Chapitre 35: Conversation dévastatrice

Les classes concentrées doivent probablement m'entendre déambuler comme une folle.

Je viens à peine de raccrocher au téléphone, je ne sais même pas d'où sors cette force qui me permet de courir.

Je suis exténuée.

Le proviseur ne m'a pas du tout autorisé à m'échapper de la sorte mais je me fiche d'être collée.

Je dois absolument rentrer.

Mes iris s'assombrissent à la vue de la personne que je souhaitais le moins apercevoir.

Sa carrure imposante s'avance devant moi, Johnson a l'air plus que fier de lui.

Je dois prendre sur moi pour ne pas le gifler à l'instant où ses lèvres imitent un petit sourire.

Ses phalanges sont bandés mais le sang s'égoutte tout de même sur le sol.

- Dav-

- Ferme ta gueule.

Je bouscule violemment son épaule avant de poursuivre mon chemin comme si de rien était.

J'aimerais lui crier que je le déteste, qu'il aille se faire foutre ou s'enfoncer un cure dent dans la gorge, pourtant je me retiens parce que cela prendrait trop de temps.

Pensait-il que j'allais lui sauter dans les bras en criant « Merci d'avoir appelé les services sociaux, je t'aime tant ! » ?

Mes tempes me font si souffrir que j'en viens à avoir peur que mon crâne explose.

Je ne l'ai jamais autant détesté qu'à cet instant.

Je pousse les portes de sortie en sentant ses yeux s'enfoncer dans mes omoplates.

Putain, il n'a pas conscience du bordel dans lequel il me met.

Je devais simplement patienter jusqu'à ma majorité pour m'enfuir de cet enfer ou dans le pire des cas simplement mourir.

Je n'ai pas envie qu'on me reproche d'avoir séparé ma famille durant le reste de ma vie.

Les gens ne feront que me traiter d'égoïste sans écouter ma partie de l'histoire.

Les dents serrées prêtent à s'éclater, je m'introduis dans le bus qui s'apprêtais à partir.

Je ne prends pas la peine de m'asseoir, surplombée par l'adrénaline.

J'imagine ma mère seule à la maison, face à ces hommes qui doivent la bombarder de questions auxquelles elle mentira une par une pour protéger l'image de sa petite famille.

Cette simple image qui se propage dans ma tête suffit à me faire crier au conducteur d'accélérer.

Il me lance un mauvais coup d'œil dans le rétroviseur et ne change absolument pas sa vitesse.

Les voitures n'avancent pas, les bouchons sont décidément contre moi aujourd'hui.

J'appuie sur le bouton pour ouvrir la porte et m'extraire alors du véhicule.

J'irais plus vite en courant, même si je dois m'en briser les jambes pour y arriver.

L'air froid me pétrifie le visage, mais d'un côté j'apprécie la sensation.

J'ai une impression de déjà vu.

Comme si depuis quelques temps j'avais cette étrange habitude de constamment courir dans mon quartier.

Mon souffle se fait de moins en moins constant et je dois compter sur mes mollets pour continuer à avancer.

Mon cerveau ne peut pas s'empêcher de penser à Noa malgré tout ce qu'il peut bien se passer dans ma vie.

Son sang est peut-être en train de s'écouler à flot, son visage de pâlir comme un cadavre et son cœur de se désintégrer à cause de la balle.

Je m'arrête un instant quand l'envie de vomir me surprend soudainement.

J'enfonce mon casque sur mes oreilles puis augmente le volume à fond, espérant que ça dissuadera les pensées de m'envahir.

Je passe toutes les musiques avant de tomber sur The Cut That Always Bleed et décide que ça fera l'affaire.

Pendant un instant je fixe longuement la route ainsi que les voitures qui y roulent à pleine vitesse.

Si mon corps décidait de s'allonger sur la chaussée maintenant, tout serai probablement réglée.

Mes pas ralentissent, désormais à quelles pattés de maisons de chez moi, j'ai subitement envie de retourner en cours.

Je ne veux pas m'occuper de tout ça.

