30. High Line
Le lendemain matin, je me réveille de très bonne humeur. Jusqu'à ce qu'une seconde plus tard, une boule énorme se forme dans ma gorge quand je me rappelle les événements de la veille. Je n'ai pas eu le courage d'appeler Théo en rentrant, et aujourd'hui il faut que je le fasse. Ma conscience me hurle de tout lui dire, mais je ne peux pas m'y résoudre. Je ne sais même pas ce qu' Ayden est pour moi, encore moins ce que je représente pour lui. Quelle importance donner à ces moments volés ? Est-ce que je dois les enfermer très très loin dans mes souvenirs ou leur accorder un réel impact sur ma vie ? Je n'en ai pas la moindre idée.
Je suis venue à New-York pour respirer... Et au lieu de ça, j'étouffe, je me noie sous une montagne de sentiments que je n'attendais pas. Depuis cinq minutes, je retarde l'échéance, en regardant le bouton vert de mon téléphone avec frayeur. Incapable d'aller jusqu'au bout, je finis par composer le numéro de Dan qui décroche rapidement.
- Hé, salut... marmonne-t-il.
- Ah, on dirait que c'est moi qui te réveille cette fois !
- Oui... Tu vas bien ?
- Oui... non. J'en sais rien. J'ai besoin d'air...
- Toi, tu m'as tout l'air d'avoir des choses à me raconter, poursuit-il. Tu veux qu'on se retrouve quelque part ?
Je soupire. Dan est vraiment trop gentil.
- En fait, j'avais prévu d'aller me balader sur la High Line aujourd'hui. Tu veux bien m'accompagner ?
- Evidemment. J'ai trop hâte de savoir ce que Monsieur Connard a encore fait.
Le nouveau surnom dont Dan affuble Ayden m'arrache un sourire.
- Dan...
- Il a gâché mon match hier, ça me donne le droit de dire ce que je veux à son sujet, rit-il.
- Un point pour toi.
Dan et moi convenons de nous retrouver en début d'après-midi au Whitney Museum pour remonter jusqu'à Times Square après notre ballade sur la High Line.
Je raccroche en soupirant. Encore. J'ai l'impression de ne faire que ça. Des souvenirs d'hier soir s'imposent à moi fugacement dans mes activités matinales : sous la douche, en appelant ma mère, quand je mets la table. Je revois le visage d' Ayden près du mien, j'ai l'impression de pouvoir encore sentir ses mains sur moi, la chaleur de son corps contre le mien... Ça devient insupportable.
La seule et unique bonne surprise de la matinée, c'est que j'ai reçu un texto de Cassie ce matin pour me dire qu'elle était contente qu'on se soit rencontrées. Elle s'est sûrement débrouillée pour récupérer mon numéro par Erin. Son message, auquel j'ai vite répondu, m'a touchée. Je me dis que je pourrai peut-être faire un truc avec elle dans la semaine, la complicité entre filles me manque. Avec Erin et Tara, ce n'est pas tout à fait pareil, elles sont un peu plus âgées, je les considère plus comme des grandes sœurs. Et puis j'aime bien Cassie, ses fringues grunge et sa personnalité débridée. Elle me fait penser à Léa, le style vestimentaire en moins.
Quand je débarque dans le salon, Tara est en train de peindre. Après les politesses d'usage, je choisis un livre dans l'immense bibliothèque et m'installe dans le canapé. Ça me fait du bien, en l'espace de quinze jours, je n'ai même pas eu le temps de me poser dedans. Je n'arrive pourtant pas à me détendre, ni à me concentrer sur ma lecture. Du coin de l'œil, je remarque que Tara me regarde bizarrement à plusieurs reprises. Au bout d'un moment, sans cesser de peindre, elle me demande d'une voix inquiète :
- Tu es sûre que tout va bien ?
- Oui, oui, ça va. Juste un peu fatiguée !
Ma voix est hésitante, et je suis certaine qu'elle l'a remarqué.
- Tu sais, si tu as besoin de parler... Je suis là.
J'acquiesce en souriant.
- T'en fais pas, tout va bien. J'ai eu une soirée un peu mouvementée.
- Oh. J'ai cru que tu avais le mal du pays. Tu as un rythme pas facile, depuis quinze jours... Et avec Théo, ça va ? Vous gérez bien la distance ?
Tara me prend de court. Son innocente question fait resurgir toute la culpabilité que j'essaie de refouler du mieux que je peux et les larmes me montent aux yeux. Elle pose immédiatement son pinceau et s'assied à côté de moi, une main réconfortante sur mon épaule.
- Oh, Mel...Qu'est-ce qui t'arrive ? Il a fait quelque chose ?
Mes pleurs redoublent. Entre deux sanglots, je hoquette :
- Non, non... Ce... Il n'a rien... C'est moi. C'est moi qui déconne.
Et je lui raconte tout depuis le début, sans omettre aucun détail.
Tara a l'air un peu surprise, mais je ne vois aucune trace de jugement dans ses yeux quand je relève la tête pour essuyer mes larmes. Elle semble seulement en pleine réflexion.
- Tu sais, essaie-t-elle de me rassurer, ce genre de choses là arrivent. Parfois, tu as beau aimer quelqu'un de toutes tes forces, ton corps prends le dessus pour te montrer un autre chemin.
- Mais je ne veux pas que ça arrive ! m'écriai-je en serrant les poings. Je ne veux pas. J'aime juste... Quand il chante... il est différent. C'est bizarre a expliquer... j'y comprends rien. Pourquoi ça m'arrive a moi ? Qu'est ce qui ne va pas chez moi ?
Tara soupire.
