Chapitre 20: Partir signifie abandonner

- Mais je viens de t'expliquer la raison !

Je balance mon sac sur le premier fauteuil en soufflant bruyamment.

- Ce n'est toujours pas une raison tu-

- J'ai failli crever dans un attentat mais pour toi ce qui est grave c'est que je sois rentrée tard ?!

Elle place ses paumes dans le creux de ses hanches pour paraître contrariée.

Je garde le contact visuel, toujours debout en attendant patiemment sa répartie.

- Bon déjà, tu baisses d'un ton parce que je suis ta mère-

- J'ai pas haussé le ton, c'est toi qui t'énerve pour rien. Je la coupe en croisant les bras autour de ma poitrine.

Son regard s'endurcit en une nanoseconde.

Je regrette déjà parce que je sais.
Je sais que je viens d'enclencher une dispute sans fin.

- Je ne m'énerve pas, seulement tes actions m'insupportent de plus en plus en ce moment. Déclare-t-elle, les bras au ciel comme si elle était exaspérée par la situation.

Je lève les yeux.
Je déteste sa façon de toujours dramatiser chacun de mes actes.

- Mais qu'est ce que tu comprends pas ? Tu ne me crois pas ? J'ai. Failli. Mourir.

- Lola j'en ai rien à faire-

Mon visage se fige et ma bouche reste ouverte comme si le son de ma voix était bloquée dans ma gorge.

J'essaie de lui indiquer avec ma réaction que c'est blessant mais elle n'a pas l'air de comprendre ce qui ne va pas.

- T'en a rien à faire ? T'en a rien à faire de ta fille ? T'en a rien à faire si je meurs ? Je prononce d'une voix vacillante.

En réalité je suis déçue mais pas surprise. J'aimerais juste qu'elle assume, qu'elle me dise en face que je ne compte pas pour elle, que je ne suis rien à ses yeux.

- Tu mélanges toujours tout ! Comment tu oses penser ça de moi ?

Mes mains se mettent à trembler de colère.

Mes lèvres se pincent, je suis dégoûtée de la façon dont elle se victimise.

Dégoûtée d'elle.

- Alors, tu es capable de m'affirmer que tu m'aimes ? Que tu n'as pas de préférence pour Amalia ? Insisté-je persévérante.

- Oui ! Tu te compares sans arrêt alors que je vous aimes toutes les deux !

Je pourrais rire.
Mais ce serait irrespectueux de se moquer de sa propre mère.

Son chignon trop resserré fait ressortir les veines sur son crâne.

Ses yeux scintillants ont le don de m'insupporter.

J'hausse les épaules et m'avance en direction de la cuisine d'un pas décidé.

- Maman, est ce que j'ai le droit de manger ? Oh non, j'oubliais que tu as bloqué l'armoire pour que je n'y ai pas accès.

J'examine sa réaction mais elle reste statique comme si c'était normal.

J'étais persuadée que ça ne suffirait pas pour qu'elle se rende compte de ce qu'elle m'afflige au quotidien.

J'ai seulement pensé pendant une minute qu'elle comprendrait.

Je plisse les paupières et l'emmène alors dans la chambre de ma soeur.

J'ouvre brutalement sa porte.

- Tu sais toquer ?!

J'ignore sa protestation et indique les gâteaux qui trainent sur son bureau du doigt.

- Mais Amalia elle, a le droit de manger ce qu'elle veut à n'importe qu'elle heure.

- C'est normal, Amalia est-

- Tais toi. Je stoppe sa phrase pour ne pas être blessée une nouvelle fois par ses mots.

- Tu vois comment tu me parles ? Et après c'est toujours toi la victime, mon dieu Lola remets toi en question !

Aïe.
Je le fais déjà jour et nuit.

Garder la face devant elle est extrêmement difficile, mais je persiste.

- Tu n'en sais rien si je me remets en question, tu ne sais rien de ma vie. Je suis lancée dans un défoulement d'émotions que je ne contrôle pas. Tu ne sais jamais comment je me sens, tu ne connais pas mes centres d'intérêts, tu n'es pas une bonne mè-

Sa main se lève brusquement, un mouvement que je ne connais que trop bien.

Je ferme les yeux et me décale rapidement au moment où sa main aurait du atterrir sur ma joue.

- Arrête ! Arrête de me frapper, arrête de mentir, arrête de te victimiser pour rien ! Je m'écrie en sentant mes yeux piquer.

