Chapitre 25: Attention, ça brûle
Une semaine.
Une semaine que je ne vais plus en cours sous prétexte que je révise mes examens.
Une semaine que je reste cloîtrée dans ma chambre fermée à double tour pour éviter le monde qui m'entoure.
Une semaine que je n'ai pas parlé à Noa.
Malheureusement on sait tous qu'un bon moment ne dure jamais assez longtemps.
Ma porte s'ouvre avec force, je reconnais la poigne violente de mon père.
- Ça suffit, tu retourne en cours demain.
- Mais j'ai pas fini l'histoire géo-
- J'en ai rien à foutre ! Avec ta mère on t'as accordé plusieurs jours pour récupérer ton considérable retard dans toutes les matières sans exception !
Sa voix rauque me donne des frissons, mais ce qui m'effraie sont ses pas qui réduisent de plus en plus l'espace de sécurité entre nous.
- Tu veux que j'ai des bonnes notes, oui ou non ? Je rétorque, mon regard plongé dans le mur derrière son dos.
- Je veux que t'arrête de me prendre pour un con Lola ! Tu ne sors plus de ta chambre en pensant que ça te protègera ? Il émet un léger rire jaune avant de continuer. Tu peux bien t'enfermer, arrêter de manger, fuguer, on sait tous les deux que je serais toujours là pour te retrouver.
- Même après ma mort ? Répliqué-je dans le but de brouiller ses idées.
Un sourire sournois étire ses lèvres et mon cœur se resserre au même instant.
- Tu sais très bien que mourir n'arrangera rien.
Sur ce, il disparaît de la pièce comme s'il n'était jamais venu, pourtant je ressens encore sa présence désagréable autour de moi.
Mais malgré ça, c'est tout de même le seul qui s'est rendu compte que j'avais arrêté de me nourrir.
Je ne saurais pas dire si c'est une bonne chose.
Forcée de reprendre les cours, je prépare donc mon sac pour le lendemain à contre-cœur en imaginant l'excuse que j'écrirais dans mon carnet pour mes professeurs.
Mon corps enfoncé dans le matelas, mes mains posées sur mon ventre vide, je ressens une nouvelle fois cette sensation.
Cette sensation de famine mais aussi l'impression d'accomplissement.
Une partie de mon esprit cri pour protester son manque de nourriture mais l'autre est fier d'avoir résisté à la tentation le temps d'une journée.
Je me sens parfois plus légère, mais mon apparence dans le miroir reste si douloureuse à regarder, je dois donc continuer à maigrir.
Encore.
Encore.
Encore.
C'est sur ces mots qui se baladent dans ma tête en continue que je finis par m'endormir avec difficulté.
*
Si j'ai réussi à éviter mes amis durant les derniers jours, mes ennemis sont plus difficiles à ignorer.
C'est pourquoi, en arrivant je suis déjà entourée par mes bourreaux habituels.
- Tu pensais qu'on allait t'oublier si tu t'éclipsais du bahut pendant une semaine ?
- Je pensais surtout que vous auriez pris en maturité entre temps, je déclare comme réponse à Karim, apparemment non. chuchoté-je seulement pour moi.
Mes manuels serrés contre ma poitrine, j'espère de tout mon cœur qu'ils vont abandonner l'idée de me pourrir la vie dès le matin.
- C'est drôle, intervient Mathieu pour mettre son grain de sel dans la conversation, chaque jour tes répliques sont de plus en plus pathétiques.
Quel culot.
Mathieu représente le pathétisme en personne à lui tout seul.
Je cligne des yeux lentement à cause de mes paupières lourdes et en un instant, mes deux bras se font attraper dans mon dos.
La main poisseuse de Karim est posée sur mes lèvres pour éviter que je n'appelle à l'aide. Chose que je n'aurais jamais fait puisque l'expérience m'a fait comprendre que personne à Waterfalls ne se soucis des personnes harcelées.
J'aurais beau crier au secours dans toutes les façon différentes, mes hurlements s'estomperont toujours avant d'atteindre les oreilles de mon entourage.
Mes baskets trainent sur le carrelage du couloir, je reconnais déjà notre destination.
Les toilettes.
Ils m'y ont déjà emmené à plusieurs reprises, la plupart du temps pour me verser de l'eau sur la tête.
