Chapitre 34: Anderson

- Et tu es ?

- Lola Davis, ravie de faire votre rencontre.

Je tends une main polie à la femme qui se tient face à moi.

Ses yeux me scrutent avec insistance, je ne saurais pas décrire le sentiment qui s'y installe quand ils défilent sur ma silhouette.

- Diane, c'est ma copine.

Johnson intervient comme un sauvetage pour moi, je retiens ma respiration si fort que je me vois déjà faire un malaise.

Allez Lola, c'est pour de faux de toute façon.

En même temps les traits durs et la bouche plissée de sa belle-mère ne m'aident absolument pas.

Sa peau légèrement ridée est recouverte d'un fond de teint bien trop orange par rapport à son cou, ses paupières fatiguées cachent ses prunelles jaunes et son corps élancé est habillé d'une robe rouge qui frôle ses tibias.

- C'est une mauvaise blague j'espère ?

C'est tout ce qu'elle a trouvé à rétorquer après m'avoir dévisagé durant une éternité.

Les bras chargés de courses, elle jette ses talons dans un coin et se dirige déjà dans la cuisine.

- Diane, c'est pour de vrai cette fois !

Comment ça « cette fois » ?

Est ce qu'il a déjà utilisé une fille pour lui servir de fausse petite-amie ?

- Ma jolie, fuis tant qu'il est encore temps.

Hein ?

Je lance un coup d'oeil à Johnson qui lève les épaules en soupirant.

Elle vient vraiment de me conseiller de plaquer son beau-fils ?

Il m'attrape par le bras et la suis de près.

- Tu es très belle et tu as l'air éduquée, je ne dis pas le contraire. Cet énergumène va sûrement t'introduire dans ses plans foireux alors je te souhaite de rompre avec lui.

Elle est cash !

Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu'il se passe sous mes yeux.

Thomas n'a pas l'air abasourdi par ses propos, il a même l'air de savoir que ça allait se dérouler de cette façon.

- Tu peux faire un effort et accepter que j'essaie de changer. J'ai une relation sérieuse, tu pourrais me féliciter !

Elle n'écoute pas un traître mot de ce qu'il dit et range les aliments de ses courses sans s'en soucier.

- Diane bordel !

Celle-ci se retourne brutalement, le regard habité par un incendi grandissant qui menace de nous brûler. Ses cheveux blonds balayent l'air et le chiffon dans ses mains menace de se déchirer.

- Tu m'as assez déçu jusqu'à aujourd'hui alors laisse moi douter de toi. Peut-être que cette jeune fille est une prostitué que tu as payé pour jouer la comédie je n'en sais rien !

Je le prends extrêmement mal mais me contente d'avaler ma salive en silence.

Vaut mieux pas l'énerver celle-la.

- **Tu me crois vraiment capable de faire ça ?! J'ai fais des conneries dans ma vie mais j'ai le droit de me reprendre en main ! J'aime cette fille plus que mon être alors ne t'avise plus de la comparer à une prostitué !**

(**en français**)

Je n'ai pas compris un seul mot de ce qu'il a crié mais ça a l'air de l'avoir secoué.

Tellement qu'elle repose son chiffon et fais quelques pas dans notre direction.

Je suis effrayée par son allure imposante et son aura impressionnante.

- D'accord, je peux lui laisser une chance.

Ses yeux se plissent un centimètre de plus pour m'examiner avec plus de précision.

Diane se permet de tirer sur ma robe vers le bas et referme subtilement mon décolleté.

Quand elle se relève, son coup d'oeil croise la trace dans mon cou.

Exactement ce qu'il ne devait pas arriver.

- Mais ne lui fais plus d'aussi gros suçons ou je t'arrache la bouche.

Je relâche ma respiration, je ne m'attendais pas à cette réaction de sa part.

Je sens Thomas se décontracter à côté de moi, il passe un bras sur ma taille pour me coller à lui.

- Tu peux pas m'empêcher de l'aimer.

- Non, mais je peux te couper la bite si tu n'arrêtes pas de l'utiliser partout où tu vas.

Ses doigts effleurent ma joue, Diane replace une mèche derrière mon oreille avec un sourire complice et disparaît à l'étage.

