Elle posait une main contre le miroir, regardant intensément son reflet. Elle semblait comme perdue.

Claes aurait pu paraitre sadique mais il adorait voir un tel visage sur Yuki. Elle était perdue, peut-être inquiète. Et pourtant il était content. Il voyait une autre facette de Yuki, et cela le mettait en joie, tout simplement. Elle n'avait fait que le repousser, l'ignorer et garder cet air désintéressé depuis qu'il l'avait rencontré. Ou plutôt non, pas depuis leur rencontre.

Se tournant un instant vers lui, Yuki le regardait avec un regard troublé. Un regard qui arracha un battement de cœur douloureux dans la poitrine de Claes. Bon sang, c'était un crime d'être aussi adorable.

La porte coulissante de la pièce s'ouvrit brusquement, rappelant à Claes qu'ils étaient revenus dans le village des Yuki-onna.

Une femme entra. Se penchant légèrement en avant pour les saluer, elle ne leur adressa pas un sourire :

-Fubuki-sama va vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre.

Yuki passa devant Claes, et tous les deux suivirent la femme.

Yuki et elle parlèrent presque à voix basse. Cela semblait être une discussion plutôt banale. Elles semblaient parler de ce qui était arrivé dans le village en l'absence de Yuki.

Apparemment plusieurs chefs de clan étaient venus demander la main de Yuki. Fubuki avait refusé tous ces prétendants. De toute manière jamais Claes n'aurait accepté que Yuki parte avec un autre. Jamais.

Arrivant dans un autre salon, Yuki s'assise sur les genoux devant Fubuki, elle aussi assise sur un coussin. Claes s'assit à côté de sa Flamme Jumelle. De cette proximité, Yuki sembla se détendre. Elle lui lança un regard discret. Un regard qu'il ne parvint pas à déchiffrer :

-Fubuki, j'ai...

-Tu as tué, la coupa sèchement Fubuki.

Claes reconnu dans les yeux de Fubuki le regard furieux d'une mère face à une bêtise de son enfant. D'ailleurs Yuki baissait la tête, ce qui surprenait Claes. Yuki ressentait véritablement de plus en plus d'émotions. Cela l'effrayait presque d'ailleurs :

-L'expérience que tu as vécu est une chose que beaucoup de Yuki-onna peuvent ressentir, Yuki. C'est ta personnalité démoniaque. Ce n'est pas pour rien qu'une légende humaine nous décrit comme étant des monstres assassinant des hommes. C'est pour cela que je t'avais ordonnée de rester avec l'ange vengeur.

Elle soupira, énervée :

-Il sera le seul capable de te stopper, alors arrête de le fuir.

Et Claes était tout à fait d'accord avec Fubuki cette fois. Il ne voulait plus que Yuki le fuit. Il voulait qu'elle l'aime. Au moins autant que lui était attaché à elle :

-Mais ce n'est pas mon destin, déclara Yuki.

Le visage de Yuki avait repris une expression sérieuse :

-J'ai rencontré Tsukuyomi.

De la peur. De la peur se devinait dans le regard de Fubuki. Claes comprit que cette dernière avait caché quelque chose de très important à sa fille adoptive :

-Je suis destinée à tuer un monstre, une créature de la destruction, continua Yuki. Qu'est-ce que tu me caches d'autre, Fubuki ?

-Je..., commença la femme des neiges.

Claes voyait bien l'hésitation de Fubuki. Seulement lui aussi était désireux de connaitre la vérité sur ce qu'il se passait. Et d'ailleurs qui était Tsukuyomi ?

-Je ne suis pas ta mère adoptive, commença Fubuki. Je suis ta véritablement mère.

-Ne me raconte pas n'importe quoi. Une dame des neiges ne peut enfanter.

-Avec une personne normale, non. Mais avec un dieu...

Yuki écarquilla en grand les yeux, comprenant une chose que Claes n'arrivait pas à déterminer :

-Tsukuyomi est...

-Ton père, finit Fubuki à la place de Yuki.

***

C'était impossible.

J'étais la fille d'un dieu ?

Regardant Fubuki, sceptique, celle-ci baissa les yeux. Elle disait la vérité.

Je me relevais, furieuse :

-Je ne suis pas sa fille !

-Si, tu es notre fille Yuki. Je l'aime et il m'aime. Seulement...

-Seulement quoi !?

-Tu possédais un destin qui te mettait en danger. Nous avons alors décidé de ne plus nous revoir. Je prendrais soin de toi pour tenter de t'éloigner de ton destin et lui poserait un sceau sur ta capacité à revenir dans le Takamagahara. Tu serais protégée.

-Je ne veux pas.

Prenant Claes par le bras, je le forçais à se lever et l'emmenais avec moi.

Traversant tous les couloirs possible, je parvins enfin à accéder jusqu'à l'extérieur, la main de Claes prisonnière dans la mienne. Me rendant compte que je l'avais forcé à venir avec moi, je le relâchais immédiatement :

-Désolé.

Pour toute réponse il reprit ma main dans la sienne, un sourire merveilleux sur les lèvres.

A la vision de cette image divine, je sentis mes joues s'empourprer. Portant ma main à ses lèvres, Claes déposa un baisé sur mes doigts gelés. Mon cœur explosa dans ma poitrine. Il accélérait beaucoup trop rapidement. je voulus reprendre ma main mais Claes ne me laissa pas faire, me regardant en souriant :

-Tu es rouge comme une pivoine, avec de jolis yeux larmoyants.

Passant sa main libre sur mon visage, il caressa ma joue. Ce geste me fit lâcher un soupire alors que je sentais quelque chose monter en moi. Une froideur que je ne me connaissais pas venait envelopper mon corps, m'apaisant alors que je le sentais venir : ma puissance.