Ça suffisait à briser mon ego, mais cette fois j'ai la malheureuse impression qu'ils iront plus loin.
À peine arrivée dans les W-C, Karim lâche sa prise et Mathieu me plaque violemment contre le mur rugueux.
- Nous allons fêter ton arrivée comme il se doit. Il m'informe en se dirigeant dans un cabinet, une once d'enthousiasme dans sa voix.
Je n'arrive pas à apercevoir ce qu'il trafique là dedans, ma vue est cachée par le corps imposant de Mathieu qui me retient, ses deux bras placés entre ma tête.
- J'ai une question. Finis-je par articuler la gorge sèche.
- Garde la pour toi.
- Je te demande pas ton avis ! Je m'énerve, mes nerfs déjà à vifs.
Mathieu qui a sursauté à l'entente de mon ton colérique, attend patiemment ma question.
- Qu'est ce que ça vous rapporte ?
- De ?
- De m'harceler ?
Harceler.
Vous m'harcelez.
Ça y'est, je l'ai enfin dit à voix haute.
Karim et Mathieu m'harcèlent, ce n'est pas seulement dans ma tête.
Voir ses yeux s'écarquiller ne suffit pas à combler la satisfaction que j'attendais.
Mes yeux tournent légèrement et rencontrent ses bras tremblants qui me surplombent.
- Je... tu...
- Tu ? Je ? Répété-je impatiente.
- Disons que c'est... amusant.
C'est exactement la réponse que j'aurais attendu de Karim.
Mais Mathieu est différent, Mathieu n'a pas ce regard oppressant rempli de malice après chacun de ses actes odieux, Mathieu n'a pas ce sourire narquois qui montre ce plaisir à regarder une personne souffrir, Mathieu n'a pas cette voix qui suffit à faire trembler mes membres et glacer mon sang.
- Tu as peur, n'est ce pas ? Je le devance en plissant les yeux.
- Pourquoi devrais-je avoir peur ?
Son petit rire ne me convient absolument pas, ses yeux ne mentent pas, ils ont flanché au moment où j'ai prononcé le mot « peur ».
- Ne fais pas semblant s'il te plaît, on sait tous les deux que je suis bien plus intelligente que vous deux réunis.
En réalité, aux vus du niveau d'intelligence de mes camarades, je dirais même de ma classe toute entière.
- Je n'ai pas peur de Karim ! Il s'écrie, les lèvres tremblantes.
Et voilà, il s'est dénoncé tout seul, il est si stupide.
- Qui a parlé de Karim ?
Il lâche finalement ses mains qui retombent le long de son corps et baisse sa tête pour poser son regard sur nos pieds.
- J-je n'ai absolument pas peur de Karim, ferme la !
- Qui est ce que tu essaies de convaincre ?
Sa main se lève brusquement et se pose précipitamment sur ma gorge dans un coup de colère.
C'est un peu douloureux, mais soutenable.
- La violence n'efface rien, surtout pas la vérité. Je prononce malgré ses doigts qui se resserrent contre mes cordes vocales.
- Et bien c'est faux.
- Tu mens.
Son autre bras se soulève et son poing prend de l'élan avant de s'arrêter juste devant mon visage, tremblotant de peur.
Il est incapable de me frapper.
Mathieu n'est pas Karim.
- Tu vois, je désigne ses phalanges contractées d'un mouvement de menton tandis qu'il desserre doucement sa poigne sur ma gorge, Karim lui, m'aurait déjà envoyé ce coup sans réfléchir puis aurait observé mon sang couler avec satisfaction. Toi, tu as peur.
- Je n'ai pas peur, je ne suis tout simplement pas un monstre.
- Tu l'es devenu à cause de la peur, tu es devenu un monstre à l'instant où tu as suivi Karim. Je rectifie le cœur battant la chamade.
C'est sans doute la première fois que je me permets de faire une leçon de vie à mon harceleur, c'est assez gratifiant de voir dans ses pupilles que j'ai raison sur toute la ligne.
- Je ne suis pas... Karim.
- Oui, mais tu sais ce que tu es Mathieu ?
- Dis moi tout, puisque tu te crois si intelligente.
J'ignore sa remarque et termine:
- Tu es un harceleur, un putain d'harceleur, exactement comme lui.
