31. Chill out

Soudain tendue, j'obtempère avec raideur. Pourvu que Chuck ne sache rien de mon trajet nocturne avec Ayden ! Dans le cas contraire, je peux oublier ma trépidante nouvelle vie. Qu'est-ce qui va encore me tomber dessus ?

Paniquée, je jette un regard à Erin, très concentrée sur son travail : le téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille, elle pianote en même temps sur son clavier.  En m'apercevant, elle me fait un signe encourageant de la main.

Chuck pose ses mains à plat sur le bureau en verre qui nous sépare. Un sourire fugace relèves les coins de ses lèvres quand il me demande :

- Comment s'est passé le concert ?

J'aurais dû m'en douter... il faut vraiment que j'arrête de me faire des films ! Soulagée, je souris à mon tour. 

- Oh, c'était vraiment très bien. Ayden a une présence incroyable. Les gens étaient surexcités. 

Chuck lève un sourcil.

- Et vous ?

Sa manière abrupte de m'interroger me fait rentrer dans mes petits souliers. 

- Oui. Oui, on peut dire ça. Il a tellement de talent ! 

- C'est le moins qu'on puisse dire. 

Il détourne le regard quelques secondes, puis reporte à nouveau son attention sur moi. 

- Mélanie, il faut que je vous pose une question. Avez-vous la moindre idée de la raison pour laquelle Ayden vous a réclamée samedi ?

Aïe. Qu'est-ce que je suis censée dire ?

- Heu... Je pense qu'il apprécie ma vision de la musique. 

- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

Je n'ai pas vraiment envie de raconter ça à Chuck, mais l'expression de son visage indique clairement qu'il attend des explications. 

- J'en ai parlé avec lui. Il a aimé mes réactions quand je l'ai entendu enregistrer au studio. 

Heureusement, Chuck ne me demande pas de détails supplémentaires et hoche simplement la tête en fronçant légèrement les sourcils. La raideur de son dos et son regard concentré m'intimident un peu. Inconsciemment, je resserre mes bras autour de moi dans un geste de protection.

- Vous vous doutez de ce que je pense de cet événement ? 

- Heu... J'imagine que vous êtes content qu' Ayden ait fait appel à quelqu'un de Live pour se produire sur scène ?

- C'est bien plus que ça ! Vous vous rendez compte de ce qu'il pourrait apporter à Live ? Et inversement, de la visibilité qu'il obtiendrait en signant chez nous ? Je suis plus que content, Mélanie. J'ai laissé Ayden me faire subir ses frasques en espérant qu'il finisse par accepter ma proposition, et je vous avoue que j'avais perdu espoir d'obtenir gain de cause. Mais en fin de compte, il lui fallait peut-être simplement quelqu'un comme vous !

Je ne la sens pas, cette affaire. Le poids qui pèse soudain sur mes épaules me fait rentrer à l'intérieur de mon siège. 

- Chuck... Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

Je dois vraiment avoir l'air ahuri : Chuck éclate d'un rire sonore et me lance un regard compatissant qui ne lui ressemble pas du tout. 

- Rassurez-vous : rien de plus que ce que vous ne faites déjà. Soyez là quand Ayden aura besoin de vous, c'est tout ce que je vous demande. 

- Je ferai de mon mieux, dis-je avec un sourire pincé. 

- Dans ce cas, c'est réglé, répond-il en frappant doucement le bureau d'une main. Vous pouvez disposer. Et merci. 

- Merci à vous !

Ouf! C'est fini. Je m'attendais quand même à pire... Chuck m'intimide tellement que je me demande toujours ce qui va me tomber dessus. 

Il se lève et me contourne pour quitter la pièce, mais je sais que je n'en ai pas fini : il va falloir que j'affronte Erin, bien plus perspicace que mon patron en ce qui concerne Ayden. Comme je m'y attendais, elle ne me laisse pas le temps de m'asseoir :

- Je veux tout savoir. Comment c'était ? Qu'est-ce que vous avez fait ? Est-ce qu'il t'a mal parlé ? Et pourquoi il voulait que tu sois là ?

Je l'arrête en levant les mains. 

- Waou, encore plus de questions ! C'est bon, je peux répondre ?

Erin ouvre de grands yeux rieurs. 

- Vas-y. Je suis toute ouïe. 

Pour la énième fois, je raconte le concert à Erin et la raison pour laquelle Ayden voulait que je sois là. 

- Tu m'avais caché ça ! me taquine-t-elle quand elle apprend l'effet qu'a eu Ayden sur moi au studio. Je t'aurais pas jugée, tu sais. On a l'habitude des émotions, ici. Sauf Chuck, peut-être, rit-elle. 

