Chapitre 12


Autrefois, dans un passé dont aucun texte sacré destiné à l'humanité ne révèle la réalité, oublié même des dieux, vivaient des créatures particulières. Elles étaient magnifiques.

L'aînée de ces femmes portaient le nom d'Eden. De longs cheveux aussi clairs que sa peau, dotée d'une voix ensorcelante, sa personnalité se voilait d'une ombre tentatrice. On se laissait bercer par ses chants apaisant, on se laissait atteindre par l'influence de sa voix. Tel était l'identité de la plus précieuse et puissante des Alfes.

Puis apparu la Création. Le jour, la nuit mais surtout la vie.

Une génération d'Alfes naquit, sœurs d'Eden. Des créatures vitales, liées à la vie. On les appela les Fées de la Vie. Des ailes ? Comme toutes créatures célestes, comme toutes fées prenant soin de la terre et de la Création, elles en possédaient.

Mais les Fées de la Vie étaient si belles, si précieuses, qu'Eden se fit pour devoir de toujours les garder auprès d'elle, dans un jardin qui serait le sien et duquel aucun maux ne saurait venir souiller la pureté de ses jeunes sœurs. Si la plupart d'entre elles semblaient connaitre l'obéissance et les dangers qu'elles pourraient rencontrer dans leurs rebellions, il en était une dont le cœur s'épris d'un bel être.

Lys, aimée des fées et de la Création, avait fait un rêve. Et dans son rêve, un homme l'avait charmée. De grandes ailes blanches et un sourire angélique, il l'avait regardé comme jamais personne ne l'avait regardée auparavant. Avec une passion à peine dissimulée et un amour que jamais ses sœurs ne pourraient lui offrir. Mais au moment d'unir leurs âmes, le rêve s'était éteint et Lily ne connut plus que l'obsession de trouver celui qui serait sien.

Ainsi apparu pour la première fois le Destin parfait entre deux êtres. Les premières âmes sœurs.

Mais dans l'ombre d'un bonheur encore embryon se cachait une tragédie au nom écarlate. Adam, le premier homme parmi les humains.

Un homme qui mena à l'oubli celles que l'on appelait les Alfes.

Un souvenir qui remontait à la surface. Notamment à Paris.

Le charme de la capital française était comme un maquillage sur le visage d'une belle femme. Magnifique et resplendissante, retirez-lui les artifices et vous y trouverez les mêmes défauts que sur la plupart des femmes. Et Paris était une belle femme. Une belle femme bien maquillée. Mais dans ses ruelles inexplorées des touristes, une autre vie s'y trouvait. Une vie que Carmen subissait en ce moment.

Aujourd'hui, Carmen était une française. La lèvre fendue, tombée à terre, elle leva son regard vers les cinq hommes qui la prenaient de haut. Les hommes étaient tous pareils. Une race inférieur qui jouait les loups Alpha aux crocs acérés mais qui redevenaient de simples chiots impossible de mordre sans leur meute, la queue entre les jambes et se faisant tout petit tant qu'aucun des siens ne se trouvait près d'eux. En somme, des lâches. Carmen y était habituée. Bien avant d'être française, elle avait été Américaine. Etats-Unis, puis Canadienne. Elle avait également été Russe, et Coréenne. Après tout, Carmen était ce que l'on pourrait appeler un électron libre. Elle aimait boire et dormir, le sexe faisait également partie de ses passions. A croire que les hommes n'étaient bons qu'à ça. Et encore, il lui arrivait de devoir trouver elle-même ce qui la comblerait.

Mais en dehors de ça, Carmen était surtout une tueuse. Tueuse à gage, mercenaire, touriste, peintre... Beaucoup de nom pour parler de son talent principal : tuer. Et elle était douée.

— Sale pute !

On lui cracha littéralement à la figure. Était-ce ce que l'on appelait le romantisme français ? Des voyous, des racailles, des « bonhommes »... Désespérant.

Elle se leva, époussetant sa veste en cuir. Ce qui lui avait attiré des ennuis ? Elle supposait qu'il s'agissait de ses vêtements moulants. Pantalon ciré, débardeur au fort décolleté. Des seins et des fesses, ça ne plaisait pas à tous.

Elle sortit un mouchoir de sa poche, essuyant le cracha. Au moins, elle n'en avait pas dans ses cheveux roux.

— Je vais vraiment vous tuer, ria-t-elle.

Mais persuadés d'avoir toujours le dessus, notamment par leur nombre, les gars sortirent leurs flingues. Vraiment, la France avait bien changé...

