4) Barbara
On lui chuchote à l'oreille, ou peut-être qu'on crie, parce que la musique est assourdissante. Une Monster à la main, rallongée à la vodka, elle est étendue dans une vieille causeuse au velour défraîchi. C'est Quentin qui lui parle, son haleine alourdie par la tequila s'écrase contre sa joue, et elle rit brusquement. L'alcool ralenti ses pensées et le monde l'amuse, soudain.
Des lèvres sur les siennes. Humide, un goût de tequila, une langue joueuse. Elle passe une main dans les cheveux courts de son ami, avant d'envoyer la tête en arrière dans un rire à gorge déployée. Il lui fait un clin d'œil, puis se tourne vers Bryan qui chevauche l'accoudoir droit de la causeuse. « Dis mec, on s'embrasse ? », et à nouveau la langue de Quentin n'est plus dans sa bouche. Jules regarde la scène, d'un œil plus intéressé que jaloux, et c'est ce qui la décide à partir.
L'air du garage réaménagé en bar est enfumé, les stroboscopes projettent des halos d'arc-en-ciel dans les volutes de fumée. C'est soirée privée cette nuit à l'AR, réservée aux habitués et aux amis. Exceptionnellement, Lise a accepté qu'on fume à l'intérieur, et les vapeurs psychotropes rendent l'air opaque.
Elle finit sa canette, et marche jusqu'à la poubelle d'une démarche flexueuse, zigzaguante. Puis, elle rejoint la piste où elle se lance à corps perdu. Une épaule, un dos dans le sien, une odeur moite de sueur, de parfum et de beuh. Les mains en l'air, elle se déhanche avec ardeur, soutenu par les corps qui se pressent au sien, le regard extatique tourné vers les lumières irisées.
Plus tard, ses membres sont fatigués, elle se sent poisseuse de sueur. Elle s'isole de la foule doucement, on lui propose un joint. Elle ne reconnaît pas l'autre homme, mais elle fait confiance à ceux qui sont ici. Elle l'attrape, et le briquet qu'il lui tend avec, un sourire jouant sur ses lèvres. Elle le dévisage, des lunettes rondes, des cheveux bruns, une moustache discrète. Elle doit lever les yeux, il est un peu plus grand qu'elle.
À nouveau dans un canapé, elle rit. Son nouvel ami lui a dit son nom, mais elle l'a oublié, ou peut-être ne l'a-t-elle jamais entendu. L'effet planant de la beuh est merveilleux, mais c'est ce qu'il lui a donné après qui est le meilleur. Pas ce qu'elle a goûté de meilleur à ingérer, mais elle lui a fait confiance et moins d'une vingtaine de minutes plus tard, elle vit son meilleur trip. Quand son rire s'achève, elle dévisage à nouveau cet inconnu.
Elle a cru qu'il avait des lunettes mais non ! Ses yeux sont cerclés de pétales de fleurs de toutes les couleurs et c'est magnifique. D'un doigt, elle trace la naissance des pétales en riant, et il rit avec elle.
« Mec, t'es une fleur !
— Évidemment, et toi aussi ! Regarde, on est tous des fleurs ! »
Elle regarde la foule et sourit béatement. Les basses font vibrer sa cage thoracique pourtant le son semble venir de si loin, comme étouffé. Sur ce qu'elle a cru être une piste de danse, c'est une kyrielle de fleurs printanières qui agitent leurs pétales, et elle rit. C'est si bon.
« Barbara... Barb'... Tu devrais pas t'appeler comme ça, c'est supra nul comme prénom. T'as même pas de barbe en plus et...
— Eh ! Laisse mon prénom tranquille espèce de... de, euh... c'est quoi comme mot ça déjà ? Tu sais quand on... 'Fin quand tu mets ton dans... T'es qu'un ponceur de fesses !
— Quoooi ? Nan... Me dit pas que c'est enculé le mot que tu cherchais ? T'es supra vulgaire Barb... Barba.. Barbapapa !
— Ma vulgarité t'emmerde, ponceur de fesses va ! Et ne m'appelle pas Barbapapa !
