33. Wrong Answer
Cassie formule à voix haute la question qu'on se pose tous.
- Quelqu'un a compris ce qui se passe ?
Zack s'étire nonchalamment. Il ne semble pas perturbé le moins du monde, comme s'il avait l'habitude de voir Ayden dans cet état.
- Déjà, je n'ai pas compris ce qu'elle foutait là... Mais elle est tellement insupportable que ça m'étonne pas qu'il ait pété un câble, dit-il en attrapant son verre. On trinque à son départ ?
Cassie le reprend sèchement :
- Abuse pas, Zack. Il l'a jetée comme une merde.
Même si je n'aime pas Chloe et ses airs de diva, je suis obligée de reconnaître qu'elle a raison. J'avale d'un trait le reste de mon cocktail et repose mon verre sur la table basse.
- Je vais voir ce qui se passe.
La brûlure de l'alcool qui se propage dans mon corps m'empêche de réfléchir à ce que je viens de dire.
Dan ouvre de grands yeux ronds mais ne dit rien. Zack me prévient :
- Fais gaffe, quand il est comme ça, vaut mieux pas le faire chier.
Je hoche la tête et me dirige quand même vers la porte vitrée par laquelle Ayden vient d'échapper à nos questions. Je ne devrais pas m'en mêler, mais je veux savoir comment il va.
Sur le minuscule balcon, Ayden me tourne le dos, accoudé à la rembarde métallique. Quand je m'approche de lui, son regard est perdu dans le vide, contemplant sans le voir le paysage mythique de la nuit new-yorkaise. Comme une droguée en manque, j'absorbe chaque trait de son magnifique visage qui se découpe dans l'obscurité relative de la ville. Sa mâchoire crispée atteste encore de sa récente colère. Je m'installe à côté de lui, dans la même position, sans dire un mot. Et j'attends.
Au bout de quelques minutes d'un silence apaisant, je l'entends fredonner doucement. Les yeux clos, les mains crispées sur la balustrade, il semble encore une fois dans son monde. Quand sa voix rauque entonne doucement un morceau de The Script que j'aime particulièrement, je ferme les yeux à mon tour.
She said "Is this the life you've been dreaming of
Spending half the day away from the things you love?
It's not too late to do something new."
Yeah she said, "It's hard enough trying to live your life
But not following your dreams made you dead inside
If you don't love what you do." It's not right, it's not right for you
Comme à chaque fois que j'entends sa voix, tout est différent. L'air qui m'entoure est plus pur, les couleurs plus intenses, les battements de mon cœur plus violents. A cet instant précis, la force de sa présence à mes côtés me cloue sur place. Je ne le vois pas, mais je sais qu'il est là, avec moi, dans ma tête, et qu'il essaie de me montrer ce qu'il y a dans la sienne. Malgré la légèreté du morceau, toute la mélancolie et la colère qui se cachent derrière son visage impassible transparaissent dans chaque note qu'il me donne.
Quand le silence revient, l'énigme brune qui se trouve à mes côtés tourne la tête et m'observe attentivement. La curiosité empreinte de gravité que je lis dans ses yeux accélère ma respiration. A quelques centimètres des miens, ses longs doigts accrochent toujours la balustrade en ferraille. Chaque fois que je me retrouve en sa présence, l'atmosphère devient lourde et puissante, comme si une force mystérieuse nous poussait l'un vers l'autre.
- Tu devrais rentrer à l'intérieur, me conseille-t-il brusquement.
- Non.
Ayden sourit doucement.
- J'avais presque oublié à quel point tu peux être bornée.
En soupirant, il passe une main sur son visage, l'air exténué. Faisant retomber sa tête entre ses bras tendus, il fixe le sol quelques instants. Quand il se redresse brusquement, toute trace de colère a disparu de son visage.
- Viens. On se casse.
Je souris, incrédule.
- Où tu veux aller?
- Ailleurs.
- Mais on ne peut pas mettre tout le monde en plan ! je proteste.
Qu'est-ce qui ne va pas chez lui ? Je ne peux pas laisser Dan tout seul, quant à Cassie... si j'étais elle, je n'apprécierai vraiment pas!
- On va revenir.
L'hésitation qui se lit dans mes yeux le pousse à continuer :
- Ton pote est entre de bonnes mains. Il suffit de le regarder pour le savoir. Cassie, c'est comme ma petite sœur, elle ne m'en voudra jamais. Et toi, tu ne fais que ce que je te demande... tu n'as rien à te reprocher.
