Chapitre 12: Gueule de bois
~Canada~Toronto~Octobre 2024~
Mes paupières s'ouvrent lentement sur un plafond qui m'est inconnu.
Je cligne rapidement des yeux avant de subitement me rendre compte qu'il ne s'agit pas de ma chambre.
Mon plafond à moi est bleu marine, ma chambre à moi ressemble aux profondeurs de l'océan.
Cette chambre paraît lugubre, il y a des posters de rappeurs accrochés sur tous les murs.
En me redressant, je m'aperçois que mon corps est toujours habillé de ma tenue de soirée mais celle-ci a été déchirée de tous les côtés.
Je passe une main sur mon visage avant de l'examiner.
Mon maquillage a bavé, je ne dois ressembler à rien.
Je sors lentement mes jambes de la couette et me hisse du lit avec précautions.
La nuit dernière me revient peu à peu en tête quand je tombe sur les deux garçons qui dorment paisiblement, installés sur un matelas.
L'horloge suspendue en face de moi indique qu'il n'est que six heures du matin.
J'avais presque oublié qu'il y a cours aujourd'hui. Qu'est ce qu'il m'a pris d'aller en soirée la veille d'une journée de cours, ça ne me ressemble pas.
Je referme mon blouson qui s'est ouvert durant mon sommeil et m'empresse de sortir de la chambre, évitant leurs corps allongés.
Ma respiration se coupe à chaque grincement que mon pied provoque sur les marches d'escalier.
Arrivée en bas, je prie intérieurement pour ne pas tomber sur les parents de Thomas.
Je n'adresse qu'un léger coup d'œil au salon plongé dans le noir qui paraît parfaitement rangé, comme ceux dans les magazines de ma mère.
À côté de ça, ma maison paraît bordélique.
Ma paume se pose sur la poignée, elle ouvre délicatement la porte sans un bruit pour que je puisse m'enfuir de cet endroit oppressant.
Je ne me souviens pas des événements qui m'ont amenés ici mais nos prochaines rencontres risquent d'être assez embarrassantes.
J'enfile mon sac puis prends une profonde inspiration dans l'air froid avant de me mettre à courir à grandes enjambées.
Mes pas s'enchaînent de plus en plus vite sur la large route vide.
Les sapins bougent au rythme de mes pieds et le soleil qui se lève semble vouloir me suivre.
J'aime sentir mes cheveux s'envoler derrière moi et mes membres se frigorifier.
C'est tellement froid que ça me brûle la peau, mais c'est cette sensation que j'adore.
On entend seulement le bruit de mes bottines qui frappent le goudron, le brouillard floute ma vision.
Mon souffle forme des petits nuages de buée dans l'air.
Mais ce que j'apprécie le plus quand je cours, c'est cette impression que mon esprit se vide.
Lui qui est toujours en train de travailler, en train de réfléchir, de tout analyser.
Il peut enfin se libérer.
Je fuis la maison de Thomas jusqu'à ne plus avoir de souffle.
Je dois brusquement m'arrêter quand je sens mes poumons lâcher.
Mon corps s'effondre sur un banc rempli de petits flocons qui n'ont toujours pas fondu.
J'aimerais rester là à contempler le lever de soleil toute ma vie.
Je ne veux pas rentrer.
Je ne peux pas rentrer.
Le chant des oiseaux commence à se faire entendre, ce qui m'indique que l'heure d'aller en cours approche.
Il ne faut absolument pas que je sois en retard.
D'ici, je peux apercevoir la tour CN, elle est encore plus belle à ce moment là de la journée.
Étonnement, je reconnais déjà les ruelles qui mènent à chez moi.
Thomas habite plus proche de ma maison que je ne l'imaginais.
C'est frustrant.
Il peut m'atteindre en quelques minutes s'il en a l'envie.
Il n'y a aucune trace de voiture par ici, les seuls sons qu'on écoute sont mes chaussures qui écrasent les feuilles d'automne sur le sol.