- Rien ne va mal chez toi. Tu es juste... un peu perdue. Laisse toi le temps d'y voir clair. Allez, parle moi de ton Ayden.
- D'abord, c'est pas mon Ayden. C'est celui de la moitié des nanas de New York. Et c'est pas quelqu'un pour moi. Vraiment pas.
Le regard de Tara se fait scrutateur.
- Explique-moi ça.
- Il est arrogant. Et égoïste. Et non content de ça, il fait du mal aux gens sciemment. Et il s'en fout.
- Est ce qu'il t'a fait du mal à toi ?
- Oui...
- Mais ?
- Mais je ne vois plus que lui. Je pense à Théo, et j'ai mal, mais quelque chose me pousse vers lui. Je voudrais qu'on reste amis, mais je ne sais pas si j'en suis capable.
Tara reste un moment silencieuse, son bras enserrant mon dos.
- Tu dois te laisser du temps. Si tu veux un bon conseil, ne précipite rien. Je serai à ta place, je ne dirai rien à Théo tant que tu ne sais pas exactement où tu en es. Tu es peut-être juste perturbée par ta nouvelle vie. Et si c'est plus que ça, tu le verras vite.
- Mais...
- Mais rien du tout, me coupe Tara d'un revers de main. A quoi te servira ton honnêteté ? A part à vous rendre malheureux tous les deux alors que vous êtes sur deux continents différents ? Je ne suis pas en train de t'encourager dans cette relation avec Ayden, seulement à mettre de l'ordre dans tes idées. Je ne dis pas que ce que tu as fait est bien, ou mal. Seulement que tu ne peux pas réagir à chaud parce que tu culpabilises.
Est-ce que Tara a raison ? Je me vois mal cacher à Théo ce qui se passe, mais je peux peut-être me laisser un peu de temps.
- Ok. Je vais réfléchir.
Rassérénée, je lui adresse un sourire de gratitude. Ça me fait tellement de bien de lui parler. Heureusement que je l'ai.
- De rien, me répond-elle. Je te l'ai déjà dit, ne reste pas avec des problèmes de ce genre sur le cœur. Je ferai ce que je peux pour t'aider, chaque fois que tu en auras besoin.
Cette discussion avec Tara m'a fait retrouver quelques notions de bon sens, j'ai donc décidé de suivre son conseil et d'attendre. J'ai appelé Théo, avec un léger pincement au cœur, mais j'ai réussi à faire abstraction des événements d'hier. Sa voix m'a fait du bien, comme toujours, et je me suis arrêtée sur cette sensation. Après tout, ça ne fait que très peu de temps que je suis là. Je ne peux pas prétendre que je ne ressens rien pour Ayden, mais je connais mes sentiments pour Théo. Et ils n'ont pas changé. J'espère juste que j'aurai la force de résister assez de temps pour que cette attirance s'efface.
Du coup, mon après-midi avec Dan est beaucoup plus légère que prévu. Je me félicite d'avoir voulu découvrir la High Line, cette ancienne ligne de train suspendue transformée en promenade. Cet endroit verdoyant et chargé de l'histoire de la ville a un côté très poétique.
Sous le soleil, je me sens beaucoup mieux, j'accumule assez d'ondes positives pour ne plus craquer. Dan me raconte la fin du match avec un enthousiasme sans bornes pendant que nous remontons la promenade, et je m'excuse encore de l'avoir laissé tomber. Je vois bien qu'il comprend, malgré son aversion pour Ayden. Je lui raconte ensuite ma soirée, la gentillesse de Cassie, et le plaisir que j'ai pris à voir Ayden sur scène. Dan m'attend au tournant, je le vois à sa façon de me regarder. Quand j'évoque l'épisode du taxi, il me fixe avec de grands yeux ronds.
- Tu crains, m'assène-t-il.
- Je sais. On a décidé d'être amis.
Dan pique un fou rire.
- Amis ? Sérieusement ?
Gagnée par sa bonne humeur, je lui assène un coup sur le bras.
- Arrête !
- Ok, ok. Promis, je ne me moquerai pas de la nouvelle amie d'Ayden.
En soupirant, je m'explique tant bien que mal.
- Dan... C'est tout ce que j'ai trouvé pour le moment. Je fais ce que je peux.
Dan respecte mon point de vue, ou du moins, il essaie, et nous ne nous attardons pas sur le sujet. Je sais qu'il ne porte pas Ayden dans son cœur, et je le remercie d'autant plus de l'écouter et d'être là pour moi. Je ne lui raconte pas la version qu' Ayden m'a fournie à propos d' Emily, je ne veux pas mettre d'huile sur le feu pour le moment. Entre fous rires et confidences, je passe un excellent après-midi. Grâce à lui, je refais le plein d'énergie et de confiance. C'est vraiment un type génial, j'ai de la chance de l'avoir rencontré.
A la fin de la journée, je suis presque sereine. Grâce à Tara et Dan, je n'ai presque pas pensé ni à Ayden ni à Théo de toute la journée. J'ai essayé de profiter de chaque minute sans me torturer, pour changer. Et ça m'a fait un bien fou. Pour couronner le tout, Tara nous sert au dîner un plat de lasagnes à la ricotta, dont elle sait que je raffole.
Après une nuit reposante, la première depuis longtemps, je passe la porte de mon bureau pleine d'énergie et de bonnes résolutions. Ayden est un ami, j'aime Théo et je bosse pour Live Nation. Ma vie est parfaite. Je salue Chuck d'une voix enjouée avant de remarquer que ses bras sont croisés sur sa poitrine. Le regard aigu, il semble m'attendre de pied ferme.
- Bonjour, Mélanie. Asseyez-vous.
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