Je ne veux pas confronter ces hommes et ma mère qui doit sûrement péter un cable.

Je ne veux pas avoir toutes ces horribles tâches sur ma peau, ni éviter mes harceleurs dans les couloirs du lycée, ni fuir Malicia qui cherche à m'atteindre.

Je ne veux pas non plus être amoureuse de Noa ou bien de Thomas.

Je suis si fatiguée.

Je veux seulement qu'on m'enlève la vie.

Alors pourquoi je fais tout pour que ça n'arrive pas ?

Le cri strident qui s'échappe naturellement de ma gorge ne me satisfait absolument pas.

De telle façon que je recommence à maintes et maintes reprises à m'en éclater les cordes vocales.

Les buissons bougent de façon effrayante, je me rétracte mais c'est seulement Rosa qui vient me tenir compagnie.

J'attrape la boule de poil dans mes bras en me persuadant qu'elle me donnera le courage d'ouvrir ma porte.

Son pelage est glacé, je m'en veux de l'avoir complètement oublié et négligé.

Ce petit détail vient accentuer ma détresse, je foire absolument tout ce que j'entreprends, « c'est exaspérant » aurait dit ma mère.

Je frappe plusieurs fois mon crâne sur le mur en pierre de chez moi.

Peut-être que si j'explose ma tête j'arrêterais de penser à tout ça.

Rosa s'échappe de mes mains, prenant peur vis à vis de mon action.

Ça ne dure pas avant que du sang vienne s'écouler depuis mon front.

Bizarrement ça ne me fait pas mal, c'est agréable, la douleur est agréable.

Mon dos commence à se laisser glisser sur le porte mais celle-ci s'ouvre à la volée, laissant paraître de longues jambes qui me sont inconnus.

- Jeune fille, vous habitez ici ?

J'hésite à lui dire que je suis simplement une voisine cinglée qui trainait dans les environs puis renonce par pur flemme de jouer la comédie.

J'acquiesce mais il reste sceptique, sa mine incrédule sur ses traits durs m'effraient légèrement.

Ma mère sort de nulle part, le visage barbouillé, elle est encore en pyjama et ses cheveux sont attachés dans un chignon haut mal fait.

Ça ne lui ressemble tellement pas que je me demande comment j'ai pu la reconnaître.

- C'est ma fille.

« Aujourd'hui je suis ta fille ? » c'est ce que j'aurais aimé lui dire si j'en avais eu le cran.

Au lieu de ça, je place une main sur mon front et rentre dans le salon honteuse, Rosa derrière moi.

Le collègue de l'homme qui m'a ouvert la porte est déjà installé sur mon canapé.

Il garde les yeux rivés sur moi l'air de dire « c'est elle qui se fait frapper ? »

- Sais-tu pourquoi nous sommes ici ?

Le coup d'œil que je lance à ma mère ne m'apporte aucune aide, j'improvise donc.

- J'ai seulement du rentrer de toute urgence, mais je ne connais pas la raison.

Je me dirige dans la salle de bain pour y récupérer un pansement que je colle sur le haut de ma tête sous leurs regards inquisiteurs.

Moi qui voulait éviter les soupçons, c'est mal parti.

- Assieds toi.

Je suis ses ordres à la lettre mais ma mère qui s'apprêtais à faire de même est appelée à monter pour que la discussion soit privée.

Si je pouvais m'enterrer sous terre actuellement, je le ferais sans hésiter.

- Alors... Lola. Comment ça se passe avec ton père à la maison ?

Beaucoup de situations malaisantes ont eu lieux ces derniers temps, mais celle-ci est de loin la pire.

Est ce possible de se tuer si on se mord le bras jusqu'à l'hémorragie ?

Peut-on s'auto-étrangler à mort ou notre cerveau nous arrêtera avant ?

Combien de secondes de plus m'aurait-il fallu dans l'eau pour complètement perdre connaissance à vie ?

À combien de mètres notre corps est sûr de ne pas se réanimer après une chute ?

