Jour 40

J'ai passé la nuit à tenter de comprendre pourquoi je me souvenais de ma mère et de Léa, alors que Nolan les avait comme effacées de sa mémoire. Et j'ai fini par penser que je devenais folle. Peut-être que je n'avais fait qu'imaginer tout cela ? 

Mon esprit m'a ramené à la réalité en une fraction de secondes, tandis que j'étais assise sur le rebord de mon lit. Il était neuf heures du matin, et contrairement à hier, le temps au dehors était ensoleillé. 

Des pas pressés se faisaient entendre depuis le couloir. La porte de ma chambre s'est soudainement ouverte à la volée, et Nolan est entré précipitamment. 

- Qu'est ce qu'il se passe ? , ai-je dit en me frottant les yeux. 

- Habille toi et rejoins moi dans le salon dans cinq minutes, a t-il dit comme si il récitait un texte qu'il avait appris par coeur.

- Pourquoi ?, ai-je renchéri. 

Il n'a pas répondu et est reparti avec la même rapidité avec laquelle il est arrivé. Je me suis alors levée de mon lit, j'ai enfilé mon sweat shirt, mon jean et mes baskets et je suis partie en direction du salon, sans même prendre le temps de me démêler les cheveux. 

Nolan était assis sur le canapé, les bras croisés et l'air anxieux. 

- Alors, tu comptes m'expliquer ce qu'il se passe maintenant ? , ai-je demandé. 

Il s'est levé et s'est approché de moi. 

- Eli, je crois savoir comment trouver l'adresse de Ted Windelberg. 

J'ai ouvert les yeux en grands, pour témoigner de mon étonnement. Au moment où je m'apprêtais à parler, il a finalement dit :- Mais il faut qu'on fasse vite. Ca va bientôt fermer. 

- Où est ce qu'on va aller ?, ai-je dit tandis qu'il se dirigeait vers la porte d'entrée. 

- C'est trop long, je t'expliquerai sur le chemin, a t-il déclaré. 

Je lui ai pris le poignet, et j'ai senti dans son regard un sentiment de terreur, le même que celui qu'il avait éprouvé hier. Il s'est tourné vers moi, et a balbutié :

- Tu fais quoi ? 

- Avant, je veux juste vérifier quelque chose. 

- Eli on a pas le temps !, a t-il crié. Ca ferme à midi !

- On en aura pas pour longtemps, c'est promis, ai-je répondu d'une voix calme. 

Il m'a suivi en soupirant jusqu'à la chambre de ma mère. 

- Qu'est ce que tu voulais vérifier ?, a t-il demandé en franchissant le seuil de la porte. 

Cela faisait plusieurs semaines que je n'étais pas allée dans la chambre de ma mère. Rien n'avait changé depuis : le lit était défait, quelques vêtements étaient éparpillés par terre et son armoire était remplie entièrement. Un tube de crème hydratante traînait sur sa table de chevet et un rouge à lèvres était resté ouvert. Deux paires s'escarpins étaient posés devant son armoire. Un tableau représentant un paysage enneigé était accroché au dessus de son lit. Sur son autre table de chevet était disposé un cadre doré où mon père, ma mère et moi (bébé à ce moment là) souriions tous les trois, avec pour fond une petite fontaine. C'était probablement à un mariage. 

Nolan m'a regardé en fronçant les sourcils : 

- Qu'est ce qu'on fait ici ? 

- C'est la chambre de ma mère, ai-je dit d'un ton sombre. 

- Oh...

Après quelques secondes de silence, j'ai fini par dire :

- Je voulais savoir si tu étais capable de voir tout ce que je vois. 

Il a ri légèrement. Puis, en voyant l'air sérieux qui se dessinait sur mon visage, il a fini par demander :

- Attend... je ne comprends pas. Qu'est ce que tu veux dire ? 

 Je me suis avancée dans la pièce, j'ai pris un pull over qui était par terre et j'ai répondu : 

- Est ce que tu es capable de voir ce pull ? 

Il a écarquillé les yeux puis a froncé les sourcils en jetant un regard étrange au pull. Il a fini par balbutié :

- Je... je ne vois rien. Il n'y a pas de pull. 

