Chapitre 36: Cocaïne

Je n'étais jamais venu dans un poste de police auparavant.

J'espère que cette fois sera la dernière.

Le gentil flic marche avec une allure puissante et décidée juste devant moi. Le méchant flic, lui, tient fermement mon poignet comme si j'allais m'échapper.

C'est douloureux, pour cause mes os qui ressortent légèrement depuis quelques temps.

Je n'irais pas non plus jusqu'à dire que c'est répugnant, j'ai toujours rêvé d'avoir un bras aussi fin que moi poignet.

Ou peut-être était-ce le rêve de ma mère, je ne m'en souviens plus.

Les couloirs sont vides et lugubres, je m'attendais à croiser pleins de délinquants menottées mais il faut croire que la réalité est décevante.

Ma tête tourne, le pansement qui protégeait ma récente blessure se décolle déjà et je sens une goutte de sang qui roule le long de ma tempe.

Nous arrivons finalement dans un bureau libre, l'un m'installe dans le fauteuil face à eux.

Je croise mes jambes nonchalamment même si la vérité est que je me chie littéralement dessus.

Ils tapent tous deux les touches de leur ordinateur ce qui provoque un petit bruit incessant qui m'irrite.

- On peut en finir rapidement ?

- Jeune fille, ici t'es au poste, compris ? Donc sois tu te comportes bien sois tu finis en maison de redressement.

Je serre les dents à m'en exploser la mâchoire, ce mec commence sérieusement à me saouler.

L'autre ne prend pas ma défense, il se contente de m'adresse un bref regard de compassion mais je l'évite en tournant le visage.

Il se lève par surprise et disparaît sans rien dire.

Je me retrouve donc en compagnie de celui avec qui le feeling ne passe pas depuis le début.

Il doit sans doute ressentir ma frayeur communicative puisqu'il annonce pour détendre l'atmosphère:

- D'ailleurs, on connait ton nom mais tu ne connais pas les nôtres.

- Je n'ai pas envie d'apprendre le nom de quelqu'un que j'oublierais la nuit prochaine.

Son sourire se restreint, je dois avouer que je leurs mène la vie dure.

- Peut importe. Moi c'est Klein et mon acolyte, Jacob.

- Super.

Mon enthousiasme est bien en-dessous de zéro et je ne puise dans aucun de mes efforts pour le cacher.

Le bourdonnement insupportable des portables qui sonnent sans arrêt me donnent l'envie d'arracher mes cheveux.

Jacob revient après un temps qui m'a semblé bien trop long pour être passé avec un type comme Klein.

L'appareil dans ses mains me rappelle la raison de ma venue ici.

- Je peux ? Demande-t-il avant de poser le gros casque sur ma tête.

- Mon approbation vous importait peu lorsque vous aviez soulevé mon tee-shirt.

Il ne cille pas un instant, pourtant j'arrive à déceler une once de pitié dans ses prunelles chocolat.

Je ferme les yeux pour approbation, patientant le moment de mon sort.

Le métal presse sur ma blessure, un gémissement de douleur se fait entendre.

L'inquiétude me pétrifie, pas seulement parce que c'est une nouvelle expérience pour moi, mais particulièrement parce qu'elle décidera de l'issue du reste de ma vie.

C'est lourd, au point que ma tête titube en arrière avant de complètement se stabiliser.

- Parfait. Murmure-t-il, satisfait.

Il tire bruyamment sa chaise pour la ramener à quelques centimètres de moi.

L'effroi qui prenait en assaut ma gorge régresse petit à petit, si bien que j'arrive de nouveau à articuler lorsqu'il pose sa première question.

- Qui t'as fait tous ces hématomes ?

- Vous ne tournez pas autour du pot. Me surprend-je, prise de court.

- Répond.

- Aurais-je le droit à une décharge électrique si ma réponse est fausse ?

- Oui.

Je suis persuadée qu'il ment.

Cela est impossible, je n'ai pas donné mon accord pour ça et puis ce serait eux les coupables s'ils s'en prenaient à une mineure.

C'est pour cette raison que je me permets de nier à nouveau.

- Moi même. Je suis seulement maladroite.

Un « bip » venant de mon crâne retenti dans la pièce silencieuse.

D'ici, je ne peux pas savoir de quelle couleur il s'agit, mais d'après l'expression de Klein ça n'a pas l'air d'être la verte.

- Rouge. Essaie encore.

- D'accord, disons que je me fais harceler. Ce sont mes harceleurs qui ont fait ça.