Quelle quantité de médicaments faut-il avaler pour que notre foi ne supporte plus et succombe ?

Les questions de ce genre s'enchaînent dans mon esprit à une vitesse que je ne pouvais pas imaginer auparavant.

Mon cerveau est à un tel point à l'ouest que l'un d'eux vient claquer ses doigts devant mon visage.

- Oui ?

- Je t'ai posé une question.

Son visage est peint par une compassion synthétique pourtant le ton qu'il a employé révèle son épuisement presque hautain.

Je garde mes lèvres sellées, je ne compte pas lui dévoiler toute ma vie privée en un claquement de doigt.

Sa positon change, le rictus de sa bouche me prouve que ça l'excède déjà.

Pourquoi faire ce métier si ça semble le déranger à ce point ?

- Ta mère m'a fait comprendre que ce n'était pas toujours facile.

Est-ce qu'elle leur aurait tout raconté ?

Impossible.

- On ne va pas te placer en famille d'accueil directement si c'est ce que tu penses.

L'utilisation du mot « directement » me dérange.

Sûrement une façon implicite de me dire que ça arrivera, mais plus tard.

L'unique partie de mon corps qui fonctionne sont mes cils, le reste est figé.

Si j'arrête totalement de bouger, vais-je disparaître ?

- Tu peux nous faire confiance.

Je ravale mon rire jaune qui menaçait de sortir.

- Pour un assistant social vous auriez pu trouver une phrase moins pathétique.

- On est simplement là pour t'aider.

- Dans quel but ? Au fond qu'est ce que ça vous apporte de connaître tous mes problèmes ? Pour l'argent ?

- Absolument pas.

- Dans ce cas je ne comprends pas.

Sa mâchoire bouge sévèrement, je lui tape déjà sur le système.

- Nous ne somme pas là pour parler de ça.

- Je ne vais pas vous raconter mes secrets si je ne sais pas ce que vous allez en faire ensuite.

- Ensuite on t'aide. Ajoute son acolyte qui s'était pourtant extrait de la conversation.

- Vous m'aiderez ? Vous estimez donc pouvoir me comprendre ?

- Bien entendu. Même si nous n'avons pas de diplôme de psychologie on a tout de même été formé pour comprendre les autres.

- Comprendre les autres... je répète à voix basse pour analyser la phrase. Je pense qu'il s'agit seulement de prétention humaine à vrai dire. Sinon, le but est indéchiffrable.

Leurs deux paires d'yeux me considèrent avec attention.

Celui de gauche soulève ses manches nonchalamment, un fil d'air s'extrait de ses lèvres fines.

- N'essaie pas de jouer la fille intelligente, on est pas là pour ça.

- Je suis intelligente, je ne le prétends pas. Et puis, je n'ai pas l'intention de répondre à vos questions même si vous vous mettiez à me torturer donc je ne vois pas ce que vous faites encore ici.

Il s'enfonce dans le fauteuil, comme si les solutions lui échappaient des mains.

L'autre quant à lui, s'endurci d'avantage et s'avance un peu plus de mon visage.

- Ton père, est-ce qu'il est gentil ?

Oh... il m'a eu le bâtard.

Poser une question débile à laquelle on connaît déjà la réponse dans l'objectif que la personne en face développe sur la raison de pourquoi ce n'est pas le cas.

Bien joué, je l'avoue.

- Il me nourrie et paie mon toit ainsi que ma scolarité. Ça répond bien au questionnaire que vous avez appris par cœur avant de débarquer chez moi ?

- Tu as beau être malheureuse, ça ne te donne pas le droit d'être aussi insolente.

- Excusez moi, c'est que mon horrible père, le monstre, me perturbe beaucoup.

- Je n'aime pas l'ironie que tu places dans chacune de tes phrases. On t'a déjà dit que le sarcasme ne pourra pas toujours te sauver ?

- Plusieurs fois, oui. J'affirme avec reconnaissance.

La tension se fait bien plus que tendue, c'est une sorte de défie pour savoir qui craquera le premier.

