5. Unknown

Quand j'ouvre les yeux, l'appartement est silencieux. Réalisant où je me trouve, je fixe le plafond, un sourire aux lèvres, le corps en étoile, complètement détendue. Je n'ai pas envie de sortir du lit, enveloppée dans la chaleur de la couette, je profite du silence et de ces odeurs inconnues, vous savez, quand le cerveau les détecte encore parce qu'elles ne sont pas familières. 

En fond sonore, me parvient l'agitation de la rue en plein jour : bruits de klaxons, ronronnement de moteurs et éclats de voix. Je me lève en m'étirant, obsédée par l'idée d'un bon café bien chaud. En discutant hier soir, Tara m'a appris qu'il y avait un Starbucks juste au coin de la rue. Je pense que je vais rapidement devenir leur meilleure cliente.

Il est déjà 10 heures, heure locale. Il faut que j'appelle ma mère, elle ne m'a pas entendue depuis hier soir. Elle m'a envoyé deux messages pendant que je dormais : un pour me souhaiter bonne nuit et l'autre pour me dire qu'elle pensait à moi. Mamounette... Elle est tellement mignonne... Au moment d'appuyer sur le bouton d'appel, je réalise qu'en France, il est déjà quinze heures. Je n'ai pas envie de la réveiller pendant sa sacro-sainte sieste quotidienne, un simple message pour lui dire que tout va bien suffira. Même chose pour Théo, qui doit traîner au stade avec ses potes en ce moment même : Paris est dans un mois, il a besoin de profiter d'eux. Je tente quand même le coup et tombe directement sur sa messagerie. Tant pis, on verra plus tard. Je trouve ça extrêmement bizarre de penser à mes proches alors que je me trouve à l'autre bout de la terre. J'ai la sensation étrange d'être dans une bulle, hors du temps. C'est un peu angoissant, et très excitant à la fois.

Je me brosse paresseusement les dents, profitant encore une fois du luxe d'avoir ma propre salle de bains, et me maquille légèrement. J'enfile ma tenue préférée pour flâner: un slim, un débardeur ample et une paire de Stansmith. J'attrape mon sac à mains, dans lequel je range mon portable.

Quand j'entre dans le salon, il est baigné d'une intense lumière. La déco est aussi cool en plein jour. Je me note à moi même de penser à Tara si un jour j'ai un intérieur à refaire. Profitant d'être seule, je m'élance et me vautre dans le canapé. Comme je m'y attendais, il est moelleux à souhait, parfait pour lire un bon bouquin un dimanche pluvieux. Sur la table de la cuisine, je trouve un mot de Chris et un jeu de clés : "Fais comme chez toi! De retour vers 15h. Have a nice day !" 

Sur le pallier , je croise le voisin de l'appartement en face du nôtre. Je tente mon premier "Hi!" accompagné de mon sourire le plus avenant possible. Il est blond, la quarantaine, les cheveux courts, et arbore un air particulièrement renfrogné. Ou il a un problème, ou c'est la coutume ici d'être de mauvaise humeur le week-end. Ou les deux.

Je remonte Grove Street et trouve facilement le Starbucks. Il est tout petit, rien à voir avec l'image que je m'en faisais. Deux clients sont assis à l'intérieur. Je commande maladroitement un Caramel Macchiato. Le goût est divin, rien à voir avec les Starbucks en France. Je me sens tout à coup beaucoup plus réveillée. J'enclenche Google Maps sur mon téléphone et décide d'aller faire du repérage pour mon premier jour de stage, et du tourisme en même temps : Live Nation se trouve en plein Times Square. L'air est doux et le soleil agréable sur ma peau encore hâlée. Plus j'avance, et plus les rues noircissent de touristes. Times Square est impressionnant, on dirait une fête foraine géante. Je me sens minuscule, enivrée, effrayée. Je trouve les bureaux de Live Nation entre l'Amsterdam Theatre et un McDo géant. En comparaison des deux, les portes vitrées surmontées du logo de Live Nation sont minuscules et gardées par deux agents de sécurité. J'essaie de repérer du monde à l'intérieur, mais je n'y vois pas grand chose, et je suppose que de toute façon, les bureaux ne sont pas au rez-de-chaussée. 

Après ce petit round d'observation, je poursuis mon chemin sur la 42ème West, le nez dans les nuages. J'envoie quelques photos des gratte-ciels à Léa et Sam, Théo et ma mère, en état de totale béatitude . J'aimerais trouver un endroit un peu plus calme, toute cette foule qui grouille est un peu oppressante pour une non initiée comme moi.Sur mon téléphone, je tape "endroit calme Times Square". Les seuls résultats qui apparaissent sont des adresses d'hôtels... Pas d'endroit calme dans Times Square, donc. Je m'y attendais un peu, à vrai dire... Un peu sonnée par l'agitation qui règne autour de moi, je retourne sur mes pas, décidant de rentrer à l'appartement. Sur le chemin, je m'arrête faire quelques courses dans une petite épicerie, j'ai besoin d'Ice Tea, ma boisson préférée, et de quelques affaires de toilette. Je n'ai pas découvert grand chose ce matin, mais je suis contente de la façon dont s'est déroulée cette première balade en solo. J'avais peur de ne pas m'en sortir, et j'ai réussi à trouver les bureaux de mon stage toute seule. Perdue dans mes pensées, je rentre à l'appartement et m'allonge directement sur mon lit. Épuisée par ma petite virée et le décalage horaire, je m'endors comme une masse.