Je n'étais pas folle. C'était impossible. Le pull que je tenait dans ma main était bel et bien réel, je sentais son tissu glisser entre mes doigts... Alors comment était-ce possible qu'il ne le voit pas ? 

- Et ça ?, ai-je dit en prenant le rouge à lèvres entre mes mains. Tu le vois ? 

Il a hoché la tête en guise de non. Par la suite, je lui ai montré tout ce que je pouvais voir. C'était comme si il était capable de voir uniquement les meubles de cette pièce.

- Elle est vide, a t-il répondu alors que je lui montrai l'armoire remplie.

- Et ce tableau ? Est ce que tu le vois ? 

Il a contemplé quelques secondes le tableau au dessus du lit et a fini par dire, un léger sourire au coin de ses lèvres :

- Oui !

J'ai alors fixé le sol en réfléchissant à voix haute :

- Comment c'est possible ? Comment je peux voir tout ça et pas toi ? 

- Je ne sais pas non plus. Eli, il faut vraiment qu'on y aille maintenant, a t-il conclu. 

Nous sommes sortis de la chambre, avons enfourché nos vélos et nous sommes partis en direction du lieu qui, selon Nolan, était la réponse à toutes nos questions. 

**********************************************************************************************

Sur le trajet, Nolan m'a enfin dévoilé où il comptait nous emmener. Il voulait nous emmener chez un antiquaire de la ville, chez lequel selon lui il pourrait trouver l'adresse de Ted Windelberg.

- Et comment tu veux qu'on s'y prenne ? Il est antiquaire, comment veux-tu qu'il réussisse à restaurer l'encre effacée de la lettre ? 

- Je ne sais pas, mais ça ne coûte rien d'essayer. Il faut qu'on accélère, il ferme définitivement ses portes à midi !, a t-il dit en pédalant de plus en plus vite. 

Nous avons roulé ainsi pendant trente minutes. Nous sommes finalement arrivés devant le bâtiment à dix heures et demi. Une banderole aux couleurs rouges vives était disposé sur la vitrine et indiquait : "FERMETURE DEFINITIVE". Des cartons étaient éparpillés un peu partout dans le magasin. L'insigne située au dessus de l'entrée indiquait : "chez Louis, antiquaire". Elle était en bois , abîmée et vieille, tout comme l'ensemble du magasin. Un vieil homme nous a fixé quelques secondes, puis en comprenant que nous voulions entrer, il est sorti. 

- Bonjour, vous avez besoin de quelque chose ? Je pars en retraite, donc je donne tout ce qui n'a pas pu être vendu. 

Nolan s'est avancé d'un pas hésitant, il a regardé sa montre, puis a balbutié :

- Bonjour, excusez-nous pour l'heure tardive. Heu... nous voudrions savoir si vous pouviez nous aider avec une lettre...

Il lui a tendu la lettre légèrement chiffonné due à la forme de sa poche. Le vieil homme l'a examiné.

- Je vous en prie, entrez, a t-il dit chaleureusement.

Le magasin était plutôt grand. Les étagères en bois étaient totalement vides, et des cartons avaient été empilés dans un coin de la pièce. Une femme âgée nous a salué d'un signe de tête. 

- Excusez-moi pour le désordre... Nous sommes en plein déménagement. 

Il nous a tendu deux chaises, et s'est assis sur une autre, face à nous. Nous avons fait de même.

- C'est plutôt à nous de nous excuser, a répondu Nolan. 

- Aucun problème, a dit le vieil homme. Que vouliez vous que je vérifie ? 

- J'ai reçu une lettre il y a quelques jours, ai-je commencé. Il y avait une adresse, mais elle a été effacée...

- On voudrait savoir si vous pourriez la faire déchiffrer, m'a coupé Nolan.

L'homme a examiné la lettre que Nolan lui avait donné méticuleusement, puis a fini par dire :

- Je vais voir ce que je peux faire. 

Il est parti avec la lettre dans une autre petite pièce sombre. Je me suis tournée vers Nolan, l'air accusateur :

- Bon sang, mais pourquoi aller voir un antiquaire ? Il n'est pas scientifique !