Je fais passer ma bague sur mon index à maintes reprises pour faire passer le temps et éviter toute sorte de crise.

- Est ce que ton père t'as déjà... violenté ?

Je n'aime pas le mot spécifique qu'il a employé, comme si un autre mot du vocabulaire courant aurait été tabou.

- Vous pouvez dire « frappé », ça n'impactera pas ma sensibilité.

- Dans ce cas, répond à ma question.

- Non.

C'est sorti aussi sec que je le voulais, et surtout sans l'hésitation qu'il espérait.

- Est-ce que tu peux me montrer tes bras et tes jambes maintenant ?

Mes plus gros ecchymoses sont sur mon ventre.

- Pourquoi faire ? Vous estimez que je mens ? N'étiez-vous pas censé m'écouter et me comprendre ?

Il semble déstabilisé pendant le temps d'une seconde mais ça suffit à me faire plaisir le temps de deux seconde.

- C'est simplement la procédure.

- Pouvez-vous éviter de répéter à nouveau le mot « simplement » comme si la situation était tout à fait normale, s'il vous plait ? C'est assez dérangeant sachant que ça n'arrive pas tous les quatre matins.

- Comprit. À présent fait ce que je te demande. Nous avons besoin de vérifier pour être sûr.

- Mettez vous à ma place. Vous êtes une fille de dix-sept ans et deux hommes majeures vous supplient de retirer vos vêtements. Ne me dites pas que je suis la seule folle à trouver ça bizarre ?

Il souffle de façon à ce que je comprenne que mon comportement l'insupporte du plus haut point.

Celui de gauche intervient à nouveau pour prendre la relève:

- Tu es parfaitement consciente de la raison, toi qui es si intelligente. Ne nous fais pas passer pour des pervers quand tu sais très bien que cela n'a rien à voir.

- Et si je refuse ? Vous allez placer un couteau sous ma gorge ? Non mieux ! M'assommer pour inspecter mon corps quand je serais inconsciente.

- Tu as une vision très étrange de notre travail.

- Elle est surtout habituée à la manipulation morale et physique, j'en suis navré. Rajoute son ami qui me scrute avec tant d'obstination qu'il semble vouloir voir à travers mes vêtements.

Il se lève sans s'arrêter et je sens ma lèvre inférieur trembler malgré ma confiance jusqu'ici.

Va-il réellement m'assommer ?

- Lola, je vais simplement te demander de soulever ton tee shirt.

- Ne dites pas « simplement ».

- Oui, excuse moi.

La scène qui a eu lieu après le tournoi de boxe de Johnson se reproduit, ça fait bouillonner le bas de mon ventre.

Je n'en ai pas envie.

Pourquoi cette simple phrase ne suffit jamais ?

Pourquoi suis-je constamment forcée ?

- C'est pour ton bien.

- J'ai le droit de rire ? Non parce que, vous ne faites qu'utiliser les phrases fétiches des parents qui n'y connaissent rien sur leurs enfants et c'est vraiment amusant.

La mine de son visage s'attriste et ça suffit à m'énerver subitement.

Je déteste voir la pitié se former sur les traits des gens.

- Lève tes bras s'il te plaît.

- Je ne veux pas. Vous n'êtes pas censés défendre la parole de l'enfant ? Non c'est non à ce que je sache.

Les nerfs du deuxième gars se mettent aussi à chauffer dangereusement.

- Ne nous dis pas ce qu'on est censé faire ou non.

En un instant, il s'est retrouvé derrière moi et tient fermement mon avant-bras avec la force de sa poigne.

Je comprends désormais qu'ils vont donc tout découvrir, mais je ne me débats pas pour autant.

Il attrape le bas de ma chemise et s'apprête à la soulever.

- Tu n'essaies pas de t'échapper ?

- Ça n'aurait aucun intérêt.

Il secoue la tête puis laisse apparaître ma côte gauche entièrement violette à découvert, son ami fait pareil avec l'autre.

Une multitude de couleurs affreuses se déploient sur mon estomac qui prend souvent le plus cher.