- Te frapper ? Je ne te frappe pas Lola, ton père s'en charge déjà très bien.

Je sens le parquet s'effondrer en dessous de mes pieds.

C'était probablement la phrase de trop.

Elle est forte à ce jeu là, m'attaquer avec de simples paroles.

Ça fait si mal que mon coeur se resserre et mes yeux sont maintenant en feu même si je lutte pour ne pas verser une seule larme.

En fait, elle n'est pas aveugle.
Elle le voit très bien faire, j'irais même jusqu'à me demander si elle n'apprécie pas le spectacle.

Je me demande souvent si je ne la déteste pas plus que papa.

Parce que les bleus sur mon corps finissent par s'estomper, tandis que mes bleus émotionnels restent là, à trotter dans mon esprit jusqu'à ce que je pète un cable.

- Tu sais que... c'est blessant ce que tu dis ? J'admet, mon ongle déjà à l'intérieur de la peau de mon poignet.

Est ce que je fais ce tic parce que je me sens mal ou bien parce que je veux qu'elle remarque que je ne vais pas bien ?

Je n'ai jamais su répondre à cette question.

- Ça n'a rien de blessant Lola, tu prends tout à coeur c'est fatiguant. On ne peut pas te parler sans que tu ne pleures constamment.

Le feu qui brûle en moi consume chaque particule de mon corps en partant de mon coeur.

J'ai mal.
Tellement que je pourrais mourir pour qu'elle comprenne à quel point j'ai mal.

J'ai voulu tenter de lui expliquer, mais non.
Je suis bête.
Je savais déjà comment ça finirait.

Elle prend un air désintéressé et s'apprête à redescendre.

- Tu penses que je fais exprès de pleurer ? Je l'arrête pour lui laisser une dernière chance de remonter dans mon estime.

Le noeud autour de ma gorge se resserre si fort que je peine à parler.

- Tu veux me faire croire que tu es hypersensible ? Arrête de faire ta dépressive et sèche moi tes larmes de crocodile.

Je résiste à l'envie de me mordre les bras pour y déverser ma haine.

C'était sa dernière chance.
Elle ne l'a pas seulement gaspillé, elle l'a piétiné et jeté au fond d'un ravin.

Ma tête pèse de plus en plus et cette fois je laisse mes larmes couler à flot.

- Mais tu ne comprends rien ! Je lui hurle avant qu'elle n'emprunte les escaliers.

Je la supplie du regard de m'écouter et d'essayer de comprendre mes appels à l'aide.

Je veux seulement qu'elle s'inquiète un peu pour moi.

Juste ça.

Seulement ça, s'il te plaît.

S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît...

La porte à ma droite s'ouvre violemment et me fait sursauter au passage.

Papa.

Il ne manquait plus que toi.

Ses iris me tétanisent sur place.

Cette vague de peur qu'il me provoque, j'ai envie de me jeter par la fenêtre quand je la ressens.

Je reste là, à le contempler, en espérant que ça ne dégénère pas plus.

- Pourquoi tu parles mal à ta mère ?! Il braille, la mâchoire contractée.

Oh.
C'était donc ça.
La raison de ta venue.

Je n'aime pas regarder ses yeux, pourtant je le fais à chaque fois.

Toujours.

Seulement pour voir si l'expression de dégoût que je lui invoque a changé.

Effectivement elle change, mais dans l'autre sens.

Elle s'empire.

Chaque jour il me renie un peu plus, mais ça ne m'étonne pas, je le fais seulement par curiosité.

Sa colère me glace et me glacera éternellement le sang.

J'ouvre de grands yeux et m'éloigne au cas où.

- J-je lui ai pas... mal parlé. Je bégaie, tremblant de détresse.

Le moindre mot de travers me vaudra un coup.

Heureusement les siens sont moins douloureux que ceux de maman.

D'un simple mouvement de main, il attrape le casque qui reposait toujours sur ma nuque et l'explose par terre avec force.

J'observe les morceaux explosés de cet objet si précieux à mes yeux.

Mes dents claquent et s'entrechoquent tandis qu'un long sanglot s'échappe de mes lèvres.

- Mais pourquoi t'as fait ça ! Je me laisse submerger par les émotions qui m'habitent actuellement.

Mon casque, ma musique, ma raison de vivre.

- Comme ça tu apprends à respecter tes parents.

Sa phrase est entrée dans mon oreille mais ressort par l'autre.