Ça devrait marcher cette fois puisque ce n'est pas tout à fait faux.

Les secondes se transforment en heures, le bruit met un temps incalculable à sonner.

Quand finalement il se produit, les deux hommes froncent les sourcils.

Leurs expressions se froissent, Klein a l'air contrarié mais Jacob semble plutôt dans l'incompréhension de la situation.

- Alors ? Vert ou rouge ?

- Orange.

Je ne suis pas tout à fait sûre de comprendre.

Est-ce ce qu'il se passe lorsqu'une vérité est mélangée à un mensonge ?
Cette machine est assez performante pour détecter ça aussi ?

- On avait encore jamais vu ça avant c'est... étrange.

- Tellement chiante qu'elle fait beuguer la machine... Marmonne l'acolyte de Jacob dans sa barbe.

- Tellement chiante qu'elle peut aussi se barrer et appeler les autorités pour torture.

Ses yeux se lèvent promptement dans ma direction. Surpris que je l'ai entendu, il ne s'attendait pas à recevoir une réponse de ma part.

Nos regards se défient longuement, j'avale ma salive lentement jusqu'à ce que le gentil flic décide que cette connerie doit s'arrêter.

- Bon, vous arrêtez de vous toiser comme des gamins !

Il rompt notre contact visuel le premier puis replonge dans son écran tout en tapotant à une allure fulgurante.

- Se pourrait-il que tu ai menti et dit la vérité dans une seule même phrase ?

- C'est vous les pros, à vous de voir.

Le pied de Klein se met à taper régulièrement sur le sol en dessous de la table.

Ce geste d'irritation me prouve que mon exécration envers lui est réciproque.

- Tu te fais harceler ?

- Oui.

- Bonne réponse. Se réjouit l'imbécile derrière son bureau sans considérer ce que cela signifie.

Jacob s'apprêtait à passer à la question suivante mais se ravise en détaillant l'expression d'ennui sur mon visage.

- Tu me sembles bien indifférente par rapport à la situation.

- Ça s'est atténué depuis quelques temps alors...

J'hausse les épaules sans trop savoir quoi ajouter.

Je me sens comme un animal au zoo, les deux me scannent au rayon laser, j'en suffoque pratiquement.

- Ton harcèlement est-elle la cause de tes ecchymoses ?

- Oui.

J'aurais adoré que cela vienne de mes harceleurs plutôt que de ma propre figure paternelle.

Ils m'annoncent que c'est rouge, je m'y attendais évidemment. Je ne sais pas sur quoi je comptais.

L'air s'amplifie, ils discutent des prochaines questions tandis que je me creuse la cervelle pour trouver un moyen de m'en sortir sans dire la vérité.

La porte derrière le bureau s'ouvre dans un affreux crissement.

J'aurais pu voir ma mère et ma sœur arriver grâce aux murs en plexiglas mais je n'y prêtais absolument pas attention.

- Bonjour.

L'intonation de ma mère est démunie de quelconque émotion.

Ses larmes ont cessé et les traces de son mascara ont disparu mais ses pupilles sont toujours aussi scintillantes.

Les traits de ma soeurs sont terrifiés et inquiets, comme si elle savait que j'avais son destin dans mes mains.

Elle voudrait sûrement que je mente pour qu'on s'en sorte sans emmerdes malgré que ma vie continuera à être une injustice.

Tant que la sienne est lisse et sans imperfection, tout va pour le mieux.

Les deux s'assoient dans le silence, leur sac à main resserré contre leur poitrine.

- Il est entendue qu'on ne soutirera aucune information de ta part. On va donc faire passer ta mère et ta soeur ici présentent au détecteur à leur tour.

Mes lèvres se plissent, je m'attendais à ce qu'ils changent de tactique mais le fait que mon sort dépende maintenant d'elles aussi m'inquiète fortement. Je n'ai aucune idée de ce qu'elles ont en tête.

Amalia passe la première et me souffle au passage:

- Ti avverto, dirò la verità*

* « Je te préviens, je dirais la vérité » en italien

J'attrape fermement son bras avant qu'elle ne s'installe. Il est hors de question qu'elle gâche tous les efforts que j'ai produit jusqu'ici.

- Ma sei stupida ? la nostra vita sarà distrutta se rovini tutto. *

* « Mais tu es stupide ? Notre vie sera détruite si tu gâche tout » en italien.