Pourquoi j'ai toujours l'impression qu'il fait ce qu'il veut, quand il veut ? Il est tellement agaçant quand il s'y met ! Je devrais refuser, mais l'idée de le découvrir un peu plus est trop tentante. Il insiste encore.
- Allez, viens ! Je te promets que je me tiendrai tranquille.
Son petit sourire enjôleur achève de me convaincre.
- D'accord. Mais pas longtemps.
Je n'aurai peut-être pas dû céder. Encore une fois, je vais lâcher Dan pour faire plaisir à Ayden. C'est vrai, il est en bonne compagnie, mais quand même...
- Merci.
Il est tellement touchant quand il s'en donne la peine... Me lâchant du regard, il se retourne pour franchir la porte qui nous sépare du salon, m'entraînant à sa suite.
La curiosité qui se lit dans les regards braqués sur nous, particulièrement celui de Dan, est visible à des kilomètres.
Zack l'apostrophe en riant :
- C'est bon, t'es calmé ?
Ayden hausse les sourcils sans répondre, impassible, et se dirige vers Cassie pour l'entraîner un peu à l'écart. Je souris timidement à Dan, toujours assis sur son pouf de fortune, qui articule silencieusement à mon intention en désignant Ayden du menton :
- Ça va ? Qu'est-ce qu'il a encore ?
Pour toute réponse, je hausse les épaules, dans un geste d'incompréhension.
Interrompant notre échange muet, Cassie revient s'asseoir auprès de mon fan de baseball préféré au moment où une main se pose doucement sur mon bras, m'enjoignant de me retourner.
- T'es prête ?
Son regard est empreint d'une détermination qui me fait presque rougir. Cette simple phrase me donne l'impression de sauter dans le vide.
Pour toute réponse, j'acquiesce en fermant un instant les yeux. Juste avant de me détourner, je lance un regard à Dan, qui me fixe bizarrement en écoutant Cassie lui parler à voix basse, et je suis Ayden à travers l'appartement.
La porte d'entrée qui claque derrière nous me donne un étrange sentiment de liberté. Je ne sais pas où il compte aller, mais je crois que je m'en fous si ça peut me permettre d'en savoir un peu plus sur lui.
Quand les portes de l'ascenseur se referment, il n'a toujours pas ouvert la bouche. Le silence semble être son mode de communication favori... Un peu intimidée par sa proximité dans ce petit espace, j'observe discrètement la tension quitter son corps. Plus nous nous rapprochons du rez-de chaussée, et plus son visage se radoucit. Je donnerai cher pour savoir ce qui se passe dans sa tête, là tout de suite. Qu'est-ce qui a bien pu se passer là-haut ? Je ne suis même pas sûre de le savoir un jour ...
Les portes de l'ascenseur qui s'ouvrent interrompent là mes réflexions. Ayden me précède, et se retourne vers moi pour me tendre la main. Je ne sais pas ce que veut dire ce geste, mais je ne vois rien d'autre dans la profondeur de ses yeux que de la douceur. Je la saisis sans réfléchir, et imbrique très légèrement mes doigts dans les siens.
Ce contact chaud réveille le bon vieux signal d'alarme qui me sert de garde-fou, mais je n'y prête pas attention très longtemps. Il ne peut rien se passer de grave : le monde extérieur me protège de moi- même, au moins pour le moment.
Ayden me guide tranquillement vers un point de chute inconnu. Les rues de New-York, pleines de monde malgré l'heure tardive, se retrouvent témoins de cette promenade étrange au cours de laquelle je me surprends très souvent à soupirer intérieurement de bien-être. Nous ne nous parlons toujours pas, mais ce sentiment qu'il y a une connexion étrange entre nous ne me quitte pas. Ça va au-delà de sa main dans la mienne, et tout en marchant tranquillement à ses côtés, je ne peux m'empêcher d'avoir un peu peur de cette sensation. Je suis au bord d'un précipice, je le sais.
Pour couper court à mes pensées, je finis par demander, au détour d'une rue mal éclairée :
- Où est-ce qu'on va?
Ayden sourit mystérieusement sans répondre. Je poursuis en levant les yeux au ciel :
- Ah, c'est vrai. Pas de questions...
Je ne peux m'empêcher d'admirer l'assurance qu'il dégage. Au moment où nous débouchons dans Times Square, à mon grand étonnement, il ouvre enfin la bouche.
