Jour 11

Aujourd'hui je suis sortie de l'hôpital. J'ai menti à l'infirmière en lui disant que ma mère viendrait me chercher. Ils ne m'auraient pas laissé rentrer seule,évidemment, alors j'ai préféré leur faire croire que je n'y serai pas. Je suis descendue à la réserve, où le personnel de l'hôpital stocke tous les objets trop encombrants. J'ai trouvé mon vélo et je me suis dirigée vers la sortie.

J'avais repris des forces.Je pouvais pédaler jusque la maison.

Il faisait beaucoup moins beau que deux jours auparavant, mais l'air était assez chaud. Il y avait du monde dans les rues. Ca me faisait du bien, d'être dehors,après tout ce temps isolé. Je ne suis pas une personne sociable,mais j'aime être dehors. Je déteste avoir à passer des journées chez moi, sans contact avec l'extérieur. Je veux sortir, courir,pédaler... qu'importe. Tout ce que j'aime c'est me sentir libre, et pas enfermée dans un seul et même espace.

Je suis donc montée sur mon vélo et j'ai commencé à pédaler, en direction de ma maison. Je retournerai en cours pour 14 heures. Au fond, je pense que personne n'a réellement remarqué, ou porté attention sur mon absence. Ca m'est égal. Au contraire, je préfère qu'ils ne le remarquent pas.Je déteste avoir à me faire remarquer.

Je suis enfin arrivée,après une bonne heure de route. J'ai passé les clés dans le verrou et la porte s'est ouverte. Rien n'avait changé, tout était resté à la même place. Mais, je ne sais pourquoi, j'avais un sentiment d'appréhension. La boule au ventre. L'angoisse. J'ai, comme malheureusement à ma habitude, fait le tour de ma maison, en appelant ma mère. Mais rien, aucune réponse. Aucun signe de vie. Le néant. J'étais seule comme depuis 4 jours maintenant, livrée à moi-même. Personne ne pouvait m'aider, ou même comprendre. Personne ne pouvait savoir. J'étais comme un naufragé, sur une île totalement déserte. Je devais découvrir cette île. Comprendre comment y vivre, tout en essayant de savoir comment y sortir. Je devais savoir où était la sortie. Où ELLE était.

La solitude est un bien grand mot. On peut se sentir seul en étant entouré, et se sentir seul en étant complètement seul. Certaines personnes peuvent être la solution à cette solitude, et d'autres peuvent en être la raison. Maman en était la solution. Avec elle, c'était comme si des milliers de personnes m'entouraient, tenaient à moi. Elle était celle qui, malgré la solitude que je pouvais éprouver, rendait celle-ci moins évidente. Celle qui, après mes journées si longues et ennuyantes, arrivait à les rendre plus joyeuses.

Mais elle était maintenant devenue la cause. Car sans elle, toute la solitude que j'éprouvais auparavant, qui était pourtant devenue invisible, me semblais beaucoup plus évidente, plus réelle.


J'ai mangé, puis je me suis habillée. Je n'avais pas envie d'y retourner. Tout ce que je voulais, c'était chercher maman.


Je suis finalement retournée en cours, une fois de plus en vélo. J'ai du partir pour 12h30, à cause de la route. En voiture, le trajet durait 15 minutes. C'est en pensant à ça, qu'avant de partir, je suis voir dans le garage, si la voiture de maman y était. C'est vrai que je n'y avait pensé.


Il n'y avait rien, le garage était vide. C'est comme si elle était partie pour ne jamais revenir. Si seulement, en revenant des cours ce soir, je pouvais voir ne serait-ce que sa voiture. Je pourrai au moins savoir qu'elle est en vie.

J'ai donc commencé à pédaler en direction du lycée. Je commençais par français.

En arrivant devant la salle,tout le monde me regardait. Quelques personnes sont venues me demander si j'allais mieux, et pourquoi j'avais fait un malaise. J'ai répondu vaguement que je n'avais pas assez mangé ce matin là, mais que ça allait mieux. J'avais oublié que Nolan avait dit aux profs que j'avais fait un malaise. C'était assez étonnant, de voir tant de personnes me parler et s'inquiéter pour moi. Nolan est arrivé avec deux garçons de la classe en rigolant. L'un d'eux s'appelait Basil, j'étais dans la même classe que lui depuis la quatrième. Je ne lui avait jamais vraiment parlé, mais tout ce que j'avais pu voi rdes trois dernières années est qu'il était un peu comme le« clown » de la classe, celui qui fait rire tout le monde, l'ami de tous. L'autre s'appelait Hugo. J'avais déjà fait un travail de groupe avec lui l'an dernier. Il était plus discret, réservé. Ils étaient tous deux amis depuis plusieurs années déjà, mais c'était la première fois qu'ils se retrouvaient dans la même classe.


En me voyant, Nolan m'a adressé un léger sourire en coin, qui je l'imagine pouvait être traduit par un « salut ». Je lui ai souri à mon tour,puis il a tourné la tête et a à nouveau rigolé avec ses deux  amis. Au final, il serait, comme je le pensais, comme tous les autres de la classe. Au début, il me parlera un peu, puis finira par oublier ma présence.


Les quelques cours que j'avais cet après-midi étaient longs, ennuyants. Je voulais juste sortir, et aller chercher maman. Je ne voulais pas rester là, assise sur une chaise, à compter les minutes passées. J'ai quitté à 17 heures, et je suis partie me chercher de quoi manger un peu. Malgré le fait que j'avais mangé ce midi, l'appétit m'était venu plus vite que prévu. Je suis allée chez l'épicier du coin, avant de repartir vers la maison. Sur le trajet, j'ai pensé à tous les endroits où maman aurait pu aller depuis lundi, et je me suis rendue compte que j'avais oublié le plus important ; son travail.Alors au lieu de m'arrêter chez moi, j'ai continué tout droit en direction de son bureau. Elle travaillait dans une agence de publicité.