Son pied partit et l'un des hommes tomba, raide mort. Elle avait traversé sa gorge de son talon.

— Psaume numéro 1 de la Bible de Carmen. Carmen n'est pas une putain de pute !

Les premiers coups de feu des hommes terrifiés, et elle sortit sa lame pour simplement les tuer un par un. Aucun de ces « grands guerriers » ne savaient se battre. Il se contentait de grimacer et de sortir des flingues dont ils ne savaient même pas se servir.

— C'est insultant pour ces armes.

Elle essuya sa lame, prête à repartir. Mais soudain, un flash la pétrifia. Un vertige l'obligea à s'appuyer contre un mur.

— Je suis...

Et l'instant d'après, elle se souvenait. Carmen n'était pas Carmen. Elle était une Alfe.

— Je dois retrouver... Je dois...

Ce jour-là, Carmen abandonna sa vie humaine. Déployant ses ailes aux sombres reflets, elle profita de la nuit pour s'envoler. Ses sœurs avaient besoin d'elle. Lys avait besoin d'être sauvée.


***


— Non.

Le refus catégorique de Lolita étonna Lucifer et Gabriel, qui se regardèrent un instant avant de se tourner de nouveau vers la sorcière installée contre son âme sœur, les jambes autour de sa taille et la poitrine contre celle de l'homme imposant.

— Nous ne t'avons encore rien demandé, s'indignait Lucifer, un peu frustré qu'on lui refuse quelque chose.

— Oui, mais vous avez la tête de personne s'apprêtant à me demander un gros service qui pourrait me mettre dans le pétrin. Et je tiens à ma tête.

Sachant que la conversation ne les mènerait à rien, que Lucifer allait simplement s'énerver et que Lolita profiterait de son statut d'objet précieux et vénéré des dieux, Gabriel trancha.

— Le sortilège du chasseur de dieux, annonça-t-il la couleur.

Un frisson parcouru Lolita, suivit par un silence qui en disait bien plus que n'importe quel mot. La sorcière se leva, s'écartant du lycan. Elle tremblait.

— Tu as dit...

— Le sortilège du chasseur de dieux, se répéta-t-il en appuyant sur la gravité de la situation.

Elle hocha de la tête, marcha à droite, marcha à gauche, puis se stoppa. Ses lèvres s'entrouvrirent puis se refermèrent. Elle secoua de la tête et se remit à marcher à droite, puis à gauche. Et elle se stoppa à nouveau.

— Ok, voilà tout ce que je sais.

Elle inspira profondément.

— La rumeur raconte qu'un dieu nait de la croyance d'une personne et survie par l'absorption de prières. Moins il est prié, plus sa force disparait jusqu'à ce qu'il tombe dans l'oubli, mettant fin à son existence. En quelque sorte, puisqu'un dieu ne peut pas mourir. En théorie, continua-t-elle tout en réfléchissant aux mots qu'elle allait employer. Mais il existerait un moyen pour un être non divin de devenir un dieu. La première personne à avoir tenté sa chance fut une femme. Belle, riche et puissante, elle était devenue une Reine sorcière redoutée même des dieux. Mais voulant toujours plus, elle souhaitait être une véritable Déesse. Et elle y parvint avec l'aide d'un sortilège qu'elle confectionna. Malheureusement pour elle, un dieu envoya un héro pour la piéger. Elle ne perdit pas son essence divine mais sa puissance fut scellée, le héro la conservant avec lui.

Cette histoire, Gabriel et Lucifer la connaissaient pour la simple et bonne raison que les rumeurs disaient de cet héro qu'il était un ange. Surement une appropriation non fondée.

— Ce sortilège demandait trois ingrédients, trois choses qui composaient un dieu. Un pouvoir premier, un attribut et une légitimité cosmique. Le pouvoir premier est une puissance obtenue d'un être premier de son espèce, un pouvoir que l'on doit avoir par amour et sans tuer l'être originel.

Eve avait offert le pouvoir d'Eden, un être originel, sans la tuer. Elle l'avait donné à Adam comme preuve de son amour...

— L'attribut est un objet vivant ou inanimé qui symbolisera le pouvoir du futur dieu. Il sera comme un logo d'entreprise ou bien une arme destructrice. Quant à la légitimité cosmique...

Gabriel retint son souffle, s'attendant à une réponse terrible.

— Je ne sais pas.

— Attends, comment ça tu ne sais pas ?