Nolan m'a regardé. Il semblait lui aussi désorienté :

- Il collectionne des objets anciens ! Il a bien dû lui aussi restaurer des vieilles affaires !

- C'est ridicule, ai-je soupiré. 

Le vieil homme est revenu, la lettre à la main et l'air désolé :

- Toutes mes excuses... Malheureusement je ne peux pas restaurer l'écriture de cette lettre. Elle est trop ancienne et trop effacée. Essayer de faire quelque chose ne ferait qu'empirer son état...

Il m'a rendu la lettre.

- Je te l'avais dit ! ai-je dit en fixant Nolan avec colère.

- Cependant, a renchéri l'homme, je peux peut-être vous aider. Si j'ai bien compris, vous cherchez l'adresse d'un homme au nom de Windelberg et résidant à Londres. 

Nous avons tous les deux hoché la tête en même temps. Mes yeux s'étaient teints d'une lueur d'espoir. 

Il s'est levé, a fouillé durant quelques minutes dans l'un des cartons et en a sorti un gros livre avec écrit sur la couverture : "YEARBOOK". 

- C'est l'annuaire de l'année 2010. Il concerne l'ensemble du Royaume Uni. Ma femme adorait les collectionner pour s'en servir comme décoration pour la boutique. Maintenant que nous prenons notre retraite, je ne pense plus que ce livre servira...

Il nous l'a tendu. 

- M...merci beaucoup, ai-je balbutié. 

****************************************************************************************

Nous sommes sortis de la boutique après avoir remercié l'homme près d'une centaine de fois. 

- J'avais raison ! s'est écrié Nolan en montant sur son vélo. 

Il souriait jusqu'aux oreilles. J'ai mis l'annuaire dans mon sac à dos, puis j'ai soupiré :

- Bon j'avoue que sur ce coup là, tu as eu raison.

Il s'est mis à sourire encore plus qu'auparavant. J'ai levé les yeux au ciel en grognant :

- Mais avoue que tu as eu de la chance ! Qui aurait pu imaginer que l'on tomberait sur un antiquaire avec une femme qui collectionne les annuaires ? 

Il a levé les yeux au ciel en riant. 

- Je ne vois pas de quoi tu parles...

Il s'est mis à pédaler, fier d'avoir eu raison.

Nous nous sommes arrêtés chez Nolan. Après avoir jeté nos sacs dans le canapé, nous nous sommes jetés sur la table de salle à manger, où était posé l'annuaire. 

Nolan l'a saisi rapidement et a commencé à feuilleter les pages. Mon coeur battait à cent à l'heure. Et si nous avions enfin réussi à trouver son adresse ? 

J'ai regardé les pages tourner peu à peu jusqu'à arriver à la lettre "W". Ma poitrine s'est serrée, une goutte de sueur parcourait mon front et je remuait nerveusement ma jambe sous la table. Mon regard fixait le doigt de Nolan qui glissait sous tous les nom commençant par un W. Il paraissait tout aussi nerveux : son visage était crispé et son bras tremblait au dessus de l'annuaire. 

- Walker, West, Williams... Windelberg !

J'ai sursauté. Je me suis mise à respirer fort tandis que je me rapprochais de l'écriture que pointait Nolan :

- Rose Windelberg, 39 Sunflower Street, London. 

J'ai souri. Enfin...

J'ai regardé Nolan pour lui témoigner ma joie, mais il ne semblait pas aussi enthousiaste. il fronçait les sourcils sans cesser de regarder l'adresse. 

- Qu'est ce qu'il t'arrive ? On a trouvé son adresse !

- Ce n'est pas son adresse. Mais celle de Rose Windelberg. 

J'ai posé ma main sur son bras crispé. 

- Nolan, tu as bien vu que nos recherches n'avaient trouvé aucune personne au nom de "Ted Windelberg" ! Ca doit être quelqu'un de sa famille, sa mère, ou sa grand mère...

- Qu'est ce qui peut bien te prouver que c'est quelqu'un de sa famille ? 

Il avait un regard rempli de remords. 

- Nolan écoute moi. Il n'y a aucune autre personne répondant au nom de Windelberg. C'est forcément lui. 