- Elle n'est pas aussi cruelle que je l'imaginais, je l'aime bien.

- Forcément tu l'aimes bien, elle ne fait que me menacer !

- Ça nous fera un point commun à elle et moi.

Thomas se laisse tomber dans un fauteuil démesurément grand comme si le plus gros était fait.

Cependant, une autre personne avec une aura encore plus imposante fait son entrée dans le salon.

Un homme plus haut encore que Thomas s'avance dans notre direction.

Sa mâchoire tranchante, ses cheveux sel et poivre qui retombent dans sa nuque, sa peau bronzé et lisse ainsi que les même yeux métalliques que son fils, tout ça lui donne un côté séduisant et charmant.

J'écarquille les yeux quand il pose finalement son regard rempli d'éclairs sur moi.

J'ai la sensation de faire face au diable tant son expression est fermée et dénuée de toute empathie.

- Qui est cette charmante jeune fille avec un suçon dans le cou ?

Super, on voit vraiment que ça !

Johnson saute sur ses pieds pour retirer la veste bleu marine de son père qui se déchausse lentement.

- Papa c'est ma nouvelle petite amie, Lola Davis.

Il ne cille pas une seconde et continue à me scanner au rayon laser que lancent ses iris hallucinantes.

L'air autour de nous semble devenir si dense que je m'étouffe pratiquement.

- Elle étudie à Waterfalls ?

- Oui, dans la classe de Noa.

- Qu'elle est sa situation familiale, qui sont ses amis, ses origines, sa moyenne générale, que souhaite-elle faire dans l'avenir ?

Oh bordel.

Je ne m'attendais pas à un interrogatoire de la sorte, je ne sais pas si je préfère ça ou la réaction de Diane.

Thomas ouvre la bouche pour répondre à toutes les questions mais son père place une main devant son visage pour l'arrêter.

- Elle a une bouche. Laisse la donc parler.

Je redresse mes épaules et lui réponds tel un robot.

- Ma situation familiale et bien... mes parents travaillent et ont les moyens, mes amis... disons que je suis mieux seule. Je suis gabonaise de mon père et italienne de ma mère, ma moyenne est de dix-huit et demi et plus tard j'aimerais... j'aimerais...

Je n'y ai jamais réellement pensé, je ne devrais plus être en vie depuis bien longtemps déjà. Je ne me vois pas dans le futur.

- Très bien. Tes réponses ne m'intéressent pas plus que ça, je voulais seulement analyser ta façon de répondre face à un interrogatoire.

Oh... d'accord.

- Et alors, elle était comment ?

- Très angoissée à ce que je vois. C'est probablement la première fois qu'elle fait ce genre de rencontre j'imagine.

C'est quoi ce bordel, pourquoi il a cette manie de toute examiner à chaque fois ?

C'est hyper stressant.

Il se décide enfin à décaler du salon pour rejoindre sa femme à l'étage tout en passant ses doigts dans sa chevelure.

Un tic de famille à ce que je vois.

- Prends soin d'elle fiston, elle t'aime et ça se voit à des kilomètres. Il lance juste avant de disparaître.

Le feu me monte aux joues, je cligne des yeux plusieurs fois en attendant la stupide remarque de Johnson.

À peine que son père soit sorti de notre champ de vision, il vient tout de suite s'installer à ma deoite, nos flancs collés l'un à l'autre.

- T'as entendu ça ? Mon père ne se trompe jamais.

- Il y a une première à tout. Tu peux m'expliquer pourquoi il scrute absolument tous mes mouvements et ma façon de parler ?

- Il est psychologue, il aime bien faire ça à chaque fois.

Ohhh, tout s'explique à présent.

- Est ce que... est ce que tu penses qu'il m'apprécie ?

- Tu m'as l'air bien stressée pour quelqu'un qui joue la comédie.

Il joue des sourcils avec un sourire narquois qui me nargue.

- En tout cas, ton père est canon. Je déclare en m'étalant dans le canapé.

- Putain il arrive toujours à me voler la vedette. Et ne fantasme pas sur mon daron, c'est... dérangeant pour mon ego.

- C'est justement pour ça que je vais le faire.