J'aurais aimé avoir mon casque sur moi pour me laisser emporter par la musique comme à mon habitude.
Mes yeux reconnaissent désormais la rue Garcia.
Je ne suis plus qu'à quelques mètres de chez moi, mon cerveau se prépare psychologiquement à retrouver ma routine habituelle.
J'enfonce ma clé dans la serrure, le sentiment de terreur peint sur les traits de mon visage.
J'ai peur.
Et je déteste avoir peur pour des choses aussi simples que de rentrer chez moi.
Les lumières sont éteintes.
Ils dorment.
J'en suis tellement rassurée que ma respiration reprend enfin un rythme normal.
Une fois dans ma chambre, mon regard croise mon reflet sur le miroir.
Mes cheveux sont encore plus en bataille que je ne l'imaginais mais ce n'est pas ce qui foudroie le plus.
Mon coeur est médusé lorsque mes yeux rencontrent ma cuisse.
La déchirure de ma robe laisse paraître l'arc-en-ciel d'hématomes qui teintent ma jambe au grand jour.
Je ne les ai pas recouvert de fond de teint comme à mon habitude puisque ma robe longue était censée les cacher.
Et si les autres les avaient vu ?
Et s'ils savaient ?
Je glisse le long de ma porte, bloquant les sanglots qui veulent s'échapper de ma bouche pour ne pas réveiller le reste de ma famille.
J'ai toujours fait de mon mieux pour cacher ces horribles tâches à la vue de tous.
Je ne voulais pas acquérir la pitié des gens, et ne surtout pas qu'ils voient à quel point ces traces me rendent encore plus laide.
Maintenant ils les ont probablement tous vu, et le pire, c'est que je ne me souviens de rien.
***
Les couloirs bruyants de Waterfalls ne m'avaient pas manqué.
L'ambiance qui s'y trouve est particulièrement pesante.
Je devine ma gueule de bois grâce à mon horrible mal de crâne.
Les casiers qui claquent font résonner mes oreilles de manière insupportable.
En passant devant le mien, je remarque un bout de papier qui y est accroché.
Je plisse des yeux avant de m'apercevoir qu'il y a simplement écrit « salope ».
Je suis tellement épuisée que je me contente d'hausser les épaules et continue mon chemin en baillant.
J'espère seulement que ce n'est pas lié aux choses que j'ai faite ou dite hier soir sans m'en rendre compte.
En levant les yeux, je remarque subitement la bande de Brad qui se dirige vers moi.
Vont-ils me faire chier dès le matin, le lendemain d'une soirée qui plus est ?
J'aimerais parier entre pile ou face mais ils sont déjà à quelques mètres de moi.
Brad chuchote quelque choses à ses amis avant de les repousser pour qu'ils partent.
- Ça va depuis hier ? Il demande en faisant un signe de menton dans ma direction.
Justement je ne sais pas ce qu'il s'est passé hier.
Chaque pas qu'il fait dans ma direction attire le regard des autres.
J'hoche la tête instinctivement sans même réfléchir.
Tout ce dont je me souvienne c'est qu'au début de la soirée je voulais le quitter et ce n'est toujours pas fait.
Ses mains effleurent mes hanches pour m'enlacer.
Mais je ne ressens rien, son toucher ne me provoque plus les mêmes frissons qu'au début.
J'attrape ses poignets pour les repousser d'un mouvement brusque.
- Non Brad, non.
Je secoue la tête avec dégout, il est temps que tout cela s'arrête.
Il me regarde avec stupéfaction, comme si j'étais devenue folle.
- Quoi non ? Me dit pas que tu m'en veux encore ?
Ses yeux noirs pour lesquels j'ai eu un faible l'an dernier.Ils me semblaient mystérieux et intrigants.Ça lui rajoutait un charme.
Maintenant ses yeux n'ont plus rien d'hors du commun pour moi, ils me semblent banals.
