Jour 22 (partie 1)
Onze jours sont passés depuis la dernière fois, soit une semaine entière de cours et deux week-end. Je n'ai pas cessé de faire mes recherches, et en l'espace de ces onze jours, j'ai du parcourir pas loin de cent kilomètres à vélo. J'ai cherché dans tous les coins possibles et inimaginables de Paris. Dans tous les endroits où maman aurait été susceptible de se rendre.
Mais tout ça n'a abouti à rien. Elle avait disparu, et je savais pertinemment que où je puisse aller, elle n'y serait pas. C'est comme si personne ne l'avait jamais connu, à part moi. Comme si elle n'avait jamais existé. J'étais seule à me souvenir d'elle. Totalement seule.
Je n'étais retournée à la gendarmerie qu'une seule fois depuis le dernier incident, et une fois de plus, ils ne me croyaient pas. Ils prétendaient l'avoir eu au téléphone.
Je ne dors plus, du moins quasiment, et je passe mes nuits à remettre en question tous mes faits et gestes. Tout ce que j'ai pu dire, ou même faire. Tous les endroits où je n'ai pas pensé à chercher. Je passe de phases de recherches, de questionnements, à phases de tristesse et de nostalgie. Je passe d'espoir à désespoir. Il y a des moments où j'y crois, et d'autres où je n'y crois plus.
Je deviens folle, et je classe chaque chose étrange qui peut m'arriver dans une liste innombrable de "preuves" qui pourraient m'aider à retrouver maman. Je me regarde dans le miroir en me disant que tout ça est de ma faute. Je fini par me détester. Je repense au dernier dimanche que l'on a passé ensemble, à nos discussions, nos fou rires... Je me remémore tout dans les moindres détails, passant l'intégralité au peigne fin, cherchant n'importe quel indice. J'ai l'impression d'être dans un escape game, de chercher désespérément la sortie sans jamais la trouver.
J'écris dans des carnets, chaque preuve que je pense importante, et que je finis toujours par effacer. J'arrache des pages entières, remplissant ma poubelle de plus en plus. Je mange peu, car malgré le fait que je sache cuisiner, je n'ai pas appétit.
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Je me suis levé de mon lit après une nouvelle nuit mouvementée. Je me suis dirigée devant me miroir et je me suis observée. Je ressemblait à un zombie. Mes cernes étaient creusées, violettes, mon teint était pâle, mes yeux étaient à moitié ouvert... Je ne prenais plus soin de m'habiller comme je le faisais avant, je me contentais simplement de mettre un jean et un tee-shirt "oversize". J'enfilais ma paire d'air force one. Et c'était tout. Plus de maquillage, plus d'accessoires. Je me foutais de savoir ce que les autres allaient penser de ce changement étrange. Je me foutais de tout.
Il serait normal de se demander pourquoi je continuais à aller en cours, alors que je pouvais ne pas m'y rendre. Il n'y aurait plus personne pour me dire d'y aller. Je pourrai continuer mes recherches plus facilement.
Mais je ne voulais pas. Le lycée était désormais le seul endroit où je pouvais me concentrer sur autre chose que la disparition de ma mère. Malgré les nombreuses fois où j'étais perdu dans mes pensées, j'essayais un maximum de ne pas y penser. Mais la réalité me frappait à chaque fois que je sortais dehors, et que j'enfourchais mon vélo pour rentrer à la maison. Triste réalité...
Alors mes journées étaient rythmées ainsi, variant cours et recherches. Je ne rendais plus aucun devoir, je ne révisais aucun contrôle... J'allais en cours pour me changer les idées, rien de plus. Mes notes baissaient à perte de vue, les profs commençaient à s'inquiéter.