Je m'assoupis pratiquement dans le canapé en attendant que les Johnson soient prêts à partir.

Mes cauchemars tournent encore autour de Brad malheureusement mais je retrouve souvent le sourire quand j'aperçois parfois Lana dans ceux-ci.

Je me demande ce qu'elle penserait de... tout ça. Des attentats, des soirées foireuses, de Malicia et de ma situation amoureuse bancale qui tourne autour de Noa et Thomas.

Elle rirait sûrement en me faisant promettre de l'emmener partout où j'irais pour qu'il ne m'arrive rien et ferait un tableau des points positifs et négatifs pour m'aider à choisir entre mes deux flirts.

J'ai toujours pensé que Josie réussirait à combler le manque que Lana m'a laissé, mais maintenant qu'elle m'a abandonné pour Malicia je me rends compte que ça n'aurait jamais fonctionné de toute façon.

Une larme pointe dans le coin de mon œil, je balaie celle-ci en levant les yeux au plafond pour faire mine de rien quand le couple descend accompagné de leur fille.

- On y va ?

- Oui, va ouvrir la voiture.

- Laquelle ? La Porches ?

- Non, on va prendre la Tesla pour cette fois.

Problèmes de riches.

Nous nous installons donc tous les trois à l'arrière tandis que Mr. Johnson s'installe côté volant, sa femme à sa droite remet du rouge à lèvre à l'aide du miroir face à elle.

Je me questionne toujours sur l'identité des Anderson mais n'ose pas l'ouvrir devant tout le monde.

- Lola, tu as des passions ?

- Est-ce ma réponse vous intéresse réellement cette fois ou voulez-vous à nouveau analyser ma façon de parler ?

Il souris légèrement et me lance un regard amical dans le rétroviseur qui fait baisser mon stress.

Heureusement que ma blague a détendu l'atmosphère, il aurait pu le prendre comme de l'insolence de ma part.

- Non, cette fois-ci je m'intéresse réellement au style de fille de mon fils.

Je lance une oeillade à Johnson qui semble plus détendu que jamais pour quelqu'un qui présente sa copine à ses parents.

- Je te fais confiance. Il chuchote seulement pour moi comme s'il lisait dans mes pensées.

- J'aime écrire, particulièrement les poèmes.

- Hum, donc mon fiston aime les filles littéraires. Lui qui est pourtant si...

- Intelligent et passionné. Le coupe son fils avec assurance.

- C'est cela, oui. Lance Diane les yeux plissés en tournant sa tête dans notre direction.

Le trajet se fait long mais l'ambiance n'est pas dérangeante, ça change des voyages froids avec ma famille où personne n'ose parler.

La villa des Anderson ressemble tout particulièrement à celle des Johnson.

L'intérieur cependant se fait plus chaleureux et accueillant, la table est déjà mise lorsque nous débarquons.

On se croirait chez mes grands parents avec toutes ces armoires vieilles de plusieurs années et le papier peint fleuris. L'atmosphère est chaude, les Anderson sont sympathiques et ont l'air de s'entendre très bien avec les parents de Thomas.

Enfin, c'est le cas jusqu'à ce que la mère crie à son fils de descendre manger.

Ma surprise n'a jamais été aussi grande quand mon regard croise Mathieu qui dévale les escaliers en jogging et tee shirt noir.

Pour je ne sais quelle raison, je me sens tout à coup toute petite, comme enfermée dans une minuscule cage.

Il fait quelques pas vers la table en me dévisageant, j'ai le reflex débile de reculer ma chaise le plus loin possible de lui.

L'atmosphère n'est plus du tout apaisante, je me sens attachée, coincée, prise au piège avec mon bourreau.

Je me revois lui cracher ses quatre vérités dans les toilettes du lycée le jour de l'incendie. Il va probablement en profiter pour se venger de l'avoir humilié.

J'ai envie de vomir, il faut tout de suite que je sorte d'ici.

- Je vais au toilette, je reviens.

En passant, je lance un regard meurtrier à Johnson qui ne semble pas comprendre la situation.

Je le déteste de ne pas m'avoir prévenu.

Quel genre de petit ami emmène sa copine dîner chez son harceleur ?!