La lueur de désespoir qui passe dans leurs pupilles n'est pas très amusante à regarder.

Ça ne dure pas longtemps, il faut croire que mes hématomes sont bien visibles et appuient leur supposition.

- C'est ton père qui t'as fait ça ?

- Non. J'aime bien me jeter du haut des escaliers.

- Écoute, on est pas au lycée là, c'est pas le moment de faire des blagues. C'est du sérieux Lola.

- Du moment où vous avez enfreint mon intimité je n'ai plus rien de sérieux à vous faire part.

- Maintenant qu'on est au courant on va pouvoir t'aider. Je te fais la promesse que plus personne ne te fera de mal.

C'est bien plus fort que moi, mon ricanement nerveux se fait entendre jusqu'en haut.

Est-il débile ou le fait-il exprès ?

- Comment est-ce psychologiquement possible de vivre sans ressentir aucune douleur venant des autres ?

- Je parlais bien entendue de la douleur physique.

- Vous oublier l'auto-mutilation.

- Effectivement à propos de tes morsures, nous prendrons des précautions pour t'empêcher de continuer.

Il les a donc vu plus rapidement que je ne l'aurais pensé.

- Vous allez me bourrer la gueule d'anti dépresseurs pour que je puisse ressentir une joie artificiel chaque jour ?

Je peux continuer ce jeu longtemps s'il le faut, tant que ça m'éloigne du sujet de mon père.

Il n'est pas stupide, il l'a très bien compris, mais pour une raison que je ne perçois pas, ça n'a pas l'air de l'énerver tant que ça.

- On verra ça plus tard. On attendant, je vais t'exposer une situation et tu vas devoir me répondre sincèrement.

Je n'acquiesce pas mais ne refuse pas non plus, clouée sur ma chaise, j'attends patiemment et avec intrigue sa prochaine question.

- Imaginons que tu ramènes une mauvaise note à la maison, quelle est la réaction de ton père ?

Pourquoi sait-il déjà que le mauvais rapport que j'entretiens avec mon père est à l'origine de mes notes scolaires ?

Il en sait beaucoup trop, ma mère a du en dévoiler plus qu'il ne le fallait sur le coup de la pression.

Je pensais m'en sortir indemne si je n'ouvrais pas la bouche mais je n'imaginais pas qu'elle aurait pris les devants.

- Il me gronde, comme tout parent le ferait.

- Et c'est tout ?

- Que voulez-vous que je vous dise ? La triste réalité c'est que je me porte parfaitement bien et que vous ne gagnerez pas votre argent.

Celui de gauche semble exaspéré par mon comportement et la situation qui n'avance pratiquement pas. Celui de droite pourtant, persiste à voir plus loin que mes paroles.

- Tu savais que les yeux ne mentaient jamais ?

- Alors quoi ? Vous pouvez lire dans mes yeux que mon père me frappe ?

- Que tu mens, premièrement. Et deuxièmement, que tu souffres d'une douleur indescriptible. Une douleur si forte qu'elle te consume chaque organe vitaux de l'intérieur. Si forte que même les blessures physiques que tu t'infliges ne suffisent plus. Si forte que tu passes tes journées à chercher un moyen de t'enlever la vie.

Ma bouche s'ouvre de façon discrète, une douche froide, ou devrais-je dire brûlante, viens s'écouler le long de mon corps.

Je ne veux pas lui montrer qu'il a réussit à lire trop de choses à travers moi, mais c'est assez compliqué suite à son petit monologue.

- Pourquoi me dites-vous tout ça ?

- Pour te prouver que je t'écoute et te comprends, Lola.

Je n'aime pas la tournure que prend cette conversation. J'étais sûre de pouvoir le duper mais il est parvenu à décrypter mes sentiments en une minute.

- Tu veux bien de notre aide à présent ?

- Toujours pas.

- Tu comptes continuer à vivre dans ces conditions ?

- Ne les ai-je pas supporté jusqu'à aujourd'hui ? Pourquoi ne pourrais-je pas continuer ainsi ?