De nouvelles traces étranges étaient apparues sur tout mon corps : des griffes dans le dos, des bleus sur les jambes, des mutilations sur les bras... Je souffrais moralement, c'est vrai, mais je ne me faisais pas de mal physiquement, du moins pas dans ce genre là. Je ne savais pas comment, ni pourquoi elles étaient apparues, et ça m'étais égal. Le symbole sur mon poignet n'avait pas disparu non plus. Je pensais fortement qu'il s'agissait d'un tatouage.
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Nous étions donc lundi. Une nouvelle semaine commençait, marquant le quatorzième jour sans maman. Je me suis préparée pour aller en cours, à vélo. Avant de partir, j'ai fixé quelques secondes le fauteuil du salon, dans lequel maman était habituellement assise tous les matins. J'ai senti la nostalgie m'envahir, les larmes remplirent mes yeux. Puis j'ai tourné le regard, ravalant ma tristesse. Je me suis efforcée de sourire, pour paraître plus forte. Comme pour soigner toute la pitié envers moi-même que je pouvais ressentir.
J'ai fermé la porte derrière moi et j'ai entamé tout le chemin jusqu'au lycée. Je ne prenais plus le bus, je préférais faire ce trajet seule. Pour me perdre dans mes pensées. J'enfilais également mes écouteurs et je roulais ainsi jusqu'à mon école.
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J'ai commencé par un cours de français. La prof a rendu les devoirs sur la confiance en soi. C'était d'ailleurs le dernier que j'avais rendu, le jeudi où j'étais retourné en cours. J'ai été étonnée de constater que j'avais eu 20/20. Habituellement, il est vrai que je suis assez forte en français, mais je n'ai jamais de notes aussi élevées. Après avoir rendu toutes les copies, Mme Desgarde (c'était son nom) s'est placé face à la classe, avant de dire:
- Vos travaux étaient pour la plupart géniaux. Vous avez fait preuve de réalisme tout en utilisant les mots justes pour justifier vos propos. Je voudrais par ailleurs que quelques uns parmi vous lisent leurs devoirs, pour que nous puissions par la suite débattre. Des volontaires?
Personne n'a levé la main. Aucun de nous n'osait bouger, par peur que le prof le remarque. Elle a fini par choisir quelqu'un au hasard, qui a lu son devoir. Toute la classe l'a écouté sans rien dire, et quand la prof a demandé si certains avaient des questions, personne n'a réagi.
- Bon, nous allons donc écouter le travail de quelqu'un d'autre. Merci pour votre lecture Laura. J'imagine qu'il n'y a pas d'autres volontaires, je vais donc choisir une autre personne. Cette fois-ci, il faudra qu'elle ne lise qu'un seul paragraphe de son devoir, pour que ce soit plus rapide.
Un silence s'est à nouveau installé dans la pièce. Personne ne voulait lire son travail. J'ai baissé les yeux, fixant les pages vierges de mon cahier, tout en espérant que ça ne tombe pas sur moi.
- Tiens, Eli par exemple. Je sais que votre travail était très qualitatif.
Je l'ai regardé, étonnée, avant de réaliser qu'il fallait que je lise mon travail. Je suis restée quelques secondes bouche-bée. Madame Desgarde a fini par dire:
- On vous écoute.
J'ai cherché sur ma copie un paragraphe au hasard, puis j'ai entamé ma lecture, tout en sentant mes joues rougirent peu à peu:
-" La confiance en soi est un grand labyrinthe dont l'on cherche la sortie. Nous la cherchons si désespérément, que nous finissons par devenir fou. Attirés par l'envie de partir, nous finissons par nous perdre. Mais parfois, sans nous en rendre compte, cette sortie est juste là, sous nos yeux, mais nous sommes trop aveuglés par le fait de la chercher que nous finissons par ne pas la remarquer. Alors, nous cherchons, encore et encore jusqu'à ce qu'un jour nous réalisions le temps que nous avons perdu. Un temps précieux, que nous nous efforçons de perdre en cherchant inutilement une sortie dans les mauvais endroits. On meurt, dans ce labyrinthe. Des milliers de gens meurent, perdus, fous, désespérés. Ce n'est pas un labyrinthe si simple, il faut trouver les failles. Mais quand, obsédés par l'idée de sortir, tout ce que nous faisons est chercher, on oublie des détails. Et on oublie les failles. Et on perd. Et on meurt"
Ma voix s'est arrêtée net après cette dernière phrase. J'ai levé la tête, et j'ai constaté que tout le monde me regardait. Certains semblaient étonnés, d'autres n'avaient probablement pas tout compris. Après quelques secondes, la prof a finalement demandé:
- Les autres ? Qu'en pensez vous?