Arrivée au toilette, je vomis directement mes tripes dans la cuvette sans m'arrêter.

Deux fois dans la même journée.

Je cherche une petite issue où je pourrais passer mon corps pour m'enfuir loin d'ici mais il n'y a pas une seule fenêtre.

Johnson toque à la porte en me suppliant d'ouvrir mais je l'ignore délibérément.

- Davis, je te jure que je ne savais pas qu'ils avaient un fils !

- C'est jamais ta faute !

- Mais fais moi confiance bordel ! Je déteste ce gars tout autant que toi, si j'étais au courant tu penses sérieusement que je t'aurais ramené ici ?

La porte nous sépare mais je peux deviner de là où je suis qu'il est sincère.

Quand il appris qu'il m'harcelait il y a quelques mois de ça, il n'a pas hésité à lui en mettre une. Ce serait contradictoire d'être devenu ami avec lui entre temps.

Je déverrouille alors la serrure après avoir cessé mes sanglots débiles.

- Jure moi que tu n'en savais rien.

- Je te le jure sur ce que j'ai de plus cher.

- Et c'est quoi, ce que tu as de plus cher ?

Il fait mine de réfléchir en s'adossant au mur face à moi.

- Je sais pas si tu la connais, c'est une jolie fille avec des boucles brunes et un sourire qui vaut des milliards.

- Elle doit être sexy. Rétorqué-je avec sarcasme, les bras croisés sur ma poitrine.

- Carrément. Particulièrement avec ce suçon dans le cou.

Je lui donne une tape sur le bras, il se contente de sourire et s'approche de moi les yeux brillants de contemplation.

- Bébé...

- T'as une obsession pour les surnoms gênants ?!

- Je m'adressais à ton suçon.

Oh, super. J'avais oublié qu'il l'avait renommé ainsi.

Je profite de ce petit moment d'intimité où je peux encore respirer correctement histoire de repousser l'instant où je devrais faire face à Mathieu.

Il incline la tête pour savoir si je suis fin prête à y aller mais je secoue la tête.

- Tout va bien se passer, assieds toi près de moi et évite simplement son regard.

- « Évite simplement son regard » ? Sa simple présence me donne envie d'enfoncer un couteau dans mon estomac.

- S'il ne touche ne serait-ce qu'à un de tes cheveux, je lui tranche la gorge.

L'image du couteau sous la gorge de Mathieu me donne des frissons de plaisir. Je rêve de voir ce connard crever devant mes yeux. Il a beau avoir un peu plus d'empathie que Karim, je le hais tout autant.

J'attrape sa paume de moi même pour la première fois de ma vie et suis tout de suite comblée par son touché chaleureux.

Main dans la main, nous sortons des toilettes. Six paires d'yeux sont rivés sur nous, sûrement en train d'imaginer toutes les choses sales que nous aurions pu faire dans les W-C.

- Lola, je ne pensais pas te trouver... chez moi.

- Et bien, me voici.

Je ne lui adresse pas un seul coup d'œil et m'assois entre Diane et Johnson.

Les adultes bavardent sans se soucier de notre existence tandis qu'Emma m'envoie des messages sous la table pour me confier à quel point elle s'ennuie ici.

Je décortique le poulet dans mon plat sans en avaler un seul morceau.

Thomas me donne des coups de coude discrets pour que je mange quelque chose mais je refuse sèchement.

Mon régime commence finalement à payer son prix, ce n'est pas maintenant que je vais me laisser aller.

- Je vais te faire gober ce poulet Davis. Il souffle dans mon oreille.

Mathieu aperçoit ce geste intime et laisse tomber sa fourchette pour croiser ses mains devant lui.

- Alors comme ça vous formez un couple ? Félicitations.

- On va pas se marier, Elordi.

Elordi ?

Oh, Jacob Elordi !
Putain j'avais jamais fait le rapprochement mais c'est vrai qu'il lui ressemble comme deux gouttes d'eau.

Ce surnom n'a pas l'air de lui plaire. Il fronce ses sourcils si fort qu'on pourrait croire que son front va exploser.

- Et Noa ?

Mon cœur accélère subitement dans ma poitrine, il suffit que quelqu'un prononce son nom pour que je revois la scène de cette maudite soirée.