- C'est malsain. Un enfant qui grandit avec un père violent n'est jamais réellement stable.

Ce qu'il ne sait pas, c'est que ma mère exerce elle aussi bel et bien de la violence sur moi.

Qu'elle soit physique ou psychologique, cela importe peu.

Je ravale durement ma salive après avoir songé de le lui avouer.

Puis il me revient en tête que je n'ai pas le courage de vivre en famille d'accueil séparée de ma soeur.

- Nous avons aussi constaté que... tu étais très maigre pour ton âge. Combien pèses-tu ?

Le bout de mes ongles s'enfonce promptement sur mon accoudoir puis s'attaque à la chair de ma cuisse.

Mon collant s'effile lentement dans un crissement désagréable.

J'essaie en vain de me concentrer sur le bruit des aiguilles de l'horloge accrochée au dessus de leurs têtes.

Mais cette mélodie étrange plane continuellement dans ma tête.

Pourquoi cette simple question suffit à me mettre dans un état pareil ?

Je suis pourtant habituée aux pesés mensuels de ma mère. Alors pourquoi aujourd'hui, maintenant, j'ai la sensation que mes entrailles vont se déchirer ?

- Ça ne vous regarde pas.

Six mois au paravant, on m'aurait sûrement fait remarquer mon surpoids.

Aujourd'hui c'est mon sous poids que l'on pointe du doigts.

C'est toujours les extrêmes avec moi, il n'y a pas d'entre deux.

- Où se trouve ton carnet de santé ?

- Je ne suis pas allée chez le médecin depuis une éternité maintenant.

Ça aurait pu être un très bon mensonge, mais la vérité c'est que je n'y suis pas retournée depuis qu'il a menacé mes parents d'appeler la police après avoir vu tous les bleus sur mon estomac ainsi que mon dos.

Je me souviens que Lana était encore en vie à cette époque là, j'ai du lui mentir en disant que le docteur était un pervers et c'est pour cela que je n'y retournais plus.

- La communication n'a pas l'air de fonctionner entre nous. Sa main sort une feuille de sa pochette en cuire. Remplie ce questionnaire. Et soit honnête s'il-te-plaît, c'est vraiment pour ton bien.

J'attrape le bout de papier, suspicieuse. Je ne m'attentais pas à tant de questions, il y en a même au verso.

Ils prétendent me laisser de l'espace pour y répondre et disparaissent du salon pour rejoindre ma mère à l'étage.

Rosa qui s'était cachée le temps de notre discussion en profite pour venir s'asseoir sur la table basse face à moi.

Mes yeux la contemplent pendant un temps indéfini, une excuse pour ne pas lire le long questionnaire qui m'attend.

Sa patte se pose sur la papier, elle semble vouloir que je le lise elle aussi.

- Comment te sens-tu à la maison ? Lis-je à voix basse.

Mal.

J'écris le mot « bien » sur ma copie et poursuis.

- Aimes-tu passer du temps avec tes parents ?

Non.

Je note « oui ».

- Comment est l'atmosphère chez toi ?

Tendue.

Je réponds donc « super ».

Les questions de ce genre s'enchaînent et je continue de dire l'inverse de ma pensée en continue.

Une question particulière m'interpelle.

- Préfères-tu ton père ou ta mère ?

Ça m'a d'abord semblé bizarre de trouver ce genre de demande puis le mot d'en-dessous me paralyse.

« Pourquoi ? »

Ils avaient bien prévu que je mentirais sur toute la ligne, alors ils me forcent carrément à justifier mes réponses.

Détester n'est pas un mot assez grand pour décrire la haine que j'éprouve envers cette journée.

Je passe la question sans m'en soucier plus que ça.

Les interrogations du verso sont un peu plus direct du genre:

« Te fais-tu du mal ? » - « Avec quoi ? Comment ? »

Ou bien:

« Quelqu'un te fais peur chez toi ? Te rabaisse ? Te frappe ? Te brûle ? »

Ou encore:

« Tu manges à ta faim ? »

Rien que poser mes yeux dessus me donne des frissons dans tout le corps, c'est littéralement un supplice.