— Je ne suis pas un ponceur de fesses enfin ! Je suis un... un... un poète ! Un ponceur... de fleurs ! Nous sommes tous des fleurs, Barbapapapapapa ! »
Elle essaye de le frapper, gentiment, une petite tape sur son pistil, mais il l'en empêche. Il tient son poignet et elle rit, s'effondrant à demi sur lui. « J'peux vous embrasser, monsieur le poète Ponce Fleur ? », il rit. Leurs lèvres se trouvent maladroitement, et s'entrouvrent rapidement. Elle s'éloigne avec un sourire ingénu, et brusquement se sent tiré en arrière. La fleur qui la regarde n'est pas heureuse. Elle cligne plusieurs fois des yeux, la musique est soudain si forte. Elle entend à peine la voix rocailleuse de la patronne.
« Tu lui as filé quoi, Aurélien ?
— Caaalme Lisa Lisa, juste un tout petit peu comme ça de champi !, souffle-t-il en mimant une petite quantité entre son pouce et son index. Elle vit son meilleur trip, t'inquiète ! »
Lise soupire, et aide la brune à se lever. Elle guide son pas chancelant vers l'extérieur du bar, alors qu'Aurélien se fond dans la masse de danseurs. « Eh, Lise, on s'embrasse ? », elle hausse vaguement les épaules. Les lèvres de la plus jeune effleurent doucement les siennes, puis elle s'éloigne en babillant sur la douceur de ses pétales. Lise soupire, attendrie malgré elle mais surtout inquiète.
À peine sont-elles sorties que Barbara s'allonge sur le bitume, son regard embrumé perdu dans la contemplation des étoiles avec un sourire bienheureux. Elle est dans son monde et rien que la barmaid ne puisse faire ne l'en fera sortir, alors elle rentre lui chercher un verre d'eau, récupère de quoi se rouler une clope, et une veste.
Assise en tailleur, elle lui fait avaler un peu d'eau, sans égard pour les protestations de la plus jeune — mais non, tu ne vas pas rouiller, enfin. Tu es une fleur, tu te souviens ? Ça va te faire du bien, aller, bois. Puis elle la couvre de sa propre veste, avant de commencer à rouler. Plier un toncar, sortir une feuille, disposer un peu de tabac. La force de l'habitude, elle finit en une poignée de secondes. Doucement, elle vient fouiller les poches de sa veste pour récupérer son briquet, Barbara glousse « Tu me fais les poches maintenant, jolie fleur ? J'espère que c'est une capote que tu cherches ». Elle lève les yeux au ciel.
Elle tire sa première taffe, et la plus jeune se redresse pour venir se blottir contre elle. Elle se décale légèrement pour la laisser enfouir sa tête au creux de son cou, et dans la surprenante fraîcheur de cette fin août elles contemplent le ciel étoilé.
La fumée s'élève en volutes paresseuses, jusqu'à tutoyer les cieux, et lentement Barbara se concentre sur ça. Les couleurs chatoyantes disparaissent alors que le noir du ciel commence à tirer vers un gris délavé. Les bruits de la fête se sont tus, et de la première cigarette de Lise il ne reste que des cendres et un mégot. Elle l'a presque fumée jusqu'au tonc' avant d'en allumer une autre, puis encore une autre. Quand Barbara vient effleurer ses lèvres pour lui voler une taffe, c'est sur sa dernière clope.
Elle est transie de froid, elles ont passé la nuit sur le bitume devant le bar. Sa tête est un peu douloureuse, et elle se sent barbouillée. Elle dénigre le verre d'eau sur la table de chevet à côté d'elle, même ça elle ne pourra pas l'avaler. Alors elle ferme à nouveau les yeux, serre la couverture contre elle, et se blottit contre le corps chaud dont elle partage le lit.
Il est midi passé quand elle émerge à nouveau, une intense migraine lui vrillant la cervelle. Elle fronce les sourcils, se souvient à peine de traverser le bar appuyée contre Lise. Elle est seule dans le lit maintenant, et elle doit se forcer pour prendre de longues gorgées du verre laissé à son chevet. L'eau fait du bien à sa bouche pâteuse, mais elle préfèrerait pouvoir se brosser les dents. Elle fait quelques pas hésitant dans la pénombre du petit appartement qu'elle connaît bien. Son propre regard torve dans la glace lui tire un soupire, et elle se passe de l'eau sur le visage. Elle essuie les traces de mascara sous ses yeux, et emprunte un déodorant. Se coiffe, puis sachant qu'elle ne pourra pas faire mieux, fini par sortir dans le bar.
Elle baille et s'étire, puis va s'installer au bar. D'un geste vague, elle salue Lyu qui lui rend un sourire placide, avant de commander par grognements la formule déjeuner. Deux minutes plus tard, elle fixe avec des sentiments mitigés son croissant, son café et son verre de jus d'orange. Prudemment, elle commence par le jus, alors qu'à l'autre bout de la salle Lise la dévisage sans discrétion. Xavier fini par forcer un toussotement pour attirer son attention, attendant qu'elle prenne sa commande et celle de son ami.