- Je vois pas en quoi ça te concerne.

Mon faux petit ami et mon bourreau se défient du regard pendant que j'observe qui va céder en premier.

C'est finalement Mathieu qui baisse les yeux, prévisible vu les tonnerres effrayants que peuvent lancer les pupilles de Johnson.

Les parents qui ont fini de nous mettre de côté réalisent que nous avons finalement engagé la discussion et se joignent à celle-ci.

- Et ça fait combien de temps, vous deux.

- Pourquoi ça t'intéresse tant ?

- Voyons Thomas ! Réagit Diane sur ma gauche. Il veut seulement en apprendre plus sur votre relation si soudaine, d'ailleurs moi aussi.

Il soupire bruyamment, l'attention ne tourne désormais plus qu'autour de nous.

Je retrousse mes lèvres et me recroqueville sur ma chaise tentant de disparaître de cette table.

- Ça fait une semaine. Avant ça on apprenait seulement à se connaître, on ne voulait pas précipiter les choses.

Il est si posé et articule sans bégayer, j'ai moi même faillis y croire.

Le sourire qui se dessine sur les fines lèvres de Mathieu me donne froid dans le dos.

Il sort doucement son portable de sa poche, son doigt glisse sur l'écran quand il trouve finalement ce qui l'intéressait.

- C'est étrange parce que, il brandit le portable face à nous pour montrer à toute la table la photo qui s'y affiche, j'ai vu Thomas... disons quoi, prendre du plaisir avec une fille qui n'était pas Lola lors de la soirée d'hier.

On y voit Josie assise sur les genoux de Thomas, l'embrassant à pleine bouche tandis que celui-ci passe une main dans ses cheveux bordeaux pour approfondir le baiser.

J'étais déjà au courant de sa petite mésaventure, mais le voir de mes propres yeux me donne un coup soudain dans les côtes.

Un énorme malaise plane au dessus de nous, c'est comme si Mathieu avait parfaitement programmé ce plan.

- Je-

- C'était pour faire diversion. J'interromps Johnson qui commençait déjà à bégayer. Un mec bourré suivait Josie depuis le début de la soirée alors il a fait mine d'être son petit ami pour qu'il arrête d'insister. Je ne lui en veux pas.

Je ne sais pas ce qui m'a pris de le défendre de la sorte, sachant que cette photo me reste en travers de la gorge. Mais après tout ce qu'il a fait pour moi, je lui dois bien ce petit sauvetage.

Diane qui nous fixait avec ses yeux enflammés semble finalement y croire et le reste de la table acquiesce en félicitant le geste héroïque de Thomas.

J'observe la moue déçue de Mathieu qui range son portable et en profite pour écraser son pied de toutes mes forces.

Il sert les dents pour éviter de pousser un cri mais j'ai vu la douleur sur son visage.

Nous avons déjà dépassé la moitié du repas quand Mathieu semble changer sa méthode.

Il me lance des regards langoureux et me complimente publiquement sur mes cheveux ou bien même la couleur de mes yeux.

Ça a le don de mettre Thomas sur les nerfs et je comprends maintenant son intention.

- J'adore ta voix, elle est si douce. Il reprend après que j'ai demandé de l'eau.Comme ta peau d'ailleurs.

Cette fois c'est trop, mon faux petit ami tape du pied et hausse brusquement la voix:

- Bon, si tu veux sauter ma copine tu nous le fais savoir ?

- Thomas !

Celui-ci tourne sa tête vers son père qui le défie de changer son langage mais ça ne sert à rien. Il a déjà retenu sa colère jusqu'ici mais Mathieu a dépassé les bornes.

- Vous voyez bien que depuis le début du repas il ne fait que nous provoquer mais vous ne réagissez pas !

Il n'a pas tord, c'est d'ailleurs pour cela que personne n'ose ouvrir la bouche pour le contredire.

- Si de simples compliments envers ta copine te mettent dans un état pareil alors-

- Ferme la où j'enfonce ma fourchette dans ta trachée.

Les parents de Mathieu semblent offusqués par ces propos et poussent une exclamation pour la première fois de la soirée.