— J'ai bien une petite idée mais... Est-ce que quelqu'un est en train de rassembler ce sortilège ?

Les deux frères échangèrent à nouveau leurs regards, avant de se décider.

— Oui. Il s'agit d'Adam, le premier Homme.

Elle opina de la tête avant de porter son attention entière sur Gabriel.

— La légitimité cosmique est une énergie. Une énergie divine complètement pure. Les dieux possèdent cette énergie, mais elle n'est pas « pure », dans le sens où ils s'en servent continuellement, la ressourçant en puissance par des prières.

Gabriel eut peur sans vraiment comprendre pourquoi. Il ne s'agissait que d'une impression, un mauvais présentiment.

— Une telle légitimité ne se trouve que sur quelques réceptacles. Des créatures nées bien avant la naissance des dieux. Des créatures nées de la vie, la source cosmique la plus pure et rare qu'il est possible de trouver...

Et il eut sa réponse.

— Les Fées de la vie.

Elles étaient nées de la Vie elle-même, et non de la création d'un dieu.

— Adam souhaite l'énergie de Lily, devina avec terreur Gabriel.

Comprenant cela, Gabriel prenait conscience que sa jalousie et sa colère l'avaient mené à commettre l'irréparable en brisant le contrat entre Lucifer et Lily. Non seulement par ce biais Adam allait pouvoir reprendre son élaboration du sortilège du chasseur de dieux, et de ses plans terrifiants, mais il venait de mettre Lily en danger.

— Cela ne la tuera pas. La Reine sorcière aimait la vie plus que tout et elle n'aurait pas permis que l'on meurt injustement pour lui permettre le pouvoir suprême. Mais sans pouvoir, la fée de la vie en Lily mourra. Et avec elle, la parcelle de vie sur Terre qui lui est liée.


***


La situation pouvait se résumer en trois faits avérés. Premièrement, j'étais dans la merde. Deuxièmement, j'étais dans la merde. Et troisièmement ? Bingo ! J'étais dans la merde.

Et comment se sortait-on de la merde ?

« En tirant la chasse d'eau », tentais-je d'ironiser pour oublier que rien n'allait s'arranger. Mon regard se posa un instant sur Sandalphon. L'ange regardait simplement dans le vide, un sourire stupide sur le visage. Il paraitrait être apaisé et heureux aux regards des imbéciles. Mais pour ceux qui savaient percevoir autre chose que ce que leurs yeux montraient, ce sourire avait quelque chose de faux. Ou plutôt, il s'agissait d'une sorte d'expression par défaut.

— Que devrais-je faire ?

Il parut étonné de la question, se tournant vers moi avec les lèvres entrouvertes.

— Ne pas lutter.

Sa main se tendit, se saisissant de mon visage. Il l'enserra par le menton, glissant sa prise à ma mâchoire avant de me rapprocher de lui. Ses pupilles semblaient être celles d'un aveugle. Mais lorsque l'on s'y attardait davantage, on pouvait y distinguer une puissante énergie. Une lumière qui se contenait difficilement dans ce corps à l'apparence humaine.

— Alfe Lys, lorsque le destin te choisit et écrit ton avenir, tu ne peux le fuir. Alors ne tente pas de dominer la situation. Soumets-toi seulement.

— Ce serait mal me connaitre. Je ne me soumets pas sur demande.

— Résister ne ferait que retarder l'inévitable... Ou condamner ceux qui t'empêchent de faire ce que l'on attend de toi.

— Est-ce là les paroles de ton Père ou bien d'une autre divinité ?

Un soupir amusé lui échappa. L'Archange s'écarta de moi, déployant ses grandes ailes.

— Je n'ai besoin de nul autre que moi. Mais voici un petit conseil. Ne retiens pas ce qui doit se déclencher.

Aussitôt dit, l'être céleste disparu dans les cieux, enveloppé d'une lueur trop intense pour être soutenue.

— Lily, m'appela alors une voix.

Gabriel sortait de la maison de bois, un regard désolé qui m'indiquait qu'il s'avait tout. Il ne servait plus à rien de se taire encore davantage.

— Les Fées de la Vie sont les premières Alfes. Nous possédons en nous une légitimité cosmique que nous ne pouvons utiliser mais qui nous rend libres de tous dieux. Et Adam le savait. Il a voulu me posséder à l'époque.

— Je suis désolé, si j'avais su...

— Mais tu ne savais pas.

Il s'approcha, ses doigts attelant timidement les miens pour les agripper.