J'entends les hommes redescendre, sans ma mère heureusement.

- Alors ? Tu l'as terminé ?

- Oui.

- Parfait.

Avec toutes mes réponses fausses ils devraient me laisser tranquille.

Mais ça n'aurait aucun sens.

J'estime qu'ils doivent être assez intelligents pour décrypter lorsqu'un enfant ment ou non, sinon tout le monde ferait comme moi et s'en sortirait tranquillement.

Celui de gauche, que je ne m'aime pas trop, parcours ma copie les sourcils froncés.

L'autre la lui prends ensuite tout en se grattant le menton suspicieusement.

- Je ne sais pas si ça m'étonne que tu ai menti ou non. Après tout on s'en doutait.

Je reçois un petit coup dans la poitrine mais n'en démontre rien pour autant.

Qu'est ce qui leur fait dire ça ? Après tout il y a bien des enfants heureux dans ce monde et l'appel de Thomas aurait très bien pu être une erreur.

- Tu as répondu à toutes les questions sauf celles qui impliquaient une justification. C'est très simple de se rendre compte que tu ne veux pas dire la vérité.

Oh la conne.

Finalement je ne suis peut-être pas si intelligente que je le prétends.

- J'avais juste la flemme de m'expliquer à l'écris.

- Pourtant ta mère m'a raconté que tu adorais écrire.

Oh mon dieu.

Elle lui a réellement raconté tous les détails de ma vie ?

Je ne savais même pas qu'elle était au courant, elle ne prête jamais attention à ce que je fais.

- Elle a menti, elle ne connaît rien de ma vie.

C'est sorti tout seul, j'avais besoin d'extérioriser au moins une chose du fond de ma gorge.

- Hum, interessant. Donc, tu n'as pas une bonne relation avec ta mère.

- Si ! On s'entend parfaitement bien.

- Étrange, elle m'a confirmé le contraire.

Putain pourquoi elle ne joue pas le jeu ? J'étais pourtant sûre qu'elle utiliserais ses talents de menteuse à merveille.

- Elle dramatise pour quelques disputes.

Il lève ses sourcils et ouvre de grands yeux l'air de dire « ça m'étonnerait ».

Ça m'énerve d'être ici, je préfèrerais encore être assise en cours à suivre mon cours d'anglais avancé.

- Est-ce que vous pouvez accélérer la cadence ? Je sèche les cours pour vous actuellement.

- Tu vas rester avec nous toute la journée. Et puis ne t'inquiète pas, dans un cas comme celui-ci, le lycée sera averti et tu ne te prendras aucune colle.

Ce n'est pas particulièrement ce qu'il dit qui me percute, mais plutôt l'intonation qu'il place dans chacun de ses mots de façon à ce que je sache que je finirais pas cracher le morceau à un moment ou un autre.

Ils échangent quelques mess-basses qui ont l'air sérieux puis se retournent enfin vers moi.

- On va t'emmener au poste.

Oh merde.

Merde, merde, merde !

- Quelle conclusion hâtive...

- Tu ne parleras pas si on reste ici.

- Et vous estimez qu'entourée de policiers et d'assistants comme vous, je me sentirais mieux pour répondre ?

- Le détecteur de mensonge se trouve là-bas.

Hein ?

Suis-je si peu informée sur la technologie pour ne pas savoir qu'un truc pareil existe déjà ?

- Je ne suis pas une criminelle.

- Je pense que tu n'es pas au courant mais un parent accusé de violence envers son enfant, qui est de plus mineure, peut entraîner quinze ans de prison. C'est grave ce qu'il t'arrive, ne le prend pas à la légère.

S'il savait le nombre de recherches que j'ai fais la dessus...

Je pense même en savoir plus qu'eux deux réunis.

- Donc soi tu parles maintenant, soi tu le passes.

Avec un peu de chance il sera cassé lors de mon tour.

- Je le passe.

{ La suite dans le prochain chapitre }

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