Lise détourne brusquement le regard et, avec une gêne qui lui est peu coutumière, demande à Xavier de répéter sa commande. Ce qu'il fait non sans un sourire moqueur. La barmaid le fusille du regard avant de s'éloigner d'un pas un peu trop franc, la rencontre entre le sol et les semelles de ses Doc's un peu trop brutale.
« Alors, bien dormi princesse ?
— Oh bordel, parle pas si fort... J'ai tellement la gueule de bois qu'c'est tout mon corps qu'à la bouche pâteuse.
— Il devrait l'écrire sur les bouteilles que l'alcool c'est mauvais.
— ...C'est déjà le cas.
— Bah ça a pas l'air de marcher. Ou alors, c'est que c'était pas que l'alcool... Il t'a donné quoi déjà, ton nouveau meilleur pote ? Tu te souviens de son prénom au moins ?
— J'en sais rien... Paul ? Potien ? Naaan... C'était un truc avec des fleurs, un truc d'enculé et...
— Il s'appelait Aurélien, j'te spoil mais t'avais pas l'air proche de trouver.
— Pourquoi tu parles fort comme ça... T'es énervée contre moi ? Parce que j'ai passé la soirée avec Aurélien c'est ça ? T'es jalouse parce que je l'ai embrassé j'suis sûre ! »
Bêtement, c'est davantage Barbara qui semble s'énerver à l'instant. Lise attrape son menton, soulevant son visage vers le sien et immédiatement la plus jeune se tait. Elle secoue vaguement la tête.
« Tu as peut-être passée la soirée avec lui, mais c'est avec moi que tu as passé la nuit. Tu l'as embrassé, mais tu as fini dans mon lit. Alors pitié, même si je voulais de toi je n'aurais aucune raison d'être jalouse.
— T'es méchante là...
— ..Si je suis énervée, c'est parce que tu as pris la drogue que te filais un inconnu sans poser de question. Alors heureusement que c'était ici et qu'Aurélien est un type bien, mais ça pourrait très mal finir. Préviens moi la prochaine fois que tu veux tester un truc comme ça. »
Elle se comporte comme sa daronne. C'est la première pensée qui vient à Barbara, et ça lui tire un sourire. La maman louve protégeant ses petits et tout ça. Elle n'est pas énervée, juste inquiète pour elle, et c'est trop mignon. Elle lui adresse un sourire en hochant simplement la tête, et croque dans son croissant en promettant d'être plus prudente à l'avenir.
Elle regrette presque dès que la nourriture est dans sa bouche, repose précautionneusement le croissant et mastique longuement. Finalement, elle avale en se concentrant pour réprimer son haut-le-cœur. Le regard de Lise pèse quelques instants sur ses épaules avant que la barmaid ne se détourne vers de nouveaux clients, rattrapant son carnet elle s'éloigne, abandonnant Barbara à son fastidieux déjeuner.
Ce n'est qu'une heure plus tard que la doctorante fini les dernières gorgées de son jus d'orange avec un soupir. Lyu récupère immédiatement son plateau, sans commentaire mais avec un sourire léger qui en dit un peu trop. S'effondrant la tête entre les bras, elle se morigène consciencieusement. Accepter de la drogue d'un inconnu c'est mal, boire plus que de raison c'est pas bien... Finir complément déchirée devant la meuf sur laquelle elle crush depuis des années, c'est la honte la plus totale.
Son lot de consolation, c'est une nuit à regarder les étoiles et quelques heures dans son lit, avec elle. Et ce serait merveilleux, si elle avait plus que quelques bribes éparses de réminiscences. Un soupir à en fendre l'âme s'échappe de la masse de cheveux bruns sur le plan de travail, et Lyu étouffe un rire sous le regard de sa patronne qui vient de revenir.