- Sei tu quella stupida. All'inizio pensavo che fosse per la tua educazione, ma ho capito che era più serio di così.*

* « C'est toi qui est stupide. Au début je pensais que c'était pour ton éducation mais je me suis rendue compte que c'était plus grave que ça » en italien.

Elle est putain de culottée. Pendant toutes ces années elle faisait partie des spectateurs avec ma mère et parfois se permettait même de rire. Et maintenant, elle vient faire son héroïne en pensant me sauver la mise ?

- Ti stai svegliando adesso ?*

* « Tu te réveille seulement maintenant ? » en italien.

- Meglio tardi che mai.*

* « Mieux vaux tard que jamais » en italien.

Les assistants sociaux nous observent complètement à l'Ouest. Ils n'ont pas compris un mot, tant mieux.

Ma mère qui elle, a tout compris, nous sonde du regard de ses yeux graves.

Je me demande pour quelle méthode va-t-elle opter.

Amalia, le casque sur la tête, débute son interrogation en ignorant mes oeillades suppliantes.

- Ton père a-t-il tendance à agir violemment ?

- On peut dire ça, oui.

- Non ! M'écriais-je pour couvrir sa voix.

Malheureusement c'est trop tard, le bouton vert s'illumine et Klein agite la tête, satisfait.

- S'en prend-il à vous ?

- Non.

Le clignotant orange s'allume.

Effectivement, il ne touche pas à elles, c'est seulement à moi qu'il s'en prend.

- S'en prend-il à toi ?

- Non.

Vert.

- Ta mère ?

- Non.

Vert.

- Ta soeur ?

Le temps se met sur pause, ma soeur a la bouche entre ouverte, n'osant pas prononcer la parole décisive.

Je lui fais une croix avec les mains mais elle n'en prend absolument pas compte.

- Oui.

Vert.

Et voila.
C'est la fin.
Ils savent tout.

Le « bip » résonne encore dans ma tête et je suis persuadée qu'il se présentera dans chacun de mes cauchemars à compter de maintenant.

- À quelle fréquence cela à lieu ?

- Je dirais... plusieurs fois par semaine. Lorsqu'elle ramène une mauvaise note, rentre tard ou n'a pas le comportement qu'il attend.

Ma salive reste coincée dans ma gorge, j'étouffe, il faut que je sorte d'ici.

Mes jambes deviennent de la compote et mon corps se trouve au bord de l'évanouissement.

Qu'est-ce qui lui prend ?
Pourquoi et comment raconte-elle le secret de notre famille avec tant de facilité ?

Je ne suis pas sûre de pouvoir le lui pardonner.

- Parfait, nous avons donc l'affirmation que le père de cette famille bât régulièrement sa plus jeune fille.

Pour un assistant social, je trouve qu'il ne choisi pas toujours les mots les plus réconfortants.

- Donc juste avec votre putain de machine vous estimez avoir assez de preuves pour classer une affaire ?

Cette fois, Klein ne tient plus. Il bondit sur ses pieds tout en frappant la table à l'aide de la paume de ses mains.

- Mais bordel quand est-ce-que tu vas arrêter de juger notre travail ?!

Son allié appuie une main sur son épaule pour qu'il se rassoit calmement mais son visage rougit nous prouve que sa colère est loin d'être descendue.

- On a jamais parlé de classer l'affaire, ne t'inquiète pas. Me rassure Jacob en joignant ses mains face à lui.

L'ambiance n'a jamais été si tendue, ma mère s'applique sereinement du rouge à lèvre à l'aide d'un miroir de poche.

La situation n'a plus l'air de beaucoup l'inquiéter, je n'arrive pas à savoir si cela la contrarie ou non.

Je décide tout de même de rompre le silence en dernier recours:

- Comment pouvez-vous être sûr que cette machine n'est pas truquée ?

- Une centaine de personnes l'ont passé avant vous.

- Vous avez peut-être constamment conclus des décisions hâtives.

- Cela fait dix ans qu'on exerce notre métier et tout c'est toujours bien passé.

- Il faut bien une première à tout, n'est-ce pas ?

Si Jacob n'avait pas pressé sa main sur celle de son acolyte, je parie que Klein m'aurait giflé à l'instant.

On peut entendre ses dents claquer, ses narines frémissent d'agacement.

Ma chaise racle le parquet dans un bruit fort dérangeant, je me lève pour sortir de la pièce mais ma mère me retient.

- Resta fino alla fine.*

* «  Reste jusqu'à la fin »

J'ai l'habitude de parler italien avec ma soeur mais lorsque ma mère l'emploie aussi avec moi, c'est qu'elle est vraiment contrariée.