Sa prise autour de mon coup se relâche finalement et son visage perd ses couleurs en une fraction de secondes.
Je ne souris pas, mais intérieurement je me réjouis de sa réaction.
Ses traits se resserrent et se desserrent en continue, comme s'il ne savait pas pour qu'elle réaction opter.
La vérité que je lui ai annoncé lui a frappé en pleine tête, c'était si satisfaisant à regarder.
- Je n'ai jamais voulu-
- Mais au fond qu'est ce que ça change que tu le veuilles ou non ? Tu l'as fait et tu continues de le faire, c'est ça qui compte. J'essaie de l'enfoncer pour faire ancrer mes paroles dans son cerveau.
- C'est Karim ! Il braille la voix tremblante de culpabilité. C'est Karim qui-
- On m'a appelé ? Le principal concerné ressort finalement de la cabine, un verre à la main et un sourire peu rassurant scotché sur ses lèvres.
Les yeux plissés j'essaie de deviner le contenu de son verre puisque fuir n'est plus une solution.
J'ai toujours pensé que fuir m'éloignerais de mes problèmes.
En réalité, la fuite les agrandi.
Il fait de grandes enjambées dans ma direction, Mathieu toujours affublé observe sur le côté.
- Tu te crois au dessus de tous, n'est ce pas ?
À peine sa phrase terminée, ses doigts empoignent les cheveux sur le devant de mon crâne pour me tirer en arrière.
- Écoute moi bien Davis.
Son sourire s'efface soudainement pour laisser place à ce regard qui a la capacité de geler ma circulation sanguine.
Je sens mes cheveux s'arracher sous sa paume à mesure que les secondes passent, mais je ne dis rien, attendant qu'il parle.
Il lève alors son verre pour le positionner devant mon visage.
- Ici, ce sera toujours moi qui décide.
Sa phrase a à peine traversé mes oreilles, mon cerveau est particulièrement concentré sur le gobelet qui frôle à présent ma bouche.
- Tu n'es...
Il force l'entrée de ma bouche mais je garde les lèvres pincées, me questionnant toujours sur le liquide qui s'y trouve.
- Rien.
Sa force suffit à me faire ouvrir la bouche à contre-cœur et le contenu de son verre se déverse à l'intérieur.
Ce n'est que quand le liquide coule lentement dans ma gorge que je le reconnais finalement.
Tous mes sens s'activent automatiquement et je me débat rapidement pour me libérer de son emprise.
- Bordel de merde, tu m'as fais boire ta pisse ! M'écrié-je en essayant de recracher par terre.
Karim m'a finalement lâché, se contentant d'admirer la misérable moi qui grimace au goût déplorable de son urine.
Son rire puissant et cruel me donne des envies de meurtres.
Les genoux au sol, j'ai beau cracher encore et encore, j'en ai malheureusement déjà avalé.
- Maintenant tu sauras que je suis et resterais au dessus de toi. N'essaie plus jamais de te rebeller, ou c'est pas ma pisse que je te ferais avaler, mais bien pire.
Ma dignité a été mise à rudes épreuves ces derniers temps, malgré ça, je relève la tête et essuie le coin de mes lèvres avec ma chemise.
- Le truc c'est que... je toussote à répétition avant de reprendre, en réalité tu n'es rien non plus. Si tu étais réellement quelqu'un, tu n'aurais pas besoin de m'affliger tout ça pour te sentir surpuissant.
Ses iris s'assombrissent, il s'attendait sûrement à ce que je m'incline devant lui comme la chienne que j'étais.
Seulement, j'ai retenu les paroles de Sacha.
Ça ne changera rien de me plaindre puisque personne n'est là pour m'aider.
Si je veux me sauver, c'est à moi de m'en occuper.
Ses muscles du bras se contractent, je vois déjà la gifle venir et ferme les yeux.
Étonnement, il s'arrête dans son élan, son bras est retenu en l'air par une main que je reconnais.
Contre toutes attentes, Malicia se tient derrière Karim, ses ongles s'enfonçant dans la chair de son avant-bras.
Sa petite taille ne la décourage pas, elle sort un petit objet de sa poche puis le place juste au dessus du crâne de mon bourreau.
Un bref mouvement de doigt de sa part suffit à allumer la flamme de son briquet.
- Un geste de plus et je crame tes si jolis cheveux.