« Barb' ? Si tu vomis sur mon bar, ça va mal se passer. »
Lentement, elle se redresse. S'attache les cheveux au passage en une queue de cheval haute, s'étire. Et puis, elle lui lance un regard torve au-dessus de son épaule pour finalement répondre :
« Ah oui, et qu'est-ce que tu me comptes faire Lise ? Me mettre la fessée ? »
Elle se contente de lever les yeux au ciel, mais quand elle se penche pour récupérer la commande que Lyu lui passe, elle lui souffle : « T'aimerais trop ça... Ça pourrait être ta récompense si tu y tiens, rien d'autre gamine. »
Elle rit un peu, et ne se préoccupe pas vraiment de répondre à voix haute :
« J'verse pas particulièrement dans le DDLG, sans kinkshame, mais ce que tu proposes me plait bien. Lyu, t'es de service cette aprem' ? Ça ne t'embêtes pas que j'emprunte ta patronne, pas vrai ? »
Un simple signe de dénégation et un sourire en coin, qui en étale un mirobolant sur le visage de l'étudiante.
« T'as entendu Lise ? T'es disponible toute l'aprem' rien que pour moi, c'est merveilleux.
— Merveilleux, évidemment... »
Et si elle lui lance un faux regard noir, l'étudiante décèle sans mal l'étincelle alliciante qui se cache dans l'iris vert bouteille. Ça lui tire un frisson, et elle observe la serveuse qui slalome entre les tables pour apporter les trois assiettes qu'elle tient dans un équilibre précaire — expert. Puis elle se lève et va récupérer ses affaires, posées en vrac sur le petit bureau de l'appart' de Lise. Entre quelques factures, elle trouve son porte-monnaie, alors elle remet sa veste et vient poser un billet sur le comptoir pour régler son déjeuner.
Encore quelques pas et elle sort du bar, profitant des rares rayons de soleil de ce début novembre. L'air frais est vivifiant, ça lui éclaircit l'esprit mais rougit ses joues. Elle souffle un peu de buée et en observe les volutes qui s'élèvent doucement, partagée entre son envie compulsive de se rouler une clope et un dégoût encore trop proche. Heureusement, elle n'a pas longtemps à attendre et bientôt, Lise sort de l'ancien parking.
Elle lui décoche un sourire, reçoit un haussement de sourcil en réponse, alors elle se met à marcher.
« On va chez moi, du coup ?
— À moins que tu n'aies aussi un penchant exhib', j'suppose. »
Elle rougit, et ce n'est pas dû à l'air frais, qui n'est plus suffisant à rafraîchir ses idées. S'éclaircir la gorge, fourrer les mains dans les poches de sa veste.
« Tu avais promis de m'aider pour me teindre les cheveux, tu te souviens ? Pas que ton autre proposition ne me chauffe pas, enfin, mais...
— J'n'étais pas sérieuse Barb', c'est bon. »
Elle soupire, autant de soulagement que de déception. Un regard en coin qui croise le sien, puis elle fixe le sol. Lève le regard vers l'horizon gris-bleu, fade et délavé, il a dû pleuvoir pendant qu'elle dormait. Le silence s'installe, ne semble pas déranger Lise mais la stresse. Pourtant, son crâne est toujours douloureux, alors le silence est sûrement la meilleure solution.
Elles arrivent chez elle, rapidement lui fait faire un tour. C'est un simple deux pièces, peu de surface, mais un joli loft. Une belle hauteur sous plafond, quelques plantes sont accrochées à la large poutrelle métallique qui traverse la pièce de vie, face à une grande fenêtre. Une porte fenêtre, en réalité, donnant sur le balcon, son cendrier et sa vue du deuxième étage sur la cité universitaire.
Elle amène ses deux boîtes de décolo et son tube de teinture, demande à Lise de quoi elle aura besoin. Celle-ci est dehors, assise sur la rambarde du balcon. C'est stupidement dangereux ; sa silhouette qui se découpe sur le ciel est magnifique.
« Une brosse, un peigne, un bol, une serviette à laquelle tu tiens pas trop, de l'alu'. Regarde dans la boîte s'ils fournissent un pinceau, normalement ils auront mis au moins des gants. »
Elle s'allume une clope, et exhale la fumée qui rejoint les nuages, comme si elle voulait faire un aqua avec le ciel. Cette pensée est stupide ; ses yeux qui suivent son profil dangereux.
Un soupir et la brune s'éloigne, parcourant son appart' pour trouver ce que son aîné lui a demandé. Elle ramène le tout sur une petite table carrée, positionnée juste à gauche de la porte fenêtre.
« Tu veux faire ça où ?
— Tu devrais surveiller tes tournures de phrases, on croirait une invit'. »
Est-ce la phrase, son ton, ou le sourire qui flirte sur les lèvres de Lise qui la fait rosir, difficile à dire. Mais après une taffe, la barmaid reprend, le regard tourné vers le paysage.