Son regard sévère me convainc et je repose immédiatement mes fesses sur le fauteuil.

Tandis qu'ils disputent entre adultes de la suite des événements, je me tortille sur moi même.

Les os de mon coccyx me font atrocement souffrir aux vus des longues minutes que je viens de passer sur cette chaise en bois extrêmement inconfortable.

Ma soeur se joint à moi, fière de son exploit.

Je ne lui adresse pas un coup d'œil, déçu qu'elle n'ait pas pensé aux répercutions.

- Bien, l'affaire est loin d'être réglée. Nous allons faire notre possible pour que Lola ne soit pas retirée de son foyer familial.

C'est ça...

- Nous avons envoyé cinq hommes à la recherche du père. Avec un peu de chance il n'a pas encore quitté le pays.

Ça m'étonnerait qu'il soit encore au Canada, mon père est doué pour fuir ses responsabilités.

- Dans un deuxième temps, nous pourrions vous mettre en place un accompagnement social et éducatif durant deux ans. Si cela vous convient.

- «  Si cela vous convient » répétais-je dans mon coin, hilare. Cette formule n'a pas lieu d'être, nous savons tous ici que les mesures seront prises peu importe mon avis.

Amalia serre ma main en dessous du bureau, à croire qu'elle s'est tournée de mon côté pendant les cinq dernières minutes.

J'appuie mes ongles contre sa peau pour la repousser. Je ne veux pas de son empathie.

C'est trop tard maintenant.

- Cette jeune fille a un sérieux problème avec la reconnaissance. On se plie littéralement en quatre pour te donner un avenir meilleur !

- Littéralement ? Ça m'étonnerait que ce soit physiquement possible.

- Je n'ai pas envie de rire là !

- Tant mieux, moi non plus ! Clamais-je, hors de moi.

- Ne recommencez pas !

La situation ne s'arrange pas. Cela va être complexe d'avancer avec Klein qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez et ne se rend pas compte de la raison de ma réticence.

Et puis, c'est évident que si l'un d'entre nous ne veut pas aller plus loin, on ne peut pas faire un pas de plus.

- Autre chose, s'interpose le gentil flic. J'aimerais que Lola voit un médecin. Il lui donnera sûrement quelques séances gratuites chez le psychologue.

- Mon mari a été clair sur ce point, notre fille ne verra pas de psy.

- Beh, non è più qui.* Contredis ma sœur avec entrain.

* « Et bien, il n'est plus là » en italien

Les iris de ma mère se mettent à trembler, quelque chose semble se briser en elle, comme si elle venait enfin de saisir qu'il était parti et n'avait probablement pas l'intention de revenir.

Il faut croire qu'elle aimait réellement cet abruti malgré toutes les crasses qu'il lui faisait subir.

- Peu importe, son état physique m'inquiète. Il faut faire vérifier son IMC.

Elle me détaille avec ardeur, ses yeux ont l'air de découvrir mon corps pour la première fois. Eux qui me contemplent pourtant si souvent avec dégoût semblent désormais terrorisés.

Ses lèvres s'ouvrent, elle ne dit rien pour autant.

Est-elle... satisfaite ?

- Lola tu... tu es si... maigre.

Mon prénom... suivi de cet adjectif... sortant de sa bouche.

J'ai tant rêvé de ce moment. Ce moment où ma mère se rend compte des efforts que j'ai mené pour lui faire plaisir. Ce moment où elle me félicite d'avoir surmonté tous ses régimes inhumains et ses réflexions douloureuses.

Et pourtant, ce n'est pas la bonne expression qui s'affiche sur son visage.

- T-tu es... anorexique.

Comment ?

Impossible.

J'ai perdu du poids, ça c'est sûr. Mais dans aucun cas je serais allée aussi loin.

Pas vrai ?

- Je n'irais pas jusque là madame. Seulement, il est vrai que son gabarit est anormalement affaibli.

Non.

Non ce n'est pas possible.

Lorsque je me contemple dans le miroir je me sens enfin normal. Je ne suis pas si maigre que ça, j'irais même jusqu'à dire qu'il me manque encore quelques kilos à perdre.

J'humidifie mes lèvres sous leurs oeillades pleines de pitié. C'est abominable.

Je me sens prisonnière. Je déteste cet endroit. Je veux le fuir et ne plus jamais revenir.

Et c'est exactement ce que je fais.