Il a soupiré, puis m'a regardé dans les yeux, en signe de confiance :

- Tu dois avoir raison...

****************************************************************************************

Le fait d'avoir trouvé l'adresse de Ted Windelberg fut donc la dernière étape avant d'annoncer mon plan à Nolan. Il était temps. Il fallait que je lui dise. Après avoir passé l'après midi à chercher par tous les moyens comment le lui annoncer, j'ai fini par me dire qu'il était peut-être mieux d'improviser. 

Il était vingt heures. Nous avions passé l'après midi à parler de tout et de rien, à se reposer dans le canapé, à manger... Nous avions passé une fin de journée ordinaire, comme deux adolescents totalement normaux. Mais le temps pressait. Le soleil tardait à se coucher et il faisait beaucoup plus frais au dehors. Le premier juin, jour marquant le début des mois plus chauds, de l'été, du changement... Et je savais que cette dernière découverte marquerait un tournant dans la saison dernière. 

Nolan était sur le balcon et regardait le soleil se coucher. Je l'ai regardé quelques secondes. Et si je faisais le bon choix ? Je me suis approchée de lui, d'un pas hésitant mais l'esprit décidé à tout lui révéler. Il s'est tourné vers moi en souriant. 

- C'est beau non ? 

J'ai laissé paraître un léger sourire en baissant la tête.

- C'est vrai. 

J'ai regardé mes pieds en secouant anxieusement les jambes. Après quelques secondes de silence, il s'est approché de moi en me demandant :

- Qu'est ce qu'il se passe ? 

J'ai réfléchi quelques secondes. Il fallait que je lui dise la vérité. C'était le moment. 

- Je dois te faire part de quelque chose, ai-je dit en prenant une bouffée de l'air frais du mois de juin. 

Il m'a regardé en attendant que je continue. J'ai balbutié :

- M...maintenant qu'on a l'adresse de Ted, j'avais pensé que...

Je me suis arrêtée. Plus aucun son ne voulait sortir de ma bouche.

- Tu as pensé que quoi ? a demandé Nolan impatiemment. 

- J'ai un plan, ai-je finalement soupiré.

- Je t'écoute, a t-il dit en prenant l'une des quatre chaises qui entouraient la petite table du salon de jardin. 

J'en ai fais de même, en me laissant tomber dans l'une d'entre elles. J'ai pris une grande aspiration, puis j'ai commencé :

- J'avais pensé que pour qu'on retrouve ma mère et ta soeur, il fallait qu'on se confronte à Ted. 

Il m'a regardé étrangement. J'ai continué :

- Pour de vrai. 

Il a froncé les sourcils et a fini par répondre :

- Je ne te suis pas bien. 

- Il faut qu'on aille en Angleterre voir Ted. 

Il a écarquillé les yeux.

- Quand ? 

Sa réponse m'a laissé stupéfaite. Il n'avait pas l'air d'être contre mon idée, contrairement à ce que j'aurai pu imaginer. Après quelques secondes d'appréhension, j'ai soufflé :

- Ce soir. 

- Ce soir ?! a t-il crié. Mais comment veux-tu qu'on parte ce soir ? Et d'ailleurs, on est déjà le soir ! a t-il fait remarquer en pointant le soleil qui ne formait plus qu'un minuscule croissant de lune entre les maisons. 

- Je, je sais, ai-je balbutié. Je n'osais pas t'en parler, j'avais peur que tu réagisses mal.

Il s'est approché à nouveau de moi. Son visage était neutre, mais on pouvait voir à l'expression de ses sourcils qu'il était totalement sérieux. 

- Enfin, Eli, c'est trop tôt ! On ne peut pas partir comme ça !

Je commençais à sentir l'anxiété monter en moi. Mes joues devenaient totalement rouges.

- Je, j'ai besoin de toi. Il faut que tu viennes avec moi.

- Eli, je ne peux pas partir comme ça ! 

Je l'ai regardé dans les yeux. Des larmes commençaient à couler, malgré moi, sur mes joues. 

- Tu m'avais dit que tu me suivrais quoi qu'il arrive...

- Ce n'est pas si facile, a t-il dit calmement. 

- Bien sûr que si ça l'est ! ai-je dit en haussant légèrement la voix. 

