Chapitre 9: La vérité a pour habitude de se cacher sous un gros mensonge

~Canada~Toronto~Octobre 2024~

Les couloirs de Waterfalls sont étonnement calmes ce matin.

Chaque personne que je croise est flou et se fond dans la masse.

J'ai l'étrange sensation que le monde entier me regarde et que chaque pas que je fais résonne sur le parquet.

Ma vision affaiblie est sûrement du à mon cruel manque de sommeil.

Je n'ai réussi à dormir que deux heures cette nuit, tous mes membres sont épuisés.

J'accède finalement à mon casier et enfonce lentement ma clé à l'intérieur avant de l'ouvrir.

Je mets un certain temps avant de me rendre compte qu'un élément inconnu s'y trouve.

C'est un petit calepin noir, mais ce n'est pas le mien.
Celui où j'écris a été fortement abîmé durant le petit jeu entre Karim et Mathieu.

Ça me rappelle que depuis ce jour je n'ai toujours pas retrouvé la force d'y écrire une seule de mes pensées. Pourtant ma tête en est remplie.

La matière de la couverture me laisse deviner qu'elle a été peinte à la main.

En le retournant, je découvre un petit post-it rose où il y est inscrit « Je te laisserai tranquille à présent ».

Mon cerveau n'est pas assez réveillé pour assimiler les informations donc je me contente d'enfoncer le carnet au fond de mon sac et me dirige vers mon prochain cours après avoir refermé mon casier.

Mes pas m'emmènent jusqu'à ma place, mais mon attention n'est toujours pas active.

Je sors mes affaires en observant les filles qui rigolent sans prêter attention à mon arrivée.

Clémence se fige en croisant mon regard, je lui adresse un sourire qu'elle ne me rend pas et se retourne pour continuer sa conversation avec les autres.

Je savais que Sacha aurait retourné tout le groupe contre moi, mais j'osais espérer que Clémence aurait continué à me parler.

Deux mains se posent sur mes épaules pour me secouer avec force.

- Allez réveille toi Davis ! T'as pas dormi ou quoi ?

Pas assez pour pouvoir riposter.

Je laisse ma tête se balancer au rythme des secousses que Karim provoque sur moi.

- Tu réagis pas aujourd'hui ?

J'ouvre la bouche mais la referme au dernier moment, ça ne servirait à rien de me défendre.

J'ai déjà essayé plusieurs fois mais ça ne les arrête pas.

Rien ne les arrêtera.

J'ose tout de même me retourner face à lui, je croise les yeux de Noa malgré moi.

Sa tête est appuyée dans le creux de sa main, il m'observe en train de me faire persécuter sans rien faire.

Mais c'est ce que je voulais non ?
Qu'il me laisse tranquille.

J'ai soudainement une illumination.
Je repense au petit mot inscrit sur le post-it.
« Je te laisserai tranquille ».

C'est lui, c'est Noa qui m'a donné ce carnet.
Sûrement pour se faire pardonner ou pour se soulager en se disant qu'il a fait une bonne action pour ce mois-ci.

Comme toutes les fois où il m'a aidé, c'était probablement pour se faire passer pour un héros.

Mais maintenant c'est terminé.

Alors pourquoi je suis déçue qu'il me regarde sans rien faire ?

Ma chaise bascule, mon corps tombe en arrière sous les rires de ces enfoirés.

Je prends une très grande inspiration pour ne pas exploser et ramasse ma chaise pour me rassoir correctement même si ma tête a heurté contre le sol.

C'est horriblement douloureux, j'ai l'impression que tout résonne à l'intérieur de la classe et c'est encore plus flou qu'avant.

Par chance, le claquement des talons hauts de Mme. Laney qui débarque dans la classe les éloigne.

- Bonjour à tous, asseyez-vous.

Elle dirige son regard vers le fond de la salle.

- Ah et Noa, n'oublie pas que ce soir tu as cours avec Lola.

Il acquiesce tandis que je me morfonds sur mon avant-bras.

J'avais complètement oublié ce détail.
Ce détail qui commence sérieusement à me faire chier.

Je me console en me disant qu'au moins je repousse le moment où j'arriverais chez moi.

Parfois je me demande ce que je choisirais si on me demandait quel endroit je préfère entre le lycée et ma maison.

En réalité je pense que je préfère être dehors, même sous la neige, c'est toujours mieux.

***

- Bon, ça en devient ridicule de s'ignorer.

Je sursaute en découvrant Josie tout près de moi.

Ça doit faire deux semaine qu'on ne s'est pas adressé la parole.
J'en ai carrément oublié la raison de notre dispute.

- Ouais, t'as raison.

Elle me scrute en levant un sourcil inquisiteur.

J'observe chaque trait de son visage ainsi que chaque petite ondulation de ses cheveux d'or.

Certaines personnes pensent que je les juge en les scrutant.
La vérité c'est que je jalouse simplement chaque petit détail de leur corps.

J'envie la teinte de leur peau, la couleur de leurs yeux, la forme de leur nez, la longueur de leurs cheveux, leur taille, leur morphologie.