Se sont désormais des lames meurtrières, prêtent à m'anéantir quand je suis près de lui.
- Brad, je pense que c'est mieux si on s'arrête là.
J'arrive finalement à prononcer.
Ces paroles que j'ai éternellement répétées dans ma tête n'ont pas l'air de l'affliger plus que ça.
- T'es sérieuse ?
J'acquiesce en redoutant sa réaction, sa colère l'a déjà mené à faire des choses qui me seront toujours ancrées en tête.
- Tu portes bien ton nom, salope.
Ses talons se retournent d'un coup alors qu'il s'apprête à rejoindre Mathieu et Karim.
Mon coeur se resserre à l'intérieur de ma poitrine, il ne va pas exploser, il donne simplement l'impression de vouloir disparaître dans le creux de ma poitrine.
Je n'imaginais pas que ses paroles pourraient encore me blesser si j'étais passée à autre chose.
J'en viens à me demander si je le suis après tout.
Depuis quelques temps mes pensées me poussent à agir de n'importe quelle façon.
Un flash désagréable me revient soudainement.
Le corps de Sacha est au dessus du mien, m'insulte de tout les noms.
Je me souviens d'une phrase qu'elle ait dit, que je faisais n'importe quoi depuis l'arrivée de Noa.
Elle n'avait pas tout à fait tord.
C'est probablement parce que c'était la vérité que cela m'a mise sur les nerfs, par la suite je l'ai attaqué à mon tour.
Tout redevient noir, le flash est terminé.
Je pose une main sur ma tête douloureuse, revenant à l'instant présent.
Brad a maintenant disparu et les gens qui nous observaient ont repris le cours de leurs vies.
Je m'empresse de récupérer mes affaires de sport pour rejoindre le gymnase.
Quand j'ouvre la lourde porte, toute ma classe y est déjà.
Ils sont divisés en deux groupes.
D'un côté, les filles dans leurs shorts indéfiniment courts gloussent en gesticulant.
De l'autre, les garçons les matent, probablement en train de faire un classement de beauté comme à leur habitude.
Je dépose mon sac dans les vestiaires vides avant d'enfiler rapidement le plus grand jogging que j'ai trouvé dans ma garde-robe.
Quand je les rejoins, ils ont déjà commencé à courir autour du terrain.
Je suspecte Mr. Donovayn, notre professeur de sport, d'observer les filles pendant qu'elles ont le dos tourné.
Avec mes vêtements larges, je peux être sûre qu'il ne posera pas les yeux sur moi.
Courir dans un endroit fermé, accompagnée de personnes que je déteste est beaucoup moins excitant que dehors dans le froid.
Je suis la dernière, personne n'en est étonné.
Malgré mes grandes jambes, mes poumons ne veulent pas coopérer.
Je suis rapidement fatiguée et commence déjà à trottiner, évitant les moqueries de mes camarades qui me dépassent sans difficulté.
Mr. Donovayn m'ordonne de reprendre le rythme, les bras croisés sur son torse imposant.
Je pense qu'il n'est pas même pas au courant que je fais de l'asthme, maman n'a jamais voulu me faire d'ordonnance, elle voulait absolument que je pratique du sport.
Je termine finalement tous les tours après les autres, le souffle coupé.
Karim croise mon regard, un sourire malsain ne tarde pas à naître sur son visage.
Il se dirige discrètement vers moi accompagné de Mathieu qui se frotte les mains.
Se prend-il pour un méchant sorcier ?
J'essaie toujours de respirer, une main posée sur le cœur quand ils m'attrapent par les bras.
Mes cordes vocales n'ont pas le réflexe d'appeler à l'aide au moment où ils me trainent jusqu'au couloir principale.
Les autres ne remarquent absolument rien, ma présence est aussi utile que celle d'un fantôme.
Karim sort subitement un rouleau de scotch de sa poche avant d'en découper un morceau avec ses dents.