Je n'avais jamais entendu ce ton de sa voix.
Il est autoritaire.
Non, terrorisant.
Je suppose que nous sommes tous les trois surpris de l'arrivée de Malicia, mais surtout qu'elle s'interpose entre moi et Karim sans aucune crainte.
Il hésite à se débattre mais la flamme se rapproche de ses petites boucles brunes, il renonce alors et se laisse faire.
- Karim, écoute moi bien. Elle chuchote dans son oreille sur la pointe des pieds.
- Tu n'es rien. Murmure-t-elle en reprenant ses paroles.
Bouche bée, je la contemple faire une prise de judo à Karim, lui retournant le bras pour le plaquer contre le sol.
Sa joue contre le parquet, Malicia passe au dessus de lui pour s'asseoir sur son dos, son briquet toujours à la main.
Le feu frôle ses yeux à un millimètre près.
- Je ne ferais rien ! Lâche m-
- Un mot de plus, et je crame tes si jolis yeux. Elle le coupe, toujours d'une voix effrayante.
J'en profite pour ramper sur mes genoux pour m'éloigner de la scène et rejoindre Mathieu qui est assis près des lavabos, tétanisé.
Personnellement je n'ai pas peur.
Je m'en veux terriblement d'avoir autant suspecté Malicia d'être une personne douteuse alors qu'elle n'a pas hésité pour me venir me secourir.
Malicia m'a aidé.
Toutes les mauvaises pensées que j'ai eu envers elle s'effacent aussitôt, la culpabilité prenant place sur mon visage tendu.
Mais... pourquoi ?
Qu'est ce qu'elle attend de moi maintenant ?
Que je lui sois redevable ?
Mes questions se mélangent et je mets quelques temps à m'apercevoir qu'une autre personne a fait son apparition dans les toilettes.
- Wahou, quel rassemblement. Vous ne m'avez pas invité à votre petite fête ? Nous demande ironiquement la voix rauque du brun.
Malicia stoppe tout mouvement lorsque Thomas s'approche et Karim en profite pour se défaire de son emprise.
- Ah... Thomas. Prononce-t-elle, bizarrement heureuse de le voir parmi nous.
Me recroqueviller ne suffit pas à dissimuler ma présence, je ressens désormais le regard pesant de Thomas posé sur moi.
C'est dommage.
J'aurais voulu ne plus jamais revoir son visage.
Karim dépoussière ses vêtements le regard noir tandis que Thomas attrape la cigarette qui était posé contre son oreille.
- Tu veux du feu je suppose ?
- Ouais, donne.
Malicia s'exécute et lui balance le briquet un sourire narquois à peine dissimulé sur ses lèvres.
D'un air nonchalant, il fait naître une petite flamme mais avant qu'il ne puisse allumer sa clope, elle grandit soudainement.
Surpris, il tend rapidement son bras pour éloigner la flamme de son visage.
- C'est quoi cette mer-
Thomas n'a même pas le temps d'achever sa phrase qu'elle double une nouvelle fois de volume.
Il ne réfléchit pas une seconde de plus et balance le briquet dans la poubelle sous le coup de la peur.
- Putain c'est quoi ce truc ! Braille-t-il les poings resserrés.
- Aucune idée, tu l'as sûrement mal utilisé.
Le ton que Malicia a employé suffit à le mettre sur les nerfs.
Il dévale devant elle la mâchoire contractée mais se retient de lui donner un coup en rencontrant sa silhouette fine et fragile.
- Sale conne, je fume depuis l'âge de douze ans et tu penses que je ne sais pas utiliser un putain de briquet ?! Sa voix provoque un écho bruyant.
Nous écarquillons tous les yeux au même instant, abasourdi par son aveu.
Il a pas du avoir une enfance facile, mais si je devais être honnête, j'en ai vraiment rien à foutre.
Le silence qui régnait dans la salle est coupé par d'étranges crépitements qui viennent de la poubelle.
Le mauvais pressentiment en moi grandit au fur et à mesure que le bruit s'intensifie.
Cela nous vaut une œillade général quand Thomas se dévoue enfin pour vérifier la corbeille.
Même s'il ne dit rien, son visage semble se déstructurer, comme s'il venait d'écraser un enfant avec sa moto.