J'ai parfois envie de pleurer rien qu'en les regardant en me demandant pourquoi je ne suis pas comme ça.

- Allez viens, on va voir quelle bouffe dégueulasse la cantine nous a servie aujourd'hui.

Elle m'attrape par la main et se met à courir dans le couloir en rigolant.

J'affiche un léger sourire fatigué qu'elle ne peut pas apercevoir.

Elle m'avait manqué.

J'aperçois Thomas proche des casiers qui me juge du regard sans le cacher.

Il m'adresse son majeur, je fais de même avant de continuer à courir pour rejoindre Josie.

- Je veux que tu me racontes tous les détails des dernières semaines. Elle s'enthousiasme en récupérant une assiette remplie d'une substance inconnue.

- Il s'est pas passé grand chose. Je lui mens en m'installant à l'une des tables.

- Je le vois clairement dans tes yeux que tu me caches quelques chose.

- Mes yeux sont à moitié ouverts à cause de la fatigue, ça m'étonnerais que t'y vois quelque chose.

Elle pouffe en tripotant sa nourriture du bout de sa fourchette.

- Allez, je veux tout savoir.

Je ne pense pas que tu veuilles savoir que j'ai eu un rapprochement étrange avec le mec que tu désires temps.

- Tout ?

- Tout !

- Ok bon, je cède finalement, déjà hum, maintenant je donne des cours en anglais à Noa.

- Hein ? Mais pourquoi ? Tu le kiffes ?

- Non ! Mme. Laney m'a obligé parce qu'il est nul dans sa matière et que les examens d'anglais approchent.

- Ah merde c'est vrai, ça me fait penser que je vais sûrement redoubler si je continue avec mes notes.

- Comment ça ? Je l'interroge en fronçant les sourcils.

- Ma moyenne a chuté, elle doit être en dessous de dix maintenant et... je pense pas réussir mon année.

Je vais devoir survivre à ma dernière année de lycée sans elle.
Je n'ose même pas imaginer comment sera ma vie sans sa joie de vivre.

La raison me rattrape rapidement.
Je me sens tellement égoïste de penser à moi alors que c'est elle qui le vivra le plus mal.

J'espère simplement que ses parents n'ont pas les mêmes réactions excessives que les miens en découvrant ses mauvaises notes.

- Bref, c'est pas le sujet. Alors, comment ça se passe avec le fameux Noa. Elle fait ce regard pleins de soupçons que je déteste.

- Je ne l'aime pas si c'est que tu veux savoir.

Elle fait mine d'être dégoûtée mais ses soupçons sont toujours visibles.

- Ensuite, je change rapidement de sujet, j'ai failli me faire écraser par une voiture mais T-

Ma voix se coupe soudainement.
Peut-être que ça l'a blesserait si elle apprenait que Thomas m'a aidé même si en réalité elle n'a absolument pas d'inquiétudes à avoir.

- Qui ?

- Hum, mais je me suis décalée au dernier moment et j'ai pu rentrer chez moi.

Elle plisse les yeux.
Josie ne me croit pas et c'est compréhensible aux vus de mon pitoyable mensonge.

Malgré ses doutes concernant mes propos, elle ne dit rien et me laisse continuer.

- Ah et, je suis allée chez Noa après m'être perdue dans un endroit inconnu de Toronto.

Elle refait son fameux regard en se pinçant les lèvres.

- Meuf, je veux une vraie explication cette fois parce que là...

- J'avais nulle part où aller et je l'ai croisé par hasard. Il m'a ramené chez lui en attendant le prochain bus, ça s'arrête là.

- Par hasard hein ?

- Oui, par hasard. Et arrête de me regarder comme ça, il me fais chier en ce moment.

-Mhm. Et ensuite ? Elle m'interroge, complètement intriguée par les événements de ma vie.

- Et bah pas grand chose, j'ai fait une crise d'angoisse au Laser Game devant toute ma classe mais Noa m'a pris à part pour me calmer.

Cette fois mon amie ne se retient pas et éclate de rire sous les regards inquisiteurs des autres élèves.

- Sérieux, vous êtes carrément attiré l'un par l'autre, comme deux aimants.

C'est sûr que dit comme ça, on pourrait croire qu'on est chacun intéressé par l'autre.

Je soupire en éloignant l'assiette loin de moi.
Rien que l'odeur me donne envie de vomir.

Tant mieux, ça me fait une raison de plus pour ne pas manger.

- J'ai l'impression de lui faire pitié et je déteste que les gens éprouvent ce sentiment envers moi.

Elle s'arrête soudainement de rire pour m'écouter attentivement, éloignant son assiette à son tour.

- Ou peut-être qu'il est simplement attiré par toi et qu'il veut te protéger ?

- Après si peu de temps ?

- Tu connais les mecs.

Un peu trop bien, malheureusement.

Josie ressent mon manque d'envie de continuer sur ce sujet et bascule sur un autre qui m'irrite encore plus.

- Quand est-ce que tu comptes larguer Brad ?

- Je sais pas. Il me faisait sentir aimée.