Mon cerveau est trop concentré à assimiler l'événement qui vient de se dérouler devant moi.

Il m'a vraiment enlevé la seule chose que j'aime ?

Mes genoux tombent au sol et mes mains ramassent ce qu'il reste de mon casque gris.

- Je l'avais payé avec mon argent ! Ça... ça comptait beaucoup pour moi. J'avoue en relevant la tête vers mes deux parents qui m'adressaient un regard de pitié.

- T'en aura un autre à Noël, commence pas à me casser les couilles alors que t'es arrivée trois heures après ton couvre-feu. Sa voix rauque résonne dans mes tympans comme une mélodie maudite.

Une chanson que tu veux absolument arrêter mais qui ne s'éteint jamais.

- Mais c'est dans un mois et... j'en ai besoin maintenant ! Je me décide finalement à exprimer ma lamentation. Tu ne sais pas... ce que la musique représente pour moi, c'est... important, très important.

Mon cerveau commence déjà à créer des situations dans lesquelles je n'aurais plus l'occasion d'écouter mes sons préférés en boucle.

- Alors va t'en racheter un autre bordel !

- Mais celui-ci je l'avais depuis le collège !

Il m'a accompagné tout au long de ma scolarité dans tous les moments déplorables que je ne voudrais plus jamais revivre.

Ce casque ne m'a jamais lâché, toujours sur mes épaules peu importe où j'allais, j'aurais voulu l'emmener dans ma tombe.

Je voudrais être en colère et lui en vouloir, mais ma peine l'emporte.

Nostalgique, je ramasse chaque reste de cet objet qui faisait partie de moi pour le garder plus tard.

De nouveau sur pieds, j'observe une dernière fois mon père, une cigarette qui pend dans le coin de sa bouche.

Sans un mot de plus, je lui tourne le dos pour retrouver mon seul endroit de détente.

Je referme ma chambre à clé pour ne plus avoir à faire affaire avec eux jusqu'à demain.

Puisque je dois malheureusement les affronter chaque jour.

Je retrouve l'ambiance apaisante que j'attendais temps sur le chemin du retour.

Après un long moment à fouiller dans l'entièreté de ma chambre, j'ai finalement retrouvé de vieux écouteurs qui trainaient.

Je vais me contenter de ça en attendant même si je ne pourrais mas avoir la satisfaction gratifiante du son qui fait vibrer mon corps tellement il est fort.

J'enclenche ma playlist et suis heureuse d'écouter « Kerosene » de Crystal Castles.

J'aime tellement leurs musiques, elles provoquent quelque chose en moi mais ce n'est pas dérangeant.

Contempler le plafond de ma chambre durant une éternité est profondément mon activité favorite mais quelque chose m'inquiète malgré tout.

Noa m'a assuré être allé chercher quelque chose dans son ancienne maison mais... cela fait déjà plus d'une heure qu'il aurait du être là et j'ai un mauvais pressentiment.

Mes membres sont enfoncés au plus profond de mon lit mais mon inquiétude est plus forte.

Je me lève alors difficilement pendant que des scénarios bizarres défilent dans ma tête.

Encore habillée de ma robe déchirée, je m'empresse d'ouvrir la fenêtre pour y sortir mes pieds en premier.

Mes jambes nues se congèlent tellement la température est basse.

Je vacille mais me raccroche à un petit muret avant de sauter sans réfléchir pour me retrouver dans mon jardin.

Le gazon mal taillé caresse mes mollets.

Je ne sais pas dans quoi je me suis embarquée mais je dois y aller.

Je dois aller chez lui.

S'échapper de ma maison est un jeu d'enfant.

Probablement parce que ce n'est pas la première fois que je ne la fuis.

Les larmes séchées sur mon visage me démangent mais je n'y prête pas attention et continue de courir en direction de l'arrêt de bus.

Une fois devant, je me rends compte d'à quel point je suis stupide.

Les bus nocturnes ça existe ?

J'aimerais appeler Josie pour le lui demander mais je ne peux pas la déranger après ce qu'elle vient de vivre.

Elle attendait tellement cet événement mais l'attentat à tout gâché.

Je parcours du doigt mes contacts à la recherche de quelqu'un à qui parler mais personne, il n'y a personne.

Mise à part un.

Mais si mon envie de lui parler s'exprimait en pourcentage, elle se situerait en dessous de zéro.

Le problème c'est que je dois vraiment voir Noa.