Fermant un instant les yeux, attendrie par de nouvelles émotions et un lien puissant avec mes pouvoirs, je fis de mon mieux pour profiter de cette nouveauté :

-Yuki ! hurla alors Claes.

J'ouvris en grand les yeux alors que l'ange vengeur venait de me prendre dans ses bras, me brûlant presque de sa chaleur angélique ou infernale.

Mais en regardant autour de moi, je compris ce qui n'allait pas.

Les arbres cristallisés étaient à présent complètement gelés, camouflés sous la neige. Les chemins sans neige ne l'étaient plus, ayant été remplacés par de la glace. Les maisons du village croulaient sous la neige. Mais surtout, et ce qui était le plus terrifiant, les femmes des neiges tremblaient. Elles avaient froid :

-Je suis désolé, s'excusa sans raison Claes. C'est de ma faute.

Etait-ce moi ? Etais-je à l'origine de ce phénomène ?

Oui, je l'étais. On m'avait prévenue pourtant. Les émotions, mêmes minimes, pouvaient provoquer des catastrophes sur ce qui m'entourait.

Alors, repoussant doucement Claes, j'entrepris de fermer de nouveau mon visage. Mon cœur cessa de nouveau de battre dans ma poitrine et je parvins à stabiliser ma puissance en moi.

Levant les mains vers le village, j'entrepris de manipuler la neige et le froid pour remettre en ordre ce que j'avais détruit.

Je le savais depuis le début. Je n'avais pas le droit de ressentir.

***

Alors qu'une dame des neiges lui servait de nouveau du saké, Claes bu la coupelle rapidement. Il laissa de nouveau son regard se perdre dans le vide. Il aurait pu être énervé, il aurait dû l'être. Pourtant ce qu'il ressentait était une douleur. Une douleur qui détruisait son âme, qui brisait son cœur brûlant.

Yuki s'était de nouveau entièrement fermée. Alors qu'il avait senti son âme se lier, se rapprocher de celle de Yuki, celle-ci avait laissé échapper une infime quantité de sa puissance. Une puissance qu'elle avait de nouveau contrôlée en redevenant la femme froide qu'elle était avant de le rencontrer :

-Que comptez-vous faire, homme du feu ? demanda Fubuki.

La magnifique femme buvait tranquillement sa coupelle de saké :

-Je ne sais pas. Parfois il faut savoir reconnaitre sa défaite et arrêter de se battre.

Elle posa sa coupelle alors que Claes parlait. Il avait l'impression qu'elle ne l'écoutait pas.

Se levant, elle s'approcha de la porte coulissante pour l'ouvrir. L'air glacial pénétra dans les lieux alors qu'elle sortait dehors. Elle se tourna vers lui pour lui faire comprendre qu'il devait la suivre. Claes se leva pour venir à côté d'elle, qui levait le visage vers le ciel de la nuit. En regardant la Lune, un sourire étonnamment splendide illumina le visage de la femme au cœur de glace :

-Il fut un temps où j'étais comme Yuki, fermée pour contrôler ma puissance. Etre la chef du clan des Yuki-onna oblige à des responsabilités. Et lorsque je le rencontrais, lui qui était si calme, mon cœur a commencé à battre dans ma poitrine. Je compris que c'était lui.

Elle devait parler de ce Tsukuyomi, le père de Yuki :

-J'ai laissé échapper ma puissance par mégarde. Je me suis alors dit « Je le savais, je n'ai pas le droit de ressentir ». Et je me suis de nouveau fermée. Mais ce dieu a refusé d'abandonné.

Elle se tourna vers Claes, le visage de nouveau dénué d'émotions :

-Aujourd'hui je peux ressentir. Mais je ne montre mes émotions qu'à cet être à qui mon cœur est lié. Ce n'est pas parce que je ne peux pas mais parce que je n'aime pas montrer mes émotions. Alors ne dit pas que tu vas abandonner, Claes. Yuki n'est pas en train de redevenir celle qu'elle était avant. Elle devient une tout autre personne. Elle se cristallise de l'intérieur.

-Vous voulez parler de la forme malfaisante en elle ?

-Non, elle ne posera pas de problème. Du moins je ne le pense pas.

-Alors de quoi parlez-vous ?

Fubuki soupira face à l'ignorance de Claes, qui se força à ne pas le prendre pour une insulte à son égard :

-Que devient un être dénué d'émotion à ton avis ? Et surtout, que devient une telle personne si elle est une Dame des neiges ?

Soudain une femme des neiges accouru vers eux, une expression paniquée sur le visage :

-Fubuki-sama !

-Qu'y a-t-il donc Fuyuko ? demanda Fubuki.

-C'est...il est...il est revenu...

La pauvre femme des neiges était épuisée :

-De qui parles-tu ?

-Tsubasa, il est revenu.

Fubuki semblait avoir retenu son souffle :

-Et où est Yuki ?

-Dans la forêt. Miyuki est déjà partie à sa recherche.

Qui était ce Tsubasa pour provoquer autant de désordre ? Et surtout quel rapport y avait-il avec Yuki ?

Alors que tant de question se bousculaient dans la tête de Claes, celui-ci serrait les poings de rage. Il se sentait tellement impuissant face à sa propre ignorance. Il ne connaissait rien de Yuki, rien de sa vie, rien de sa culture, rien de qui elle était. Et alors qu'il en prenait conscience, il sentit son feu intérieur s'animer dangereusement. Mais ce n'était pas le moment de se laisser dominer par ses émotions :

-Qui est ce Tsubasa ? demanda-t-il le plus calmement possible à Fubuki.

-Le chef de clan des Tengu.