- Comment est-ce que tu veux faire, hein ? Londres ? C'est à l'étranger ! Et on est encore mineurs !

J'ai soupiré. Je ne savais pas vraiment comment réussir à passer le territoire en étant totalement mineure...

- Ca n'était pourtant pas toi qui voulait partir loin d'ici, ne plus jamais revenir ? ai-je renchéri. 

- Eli j'ai une famille ! a t-il crié. 

- Et ta soeur, tu y penses ? ai-je continué avec un air arrogant. 

- Bien sûr que j'y penses ! 

- Si tu veux la retrouver, on doit partir, ai-je dit sur un ton convainquant. 

Malgré le léger sourire fier qui commençait à se dessiner sur mon visage, le sien n'en était pas moindre. Il avait toujours le même air sérieux, et à voir la façon avec laquelle il respirait, je commençais à penser qu'il était prêt à exploser. 

Je lui ai pris le bras. Il a fait un mouvement rapide pour le retirer.

- Nolan, il faut qu'on y aille...

Je commençais à sentir à nouveau les larmes monter. Je me suis rapprochée de lui, et je l'ai regardé. Il fixait le sol d'un air désespéré, rempli de haine. Il avait les sourcils plus froncés que d'habitude, et ses joues étaient devenues aussi rouges que les miennes. 

- Nolan, je...

- LAISSE MOI ! a t-il hurlé. 

J'ai fais un pas en arrière, bouche bée, les yeux grands ouverts. Une larme s'est mise à couler sur ma joue. Il a tourné la tête vers moi. 

- On doit partir, ai-je dit en éclatant en sanglots. 

- Et qu'est ce que tu en sais, hein ? Qu'est ce qui te dit que depuis le départ on ne fonce pas droit dans le mur ? a t-il crié. 

- COMMENT EST-CE QUE TU VEUX QUE CE SOIT FAUX ? ai-je hurlé à mon tour. ON A TOUT VU DE NOS PROPRES YEUX !

Il me regardait étrangement, avec un mélange de haine et de remords. J'ai respiré fortement durant quelques secondes, puis j'ai continué, un peu plus calmement :

- Elles nous attendent ! Ta soeur, ma mère... Il faut qu'on les retrouve !

- Qu'est ce que t'en sais après tout, hein ? Qu'est ce qui me dit que je pourrai avoir entièrement confiance en toi ? 

Il m'a regardé d'un air méfiant. J'avais l'impression d'avoir reçu un poignard dans le coeur. Etait-il réellement en train d'insinuer que je mentais depuis le début , que tout cela n'était pas réel ? 

- J'AI CONFIANCE EN TOI ! ai-je hurlé.

Ses lèvres se sont mises à trembler. Ses yeux s'emplissaient de larmes alors qu'il me regardait comme si j'étais une tueuse en série :

- Comment est-ce que je peux en être sûr ? 

Il m'a regardé, attendant une réponse. Puis il a continué, en haussant de plus en plus la voix : 

- Rien ne me le prouve ! Rien ne me dit qu'Eli Toberson, la jeune fille que je connais seulement depuis deux semaines n'est pas une dégénérée ! 

Il s'est approché à seulement quelques centimètres de mon visage. Une lueur étrange et effrayante brillait dans son regard. Il ne contrôlait plus ce qu'il disait. 

- Et si tu avais tout inventé, hein ? a t-il dit sans attendre réellement une réponse, l'air accusateur. Et si tu avais fais tout ça pour te rapprocher de moi ? 

Il me terrorisait. Son expression, méchante et remplie de haine me donnait l'impression que mon coeur se déchirait en milles morceaux. J'étais en train de perdre la seule et unique personne qui me comprenait depuis ce dernier mois. 

- Je pense qu'il vaudrait mieux que je partes, ai-je dit d'une voix calme. 

J'étais à deux doigts d'exploser. J'ai fais deux pas en arrière, puis sa voix a hurlée derrière moi :

- ALORS TOUT ETAIT FAUX, HEIN ? LE LOGO, LA DISPARITION DE TA MERE, DE MA SOI-DISANT SOEUR ? TOUT ? 