« Si t'as moyen de sortir une chaise, on sera mieux ici. Je ne suis pas sûre que l'odeur de la décolo fasse bon ménage avec ta gueule de bois. »
Elle hoche la tête, amène une chaise, approche la table, puis regarde à nouveau Lise. À la moitié de sa cigarette, celle-ci fini par tourner le visage vers elle. Son regard descend sur elle, la parcourant un peu trop longuement probablement.
« Tu devrais enlever ton t-shirt.
— Et toi, tu devrais surveiller tes tournures de phrases, on croirait une invit' !
— Ce serait un problème que s'en soit une ? »
Elle reprend une bouffée de nicotine en la fixant, un sourire étirant la commissure de ses lèvres, goguenard. Puis elle secoue la tête et se tourne à nouveau vers l'horizon, tandis que la doctorante part se chercher un t-shirt informe qu'elle sacrifiera sans soucis. Un sourire sincère s'étirant largement sur sa face, creusant ses fossettes, illuminant son regard.
Elle met la serviette sur ses épaules alors que Lise écrase son mégot dans le cendrier, et s'assoit sur la chaise tandis qu'elle saute au bas de la balustrade.
Une demi-heure durant, elle observe la ville étudiante alors que Lise s'occupe de ses cheveux, l'odeur l'importunant bien qu'en extérieur. Acre, elle prend à la gorge, et n'aide en rien ses nausées. Lise ne semble pas s'en soucier, alors elle ne commente pas. Quand la plus âgée l'autorise à se lever, elle croise son reflet dans la vitre et ne peu étouffer un rire nerveux. Avec ses bandes d'alu' et son t-shirt informe, elle n'a pas bonne mine.
Lise se permet d'entrer dans l'appart' alors elle la suit, sans faire attention au sourire presque doux et aux yeux qui la couvent un peu trop longuement.
« T'as de quoi faire du café ? J'ai pas pris le temps de déjeuner, ce matin. »
Comprenant que la barmaid a enchaîné la soirée sur une matinée de taff ordinaire, Barbara la rabroue, ce qui ne lui fait que lever les yeux au ciel. Alors elle lui prépare un café, et attrape une petite bouteille d'eau.
Elles boivent dans un silence reposant, Barbara peinant à faire abstraction du casque d'aluminium qui la ridiculise à coup sûr. Son regard traîne sur les quelques livres qui remplissent une BILLY blanche, au fond de la pièce, puis sur les quelques photos accrochées à côté. Un peu sa famille, beaucoup ses amis. Ceux qu'elle a rencontrés pendant ses études, mais qui sont repartis travailler aux quatre coins de la France et du monde alors qu'elle poursuit sa thèse. Quelques unes du lycée, avec qui elle n'a pas perdu le contact. Une photo de groupe à l'AR, le nouvel an de l'année passée, ou celle d'encore avant peut-être.
Lise découvre l'appartement du regard elle aussi, sans s'attarder sur les titres des livres elle est davantage impressionnée par le nombre de plantes qui coexistent dans le petit espace. Accrochées devant la fenêtre mais également en pot devant la porte, sur le bureau, et une tripotée de pots contenant diverse herbes aromatiques sur le comptoir auquel elle est accoudée, délimitant l'espace cuisine.
Elle finit son café, Barbara sa bouteille d'eau. Un coup d'œil à l'horloge murale, de fer forgé noir au style steampunk, lui indique que le temps qu'avait préconisé son aîné est passé. Elle part se rincer les cheveux, puis elles recommencent.
Sur le balcon, dans un t-shirt informe, Lise lui colore les cheveux. Au loin, le soleil se couche. Peut-être que c'est juste une rotation de plus de leur planète, une diffusion complexe de l'onde lumineuse au travers de la couche d'ozone ; ce soir, elle ne voit que le flamboiement du ciel, ne pense qu'à la femme merveilleuse dans son dos. Peu bavarde, à l'humour caustique, bienveillante et confiante en ses convictions.
Elle finit par lui envelopper la tête avec la serviette qui drapait ses épaules et la plus jeune se relève. Elle lui tend un sourire, puis une perche, lui propose de rester dîner. Un haussement d'épaule, un hochement de tête.