J'ai besoin de revoir ses pupilles noisettes qui me rassurent constamment.

J'appuie alors sur la personne nommée « Enfoiré » dans mon répertoire après de longues minutes d'hésitation.

Le répondeur sonne longtemps avant que sa voix grave ne se fasse finalement entendre.

- Quoi ?

- Bonsoir déjà.

- Abrège Davis.

Davis.
Pas Lola.
J'ai retrouvé mon surnom habituel.

- Est ce que ça existe les bus nocturnes ?

- Ouais, mais pas dans ton coin paumé. Il me répond avec une voix fatiguée.

- On habite à côté donc ça vaut aussi pour toi. Je lui rappelle, le téléphone serré entre mes doigts.

- Tu m'as réveillé pour ça ? Il souffle près du micro.

- Tu ne dormais même pas.

Je l'entends pouffer comme un imbécile à l'autre bout du fil.

- Sérieusement Davis, qu'est ce que j'en ai à foutre ? Tu veux fuguer c'est ça ?

Oh oui, si seulement.

Mais je n'ai nulle part où aller et cette idée m'effraie.

Je sais pertinemment qu'il s'en fout.

J'ai seulement pensé qu'il aurait assez pitié de moi une dernière fois pour m'accompagner chez Noa.

La nuit, seule, ça n'a vraiment rien de rassurant.

- Noa... Noa aurait déjà du être revenu. J'arrive finalement à prononcer, mon regard plongé dans le ciel étoilé.

- Quoi ?! Il n'est pas encore là ?! Le ton qu'il emploie n'a rien de rassurant.

- N-non...

Il bredouille des gros mots en trimbalant son téléphone partout.

- Bouge pas.

- Mais-

Il coupe l'appel avant même que je ne puisse terminer ma phrase.

Le silence me tétanise, je l'apprécie tout autant qu'il m'horrifie.

Assise sur un petit banc, je triture la peau qui entoure mes ongles.

Ils sont tachés de sang, ça ne me dégoûte pas, je suis juste nostalgique de quand mes ongles étaient courts et propres.

Mon pouce tapote sur chacun de mes doigts de la main en continu.

Ça me distrait légèrement pour ne pas penser au fait que j'ai quatre-vingt pour cent de chance de me faire agresser ou kidnapper.

Je prends d'abord peur quand le bruit d'une moto me sort de mes pensées, mais je reconnais rapidement la signature sur la devanture.

Thomas s'arrête juste devant moi en me faisant signe de monter.

J'hésite longuement avant de finalement m'avancer vers lui.

- Pourquoi tu continues de m'aider ?

Je passe une jambe de l'autre côté du scooter pour y monter à califourchon puis m'accroche fermement à ses épaules.

- Seulement parce que ça concerne Noa.

Sans un mot de plus, il démarre à tout allure alors que je n'ai même pas de casque.

Les yeux clos, j'essaie tant bien que mal de me rassurer en me répétant qu'il sait conduire mais ses virages ne m'inspirent rien de bon.

- T'es sûr que t'as le permis pour conduire cet engin ?

- Non.

Mes yeux s'écarquillent vis à vis de son ton bien trop calme pour la situation.

Ça a l'air habituel pour lui de conduire sans permis.

Je resserre mon étreinte et prie pour arriver en un seul morceau.

Nous frôlons un buisson qui me griffe le bras et toute ma cuisse droite.

Mais c'est à peine si je ressens la douleur.

La petite forêt lugubre m'indique que nous ne sommes plus très loin.

Je reconnais subitement sa petite maison effrayante.

Il freine si fort que mon ventre se rétracte à l'intérieur de moi durant un instant.

- Allez, descends. M'ordonne-t-il après avoir retiré son casque.

Je m'empresse de sortir de son véhicule pour me précipiter dans la maison.

Mes oreilles ne perçoivent pas le son des pas de Thomas derrière moi.

Je me retourne, les sourcils froncés.

- Tu ne viens pas ?

- Pas besoin d'être deux.

Je comprends rapidement qu'il veut juste fumer tranquillement alors je l'ignore et accours devant la porte.

Contre toute attente, elle est encore ouverte.

Je n'attends pas une seconde de plus et l'ouvre sans réfléchir pour pénétrer dans le logement.

C'est encore plus effroyable que lors de ma dernière venue, j'en ai des frissons.

Mes yeux scrutent chaque recoin au cas où.