***

Le bus s'arrête au terminus, l'hôpital privé. Je descends les marches, perplexe à l'idée de pénétrer à nouveau dans cet endroit si troublant.

Malgré tout, Noa a peut-être déjà ouvert les yeux et je veux être le première à son chevet lors de son réveil.

C'est sans doute aussi parce que je n'ai nulle part où aller suite à ma fuite soudaine.

Ma maison est le dernier endroit où je veux me trouver. C'est le lieu où je me sens le plus mal à l'aise, surtout aujourd'hui.

Les médecins défilent d'un endroit à l'autre sans se préoccuper des patients dans la salle d'attente.

J'imagine bien qu'ils me prendront à minuit à cette allure, c'est bondé et je ne compte pas attendre une éternité.

Je dois voir Noa, maintenant.

J'attrape la veste d'un docteur qui me semble accueillant alors qu'il s'apprêtait à disparaître dans une petite salle.

- Bonjour hum... savez-vous dans quel numéro de chambre se trouve Noa Lee ?

- Faites la queue comme tout le monde.

Il reprend son pas rapide mais je m'accroche à la manche de sa blouse, décidée de lui soutirer l'information.

- S'il vous plaît, je suis vraiment pressée.

Je tente de l'hypnotiser avec mes pupilles envoutantes, étonnement ça marche puisqu'il attrape un bloc-note sur la table près de nous.

Son doigt glisse sur la feuille à maintes reprises, l'homme paraît exaspéré mais son rictus m'indique qu'il l'a finalement trouvé.

- Salle 333.

J'ai un haut le cœur due à la nostalgie au moment où ile me tourne le dos. Mon estomac se tord et mon esprit est propulsé des mois en arrière.

Salle 333.

C'est la salle dans laquelle je donnais des cours d'anglais à Noa. Ce temps là, tout était plus simple, je n'aurais jamais imaginé une seconde que tout pourrait se compliquer de cette manière.

Le cœur secoué, je rejoins la salle qu'on m'a indiqué à pas réticents.

La main contre la porte, je m'apprête à toquer quand mon geste se fige en l'air.

La porte est entre ouverte et laisse apercevoir une jeune femme en face du lit Noa.

Celui-ci s'est bien réveillé et a même l'air plutôt rétablie.

Un tsunami de soulagement embarque tous mes organes. Je me suis fait un sang d'encre et le simple fait de le voir parler et bouger sur son lit d'hôpital me fait un bien fou.

La fille aux cheveux sombres qui lui parle est de dos mais je peux deviner à ces gestes fermes et brusques qu'elle n'a pas l'air de plaisanter.

Je colle mon oreille pour mieux entendre mais suis surprise de constater qu'il ne s'agit pas d'anglais.

- 정말 멍청하구나! 당신은 항상 엉뚱한 감정 때문에 망가져요 ! ( neo jeongmal meongcheonghaguna! dangsin-eun hangsang eongttunghan gamjeong ttaemun-e mang-gajyeoyo ! )

- 당신 부하들에게 나를 죽이라고 명령한 사람은 당신이에요. 여기서 가장 멍청한 사람이 누구인지 궁금해요 !( dangsin buhadeul-ege naleul jug-ilago myeonglyeonghan salam-eun dangsin-ieyo. yeogiseo gajang meongcheonghan salam-i nugu-inji gung-geumhaeyo ! )

- 어차피 쓸모없어, 엿먹어 ! ( eochapi neon sseulmo-eobs-eo, yeosmeog-eo ! )

- 그게 다야, 거기서 나가 ! ( geuge daya, geogiseo naga! )

Je n'ai pas compris un traitre mot de la conversation, mais ce dont je suis sûre c'est qu'il s'agit de Malicia.

J'en suis encore plus persuadée lorsqu'elle sort violemment de la pièce, les traits agacés et étonnés de me voir ici.

Pourtant, elle n'y prête pas trop d'attention puis s'en va, son sac à main resserré contre sa hanche.

Parfois j'oublie presque qu'ils sont cousins. En même temps, malgré leur origine en commun, Noa ne lui ressemble pas vraiment. Ses traits coréens sont beaucoup moins accentués que ceux de Ciliama.

J'ai tout de même multiples questions qui divaguent dans mon cerveau.

Pourquoi Malicia qui est sensé vouloir tuer Noa vient lui rendre visite pour discuter ? Elle aurait simplement pu le débrancher.