Plusieurs élèves ont levé la main, donnant à tour de rôle leurs avis. Ils étaient tous positifs, certains plus constructifs que d'autres. Puis une nouvelle main s'est levée, et lorsque j'ai regardé de qui il pouvait s'agir, j'ai vu que c'était celle de Nolan. La prof l'a interrogé, et il a dit:
- Je pense que tout ce qu'Eli a écrit est vrai, mais je trouve ça un peu triste. Pourquoi ne pas avoir parlé des gens qui réussissent à sortir de ce labyrinthe ? Avoir imaginé une fin plus heureuse ?
Il s'est tourné vers moi, attendant probablement une réponse. Je pense tout simplement que je l'ai écrit ainsi parce que c'est comme ça que je perçois ma propre confiance en moi. Parce que, au final, je fais partie de ceux qui perdent. Je n'ai rien répondu, et au bout de quelques secondes, Madame Desgarde a repris la parole :
- Qu'avez-vous à répondre Eli ?
- Je ne sais pas. Je n'avais pas imaginé ça de ce point de vue.
J'ai menti évidemment. J'y avais pensé, mais je voulais juste que mon devoir porte sur ma vision des choses, sur mon ressenti. Sur ce que JE VIS.
La prof a finalement dit :
- D'accord ? Il y a t-il d'autres questions ?
Personne n'a répondu. Elle a continué :
- Bien, j'aurai une question. Pourquoi avoir autant insisté sur le fait de se perdre ?
Une fois de plus, je suis restée bouche-bée. Mais, je ne sais comment, quelque chose d'étrange, comme un genre d'écho résonnait dans mon esprit. Il répétait sans cesse ce dernier mot : "perdre". Il devenait de plus en plus fort. Le bruit autour ne m'importait plus, seule cette parole tournait en boucle dans ma tête. Je commençais à avoir mal au crâne, et je sentais que toute la classe m'observait. Je les voyais, mais je ne pouvais plus les entendre. C'était une torture. Comme dans les films, quand une personne malveillante fait écouter en boucle un audio à sa victime. J'étais la victime, et la personne malveillante était simplement mon subconscient. Mais je ne pouvais pas chasser ce mot de ma tête, il ne s'arrêtait pas, comme pour me rappeler quelque chose.
Alors, je suis partie en courant de la salle. Des larmes se sont mises à couler. Le son hurlait désormais dans mes oreilles, que j'ai fini par cacher, en pensant que ça le ferait partir. Je suis arrivée dans le couloir. Il était vide. Je me suis écroulée au sol en continuant de pleurer.
Puis, j'ai fini par comprendre. Comprendre pourquoi ce mot résonnait si fort dans mes oreilles, et pourquoi je ne pouvais plus rien entendre au dehors. "Perdre", je l'avais perdue. J'avais perdu ma mère. C'est à ce moment précis que j'ai réalisé que quoi que je fasse, où que j'aille, elle serait là, cette voix, pour me rappeler mon malheur. Qu'importe ce que je puisse faire, ou dire, ou même entendre, mes pensées se tourneront toujours vers ce mystère, vers ELLE. Et c'est à ce moment précis que j'ai réalisé qu'il fallait que je la cherche, quoi qu'il arrive, même au bout de 5, 10, 15 ans, je devais la retrouver.
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