Le concert de Josie m'a appris à toujours bien observer autour de moi.

Il n'y a rien ni personne en bas.

Une main accrochée à la rambarde, je grimpe chaque escalier avec lenteur pour rester sur mes gardes.

Je serre les dents à cause du grincement qui se fait de plus en plus fort.

Cette maison pourrait être hantée, ça ne me surprendrait pas.

Finalement arrivée à l'étage d'au dessus, j'essaie de me souvenir quelle chambre appartenait à Noa.

Dans mes souvenirs, sa porte était aussi noire que l'intérieur, je me dirige alors en face de celle de droite.

J'appuie doucement sur la poignée en espérant ne pas tomber sur un cadavre ou quelque chose dans le genre.

La porte s'ouvre bien sur la chambre sombre de Noa.

Elle me semble d'abord vide puis mes yeux rencontrent une silhouette assise sur le rebord de la fenêtre.

Mon souffle se coupe quand je m'aperçois de qui il s'agit.

La dernière fois que je suis venue ici, je me souviens parfaitement de la distance qui séparait le sol de nous.

C'était haut, très haut, assez pour en mourir d'un seul coup si l'envie de nous y jeter nous prenait.

Je m'approche pas à pas dans un silence glacial.

- N-Noa ?

- Ah, tu es là. Il me répond simplement avec une voix que je ne reconnais pas.

- Qu'est ce que tu fais ?

Ma respiration se fait de plus en plus haletante.

- Tu ne devrais pas être là. Le ton qu'il emploie n'est pas celui que je connais bien.

J'aimerais qu'il me regarde mais il continue de me tourner le dos et de balancer ses pieds dans le vide.

Je continue de m'approcher un peu plus mais il m'arrête une nouvelle fois.

- Rentre chez toi Lola. 

Aïe.
Pourquoi ça me fait si mal ?

Parce que mon Noa ne m'aurait jamais parlé comme ça.

Je fais abstraction de ses remarques affligeantes et pose délicatement une main sur son épaule.

Il se crispe soudainement.

- Ne me touche pas ! Il s'écrie si fort que je retire directement ma paume. S'il te plaît, éloigne toi.

Mes yeux pétillent face à sa nouvelle version que je n'aime déjà pas.

Ses deux mains sont appuyées sur le rebord, de part et d'autre de ses jambes.

On dirait... on dirait qu'il s'apprête à sauter ?

- J'ai fait... quelque chose de mal ? Je lui demande en éloignant cette proposition de mon esprit.

- Non, en réalité, c'est moi.

Je n'arrive pas à comprendre ce qui lui arrive.

Je suis seulement terrorisée à l'idée qu'il puisse se laisser tomber à n'importe quel moment.

- Est ce que tu t'es demandé pourquoi... pourquoi nous sommes pratiquement les seuls survivants du massacre qui a eu lieu ?

Les sourcils froncés, je ne comprends toujours pas là où il veut en venir.

- Parce que le destin voulait qu'on survive, je suppose.

- Et qu'est ce qui serait arrivé si nous avions succombé à la mort dans ce stade ?

Une sensation bizarre parcourt mon épine dorsale et circule dans mes veines.

La mort.

Un sujet qui m'a toujours intéressé mais qui me dérange trop pour en parler à voix haute.

- Pourquoi tu me demandes ça ?

Le bruit de ses chaussures qui tape en rythme contre le mur m'insupporte de plus en plus.

- Je sais que tu connais la réponse. Il m'adresse toujours son dos mais je peux deviner l'expression sur son visage. Nous aurions enfin pu être libre n'est ce pas ?

Mes jambes vont bientôt me lâcher mais je serre les poings et reste concentrée pour ne pas m'écrouler sur le sol.

- Mais la vraie question c'est, pourquoi attendre que le destin nous emmène de l'autre côté, si on peut s'en charger seul ? Il continue en tapant chaque doigt un par un sur le mur.

L'air s'échappe rapidement de mes poumons, si vite que mon coeur se met à tripler de vitesse.

Alors j'avais raison ?
Il compte s'enlever la vie ?
Devant mes yeux ?

Non !

Je sais qu'il a raison, j'y pense et j'aimerais le faire aussi, chaque jour de mon existence.

Mais je dois le convaincre du contraire.

Il se décide finalement à se tourner vers moi.

- J'ai pas raison ?

- N-non ! Non tu as tord, le destin s'en chargera au moment venu alors pourquoi se précipiter ?

