5.CALY

Il est un peu plus de 18h lorsque je pousse le portillon de la maison de Mama Rose. Je laisse ma bicyclette dans le jardin avant de monter les quelques marches qui mènent à sa terrasse de sa belle petite maison victorienne de quatre pièces. Ne la trouvant ni sur la véranda ni dans le salon, je l'appelle :

-Mama Rose ! Où es-tu ? C'est Caly !

-Ici Mon enfant !

Je me dirige vers la cuisine dans laquelle je la trouve en train de touiller de la pâte dans un saladier. Je me précipite vers elle et je la lui enlève des mains.

-Laisse-moi faire. Tu dois te ménager, ordre du Docteur Robin ! La grondé-je. Je suis là maintenant, alors tu vas t'asseoir et tu me laisses faire !

Alors qu'elle s'exécute bon gré mal gré de sa démarche un peu lente, elle ronchonne :

-Ces fichus médecins n'y connaissent rien ! J'ai lutté durant des années pour le Mouvement des droits civiques et je n'en suis pas morte ! Alors, ce n'est certainement pas le fait de cuisiner quelques cookies qui va me conduire à la tombe !

-N'oublie pas que c'était à une autre époque. Protesté-je en attachant un tablier puis en allant me laver les mains. Tu étais une toute jeune fille en pleine capacité de ses moyens.

-Ah ! Tu insinues donc que je suis devenue une vieille sénile, c'est ça ?

-Mais non ! Tu t'es transformée en une belle...jeune fille...d'un certain âge. La taquiné-je en souriant.

Je suis ravie de la voir rire. Je me suis inquiétée aujourd'hui durant l'office de la tristesse et de la gêne occasionnée par l'absence de son petit-fils. La pauvre se faisait une telle joie de pouvoir le présenter à toute l'église. Malheureusement, ce goujat n'a pas daigné pointer son nez ! C'est tout lui ça ! Il est tellement spontané dans ses actes qu'on ne peut jamais s'attendre à ce qu'il fera ou pas. Il peut décider d'annuler un concert à la dernière minute rien que pour se rendre à un match des Lakers et tant pis si les paparazzi prennent des photos de lui assis dans les gradins. Ou alors décider avec ses potes d'aller au Mall of America, le plus grand centre commercial des USA, occasionnant ainsi l'hystérie totale de la foule et un vrai calvaire pour son équipe de sécurité. Mais le pire dans tout cela, c'est que malgré la peine qu'il a causé à tout le monde aujourd'hui – moi y compris – je n'arrive pas à lui en vouloir. J'ai même plaidé sa cause lorsque Mira s'en est plaint. Je sais, je suis un vrai cas désespéré.

Je reviens à la réalité et me mets au boulot. Durant l'heure qui suit, j'essaie de changer les idées de l'octogénaire en la laissant superviser la préparation des cookies et en lui posant des questions sur sa vie passée, un sujet qu'elle affectionne particulièrement. Une fois les biscuits aux chocolats prêts, nous allons nous installer sur la terrasse, notre endroit préféré. La nuit est tombée et ce soir, le ciel étoilé nous offre un magnifique spectacle. L'air est doux mais je vais lui chercher son patchwork, négligemment posé sur un fauteuil du salon. Nous nous asseyons sur des chaises en fer forgé, l'une en face de l'autre, le plateau de cookies et une carafe de limonade posés sur la table ronde entre nous. Nous devisons tranquillement depuis environs deux heures lorsque soudain, elle soupire lourdement avant de déclarer :

-Quand est-ce que ces chenapans grandiront ?

Je n'ai pas besoin de lui demander qui elle qualifie de « chenapans ». Ne voulant pas la voir retomber dans la tristesse, je lui réponds :

-Il faut leur donner le bénéfice du doute Mama Rose. Peut-être qu'ils ont eu un empêchement de dernière minute. Ou alors, le voyage les avait tellement épuisé que...

-N'essaie pas de leur trouver des excuses Caly ! Ils n'avaient pas le droit de snober et de blesser ainsi les gens ! C'est un total manque de respect que je ne laisserai pas passer ! Ils vont m'entendre, crois-moi !

-Calme-toi Mama Rose sinon tu risques de faire monter ta tension. Je n'aime pas te voir dans cet état alors changeons de sujet. Dis-moi, finalement, tu as opté pour le papier peint ou pour la peinture ?

Son beau visage à peine dégradé par le poids des années se déride immédiatement.

-Je vais suivre tes conseils et je vais me laisser tenter par le papier peint. Miss Shaw, la décoratrice d'intérieur m'a envoyé de très beaux échantillons.

-Ah ! Tu vois ? Tu me les montres s'il te plaît ?

-Attends-moi ici. Je vais les chercher. Ils sont dans la chambre.

-Laisse, je vais y aller...

-Pas question ! Je suis peut-être vieille mais je peux encore me déplacer alors cesse de me materner ainsi !

-D'accord! Me résigné-je. Je vais plutôt aller nous ravitailler en limonade.

Nous nous levons et elle se dirige vers l'unique chambre du rez-de-chaussée. Elle s'y est installée depuis peu parce qu'il lui devenait pénible de monter les escaliers jusqu'à sa véritable chambre située à l'étage. Une fois dans la cuisine, j'en profite pour mettre les ustensiles sales dans le lave-vaisselle. Puis, je prends une carafe pleine dans le réfrigérateur et alors que je me retourne pour sortir de la pièce, je tombe nez à nez avec...BIGGY J !

Ai-je senti le récipient me glisser des mains ? Je ne m'en souviens pas. L'ai-je entendu se briser en mille morceaux à mes pieds ? Je ne pourrais l'affirmer. C'est le black out ! Dans les romans, ils décrivent souvent le coup de foudre comme une décharge qui nous traverse tout le corps lorsque nos yeux rencontrent ceux de l'autre. Alors quelle est cette violente douleur qui étreint mon myocarde ? Pourquoi celui-ci s'emballe-t-il au point où j'ai presque peur de perdre connaissance ? Pourquoi ai-je cette sensation étrange que tous mes sens sont décuplés ? Je perçois distinctement l'air qui caresse les poils fins de mes bras avec une telle acuité que j'en frissonne. Je pense que même si je ne les avais pas préparé, j'aurais pu à cet instant donner tous les ingrédients contenus dans les cookies rien que grâce à l'arrière-goût qu'ils m'ont laissé dans la bouche. Mes oreilles captent le chant entêtant des grillons dans le jardin. Et mes yeux,...Mes yeux n'ont pour cible que ce regard de braise aux iris gris-bleus qui me consume littéralement mais dont je suis la prisonnière consentante. Les livres relatent l'irrépressible attirance que l'on ressent envers l'autre. Mais ce qu'ils ne précisent pas, c'est cette certitude immédiate et inébranlable que j'ai d'avoir enfin trouvé cet être, qui sans que je n'en ai conscience, manquait à ma vie. Moi qui ai toujours cru que Callum était celui qui comblait ce vide ; voilà toutes mes convictions réduites à néant. Pour la première fois de ma vie, je me sens...complète ! Serait-ce LUI finalement mon ALTER EGO ?

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