Ils ne réagissent que maintenant que Thomas s'en prend à leur fils adoré, quels hypocrites.

- Thomas Johnson si tu parles encore sur ce ton je-

- Sinon quoi ?! Il menace sa belle-mère d'un regard glacial.

- Tu sais très bien ce qu'il risque d'arriver.

Sa mâchoire se contracte, il reste immobile le temps d'un instant puis déclare sortir prendre l'air. Je parie qu'il va fumer.

J'aimerais courir pour lui attraper le poignet et le supplier de rester à table avec moi mais mes fessent restent collées sur ma chaise.

Je joue à un,deux,trois;pierre,feuille,ciseau avec Emma pour faire passer le temps qui semble s'écouler plus lentement que d'habitude.

La présence de Thomas me manque terriblement. À ses côtés je me sentais particulièrement en sécurité mais maintenant qu'il n'est plus là, je redoute à nouveau Mathieu.

- Entre nous, qu'est ce que tu trouves à mon fils ?

Je ne suis pas plus surprise que ça par la question de Diane, elle n'a pas l'air de connaître le bon côté de Thomas.

- Il est attentionné, il prend constamment soin de moi et s'assure que je sois toujours en sécurité. Il me fait rire dans n'importe quel moment, même si j'étais au plus bas juste avant. Thomas fait le dur mais au fond il est très attachant.

J'ai parlé sans réfléchir, c'est sans doute la première et la dernière fois que je dévoile toutes ces parties que j'aime tant chez Thomas.

Le simple fait de le dire à voix haute a accentué mes sentiments pour lui, mon choix n'est peut-être plus si difficile finalement.

Avec Noa tout est toujours si... compliqué, ça a beau être le premier que j'ai aimé, avec Johnson je me laisse plus aller et je n'ai pas à supporter un poids invisible sur mon dos.

- Tu es sûr qu'on parle bien du même Thomas ? Celui qui fume, boit, couche avec tout le quartier et vend de la drogue pendant son temps libre ?

- Il n'est pas que ça !

C'est si pénible de la voir décrire son beau-fils par ces simples activités.

- Si vous faisiez l'effort d'apprendre à le connaître un peu plus, vous verrez ses nombreuses qualités enfouies sous ses défauts. J'ai mis du temps à les trouver et j'avoue que je le haïssais au début, mais il suffit d'observer ses gestes plutôt qu'écouter ce qu'il dit.

Elle ne dit rien pendant quelques secondes puis se met à rire ironiquement.

- Ce n'est pas toi qui va m'apprendre la personnalité de mon fils.

- Beau-fils.

Ses traits s'endurcissent, elle n'a plus du tout l'air de m'apprécier mais ça m'importe peu finalement.

Elle roule des yeux comme une adolescente et se reconcentre sur la conversation des autres après m'avoir longuement dévisagé.

Son air sévère ainsi qu'hypocrite me rappelle ma mère et ça me dégoûte du plus haut point.

Mathieu se lève innocemment pour apporter le dessert qui se trouve être un fondant au chocolat.

Quand il revient dans la salle à manger, il s'approprie la place de Thomas et décale furtivement sa chaise pour n'être qu'à quelques centimètres de moi.

Des frissons parcourent chaque cellule de ma peau jusqu'à mes cervicales, j'en ai la chair de poule rien qu'à inhaler son parfum bien trop exagéré.

Sa mère me sert une fine part de gâteau que je vais me contenter de sentir sans même y toucher.

Je tripote la petite cuillère dans mes doigts quand une grosse main vient se poser sur ma cuisse.

Je sers les dents en sentant les doigts curieux de Mathieu qui se fraient un chemin jusqu'à l'ouverture de mes jambes tout en soulevant ma robe.

Ma paume me gratte, j'aimerais lui en coller une mais je reste sage pour ne pas créer de nouveaux drames et le fixe avec toute la rage que je peux mettre dans mes iris.

Il garde une expression impassible, un sourire blanc comme la neige et continue ses vas et viens de plus en plus fort.

J'appuie sur son pieds avec ma semelle de chaussure comme si ma vie en dépendait mais il ne sent pas un soupçon de douleur.

À quoi il joue ?!