Ou devrais-je dire, la moto qu'il vole à Noa.
Je comprends instinctivement la situation et l'angoisse commence malheureusement à monter comme d'habitude.
Mais si je fais une crise d'angoisse, cette fois il n'y aura personne pour me sauver.
Thomas n'a même pas besoin d'ouvrir la bouche que de grandes flammes surgissent et enveloppe entièrement la poubelle qui retombe sur le sol.
Maintenant.
C'est à cet instant précis que mon souffle s'est envolé.
- À quoi tu pensais en jetant le briquet dans une poubelle de papier ?!
- On se tire !
- Non, il faut éteindre le feu !
- On va crever !
Me boucher les oreilles est la seule solution que j'ai trouvé sur le moment pour éviter que toutes leurs protestations viennent brouiller mon esprit encore plus qu'il ne l'est déjà.
Je ferme les yeux assez longtemps pour qu'ils aient le temps de s'enfuir à toute vitesse.
Je prends subitement panique, si je reste seule ici, le feu ne tardera pas à prendre possession de mon corps.
Tout le monde a déjà pris la fuite, il ne reste que Karim, le dernier de la file.
Un genou au sol, je l'observe refermer la porte derrière lui avec un sourire malsain.
Le dernier son que j'entends est un petit « clic » qui me prouve que la porte est désormais fermée à clé.
Chaque particule de mon visage se désintègre intérieurement.
Je ne pensais pas...
Je ne pensais pas que vous me détestiez au point de faire ça.
Ma tête résonne à répétition, c'est insupportable.
J'aimerais me précipiter contre la vitre de la porte mais lorsque je pose mon deuxième pied sur le sol, tout bascule.
Mon corps se balance de droite à gauche quand j'essaie d'avancer avec difficulté.
Ma vision est si troublée que je vois tout en deux fois et mes mouvements semblent être ralentis.
Ma main trouve heureusement un mur sur lequel je m'appuie pour rester sur mes jambes.
Dans le cas contraire, je me serais aussitôt effondrée.
Ça ne m'étais jamais arrivé, c'est comme si...
Comme si j'étais morte.
Le seul poids que je ressens est mon coeur, tout le reste de mon corps semble être en apesanteur.
J'ai l'étrange envie de vomir, mais quoi ?
Il n'y a rien dans mon ventre depuis des jours, mise à part quelques litres d'eau.
À cause de cette crise désagréable, j'en ai presque oublié le feu qui ne fait que grandir à quelques mètres de moi.
C'est drôle, je ne l'avais jamais vu d'aussi près, j'aurais presque envie d'y approcher mon doigt pour savoir quelle sensation ça me procurerait.
La fumée rentre rapidement dans mes narines et la panique reprend.
Je pourrais y laisser ma vie.
Je n'ai pas envie de mourir à Waterfalls.
Adossée au mur, j'avance prudemment jusqu'à la porte dans l'espoir de pouvoir la débloquer et m'échapper à mon tour.
Des hauts le coeur viennent plusieurs fois me déranger mais je garde en contact visuel mes pieds pour m'assurer de ne pas m'écraser sur le parquet à tout moment.
J'en aurais mis du temps, mais je suis finalement face à la poignée.
Je l'enfonce maintes et maintes fois sans perdre une minute de plus, sans surprise, elle est bloquée.
Ma dernière option est de frapper sur la porte avec énergie dans l'espoir que quelqu'un passe par là et me sorte d'ici.
Je cogne dessus sans jamais m'arrêter, toujours plus fort, jusqu'à ce que mes mains n'aient plus aucune force.
Je n'ose même pas jeter un œil au feu par peur de paniquer encore plus.
J'ai peur d'avoir peur.
Il ne reste que ma voix, alors même si je n'ai déjà plus de souffle je me mets à crier à m'en briser les cordes vocales.
- À l'aide ! Je crie en vain.
Personne.
Il n'y a personne.
Peut-être que c'était mon destin de mourir à l'endroit où j'ai toujours subi.
Le crépitement qui fait raisonner mes oreilles me tord l'estomac, mon instinct de survie s'active automatiquement.
Je suis en danger.
En me retournant pour faire demi tour, je tombe nez-à-nez avec d'énormes flammes qui ont déjà pris possession d'une cabine en une minute.