Je veux faire un pas dans la salle pour rejoindre Noa qui se lamente en tripotant sa robe d'hôpital mais un corps imposant m'interdit le passage.

- Il n'a droit qu'à une visite par jour pour l'instant.

- Sérieusement ? J'ai besoin de le voir tout de suite !

- Revenez demain.

Bordel, le monde est sincèrement contre moi ces jours ci.

L'homme n'a pas l'air de vouloir me céder un caprice, les mains sur les hanches il attend le moment où je m'en irais.

Je roules des yeux avant de rebrousser chemin à bout de nerfs.

Si mon cerveau est capable de patienter jusqu'au lendemain, je ne suis pas persuadée que mon cœur puisse faire de même.

Un torrent de pluie s'abat sur mes cheveux avec violence lorsque je pose un pied dehors.

La pluie a beau être la routine ici, je ne me ferais jamais à la sensation désagréable de sentir l'eau glisser sur ma peau.

Mais pour une raison que j'ignore, aujourd'hui cela me fait du bien. C'est comme si l'eau apaisait mon corps en surchauffe.

Il me faut un long moment avant de me souvenir que j'ai encore le double des clés des Johnson.

J'aurais au moins un abri sous lequel me reposer en toute tranquillité puisque tous les autres sont encore en cours.

Le bus du retour me ramène directement dans notre quartier silencieux en un clin d'oeil.

C'est trempée jusqu'aux os, les baskets remplis tels un lac et la peau dégoulinante que je pénètre dans la villa de Thomas.

Ses parents ne sont pas présents, ça me rassure tellement que j'en pousse un soupir de relâchement.

Mes affaires n'ont pas bougé, toujours posés sur mon lit, c'est comme si elles attendaient mon retour.

L'odeur de Johnson que j'ai l'habitude de raffoler plane dans les couloirs et me donne un haut le cœur.

Je lui avais pourtant dit de ne rien faire.

Je pouvais gérer, j'allais gérer.

Et maintenant qu'il a tout raconté je suis condamnée à vivre dans la crainte que l'on me place en famille d'accueil.

Je ne me gène pas pour m'allonger sur son lit parfaitement dressé avec mes vêtements mouillés.

Cela laisse de grosses traces, parfait.

Je ne vais sûrement pas m'arrêter là.

Je fouille dans tous ses tiroirs, ses armoires, sous son lit, dans sa salle de bain personnelle.

Je dois m'emparer de quelques chose qui lui est cher pour le réduire en cendres.

Une boule chauffe en moi, le besoin d'évacuer ce ressenti est vital.

Oh.

Mon souffle s'en coupe.

Des flingues, des sachets étranges et du fric, un max de fric.

Je n'imaginais pas trouver ça sous les lattes de son matelas mais tout est bien là, juste sous mes yeux.

Tout le matériel d'un dealer est exposé devant moi.

J'ai parfois pensé que c'était une mauvaise blague ou bien qu'ils se faisaient passer pour des vendeurs de drogue mais actuellement la réalité est une énorme gifle dans mon visage.

J'attrape l'argent et fais glisser les billets sur mon bras comme si j'étais soudainement devenue millionnaire.

Une fois m'être assez amusée avec, je jette le tout dans les airs et les morceaux de papier s'étalent partout dans sa chambre.

La poudre blanche ainsi que l'herbe se mélangent dans le creux de ma main.

Je n'avais jamais touché de coke dans ma vie, ce n'est pas si extraordinaire que l'on croit.

Cette décision hâtive signera sûrement mon arrêt de mort mais ce n'est pas ce qui m'importe à l'instant présent.

Je vide tous les sachets dans les toilettes avant de tirer la chasse dans un bruit fatal.

La boule brûlante rétrécit légèrement, savoir qu'il sera tout autant en rogne que moi m'apaise.

Contrairement aux autres objets, les armes à feu me font frémir sur place.

Ces derniers temps j'ai du y faire face à de nombreuses reprises mais en tenir une, c'est différent.

Malgré tout, j'en attrape une avec précaution pour l'observer de plus près.

Elle a beau être dangereuse, sa beauté n'en est pas moindre, son métal noir brille si fort qu'elle semble avoir été poncée.

Le revolver en main, les bras tendus devant moi, je fais mine d'être une tueuse à gages au moment où la porte s'ouvre à la volée.

Je n'ai pourtant entendu personne entrer mais un grand roux fait son entrée dans la pièce.

Avec maladresse et surprise, j'appuie sur le guichet les yeux écarquillés.