Il l'applique lentement sur ma bouche avec un sourire mesquin aux lèvres.
Il a attendu de m'épuiser en sachant que je suis asthmatique pour me scotcher la bouche.
Je me débat en secouant les bras dans tous les sens, mais dans le fond, je sais pertinemment que ça n'a aucun intérêt.
Mathieu ne fait que ricaner sur le côté, resserrant son étreinte sur mes bras.
Mon nez est ma dernière chance de récupérer un peu d'air mais mon cerveau est en panique.
Ils m'emmènent jusqu'au couloir tandis que je me bats pour respirer.
- Je pensais pas que t'oserais quitter Brad, tu veux un oscar petite salope ?
Leurs rires incessants effritent chaque particule de mon cerveau ainsi que celles de mon cœur.
Mes yeux ne tardent pas à laisser échapper des larmes de détresses.
Est-ce un jeu pour eux ou souhaitent-ils réellement ma mort ?
Le simple fait de me voir souffrir suffit à illuminer leur journée.
Comme si l'image horrifiée sur mon visage leur provoquait un certain plaisir.
Même si j'essaie de freiner avec les semelles de mes chaussures, ça n'y change rien, nous arrivons au niveau des casiers où la majorité des élèves se trouvent.
J'entends déjà des gloussements face à mon apparition dans le couloir principal.
Je me surprend à ne plus lutter.
Mes poumons sont désormais vide et je me sens asphyxiée.
Mes paupières se ferment lentement, attendant mon tout dernier souffle.
Cette impression de sentir la mort qui approche, c'est plus douloureux que je ne le pensais.
Mes membres deviennent tour à tour de plus en plus léger, mais d'un autre côté, très lourd.
La sensation est indescriptible.
En réouvrant les yeux je découvre Thomas adossé à mon casier, cachant le mot qui y était accroché.
Les bras croisés devant son torse, il m'observe sans rien faire.
Il ne prend pas plaisir à me regarder comme mes harceleurs, mais ça n'a pas l'air de le déranger non plus.
Je lui crie à l'aide avec le fond de mes yeux mais il se contente de soupirer en passant une main dans ses cheveux.
Je perds alors tout espoir et continue de me laisser trainer sur le parquet de ce couloir interminable, les yeux clos.
J'aurais pourtant parié que je mourrais ici et maintenant, devant la foule du lycée.
Malheureusement, Mathieu se penche finalement pour m'arracher le scotch de la bouche.
J'avale de grandes bouchées d'air sous le regard interrogateur des professeurs qui passent à côté.
- Quoi ? T'es déçue qu'on t'ai pas laissé crever la suicidaire ? Je veux pas finir en taule. Admet Karim en enfonçant ses mains dans ses poches.
Il me donne un coup de pied dans la hanche avant de disparaître avec son ami.
Je place une main sur mon coeur, m'assurant qu'il bat à nouveau normalement.
J'ai eu l'impression de vivre une crise d'angoisse mais une centaine de fois pire.
Sans prévenir, j'ai un nouveau flash de la fin de la soirée.
Je crois avoir entendu des cris qui prévenaient l'arrivée des parents.
Nous nous sommes échappé par la fenêtre puis Thomas m'a porté pendant que Noa appelait un taxi.
Les événements se mélangent dans mon esprit, il faisait si noir que c'est difficile de me souvenir des détails.
Si Thomas m'ai aidé hier, pourquoi fait-il comme si de rien était aujourd'hui ?
***
Mme.Laney tape dans ses mains pour obtenir le silence.
- Aujourd'hui nous allons accueillir une nouvelle élève.
Je ne prête pas attention à son annonce, trop occupée à essayer d'assimiler les informations qui se baladent dans ma tête.
On entend alors toquer à la porte.
Celle-ci s'ouvre pour laisser entrer une jeune fille.
J'écarquille des yeux en l'apercevant.