Mon coeur s'emballe à nouveau mais je ne perds pas espoir malgré l'air toxique qui s'installe dans mes poumons petit à petit.
Mes yeux rivés sur les Air Forces qui protègent mes pieds, j'opte pour un chemin qui consisterait à escalader le petit lavabo en m'accrochant au sèche mains pour atteindre la fenêtre de l'autre côté.
Je ne sais pas où je trouve cette ressource de force et de courage, mais sans hésiter, je saute en fermer les yeux une mini seconde et atterris par chance sur le bord du lavabo comme prévu.
Ma main fermement accrochée au séchoir, j'analyse l'incendie et mes alentours, mon sang chaud frappant à l'intérieur de mon épiderme.
Je prends quelques secondes d'arrêt pour essayer tant bien que mal de reprendre un peu de souffle, ma paume posée contre ma poitrine.
La panique secoue mon corps avec tellement de puissance que j'aimerais me jeter dans le feu pour que la douleur physique l'arrête.
Mais non, je dois m'échapper, vite.
Une jambe devant l'autre, j'avance en équilibre le plus loin possible des morceaux de braise qui s'échappent de l'incendie toujours grandissant.
Finalement en face de la fenêtre, j'accroche tous mes doigts sur le rebord et tire de toutes mes forces vers moi.
Malheureusement, il ne me faut pas beaucoup de temps pour percuter.
C'est fermé aussi.
Encore une fois, je suis maudite.
Je n'ai plus d'idées et je suis fatiguée.
Fatiguée de devoir constamment réfléchir et trouver une solution pour me sortir de tout ces malheurs qui me suivent partout où je vais.
Mon dos désormais appuyé contre la fenêtre, je croise mes jambes en tailleur et me contente d'observer les flammes s'agrandir dans la pièce sous mes pupilles brillantes d'appréhension.
Peut-être que c'est aujourd'hui.
Aujourd'hui que mon cauchemar éveillé prend fin une bonne fois pour toutes.
L'alarme incendie n'a toujours pas retenti, ce qui veut dire que la majorité des élèves sont probablement en train de suivre tranquillement leur cours pendant que je suis là, entre la vie et la mort.
Je retrace les moments de mon existence, comme n'importe quelle personne se trouvant au bord de la mort le ferait. Au lieu de savourer mes souvenirs, je suis submergée par une vague de dégoût et de haine envers les évènements de ma vie qui n'ont été que supplices, cris, pleurs et souffrances à répétition.
La moitié des W-C est actuellement complètement brûlée, pour me distraire, je trace le contour de chacun de mes bleus avec le bout de mon ongle.
Ces mêmes bleus que Noa a vu.
Il a rejoint la longue liste des personnes qui connaissent cette injustice mais ne font rien.
Maman, Amalia, Josie, Brad, Thomas et maintenant lui. Ils sont tous au courant mais n'agissent jamais.
C'est... décevant.
Un bruit étrange résonne plusieurs fois dans mon dos, je suis d'abord persuadée de perdre la tête mais ça recommence de plus en plus bruyamment.
Je me résigne alors à me tourner légèrement et reste bouche bée lorsque je rencontre la large corpulence de cet enfoiré brun.
J'incline la tête sur le côté comme pour m'assurer que sa silhouette n'est pas une idée toute faite de mon subconscient.
Il imite mon geste comme le ferait mon reflet dans un miroir.
- Qu'est ce que tu fais ici ? C'est la première chose qui sort de ma bouche.
- Tu m'attendais ?
Je suis d'abord surprise que nous puissions nous entendre puis il me suffit de lever les yeux pour apercevoir une minuscule ouverture entre la vitre et le bois qui laisse passer le son de notre voix.
- Pourquoi faire ? Je n'aime pas dépendre de quelqu'un.
- Oh et bien, c'est dommage que tu dépendes déjà de Noa alors.
C'est très énervant lorsqu'une personne vous annonce une vérité en pleine face, on est obligé de l'accepter malgré nous.
- C'est tout ? Tu es venu seulement pour me dire quelque chose que je savais déjà ? Rétorqué-je sur la défensive.
Il ricane doucement.
- Je ne suis pas ton ennemi Lola.
- On ne peut pas dire non plus que tu es mon ami.