Par chance, grâce à mon affreuse maitrise de l'arme, la balle s'enfonce dans le mur à quelques centimètres de la joue de Marcus.

Mon estomac est remonté jusque mon coup, des crampes se forment dans les muscles de mes bras.

Il se remet rapidement de ses émotions puis secoue la tête pour me rejoindre.

- C'est. Quoi. Ce. Bordel !

Mes lèvres sont scellées, mon incapacité à parler n'a pas l'air de lui faire franchement plaisir.

Ses yeux analysent la situation, je n'ai jamais vu Marcus dans un état aussi sérieux et effrayant.

- Enola, qu'est ce que tu as fait ?

- Une grosse connerie, j'imagine.

La voix d'Ethan rebondit sur mon visage avant même que j'ai pu me justifier.

J'imagine donc que le groupe au complet est désormais présent.

Mes dents claquent, ils l'entendent tous mais sont particulièrement concentrés sur le matériel qui a bougé et le trou profond que mes mains ont provoqué.

Eliott et son ami latino, nous rejoignent, intrigués.

Les bandages qui protègent leurs phalanges ensanglantés ainsi que leurs sacs de sport m'indiquent qu'ils reviennent tous d'une séance de boxe.

L'acolyte du blond me reluque sévèrement, la dangerosité qui émane de ses prunelles me mets extrêmement mal à l'aise.

- Putain Enola, tu sais que je te kiffe mais là je peux vraiment rien faire pour toi.

- Quand Thomas va voir ça, il va te défoncer.

- Défoncer ? Sois plus claire, ça peut prêter à confusion. Interroge le roux, l'air de ne pas réaliser la situation.

- Dans le sens la tuer, connard ! Tu penses sérieusement qu'il va la baiser après qu'elle ai massacré notre came ?

- Et percé son mur. Rajoute Eliott comme si tout ça ne suffisait pas.

Je suis à deux doigts de gerber sur leurs pieds ou bien de pleurer, aucune idée, mes sentiments se mêlent puis se brouillent.

Qui m'a envoyé ?

Le regret de mes actes est plus fulgurant que je ne m'y attendais.

- Qui va baiser qui ?

Et merde, il est là.

Son entrée se fait dans un silence de mort, nos yeux se tournent dans sa direction mais je n'ose pas croiser les siens.

Ma fureur n'est pas prête de décroitre même après ma petite vengeance.

- Davis... qu'est ce que tu fous ?

Mon dos tourné est la seule réponse qu'il obtient de ma part, j'essaie de m'extraire de la chambre mais son énorme bras me bloque la sortie.

- Toi, tu restes ici.

- Laisse moi sortir.

- D'abord tu vas m'expliquer le bordel que t'as foutu.

Il pointe du doigt les billets de cent dollars abandonnés sur le parquet froid ainsi que la balle enfoncée près de l'armoire.

Je souffle sur une mèche rebelle et lève les yeux avec prétention.

- J'ai pas le temps de discuter avec toi Johnson.

J'appuie sur son biceps pour sortir de cette pièce oppressante quand son autre main attrape ma hanche fortement.

Ce geste n'a rien d'attirant, il me presse la côte douloureusement et je parie qu'il est conscient de me faire mal.

- T'iras nulle part avant que je ne l'ai décidé.

Je bats des cils bêtement, fixant ses pupilles glacials qui me pétrifient.

Il a le même regard que lors de nos premières rencontres. Lui qui s'était pourtant attendri il a l'air d'avoir repris ses mauvaises habitudes de mec dangereux.

- Lâche moi putain.

Mes paroles retombent devant mes pieds avant même d'atteindre sa hauteur.

Sa force s'accroit et j'ai l'impression que mes os se brisent un à un.

- J'espère que ma came est encore là Davis.

Mes narines frétillent, un rire nerveux m'échappe et malheureusement il prend ça comme de la provocation.

Il se détache instantanément de moi pour accourir à sa cachette pas si bien cachée.

Son pieds heurte le flingue par terre quand il se rend enfin compte que les sachets ne sont plus là.

Eliott et Ethan me jettent une oeillade de compassion l'air de dire « tu vas te faire massacrer », Tandis que le latino, Diego si je me souviens bien, semble vouloir me crier « sale pute, à quoi tu pensais ?! »

Marcus quant à lui, se rétracte au point de fusionner avec le mur dans son dos.

- Où. Est. Ma. Coke. Davis ?