Il lève les yeux au ciel avec amusement.

Je ne perçois plus le Noa que je connaissais dans ses pupilles.

- Pourquoi tu mens ? Tu penses la même chose que moi. Au fond on est pareil, non ?

Ma lèvre tremble de peur.

J'ai si peur qu'il disparaisse sous la fenêtre comme si de rien était.

Et je ne peux rien y faire parce que tout ce qu'il dit est vrai.

- Non, on est pas pareil. Il rectifie en secouant la tête. Toi tu es courageuse n'est ce pas mio fiore ? Moi je suis faible, à la moindre faille je décide de me laisser tomber dans le vide pour ne plus y penser.

Non, il n'a pas le droit.
Il n'a pas le droit de me laisser tomber.

Je suis probablement la personne la plus égoïste sur cette putain de terre mais j'en ai rien à foutre.

Il n'a pas le droit de me laisser m'attacher à lui pour au final partir comme si de rien était.

- Alors c'est fini ? Tu es sûr ? Tu vas m'abandonner comme ça ? Je tente de le dissuader, les yeux remplis de larmes brûlantes.

- Si tu savais combien de fois j'ai résisté à l'envie de le faire seulement pour toi.

Je ressens le besoin de le prendre dans mes bras mais je n'ose pas m'avancer, il pourrait sauter à n'importe quel moment.

- Mais tu as pensé, aux répercussions ?

- Comment ne pas y penser ?

Il a toujours bonne réponse à tout, c'est énervant.

Le pire c'est qu'il sait que je sais qu'il a raison.

- Alors vas-y, tombe et abandonne moi comme les autres. Je suis habituée ne t'inquiète pas. Je sais que c'est mauvais de jouer avec sa culpabilité mais je n'ai plus aucune idée pour l'en empêcher.

- Je pensais que tu serais triste, ça me rassure de partir en sachant que ce n'est pas le cas.

J'entre-ouvre la bouche mais je n'ai plus aucune répartie.

Il est sérieux ?

Alors c'est ça qu'on ressent quand on aime tellement une personne qu'on ne peut pas laisser partir ?

Comme si le prolongement de notre vie s'écroulait en un instant.

C'est si douloureux, ça consume tout mon être, j'aimerais vomir mes larmes ou crier ma rage.

Ma tête se baisse en avant, je ne peux plus rien faire.

- Mais pourquoi ?

- Parce que je suis le reflet de toi en plus faible, ma Lola. Sa voix se brise tellement que je comprends que même lui ne veut pas le faire, il s'en sent simplement obligé. Tu te souviens, « je vois mon reflet dans tes yeux ».

Comment pourrais-je oublier ce moment qui m'a tellement touché ?

- Oui, c'est notre musique. Mais si tu pars, il n'y aura plus de « nous », Noa.

Sa mâchoire se contracte soudainement et ses iris s'éclaircissent.

Il a l'air d'avoir eu une illumination.

- Mais tu vivais bien avant le « nous », n'est-ce pas ?

- Avant le « nous » je survivais, maintenant je vis. Est ce que tu comprends ça ?

Je viens d'avouer une vérité que j'aurais du lui admettre il y a bien longtemps.

Le vent balaie ses cheveux, une goutte coule désormais jusque son menton.

Peut-être que je viens de faire la pire erreur de ma vie en lui prouvant à quel point je tiens à lui.

Peut-être qu'il l'utilisera contre moi pour me détruire petit à petit.

Mais j'ai assez confiance en lui pour espérer qu'il ne le fera pas.

Toujours bouche bée, il ne répond rien.

J'en profite alors pour me précipiter sur lui et enrouler mes bras autour de sa taille avec force.

Les yeux fermés, je le tire brusquement en arrière et nous retombons sur le tapis qui entoure son lit.

Nos deux corps sont par terre, l'un collé à l'autre.

Je ne saurais comment expliquer à quel point je suis rassurée.

Nos deux respirations irrégulières s'emmêlent et mes bras entourent encore son ventre, comme si j'avais peur qu'il s'échappe.

- Promet moi...je murmure tout bas. Promet moi de ne pas recommencer, s'il te plaît.

Son coeur battant résonne dans mes oreilles.

- Oui.

- Dit le. J'exige en essayant de retrouver mon souffle.

- Je te promets... je te promets que je n'essaierais plus de me suicider ma Lola.

{ La suite dans le prochain chapitre }

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