En arrivant à son lieu de travail, j'ai posé mon vélo et me suis dirigée vers l'accueil. En arrivant, j'ai vu, au secrétariat, juste à l'entrée, une femme aux cheveux noirs, teint clair et lunettes rectangulaires. Elle tapait sur son clavier d'ordinateur à une vitesse impressionnante, tandis qu'elle mâchait son chewing-gum de façon peu discrète. Elle ne semblait pas aimable, et me dévisageait pendant que je m'avançais vers son bureau. Elle m'a fixé, avant de baisser légèrement ses lunettes et dire :

-C'est pourquoi ?

Ce à quoi, je lui ai répondu, légèrement déstabilisée :

- Heu.. bonjour. Je m'appelle Eli. Ma mère travaille ici, elle s'appelle Emma Toberson. Je voudrais savoir si elle est ici.

- Désolé mais je ne peux pas vous fournir ce genre d'informations.

Sur un ton un peu plus insistant, j'ai rétorqué :

- S'il vous plaît. Je n'ai pas de nouvelles d'elle depuis quatre jours...


La femme a soupiré, puis a commencé à taper sur son clavier. Au bout de quelques minutes, elle a levé le regard de son écran et m'a regardé, exaspérée :

- Il n'y a aucune Emma Toberson.

- Comment ? Mais ce n'est pas possible ! Elle travaille ici, en tant qu'employée. Elle est dans le bureau numéro 30, elle...

- Vous devez faire erreur. Dans le bureau 30 travaille mon collègue, Christophe.


Au fond du couloir, un homme est sorti. Quand la porte s'est refermée, j'ai pu lire le nombre« 30 » sur un rectangle doré, placé sur celle-ci.

La secrétaire lui a fait signe, tout en l'appelant :

- Christophe, viens voir.

L'homme est arrivé, en marchant lentement. Il avait des cernes d'un violet sombre, et son teint était aussi pâle que celui d'un nourrisson. Il faisait des pas fébriles, un gobelet rempli de café à la main, et a finalement fini par dire :

- Il se passe quoi ?

- Cette jeune fille prétend que sa mère travaille dans le bureau numéro 30.

- Ce n'est pas possible, c'est moi dans le bureau 30 !

Il souriait d'un air béat,et me regardait de ses yeux mi-clos. J'ai fini par répondre, après un long soupir :

- Laissez tomber. Merci quand même. Au revoir.


Les deux collègues m'ont regardé m'éloigner de façon étrange. Ils ne devaient probablement pas comprendre ce qu'une adolescente faisait ici, en prétendant que sa mère y travaillait, alors qu'aucun nom sur la liste des employés ne la citait.


Sur le retour, je n'ai pas pu empêcher mes larmes de couler, tant bien que mal. C'est comme si elle n'avait jamais existé. Comme si j'avais été la seule à l'avoir un jour connu. J'étais fatiguée, énervée, angoissée. Je ne pouvais pas placer de mots sur ce que mon âme ressentait à ce moment précis, mais j'avais l'impression que ce n'était qu'un grand, énorme, et foutu bordel dans ma tête. Tout n'était que brouillon, que perte. Je n'ai pu m'empêcher de crier, comme le font les personnages de tous ces films que l'on voit à la télé, à qui on a brisé le cœur. Mon cœur était brisé. Il l'était réellement. Et mon âme aussi. En fait, j'étais brisée, moi, toute entière.

Alors, la colère s'est emparée de moi, et pendant que j'entamais ma descente, sous la pluie qui ne cessait étrangement de tomber depuis ce matin, j'ai crié jusqu'à me casser la voix. J'ai crié parce qu'elle ne répondait pas. Parce qu'elle n'était pas là. J'ai crié parce que des milliers de questions tourbillonnaient dans ma tête. Sans réponses.J'ai crié parce que je ne savais pas de quoi demain était fait. Si il serait un jour tel qu'aujourd'hui, ou si, je ne sais par quelle chance, il serait différent. Je me suis arrêtée sur la petite colline, juste devant chez moi. Je me suis assise sur une petite botte de terre, et j'ai attendu que tombe la nuit.


Quand les premières étoiles ont commencé à apparaître, j'ai pensé à ce que papa disait à leurs propos. Du moins j'y ai songé à nouveau. Et j'ai fini par en arriver à la conclusion que pour me voir briller, il fallait que je retrouve maman. Qu'elle soit avec moi, comme avant. Qu'on revive les mêmes matinées si il le faut, les mêmes soirées devant Harry Potter, les mêmes potins qu'on se racontait le soir avant d'aller dormir. Il fallait que tout redevienne comme avant. Pour que je brille.

Je pense qu'au fond, on peut briller sans le savoir. On peut chercher toute notre vie notre objectif, notre but, sans savoir qu'il est en réalité sous notre nez. On peut passer chaque instant de notre vie, à démêler corps et âmes pour trouver une raison à notre existence, sans imaginer une seconde que cette raison est en nous tous. C'est la vie. La raison de notre existence est la vie. Car nous n'en avons qu'une, et chaque minute qui passe est une minute de plus nous rapprochant de la mort. Et c'est en vivant épanoui, qu'on vit.

Et moi, à cet instant précis, je me sentais morte. J'avais l'impression de ne plus briller, de ne plus vivre. D'avoir perdu la raison à mon existence.D'avoir perdu la vie.



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