Cette fois c'est ma gorge qu'il plaque contre le mur percé, surprise par son geste je n'ai pas eu le temps de prendre une dernière inspiration.

- L-l-lâche... m-moi ! Je peine à cracher sous leurs regards accusateurs.

Il fait tout le contraire en pressant de plus belles ses doigts contre mes cordes vocales.

Mes dents s'enfoncent alors sur la peau de son avant-bras jusqu'à ce que du sang en coule doucement.

Je peux enfin respirer, il jure avant de donner un gros coup de poing dans le mur, près du trou.

Ses phalanges déjà bandées se mettent à saigner de nouveau et les gouttes tombent à nos pieds silencieusement.

- Est ce que tu as conscience de l'impact de tes actes ?

Sa voix m'effraie. Je déteste quand il prend ce ton autoritaire, on a l'impression qu'il peut détruire tout ce qui se trouve devant lui. En l'occurrence là, c'est moi.

- Je te retourne la question. Braillé-je, les mains au ciel.

Les sourcils froncés, il n'a même pas l'air de comprendre l'erreur qu'il a commis.

- De quoi tu parles ? À force de rien manger tu deviens tarée.

Aïe.

Ce coup fait bien plus mal que n'importe qu'elle gifle ou étranglement.

Ma tête reste tout de même haute mais je suis persuadée qu'il arrive à lire la trahison sur mon visage.

- On ferait mieux de...

- Ouais.

Le reste du groupe s'en va sans discrétion, j'en profite pour me fondre dans la masse et atteindre le couloir.

Je ne veux pas revoir la rage sur son visage, je veux m'échapper de sa maison et ne plus revenir. Je préfère encore pourrir sous la pluie toute la nuit.

Je bouscule leurs gigantesque carrures dans les escaliers, finalement à l'extérieur, je pense m'en être sortie mais une main s'appuie sur mon épaule.

- Tu vas pas t'en sortir comme ça, Davis.

- C'est quoi ton problème ? Laisse moi partir !

- Pas avant que tu me dises où t'as foutu notre poudre.

- J'aurais aimé mais je ne suis pas sûre que tu veilles passer par les égouts pour la récupérer.

C'était la goutte qu'il ne fallait pas rajouter, son expression s'assimile soudainement à celle du diable, je n'ai jamais été aussi effrayée par quelqu'un qu'à cet instant.

Ses mains secouent brusquement mes épaules, il ne semble pas intégrer les informations que je viens de divulguer.

- Tu mens.

- T'aimerais bien, hein ?

Mon sourire diabolique se mêle à la pluie bruyante qui frappe sur nos têtes.

- Souris encore une fois comme ça et je t'arrache la bouche.

Mes lèvres se retroussent pas réflexe, il en est capable.

- Et arrête de me fixer avec tes putains d'yeux verts.

Le fait qu'il ne puisse pas résister à la pression de mes pupilles hypnotisantes me fait rire intérieurement.

Ses cheveux trempés gouttent sur son front et ses cils mouillés le rendent plus sexy qu'il ne l'a jamais été.

Ça n'empêche pas que j'ai toujours cette envie de lui épiler les couilles pour le faire payer.

Je pousse avec le peu de force qu'il me reste sur son torse, il s'éloigne par lui même mais ses yeux sont toujours posés sur mon visage.

- Retrouve ma came Davis. Je rigole pas avec toi.

- T'as eu ce que tu méritais, enculé.

Les doigts mouillés de Thomas m'attrapent les joues à l'aide d'une seule main, je peux à peine ouvrir la bouche.

Une voiture passe derrière nous puis éclabousse nos deux corps tendus.

Il n'y prête pas attention une milliseconde, son front est désormais collé au mien et ses cheveux me chatouillent.

- Comment tu m'as appelé ?

- Enculé, c'est le seul nom que tu mérites.

- T'es vraiment une petite pute, Davis.

L'entendre m'appeler de cette manière ne provoque rien en moi, ce n'est pas la première fois qu'il m'insulte après avoir laissé la colère prendre possession de lui.

- Tu sais ce que je risque par ta faute ?

- Mais de quoi tu parles, merde !

- Fais pas semblant. T'as appelé les services sociaux pour qu'ils viennent en urgence.

Sa prise se défait peu à peu, son visage se décolle de moi, l'expression peinte dessus est déstabilisée.

- Qu'est ce que tu racontes ?

- Ne mens pas !

- Davis, c'est pas moi qui ai appelé ces putains de services sociaux !

{ La suite dans le prochain chapitre }

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