Je suis souvent jalouse des filles mais là j'ai presque envie de pleurer.
Elle est parfaite.
Tellement parfaite que tous les regards sont rivés sur elle quand elle se place à la droite de notre professeure principale.
Sa jupe courte laisse apercevoir ses jambes fines et pâles.
Elle porte un petit haut rose ainsi qu'un noeud dans les cheveux.
Ses cheveux sombres retombent sur ses épaules puis descendent jusque le bas de son dos, ils sont resplendissants.
Son sourire est si symétrique, et ses dents sont alignées à la perfection.
- Bonjour, je m'appelle Malicia.
Malicia.
Même son prénom a quelque chose de spécial.
J'admire les traits de son visage pendant qu'elle se présente.
Ses yeux bridés me font penser à ceux de Noa.
Il est d'ailleurs lui aussi en train de la fixer avec attention.
- Je viens tout droit de Corée, mais mon père m'a appris le français quand j'étais jeune.
- Tu pourras donc te lier d'amitié avec Noa, il vient lui aussi de Corée. Répond notre enseignante en souriant.
Son regard change subitement, il n'est plus aussi innocent et accueillant qu'à son arrivée.
Elle contemple Noa en serrant les dents, comme si elle l'avait déjà vu dans une autre vie.
Il semble intimidé mais surtout, j'ai l'impression que quelque chose le perturbe.
J'entends Sacha pester au fond de la classe, probablement jalouse elle aussi.
Elle doit être déçue de ne plus être la fille la plus canon de la classe.
Mme.Laney nous annonce le nouveau plan de classe vis à vis de la nouvelle arrivée.
Je me retrouve à côté de Mathieu au troisième rang.
Quelle chance.
Noa est placé juste devant moi, mais quelque chose m'embête quand Malicia s'installe près de lui.
Je ne suis pas jalouse, jamais.
Mais simplement, c'est désagréable de le voir ricaner avec elle.
Je passe l'heure qui suit à grincer des dents et les remarques de Mathieu n'arrangent rien.
Cette fille a l'air si parfaite que ça en est presque effrayant.
Tout le monde a l'air de l'apprécier, mais quelque chose me dérange chez elle.
Quand la sonnerie retentit, je m'empresse de disparaître de la classe.
Si je m'échappe rapidement à la fin des cours, j'évite toutes sortes d'intimidation.
En me faisant discrète, j'arrive à sortir du lycée sans que personne ne me fasse de remarque.
Je saute dans le premier bus, mon casque sur la tête.
All The Things She Said dans les oreilles, j'observe les gens qui regardent le bus qu'ils ont raté s'éloigner en silence.
Ma tête bascule et se cogne contre la vitre, ce geste me vaut un autre flash.
Je suis en train de faire quelques pas dans la direction de Thomas après avoir tourné une bouteille.
Sans prévenir, je l'embrasse devant tout les autres, mais surtout, devant Brad.
Mon corps se fige, je reviens à moi.
Bordel.
J'ai embrassé Thomas ?
Les autres ont raison, je ne fais vraiment que de la merde en ce moment.
Je ne me reconnais plus.
J'augmente le son de la musique pour ne plus laisser place à un quelconque autre flash d'hier.
***
J'ai à peine déposé mon sac dans ma chambre que je sautille en direction de la cuisine, prête à m'empiffrer comme jamais.
Je tends ma main pour atteindre l'armoire mais quand je la tire, elle ne s'ouvre pas.
J'essaie à plusieurs reprises mais rien à faire, elle est fermée à clé.
Maman a recommencé.
Je lâche un cri de colère en donnant un coup dans l'armoire.
Ce n'est pas le fait que la nourriture ne soit pas à ma disposition qui m'embête, c'est surtout que maman ne me fait pas assez confiance pour m'y laisser l'accès.
J'inspire et expire doucement pour éviter que la colère prenne possession de mes prochains actes.