J'ai pris une grande inspiration en essayant de rester la plus calme possible. Deux grosses larmes coulaient sur mes joues. 

- Tu ne comprends rien...

- BIEN SUR QUE SI ! TU ME MENS DEPUIS LE DEBUT ! (il s'est éclairci la voix) Tout ça... pour que je tombes amoureux de toi ! A quoi tu joues ? A quoi tu pensais ? 

Il m'aimait. Cette dernière annonce m'a littéralement laissé sur place, sans mot. 

Après quelques secondes de silence, j'ai finalement répondu :

- Tu me crois vraiment capable de faire ça ? 

Une nouveau silence s'est installé, plus froid et plus déchirant que le précédent. Malgré le fait que j'étais dos à lui, j'étais certaine qu'il pleurait. Finalement, sa voix, plus calme et apaisée s'est faite entendre :

- Je, je ne sais pas. Je ne sais plus.

Je me suis tournée vers lui. Il fixait le sol l'air vide. La tempête que j'avais vu se déchaîner dans ses pupilles s'était comme transformée en océan doux et solitaire. Malgré mes efforts, je n'ai pas pu m'en empêcher, j'ai explosé :

- QU'EST CE QUE TU CROIS ? Je ne t'ai jamais demandé ton aide ! Je n'ai jamais voulu que tu fasses équipe avec moi ! C'EST TOI ! Toi, et toi seul ! TU est venu vers moi, TU m'a fait croire que je pouvais être ton amie ! Et si désormais, tu ne plus m'aider, alors fais le ! Je continuerai seule, comme j'ai commencé ! 

J'ai pris une grande aspiration et j'ai continué :

- Si tu ne veux pas me croire, fais le. Mais sache qu'il y a dans ce monde une petite fille, une petite soeur de 10 ans, qui attend désespérément que quelqu'un lui vienne en aide ! Mais personne ne viendra jamais ! 

Je me suis approchée de lui. 

- Car son frère ne veut pas connaître la vérité, car il reste ici, à douter de sa propre amie. Parce qu'il ne veut pas accorder sa confiance aux autres... Parce qu'il est égoîste ! Parce qu'il est stupide, effrayé... Parce qu'il a peur de voir ce qui est vrai !

Ma voix s'est adoucie. Je l'ai regardé dans les yeux en pleurant :

- Parce qu'il est idiot de croire qu'une fille veut attirer son attention en inventant des choses pareilles. 

Un silence s'est installé. Il a fini par répondre :

- J'ai peur, c'est vrai. Je suis effrayé pour tout dire. J'ai peur tout le temps, de tout. Je... j'ai peur qu'on me laisse, j'ai peur qu'on se serve de moi. J'ai toujours peur. 

Une larme a coulé sur sa joue. C'était la première fois qu'il pleurait, et je ne pouvais m'empêcher d'éprouver de la pitié pour lui. Je l'ai regardé dans les yeux, en finissant par dire :

- Tu viens ou pas ? 

Il a baissé les yeux sans répondre. Un énième silence, pesant, s'est installé. Je l'ai fixé, remplie de déception :

- D'accord. On a plus rien à se dire. 

Et je suis partie. Il n'a pas bougé d'un poil. Il est resté debout, à fixer le vide sans répondre. Lorsque j'ai refermé la porte, j'ai fondu en sanglots. 

Je croyais que c'était mon ami. Je pensais qu'il m'accompagnerai quoi qu'il arrive. Et j'ai eu tord. 

**********************************************************************************
En arrivant chez moi, je me suis précipitée dans ma chambre. J'ai pris un sac à dos, quelques vêtements et de quoi me nourrir sur plusieurs jours ainsi que de l'argent. J'ai fermé la porte à clé, regardé une dernière fois la maison comme si je ne la verrai plus jamais et je suis montée sur mon vélo. 

La nuit était tombée, il était vingt deux heures. J'ai pédalé à toute vitesse sur la route nationale en direction de Calais. Mes yeux ne cessaient de pleurer, mon coeur saignait, mais plus rien n'avait d'importance. J'avançais sans savoir ce que l'avenir me réservais. 

Puis, une lumière blanche a illuminée mon chemin. 


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top