— Pourquoi toi ?

Son front se posa sur le mien. Ne le savait-il pas ?

— On ne t'a rien expliqué ?

— Quoi donc ?

— Chaque Fée de la vie est liée à une part de la Terre. Une part vivant grâce à notre énergie. Mais nos énergies sont de natures différentes.

Et soudain, un bruissement d'ailes brisa le calme incertain de la forêt enchantée, coupant court à mes paroles. Quelque chose tomba du ciel, s'écrasant dans une énergie surpuissante, gorgée de pression légitimant la force de l'adversaire. Et dans la poussière soulevée par l'impact se dessina une forme. Une silhouette qui devint femme.

De longs cheveux rouges ondulés brillaient sous les quelques rayons de soleil perçant entre les arbres. Il formait une cascade de pierres précieuses, de rubis magnifiques. Vêtue de cuir et possédant un déhanché à se damner, la créature aux courbes parfaites s'avançait, son sourire arrogant me donnant une raison supplémentaire d'être jalouse. Jusqu'à ce que ses yeux se posent sur moi. Une couleur lilas semblable aux miens...

— Adam veut ma sœur parce qu'elle possède l'énergie de l'obsession, une énergie capable de soulever des peuples sans que son détenteur n'ait besoin de lever le petit doigt. Une puissance dont use parfois les dieux en puisant dans leur propre énergie, ce qui a pour conséquence de les épuiser. Avec cette énergie, Adam aurait le pouvoir de devenir non seulement un dieu mais les peuples s'entretueraient en légitimant leurs guerres « Au nom de notre nouveau Dieu ».

Elle expliquait mais ne se détachait pas de moi, s'approchant même à petit pas.

— Avec mon énergie, Adam deviendrait le dieu des dieux, terminais-je à sa place.

Face à moi, elle était plus grande et sa joie s'exprima clairement dans ses expressions.

— Salut Lys. Ça faisait longtemps.

— Shany...

M'écartant de Gabriel, mes bras s'écartèrent pour enlacer une sœur que je n'avais pas revu depuis une éternité. Shany aux yeux de rubis...

— Les autres ne viendront pas, elles doivent se cacher maintenant que ton pacte est rompu. Il n'y aura que nos deux. Toi et moi...

— Et moi, intervint Gabriel qui me prit la main mais me laissa dans l'étreinte de ma sœur. Où ira Lily, j'irai aussi.

Elle jaugea l'ange de la tête aux pieds...

— Ne serais-tu pas l'ange que ma sœur a vu dans ses rêves ? taquina-t-elle alors.

Mes joues s'empourprèrent à l'évocation de ce souvenir. J'avais parlé de ça à Shany, de ma première rencontre avec Gabriel. Nous nous étions vu au beau milieu d'un rêve...

Gabriel s'était comme pétrifié, ayant retrouvé une expression froid et robotique.

— Laisse-moi deviner. Tu as cédé, n'est-ce pas ? interrogea-t-elle alors Gabriel.

Oh mais non, il n'était pas stoïque ! Gabriel était crispé de peur ! Il avait peur de ma sœur.

— Oh, oh, alors le petit emplumé n'a pas tenu sa promesse ?

Il détourna le regard.

— Luxure, n'est-ce pas ? continuait Shany.

— Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ce qu'il se passe ?

Et on m'accorda enfin l'attention que je méritais.

— Gabriel a demandé ta main à Eden. Elle n'a imposé qu'une condition. Cet emplumé devait résister à sa tentation, ne pas céder à son péché. Les anges ont une double personnalité lorsqu'ils cèdent à leur péché. Il devienne comme possédé, et il faut un certain temps avant qu'ils ne parviennent à se maitriser. Certains n'y parviennent jamais et pouf, direction l'Enfer. Un ange pour notre sœur ? On peut accepter. Mais un déchu ? Même pas en rêve !

Mais tout ce que je retins fut une petite partie de la révélation. La main de Gabriel dans la mienne, j'entremêlais nos doigts avant de glisser mon autre main sur son épaule, l'emmenant jusqu'à sa nuque pour finalement la redescendre sur le torse ferme de ce fier guerrier.

— Tu as demandé ma main à Eden ? Tu souhaitais te marier avec moi.

— Tu as toujours été la seule, même lorsque ma mémoire fut bloquée.

— Oh hé ! Vous m'écoutez ? s'égosilla Shany. Enfin, peu importe. Je ne suis pas venue pour ça. Adam va venir, Lys. Et je vais te protéger.

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