C'est la première fois que nous nous regardons avec tant d'intensité, la première fois que j'arrive à lire en lui, la première fois qu'on se comprend réellement.
Il n'y a pas une once de pitié dans son regard, il a juste l'air... perdu.
Étonnant venant de Thomas, lui qui sait toujours quoi dire, toujours quoi faire, j'ai l'impression que ce n'est que maintenant que je vois le vrai lui.
- C'est étonnant, il finit par briser le silence, je ne perçois pas de peur dans ton regard.
- Peur de quoi, de la mort ? je demande en connaissant déjà la réponse. Cette peur n'apparaît plus dans la lueur de mes yeux, elle s'est estompée au fil des années.
- C'est ce que tu penses, et c'était sans doute le cas avant... il s'interrompt dans sa phrase comme si j'étais censée en deviner la suite.
- Avant quoi ? m'impatienté-je.
- Avant que tu n'es une raison de vivre... ton Sherlock. Ça t'embête hein ? De savoir que maintenant tu as une raison de continuer à pourrir ici au lieu de trouver la paix de l'autre côté.
Je déglutis en silence, essayant de me persuader en vain que ce qu'il dit est faux.
- Non, je mens à moi-même, si je meurs aujourd'hui et maintenant, ça te prouvera le contraire.
Il reste quelques secondes à me contempler avec attention puis hausse les épaules, fourrent ses mains dans ses poches et disparaît derrière un bâtiment.
Oh.
Il est vraiment parti.
Je reste un moment à fixer la vitre, comme s'il allait réapparaître par magie.
Une chaleur soudaine réveille tous mes sens, ce n'est que maintenant que je me rends compte que je me tiens à seulement quelques millimètres du feu.
Il est si proche de moi, j'en viens même à me demander comment se fait-il que ma peau n'a toujours pas fondu.
Mon coeur balance, j'hésite à le laisser m'envelopper mais lorsqu'il rentre en contact avec mes blessures c'est si chaud, si douloureux, trop douloureux.
J'ai alors le réflexe de me reculer lentement, malheureusement, je me cogne au mur de derrière moi et suis alors prise au piège.
Mes paupières se ferment mais quand elles se réouvrent, je suis toujours au même endroit, mes poils commençant déjà à cramer à cause de ma proximité avec cette chaleur abondante.
Rétractée sur mes jambes, j'ai l'impression que tout s'éteint en moi, particulièrement mon cerveau qui a l'air de ne plus fonctionner.
Mon coeur arrête de battre, mon sang de circuler et mes poumons de fonctionner.
J'aurais presque pu m'endormir quand un soudain bruit sourd explose et des milliers de petits morceaux de verres retombent sur moi.
Un trou, un grand trou vient d'être produit dans la vitre collée à moi et c'est alors qu'il se met crier:
- Davis !
Un autre coup retentit bruyamment, agrandissant la possible sortie dans la fenêtre pendant que ma peau se fait recouvrir de braise à chaque instant.
- Tu pourras mourir demain...
Il frappe une nouvelle fois, mon coeur se remet en marche mais mon souffle est coupé.
Je plaque violemment ma main sur ma gorge comme pour réclamer de l'air.
- Dans trois mois...
J'aperçois ma jupe qui noircit sur ma cuisse, le feu caresse ma peau.
J'ai beau ouvrir grand la bouche et relever ma poitrine en continu, ma vue devient floue et je suis au bord de l'évanouissement.
- Ou même dans six ans...
Le grand marteau tape une dernière fois dans le verre et retombe sur le gravier. La vitre est maintenant complètement cassée.
- Aïe... est le seul mot que j'arrive à faire sortir de mes lèvres une fois que je sens la peau de mon bras se consumer.
- Mais pas aujourd'hui ! Il termine avant de m'attraper pour essayer de m'extraire des toilettes.
Ses poignes sont puissantes, tellement qu'elles me font mal lorsque ses doigts s'enroulent autour de mes bras.
Je n'ai pas le temps de respirer l'air extérieur, la fumée brûlante s'est déjà bien installée dans mes organes respiratoires et j'ai déjà assez donné.
Sa dernière phrase résonne dans ma tête comme un écho insupportable.
"Mais pas aujourd'hui".
Je ne mourrais pas aujourd'hui ?
En es-tu bien sûr ?
( La suite dans le prochain chapitre ✨)
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