-elle a se saisir d'un avenir que le destin lui interdisait ? Gabriel aurait tant aimé pouvoir seulement profiter du présent avec la plus précieuse de toutes les créatures.
— Une question me brûle les lèvres, mon frère, avoua Sandalphon.
Les deux êtres célestes étaient en route pour le jardin d'Eden.
— Ton péché est celui de la luxure, n'est-ce pas ?
— J'ai le contrôle.
— C'est ce qui m'interpelle. Ne l'avais-tu pas perdu, ce contrôle ? Lys ne t'a-t-elle pas tenté ?
— Elle l'a fait.
— Alors comment as-tu fait ?
La question lui paru suffisamment sérieuse pour qu'il décide de s'arrêter afin d'offrir une réponse tout aussi honnête.
— Si tu avais rencontré toi aussi la personne qui t'est la plus chère, jamais tu ne me poserais la question, Sandalphon, commença par expliquer Gabriel. Lily est une peste qui aime jouer avec les émotions des autres. Elle n'est pas mauvaise, elle est seulement inquiète de tout et cherche sans cesse à tester son entourage. Ce qu'elle veut, c'est avoir confiance. Alors bien sûr, elle a testé les limites avec moi et j'ai mordu pour la prévenir de ne pas trop jouer. Mais que crois-tu qu'il serait arrivé si j'avais cédé ?
Sandalphon demeura silencieux. Sans doute réfléchissait-il ?
— Je ne veux pas qu'elle souffre, Sandalphon. Alors oui, en sa présence tout mon être me tiraille et me pousse à céder à chacun de mes instincts et à la part sombre que chaque ange enferme en lui. Mais je sais bâillonner la part d'ombre en moi.
— Mais pourquoi ?
La question était légitime. Face à son âme sœur, le loup-garou pouvait se sentir libre de ne plus retenir la bête, le vampire pouvait se rassasier du sang sans craindre d'être terrifiant aux yeux de sa fiancée, la fée pouvait lâcher prise de tous phéromones naturels. Et face à sa flamme jumelle, l'ange avait enfin le droit de faire tomber le masque. Tout comme Claes avait trouvé en sa Dame des Neiges une créature capable de rivaliser avec ses flammes puissantes et mortelles, on aurait pu attendre de Gabriel qu'il cède à la violence de ses désirs alimentés par des fantasmes ainsi qu'un esprit guerrier qui enveloppait chacun de ses frères d'armes.
Pour autant, Gabriel se refusait à forcer Lily à tout accepter de lui comme l'exigerait le lien qui les menait l'un à l'autre. La Nature aurait poussé Lily à pardonner, ses instincts à l'accepter. Gabriel préférait tout de même attendre, parce qu'il en était capable et que Lily méritait qu'il fasse tous les efforts possibles et inimaginables pour elle.
— Gabriel, chaque ange rêve secrètement de pouvoir trouver ce refuge qu'apporte la flamme jumelle. Alors pourquoi n'en profites-tu pas ?
— Parce que je suis amoureux. J'aime Lily.
Soudain, le son d'une puissante explosion retentit, bientôt suivi de plusieurs autres. La Paradis tremblait et les deux anges se regardèrent. Sandalphon semblait savoir de quoi il en retournait, mais pas Gabriel. Jusqu'à ce que les deux arrivent devant un trou béant donnant sur... la Terre des Hommes ?
— Que s'est-il passé ?
Des anges mal en point lui expliquèrent la situation.
— Une intrus est venue avec un lance-roquette. Elle a tout explosé sur son passage et s'est enfui avec l'Alfe.
— Un lance-roquette ! Une arme humaine vous a mis dans cet état ?
— Elle avait le design d'une arme humaine mais il s'agissait d'une arme bien plus... céleste.
— L'intruse, de quoi avait-elle l'air ?
— Cheveux rouges, yeux lilas. Mince voire svelte, ayant sans doute un peu bu.
Gabriel reconnu la description. Il s'agissait de Shany, la sœur de Lily.
Lily l'avait fui, elle était partie parce qu'il l'avait enfermé afin de lui sauver la vie.
— Le loup et le chien, nomma calmement Sandalphon.
— Que dis-tu ?
— Le chien est bien nourri et possède une vie agréable, sans aucun soucis et en sécurité. Le loup est affamé, sans cesse à vivre dehors au danger. Mais le chien ne possède aucune liberté, il appartient à son maître et en échange de sa vie agréable il est obéissant. Et lorsque le chien lui propose cette vie prospère, le loup s'enfui. Il a la liberté, et pour rien au monde il ne la troquerait. Pas même pour la nourriture alors qu'il pourrait mourir.
Sandalphon lui résumait une fable à laquelle Gabriel se refusait de voir le lien entre Lily et cette situation.
— Même si cela venait à la tuer, ta petite protégée a préféré la liberté.
Mais à quel prix ? Ici, la liberté n'était pas vendue pour de la nourriture. Lily avait acheté sa liberté en condamnant non seulement sa vie mais aussi un avenir possible avec lui.
Elle avait préféré la mort à lui.
Elle était partie, loin de lui.
— Que comptes-tu faire, Gabriel ?
Avant qu'elle ne décide à le fuir pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Gabriel avait prévu de se rendre au Japon avec Lily. Mais à présent qu'elle avait stupidement sauté dans le trou pour rejoindre non pas un pays de merveilles mais un domaine de l'horreur où la mort serait son seul avenir, Gabriel n'avait pas d'autre choix.
L'amour était une guerre dans laquelle il se refusait de perdre la raison de son combat.
— Je vais la retrouver.
— Dans ce cas tu devrais te dépêcher. Tu n'es pas le seul à la chercher. Et peut-être que tu ne seras pas le premier à la trouver.
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