J'avais si faim que j'aurais pu manger n'importe quoi.
Mais à cause d'elle je dois me contenter d'avaler un grand verre d'eau.
Mes pas tournent autour de la table basse tandis que je me craque les doigts.
J'attends son arrivée avec impatience.
Finalement, je m'écrase sur le canapé, les mains posées sur mon ventre.
Je ne sais pas si je vais tenir jusqu'à son arrivée.
Habituellement, la nourriture est un de mes échappatoires.
Mais elle trouve le besoin constant de m'en priver.
Le bruit des clé s'enfonçant dans la serrure me fait vibrer.
C'est elle.
- Bonsoir.
Mon souffle s'accélère quand j'entends le bruit de ses talons claquer contre le parquet.
- Bonsoir Lola. Insiste-elle après m'avoir trouvé affalée sur le canapé.
- Pourquoi est ce que t'as recommencé à fermer les armoires ?!
Je l'entends soupirer de là où je suis.
Elle dépose son sac à main avant de m'avouer:
- Hier quand je t'ai vu dans la robe, j'ai remarqué à quel point tu avais grossis.
Aïe.
Elle parvient toujours à tirer dans l'organe le plus sensible. Je ne sais pas comment fait-elle, c'est probablement un don chez elle.
- Je fais ça pour ton bien, tu as déjà énormément de kilos en trop.
Kilos en trop.
- Tu devrais te trouver un sport comme ta soeur.
Comme ta soeur.
Ma vision se floute peu à peu, mais ça ne fait rien parce que je n'ai pas envie de la regarder.
Je ne veux pas croiser ses yeux qui me feront sentir coupable alors que je ne le suis pas.
- C'est pas une raison pour me priver de nourriture !
- Écoute, j'en ai rien à faire de tes protestations. C'est comme ça c'est tout. Et puis il y a des concombres dans le frigo, contente toi de ça. Elle termine la discussion puis disparaît à l'étage.
Je déteste les concombres et elle le sait très bien, rien que de penser à cet aliment me donne la gerbe.
C'est sûrement pour cette raison qu'elle continue à me forcer à en manger depuis mon entrée au collège.
Mon ventre gargouille sous mes bras.
J'enfonce chacun de mes ongles dans mes mollets, déchirant mes collants au passage.
Ils griffent longuement mes jambes mais ça ne suffit pas à évacuer la haine que j'éprouve envers elle.
J'amène alors mon bras à ma bouche pour le mordre sans réfléchir.
Mes dents s'enfoncent dans ma chair pour libérer cette colère que j'aimerais lui crier au visage.
Je m'arrête seulement quand le goût métallique de mon sang se propage sur ma langue.
J'observe mon bras ensanglanté et rempli de traces profondes.
J'aimerais qu'elle les voit, j'aimerais qu'elle voit ces traces que j'afflige à mon corps pour qu'elle se rende enfin compte de mon mal-être.
J'aimerais qu'elle s'aperçoive de l'impact que ses mots ont sur moi.
J'aimerais seulement qu'elle s'inquiète pour moi.
***
Malgré ma famine débordante, je me contente d'admirer mon assiette vide.
Je ne veux pas avoir à subir les critiques de ma mère durant le repas.
Mon père et ma sœur discutent sans nous prêter attention. Ils ont toujours eu cette relation fusionnel vis-à-vis de leurs nombreuses passions en commun.
Le sujet de conversation tourne autour des études d'Amalia, ça ne varie pas de d'habitude.
- Tu manges rien ? Finit-elle par me demander après m'avoir longuement dévisagé.
Je lance un regard accusateur à ma mère mais elle fait comme si de rien était.
Faire l'aveugle, sa spécialité.
- J'ai une annonce à vous partager. S'exclame alors ma mère pour attiser leur curiosité.
Le ton qu'elle a employé me laisse imaginer le pire.
{La suite dans le prochain chapitre ✨
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