Je suis réveillée par la voix de Chris qui m'appelle doucement. Il se tient dans l'embrasure de la porte. 

-Hé, ma petite marmotte! Il est temps d'émerger, tu n'es pas venue pour dormir! 

Hébétée, les yeux à moitié ouverts, je m'appuie sur mes bras sans répondre. 

-On va faire un tour à Central Park. Tu viens? 

Il me sourit gentiment et j'acquiesce en baillant. Je suppose qu'avec Tara, ils ont planifié cette sortie pour moi, et même si j'ai l'impression que je pourrai dormir encore plusieurs heures, je dois faire l'effort de les accompagner. 

-Bien sûr. Laisse moi juste le temps d'appeler ma mère, je veux savoir comment elle va.

Je réussis à la joindre facilement cette fois. Je sens qu'elle est émue, elle me dit que ça va, mais je sais bien au ton de sa voix qu'elle s'inquiète pour moi. Je la rassure en lui racontant ma journée et la folie qu'est Times Square, puis lui promets des photos de Central Park et de la rappeler le lendemain.

Se déplacer dans New-York avec Chris et Tara est bien plus facile. Chris me montre comment me procurer des tickets de bus et nous atteignons Central Park en moins d'un quart d'heure. Nous marchons jusqu'à Sheep Meadow puis nous asseyons dans l'herbe. Tara s'allonge entre les jambes de Chris et il la serre dans ses bras. Ces deux là sont trop mignons, je les prends discrètement en photo pour l'envoyer à ma mère. Je me détourne légèrement d'eux pour les laisser profiter, je me sens déjà assez coupable de les priver d'intimité. 

La vue est magnifique en cette fin de journée : le ciel est dégagé, quelques nuages blancs jouent paresseusement avec les buildings visibles au dessus des immenses arbres verts du parc, un léger vent annonce doucement la fin de l'été. Des enfants jouent au ballon, la majorité des adultes, comme nous, se détendent dans l'herbe. Le contraste avec la ville que nous avons laissée quelques mètres plus tôt est impressionnant. J'adore cet endroit, et pour la première fois depuis que je suis arrivée, la sérénité m'envahit et je sens tous les muscles de mon corps se détendre sous les chauds rayons du soleil. J'observe un moment un petit garçon blond jouer à la bagarre avec son père, et j'essaie de m'imaginer un jour avec des enfants. Je n'y suis absolument pas prête. Je sais que Théo non plus, et c'est tant mieux, notre relation est bien comme elle est pour l'instant. 

J'imagine ses yeux sérieux, les sourcils froncés, me sermonnant silencieusement de penser à de telles choses, et je souris malgré moi. J'ai hâte d'entendre sa voix et de pouvoir lui raconter ma journée. Je ne me rappelle même plus de la dernière fois où nous avons passé plus d'une journée sans nous parler. 

Des éclats de voix interrompent mes pensées : 

- Chris! Tara! 

Un couple de promeneurs s'approche de mon oncle et ma "tante", en souriant. Chris et Tara se lèvent d'un même mouvement pour leur donner la traditionnelle accolade américaine. Je les observe, un peu en retrait. Ils ont tous les deux environ la trentaine, la femme est aussi blonde que l'homme est brun. Ils semblent ouverts et simples.  

- Mélanie, je te présente Mary et Drew, me dit Tara, la voix pleine d'enthousiasme. Ce sont des amis de l'université de Drew. 

Un peu intimidée, je souris et leur fais un petit signe de la main. Drew tape sur l'épaule de Chris: - Hé oui! Je supporte ce type depuis déjà plus de dix ans! 

Mary rigole et me demande:

-Alors, Mélanie, c'est ton premier jour à New-York?

- Oui, c'est ça. New-York a l'air... gigantesque. 

Je ne sais pas trop quoi dire, mais Mary rit et me dit gentiment: "Tu verras, après quelques jours, tu t'y seras faite. Et tu finiras par te demander comment tu as survécu ailleurs le reste de ta vie!"

Je n'en suis pas encore là, mais je ne la détrompe pas. Elle reprend, à l'adresse de Tara, Chris et Drew qui ont fini de se chamailler comme des enfants: 

- Drew et moi avions prévu d'aller faire un tour au B54, ce soir, ça vous dirait de vous joindre à nous? Ce serait l'occasion pour Mélanie de découvrir la ville de haut ?

Tara joint ses mains sous son menton et supplie Chris du regard d'accepter. Elle s'adresse à lui sur un ton suppliant de petite fille gâtée : 

- Oh, s'il te plaît... il y a tellement longtemps qu'on ne s'est pas un peu amusés... 

 Chris hausse les sourcils et lève les yeux au ciel. Il se tourne vers moi et m'explique que le B54 est un bar en haut d'un building proche de Times Square, qui fait des cocktails géniaux et possède l'une des vues les plus magiques de tout New-York. 

- Tu as envie d'y aller? me demande-t-il.

Je me fiche des cocktails (je ne bois que très rarement), mais voir New-York de nuit, en hauteur qui plus est, je ne veux pas rater ça.

- Je ne sais même pas pourquoi tu me pose la question.

Tara fait un geste bizarre de victoire, elle serre le poing et fait un tour sur elle même, et un grand sourire enjoué s'étire de part et d'autre de sa bouche. 





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