Elle met de l'eau à bouillir, sort du pesto, deux verres à pieds. Trouve un vieux rouge, une boîte de spaghetti. Dehors, une clope au bec, Lise est encore juchée sur la balustrade. L'étudiante l'y rejoint, lui passe un verre, lui vole une taffe. Debout entre ses cuisses, elle lui sourit insolemment, sa cigarette encore entre les lèvres. Puis elle lui souffle la fumée au visage, et plutôt que de s'éloigner la barmaid se penche, venant lui voler le souffle presque contre les lèvres.
Dans l'appartement, l'eau chante et bout ; dehors, la plus jeune chuchote.
« J'ai envie de t'embrasser...
— Même sobre ? »
Un regard, un soupir. Oui, toujours, mais elle doit le savoir ? Un non déguisé, qui lui fait crisser le cœur. Petite porcelaine morcelée.
Puis son aîné se penche, et leurs lèvres s'effleurent doucement. Leurs souffles se mélangent, leurs langues. Empressées ; essoufflées.
Elle s'éloigne, Lise la fixe. Elle rentre, jette les pâtes dans l'eau bouillante, baisse le feu. Porte une main incertaine à ses lèvres, tremblotante. Une longue goulée d'air, puis une gorgée de vin.
Lise rentre pour manger, aucune n'est à table. Barbara est assise sur le plan de travail, Lise adossée au comptoir. Elles papotent, discutent de la soirée de la veille, de la prochaine, des études de Barb', de leurs amis en commun. Parfois, ses yeux s'égarent sur les lèvres de son vis-à-vis, et elle repense au baiser échangé sur le balcon. Fougueux, sans relent de tequila, juste un peu de nicotine et de Saint-Estephe.
La discussion est fluide, même une fois les assiettes vides et les verres abandonnés dans l'évier. Elle part s'enfermer dans la salle de bain, Lise s'asseyant dans le canapé clic-clac, consultant son téléphone en attendant, prévenant Lyu qu'elle lui laissait la fermeture et de mettre les clés à l'endroit habituel.
Face au miroir, Barbara doit retenir un petit cri extatique ; le résultat est exactement ce qu'elle attendait, et dépasse ses attentes en même temps. Elle finit de se sécher un souriant, l'air chaud du sèche-cheveux les fait voler en arrière, face à son image elle se sent belle. Heureuse et en confiance, comme rarement. Elle se couvre d'un déshabillé noir dont elle rabat paresseusement les pans, avant d'en attacher lâchement la ceinture.
Elle revient dans la pièce de vie, et cette fois elle ne rate pas le regard de Lise. Lascivement, il descend sur sa silhouette, plonge dans son décolleté puis le long de ses jambes, avant de remonter brusquement vers son visage. Un infime rougissement trahi les pensées de son aînée, et elle sourit à pleines dents.
« Je crois que j'ai oublié de répondre à ton invit', toute à l'heure. Alors, je n'ai plus de t-shirt mais... »
Elle joue avec la ceinture satinée de son peignoir, continuant d'avancer vers Lise. Son cœur bat trop fort, raisonne entre ses côtes et ses tempes. La brune ne se cache plus de la déshabiller du regard dorénavant, et quand il ne reste plus que quelques dizaines de centimètres entre elles, sa main attrape le creux de sa taille. D'une pression légère, pourtant ferme, elle la fait s'installer sur ses genoux. Leurs regards se croisent, leurs souffles s'emmêlent.
Cette fois, aucune ne dit rien. Leurs lèvres se trouvent, des mains s'agrippent, autour du cou, les épaules, la taille. Se découvrent, s'attrapent, se déshabillent et s'enlacent. Brusquement, avec passion et ferveur.
Se relèvent sans se quitter, marchent sans s'éloigner. Elles ferment la lumière, et la porte derrière elles.
—-
Les draps défaits, des vêtements au sol, une lune gibbeuse cachée derrière les nuages pour seul éclairage. Une cigarette, qu'on allume et qu'on s'échange.
« Je dois t'dire... Je suis nulle à tout ce qui est relation cucul bien sous tous rapport, de jurer une fidélité éternelle, tout ça...
— Pareil. Plan cul ?
— Sex friend ?
— Couple libre ? »
Un sourire, étonnamment timide et doux, se dessine sur le visage de la plus âgée.
« Je me fiche d'avec qui tu passes la soirée ou de qui tu embrasses, tant que c'est avec moi que tu passes la nuit et dans mon lit que tu dors le soir. »
Elle esquisse un sourire incertain et vient l'embrasser doucement. Pour la première fois leur échange est timide, emprunt d'une certaine gaucherie. Pour la première fois, elles sont plus que deux amies, et leur baiser a une signification.
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