Ma voix vacille, mes yeux commencent à briller quand je repense au début de notre relation.

Il était l'opposé de celui qu'il est maintenant.

Il me prêtait de l'attention, me rassurait, me faisait des compliments.

Et puis d'un coup, tout à changé.

D'un côté il y a les gens qui m'aiment, je pense, et de l'autre il y a tous ceux qui me font du mal, physiquement comme mentalement.

À présent, il a traversé le pont et s'est retrouvé avec mes parents et mes harceleurs du côté de ceux qui me blessent.

- Et tu te sens toujours aimée là ?

Non.

- Je ne sais pas, j'ai pas trop envie d'en parler là.

Elle acquiesce de la tête.

Ma gorge est entourée d'une énorme corde tellement resserrée que j'en perds presque mon souffle.

Cette corde est toujours là, prête à me serrer de toutes ses forces quand j'évoque un sujet sensible.

- Et après ? Est ce qu'il s'est passé autre chose.

L'incident dans le bus me revient à l'esprit.
Ce n'est probablement pas le moment d'en parler avec elle.

- Non, rien.

- Si tu le dis.

Finalement, peut-être que je ne suis pas une si mauvaise menteuse que ça.

***

- C'était pas fameux.

Je rend sa copie désastreuse que j'ai corrigé à Noa en prenant un air faussement désolé.

- J'suis sûr que tu t'es marré en la corrigeant.

- Carrément. J'ai même une photo de ta gueule accrochée à mon mur et je tirais une flèche dessus à chaque faute.

- Putain. T'es flippante comme meuf.

- J'apprécie le compliment.

Il relit sa feuille avant de la froisser et de s'effondrer sur la table.

La boule de papier roule sur le sol jusqu'à nos pieds.

Mes yeux font le tour de la pièce obscure pour éviter de le regarder.

- Tu penses que je vais redoubler ?
Il marmonne dans son bras.

- Honnêtement ?

- Vas-y, lâche toi.

Je m'apprêtais à l'attaquer sarcastiquement mais son lamentations me font presque de la peine.

Il arrive tout droit d'un autre pays, ne connaît personne et galère déjà dans l'une des matières les plus importantes.

-T'as juste à travailler un peu plus et tu devrais avoir une chance de passer en terminale.

Il se redresse alors en se recoiffant d'une seule main.

- Va dire ça à mes parents.

Un silence glacial s'installe dans la pièce tandis que je me triture les ongles.

La fatigue m'a fait oublier d'apprêter des exercices à l'avance donc nous nous contentons de se regarder dans le blanc des yeux.

- T'as fait quoi à tes cheveux ?

Quel genre d'imbécile pose des questions de ce genre ?

- Je les ai lissé. Tu me dis si t'as besoin de lunettes hein ?

- Pourquoi ? J'aimais bien tes boucles.

- C'est tes cheveux ?

Je sens mes joues chauffer, par chance ça ne se voit pas sur ma peau mate.

C'est la première personne qui me dit que je suis mieux avec mes cheveux au naturel.

Demain je les laisserais lissé, probablement pour me convaincre que son compliment me laisse de marbre.

Il pose soudainement ses coudes sur la table comme pour annoncer une grande nouvelle, ce qui me fait sursauter au passage.

- Tu viens au match demain ?

Je fouille dans mes pensées durant quelques secondes mais je ne me souviens pas qu'il y est un match demain, ni de quel sport il parle.

- Lequel ?

- Basket, on joue contre le lycée McKinley.

- Comment ça « on » ?

Il semble surpris que je ne sois pas mise au courant. Ça devient une habitude qu'il m'avertisse des événements au dernier moment.

- Je suis le capitaine de l'équipe de Waterfalls. M'annonce-t-il fièrement.

- Sérieux ? Tu joues au basket ?

- C'est si difficile à croire ? Il m'interroge avec un sourcil levé.

C'était prévisible vu sa haute corpulence. Mon imagination se permet de créer une image de lui en maillot de basket, essoufflé par l'effort et...

Stop.

- Ouais. Je t'imaginais plus faire... du golf.

- Le golf c'est pour les cons.

- Justement.

Ça ne le fait pas rire, contrairement à moi qui ne me retient pas.

Un petit gloussement m'échappe à nouveau quand j'envisage Brad jouant avec Noa dans la même équipe.

Les disputes sur le terrain doivent être constantes.

Ça a l'air marrant, je ne dois pas rater ça.

Il se lève en enfilant son sac sur son épaule, près à partir alors que l'heure de la fin du cours n'a pas encore sonné.

- Tu viendras nous encourager ?

Je peux apercevoir une lueur d'espoir dans ses yeux noisettes.

- Si j'ai le temps.

Bien sûr que j'aurais le temps.

Il s'apprête à sortir de la classe mais lâche avant de partir:

- Ah et, Thomas est dans notre équipe aussi.

Il me sourit brièvement avant de disparaître dans le couloir.

Je me mord la lèvre rageusement jusqu'au sang.
Pourquoi faut-il toujours que Thomas soit là ?

{ La suite dans le prochain chapitre }

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