L'allusion à la froideur du boss me fait sourire. 

- Et... c'est tout ? 

La petite moue dubitative qu'elle arbore maintenant en dit long sur ses pensées. 

- Ben oui. Tu t'attendais à autre chose ? 

Son sourire espiègle ne me dit rien qui vaille. Elle reprend, les sourcils légèrement froncés :

- Ou tu ne me dis pas tout, ou il y a un problème, rit-elle.

- Un problème ? Pourquoi ?

- C'est pas normal qu'il n'ait pas essayé de te ramener chez lui ! 

J'élude :

- Il m'a juste raccompagnée chez moi. Et peut-être que je ne l'intéresse pas. 

- Ah, tu me rassures, sourit-t-elle avec un air exagérément soulagé. Il ne t'a pas tout à fait laissé partir comme ça ! 

Non, ça, c'est sûr... L'envie soudaine de sentir à nouveau son regard sur moi me déconnecte un instant et pose sur mes lèvres un sourire timide qui n'échappe pas à ma perspicace collègue :

- Fais attention à toi.

- Pourquoi me dis-tu ça?

- Mel... Je suis pas née de la dernière pluie. Tu crois que je n'ai pas remarqué la tension entre vous ? Et tu crois que c'est le genre d' Ayden de monter sur scène subitement ? Et en plus d'appeler une stagiaire pour l'épauler ? Chuck est peut-être naïf, mais pas moi. Et je crois que ce qu' Ayden veut, c'est toi. 

- Pffff... N'importe quoi ! 

- On verra bien. En attendant, je veux pas te mettre la pression, mais si tu envisages une seule seconde de faire quoi que ce soit avec lui, tu sais qu'au bout, il y a Chuck. Ne fais pas de conneries si tu espères rester chez nous. Ça peut vite mal tourner. 

- Mais je n'envisage rien du tout ! Il m'a demandé d'être là, j'étais là, c'est tout !

Erin ne poursuit pas la discussion : elle esquisse simplement un sourire entendu et se lève pour nous préparer un café. Pendant que j'ai enfin le temps de poser mes affaires, elle me raconte son week-end avec sa fille. L'absence de son mari, en mission, a l'air de lui peser. Comme je la comprends !

Ce début de semaine passe à une vitesse incroyable. Erin est sur les dents, on attend U2 au Madison Square Garden vendredi prochain, et il faut tout organiser. Vingt-et-un mille personnes, c'est un gros challenge... Je n'ai plus vraiment le temps de réfléchir, et c'est tant mieux. Le mercredi soir, Dan m'attend en bas de la 42ème pour aller manger indien. Il fait très doux, et je suis harassée de fatigue après avoir passé une bonne cinquantaine de coups de fil aujourd'hui. Heureusement, le resto dont m'a parlé Dan n'est qu'à quelques minutes à pieds à peine. 

Juste avant d'entrer, je sens mon téléphone vibrer dans mon sac. 

- Salut Mel, c'est Cassie, ça va ? 

Je suis contente de l'entendre, je n'ai pas eu le temps de lui donner des nouvelles depuis dimanche. 

- Ça va très bien, et toi ?

- Impec', me répond-elle, aussi survoltée qu'à son habitude. Je voulais savoir, tu fais quelque chose ce soir ?

- Je vais manger avec un ami. Pourquoi ?

- J'ai prévu une petite soirée à la maison. Vraiment petite, je sais qu'on est en semaine et que les gens normaux travaillent, rigole-t-elle. Mais je me suis dit que tu pourrais peut-être passer ? Avec ton ami... ?

- Dan. Attends, je lui en parle. 

Dan accepte l'invitation sans hésiter. Sociable comme il l'est, ça ne m'étonne pas une seconde. Je reprends à l'adresse de Cassie :

- On mange et on arrive. Tu m'envoies ton adresse ?

- Bien sûr ! Ça me fait super plaisir de te voir. A toute, bon appétit !

Un peu plus tard, je me régale d'un poulet Tandoori pendant que Dan me raconte sa soirée de boulot de la veille. Il a vu Emily, toujours aussi nostalgique de ses nuits avec Ayden. Il semble très en colère.

- Elle me rend dingue avec cette histoire. Je ne sais pas comment faire pour qu'elle ouvre les yeux sur lui. 

Il répond à la question qui me brûle les lèvres avant même que j'aie le temps de la poser. 

- Il était là hier soir. Il l'ignore toujours autant. 

Je me mords la langue pour ne pas poser plus de questions. 

- Ah oui ?