- Pourquoi tu es venue sur le balcon ?
Evidemment.
- Je voulais voir la vue.
Mon sarcasme a l'effet escompté : Ayden le taciturne sourit à pleines dents. Malgré moi, je suis ravie.
- Moi qui croyais que tu t'intéressais à moi..., se plaint-il en riant en continuant d'avancer à travers la foule.
Manquant rentrer dans un touriste, j'élève la voix pour qu'il puisse m'entendre malgré l'agitation ambiante :
- Il ne manquerait plus que ça !
Son regard mi-amusé mi-furieux me remplit d'une légèreté bienvenue.
- Moi qui pensais qu'être ton ami aurait quelques avantages ... je crois que je me suis fait avoir ! sourit-il, moqueur. C'était beaucoup plus intéressant avant cette histoire d'amitié, finalement..., poursuit-il en resserrant sa main sur la mienne.
Le sous-entendu ne laisse aucune place au doute. Ma bouche s'entrouvre légèrement et je marque un temps d'arrêt. Ayden éclate d' un rire sonore en observant mon air interdit et s'arrête de marcher pour me faire face.
- Tu es tellement sérieuse, ajoute-t-il en s'approchant de moi. J'adore te mettre mal à l'aise.
Tendant la main, il replace doucement une mèche de cheveux derrière mon oreille.
Ignorant la brûlure laissée par la trace de ses doigts sur ma peau, je me contente de froncer les sourcils.
- Alors, est-ce-que tu peux m'expliquer ?
- Qu'est-ce que tu veux savoir ? me demande-t-il innocemment.
Et c'est reparti.
- Est-ce que tu vas répondre à toutes mes questions par une autre question ?
Un sourire désabusé sur ses lèvres m'indique qu'il y a peu de chances que j'obtienne des réponses.
- Désolé. Avec Chloe, c'est... compliqué. Est-ce qu'on peut en parler plus tard ? Je n'ai pas envie d'y penser, là. Allez, viens, on est presque arrivés.
Son ton péremptoire n'admet aucune objection. En soupirant, je reprends donc ma place à ses côtés, sans avoir toujours la moindre idée de notre destination. Quelques minutes plus tard, Ayden s'arrête au niveau de la porte en verre de Live Nation.
Je demande innocemment :
- Tu as oublié un truc ?
Ma question le fait sourire sans que je comprenne pourquoi.
- Non. C'est là qu'on va.
- Chez Live ? Mais pourquoi ?
- J'ai besoin d'aller au studio.
Putain. Non, pas ça.
L'agent de sécurité, qui nous connaît bien, nous laisse entrer sans difficulté. Dans l'ascenseur, j'ai du mal à contenir l'envie extrême de m'enfuir en courant. Je sais ce qu'il va se passer si je l'entends chanter et je ne veux pas que ça recommence. Et en même temps, si je ne vis pas ce moment, je sais que je vais le regretter. Est-ce qu'il est en train de tester mes limites ? Je suis consciente que c'est une possibilité. Je ne le connais pas plus que ça, mais sa manière froide d'agir avec Emily en est une preuve irréfutable : il sait très bien ce qu'il fait.
Dans l'étroit espace qui nous emmène au quatorzième étage, Ayden me regarde bizarrement.
- Tu es sûre que ça va ? Désolé de t'embarquer là dedans, j'ai besoin de me vider la tête.
- Oui, oui, tout va bien, t'en fais pas. Juste un peu fatiguée.
Un pauvre sourire se dessine sur mes lèvres.
En sortant de l'ascenseur, je ne peu pas m'empêcher de comparer mon état de stress avec celui qui s'était emparé de moi pour mon premier jour ici. On dirait que ça fait des mois que j'ai franchi pour la première fois les portes des bureaux de Live. J'ai l'impression d'avoir énormément changé, en peu de temps.
J'espère seulement que ça va s'arrêter. Je n'ai pas envie d'être différente. Je n'ai pas envie que ma vie change. Je n'ai pas envie de laisser libre cours à mes envies quand je regarde cet homme magnifique qui marche devant moi. Je ne veux pas découvrir ce qui se cache sous cette attitude désinvolte et ces blessures.
Et pourtant, quand la porte du studio se referme sur nous, je ne suis pas sûre de pouvoir lutter contre lui bien longtemps.
Bonne nuit... Et encore tellement de mercis...
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