Son toucher disparaît tout à coup et sa tête bascule en arrière. C'est seulement maintenant que je prends en compte la présence de Johnson derrière lui qui exerce une forte pression dans sa nuque à l'aide de deux doigts.

Il chuchote dans son oreille mais je suis si proche que je peux l'entendre:

- Ose encore toucher à ma copine et je t'arrache les doigts un par un, Elordi.

Il contracte sa mâchoire en faisant mine de garder la face mais des traces rouges apparaissent déjà sur sa peau. Il retrouve donc sa place en face de moi.

Diane en profite pour faire une énième leçon de morale à son beau-fils sur son comportement et le menace encore de faire cette chose qui a l'air d'être un secret.

Comme je m'y attendais, Johnson pue la clope à des kilomètres. Sa main se coince dans ses cheveux pendant qu'il garde un oeil sur Mathieu qui ronchonne.

- Quoi ? T'as de la chance que j'avais pas de taser sous la main sale con.

- Cette fois-ci s'en est trop !

L'exclamation soudaine de Mr.Anderson nous surprend tous autant les uns que les autres.

Il est debout, les doigts posés sur la table, ses veines ressortent, signe qu'il est tendu.

- Je suis navré Hugo et Diane mais votre fils a poussé le bouchon trop loin.

Il ne le dit pas mot pour mot mais son regard dit clairement « barrez vous de ma maison ».

Ils comprennent tout de suite le message et se lèvent en faisant leurs plus plates excuses et promettent de punir Thomas une fois chez eux.

Je secoue l'épaule d'Emma qui s'était endormie à force de s'ennuyer durant les conversations d'adultes.

L'ambiance dans la voiture est bien moins paisible qu'à l'allée.

Diane hurle littéralement sur Thomas, elle lui crache un tas d'horreurs au sujet de son comportement inadmissible et qu'elle n'a jamais eu aussi honte de sa vie.

Son marie lui fait signe d'arrêter de crier, elle se tait donc finalement seulement lorsque nous nous garons enfin.

Arrivée en haut des escaliers, j'interviens lors d'une nouvelle dispute entre les deux au milieu de couloir.

- Je me demande comment ta mère faisait pour te supporter.

C'est cette phrase qui conclue leur chamaillerie incessante.

Johnson est dos à moi et pourtant je peux deviner à quel point ça l'a impacté.

Je m'approche de lui sur la pointe des pieds, évitant de réveiller une colère que je ne veux pas connaître avant ma mort.

- Thomas est ce que ça v-

- Va te coucher. Demain on a cours.

Il me claque la porte de sa chambre au nez et disparaît devant mes yeux.

Ça ne m'étonne pas plus que ça. Diane est allée beaucoup trop loin dans ses propos et je parie même qu'elle a fait exprès de mentionner sa mère décédée.

J'ai envie de toquer à sa porte et le supplier de me laisser entrer pour rester à ses côtés mais mes pieds en décident autrement et font demi-tour.

***

Les lèvres de Sacha posées sur celles de Brad.

C'est la première chose que je vois en débarquant dans la classe.

Je ne suis pas particulièrement surprise, pourtant ma poitrine se ressert tout de même et je me mords les lèvres par réflexe.

Brad passe une main sur sa fesse après avoir jeté une oeillade dans ma direction.

Malgré tout le mal qu'elle m'a causé, je plains Sacha et ce qui l'attend avec ce connard.

Ou peut-être bien qu'il ne s'est comporté comme un enfoiré qu'avec moi et qu'il se tiendra bien avec elle.

Sacha décroche ses lèvres du baiser un instant quand elle me voit arriver.

Ses yeux emplis de dégoûts glissent sur mon corps frêle.

- Tu as la peau sur les os, c'est répugnant.

C'est probablement la chose la plus toxique que je m'apprête à dire mais, ça me rend heureuse.

- Merci.

J'ai fais tellement d'efforts et ils se remarquent enfin, toutes ces privations n'ont pas servis à rien.

J'ai même du accrocher une épingle à nourrice sur ma jupe ce matin tant le tour de ma taille avait rétréci.

Je rejoins ma place tout en fixant la chaise vide de Noa.

Il me manque terriblement.