- Ouais. Mais c'était bizarre. Il a passé toute la soirée assis avec le mec de la dernière fois. Du coup, Emily a repris espoir, me dit-il avec un regard peiné. 

Zack. Sans que je comprenne pourquoi, cette nouvelle me soulage. J'ai de la peine pour Dan, par contre. 

- Toi aussi, tu devrais lâcher l'affaire, dis-je en posant une main que j'espère réconfortante sur son bras. Emily a l'air d'être une cause perdue...

 Son regard flou se perd dans le vide.

- Ouais... Je vais y penser. 

Un demi-sourire triste accompagne ses paroles. Je coupe court, ne voulant pas gâcher l'ambiance agréable de notre repas. 

- Bon, on y va ? Cassie nous attend. 

L'addition réglée, nous retournons à l'extérieur. En cette fin du mois de septembre, la fraîcheur encore timide du début de soirée me fait du bien.

L'appartement de Cassie est à trois blocs de là, Dan et moi n'avons donc que quelques minutes de marche pendant lesquelles il me pose un tas de questions sur les habitudes de vie à la française. Son imitation du français moyen, pour lui dragueur et alcoolique, déclenche chez moi quelques fous rires mémorables.

Ce qu'il y a de fantastique avec Dan, c'est que même quand je n'ai pas le moral, il arrive toujours à me faire oublier mes soucis. Sa gentillesse sans bornes a le don d'apaiser mes angoisses. Et je lui suis extrêmement reconnaissante d'avoir évité le sujet Ayden ce soir. 

Quand nous arrivons devant l'immeuble de Cassie, il fait presque nuit noire. Plusieurs fenêtres sont éclairées, mais on distingue mal les contours du bâtiment.

Au moment où mon doigt se pose sur l'interphone, Dan m'attrape le bras.

- T'es sûre qu'elle est sympa ?

Je ris doucement en hochant la tête.

- Bien sûr. Elle est très gentille. Et elle est peut-être célibataire, tu sais ?

Ils seraient mignons tous les deux, j'en suis sûre. Dan lève les yeux au ciel en soupirant. 

- Ne commence pas à essayer de me caser avec  tout Manhattan, s'il te plaît, m'assène-t-il en me tenant la porte de l'immeuble pour me laisser entrer. 

En passant devant lui, j'esquisse une révérence moqueuse. 

- Bien Monsieur. Tout ce que Monsieur voudra. Y-a-t-il autre chose que je puisse faire pour Monsieur ?

La déférence forcée dans ma voix lui arrache une grimace sarcastique. Arrivé devant l'ascenseur, il me rétorque gentiment :

- Si je passe une mauvaise soirée par ta faute, tu vas me le payer très cher.

De très bonne humeur, Dan et moi poursuivons joyeusement notre petite joute verbale jusqu'au troisième étage. C'est agréable de rire avec quelqu'un comme lui, sans se poser de questions. 

Quand je frappe au numéro 312, Cassie nous accueille avec un cri de joie et me prend immédiatement dans ses bras. J'étouffe un rire au moment où je me libère de son étreinte : Dan est complètement subjugué par les magnifiques cheveux blond platine de Cassie, qui retombent librement dans le creux de son dos. Il la salue timidement. 

Avec son entrain habituel,  elle lui lance un "Hey! Je m'appelle Cassie!"  et s'approche de lui pour le serrer dans ses bras. Dan me regarde en coin et vire au rouge écarlate. Ça lui va bien au teint... Il pose timidement les mains sur ses épaules, sans cesser de me chercher du regard. Je n'aurai pas imaginé qu'il puisse être déstabilisé si facilement. 

Cassie s'efface pour nous laisser entrer dans un petit couloir étroit et mal éclairé. Par dessus un fond sonore dont le volume est raisonnable pour un mercredi soir, je distingue plusieurs voix qui m'indiquent que nous ne sommes pas les premiers arrivés. Dan sur mes talons, je parcours les quelques pas qui me séparent de ce qui doit être le salon. 

Cinq paires d'yeux se tournent alors vers moi. Mon regard capte immédiatement l'intensité bleue de l'une d'entre elles, la seule que je ne voulais pas voir ce soir. Interdite, je marque un temps d'arrêt qui force Dan, qui me suit toujours, à me bousculer. Je le remarque à peine, hypnotisée par le regard attentif d'Ayden. 


Hey! pour une fois je suis à l'heure ce soir... J'ai posté avant minuit XD ! J'espère que vous allez bien... Encore une fois merci à toutes les personnes qui prennent le temps de me lire, vous êtes de plus en plus nombreux et à chaque fois ça me touche énormément. 

A samedi donc...

Des bisous verts, la couleur de la paix. 


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