Je n'arrive pas à réaliser qu'il y a une chance qu'il ne revienne plus jamais.

Cela fait si longtemps que je n'ai pas entendu sa voix. De plus, on venait à peine de se réconcilier, c'était vraiment pas le bon timing.

Ma tête posée contre ma paume, je repense à son rire qui sonne si bien dans mes oreilles.

Des pas rapides se font entendre dans le couloir silencieux. J'imagine d'abord qu'il s'agit du professeur d'histoire mais c'est une silhouette bien plus familière qui fait son entrée.

Johnson accours vers Brad qui lâche Sacha avec un sourcil arqué.

- Toi là.

Sa victime n'a pas le temps de répondre, Johnson lui assène un violent coup de poing dans le nez.

Puis un autre, encore un, et les coups s'enchaînent dans un bruit résonnant qui me donne un haut le coeur.

Sacha et ses acolytes sont tétanisées de terreur, les mecs, eux, sont plutôt impressionnés par sa prestance.

Il y a quelques mois je serais tombée dans les pommes ou aurais fondu en larmes, désormais j'ai du m'habituer à la violence qui fait partie de ma vie.

Brad s'écroule le long du mur qui est tâché de rouge.

Son visage déformé est en sang, son regard noir est complètement dénué de toute émotion, il semble... mort.

Thomas s'accroupie pour être à sa hauteur et empoigne violemment son col de chemise.

- J'aurais pu te tuer, alors estime toi heureux.

Sur ce, il s'en va aussi vite qu'il est arrivé sans m'adresser un seul coup d'œil.

Je ne sais pas comment réagir.

Je pourrais sauter de joie mais son corps qui se rapproche fortement d'un cadavre me laisse en pitié.

J'observe ses amis le soulever avec précaution en traitant Thomas de tous les noms.

Brad a volé ma virginité alors que j'étais loin d'être prête à passer à l'acte.

Il a mérité cette punition.

Le cours débute quelques minutes plus tard après que Sacha ait emmené son nouveau mec à l'infirmerie.

Tout le monde fait mine de rien mais il suffit de tourner légèrement la tête pour croiser les traces de cette scène marquées sur le mur blanc.

Cependant, les gouttes de sang sont assorties à la couleur de nos uniformes, c'est presque poétique.

Quelqu'un toque à la porte de notre salle, je sors de ma rêverie pour attarder mon regard sur celui-ci.

C'est... le principal ?

- Bonjour les enfants.

Nous nous levons tous mais il nous fait signe de rester assis.

J'espère qu'il n'a pas entendu parler de ce qu'il vient d'arriver, autrement Thomas se fera virer sur le champ.

- Mademoiselle Davis, veuillez me suivre dans mon bureau.

Je cligne des yeux plusieurs fois sans comprendre. Qu'est ce que j'ai bien pu faire ?

Je me lève et lui emboîte le pas comme un robot qui suit les ordres se son créateur.

Des rires moqueurs éclatent dans mon dos mais je n'y prête pas réellement d'attention.

Nous sommes les seuls dans le couloir sombre, je suis si mal à l'aise que je peine à marcher et ma tête est tellement remplie de questions qu'elle pourrait exploser.

Il me laisse passer en premier dans son bureau morose, je demande à ce moment:

- Est ce que j'ai fais quelque chose ?

- Oh non ! Absolument pas, nous avons seulement reçu un appel urgent pour vous venant de votre mère.

Hein ?

Bizarrement ça m'inquiète encore plus que si j'avais enfreint une règle.

Il me tend le téléphone qui était sur attente jusqu'à maintenant.

Je l'attrape tremblante, une fois collé sur ma tempe, je peux entendre la voix déboussolée de ma chère mère.

- Allô.

- Lola ! Où es-tu ?!

Elle a l'air dans tous ses états, ce n'est pas habituel venant d'elle qui est souvent si organisée.

- En cours, ça semble évident.

- Amalia est à l'université et je ne sais pas quoi faire je-

- Maman ! Je la stoppe dans la tornade qu'elle forme et que je ressens à travers le portable. Est-ce-que tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ?

- Les services sociaux viennent de débarquer à la maison et ton père a disparu.

{ La suite dans le prochain chapitre }

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