27. Heavy Night
Debout sur le trottoir, je fixe le bout de la rue sombre. Je sens le regard d' Ayden sur mon dos, comme une légère brûlure qui m'empêche d'oublier sa présence. Je ne veux pas me retourner, je ne suis pas encore en mesure d'avoir une discussion cordiale. Pour être honnête avec moi-même, je pense que j'ai un peu exagéré de réagir comme je l'ai fait. Mais sa question m'a prise de court, et je n'ai pas aimé me sentir gênée de parler de Théo. D'habitude, au contraire, j'ai tendance à le mettre en avant.
Mais d'habitude, tu n'embrasses pas d'autres personnes que lui.
Conscience, merci de partir en vacances. Et ce putain de taxi qui n'arrive toujours pas...
Les véhicules défilent sous mes yeux, mais pas de couleur jaune à l'horizon. Pour passer le temps et oublier ma contrariété, j'observe les passagers en essayant d'imaginer ce qu'ils font dans la vie et l'endroit où ils se rendent. J'adore ce jeu, j'y ai initié ma sœur dès qu'elle a été en âge de le comprendre. C'est un très bon moyen de développer l'imagination, et il arrive que ce soit très drôle. Un vieux monsieur moustachu, une cigarette aux lèvres, qui conduit une Honda d'au moins la moitié de son âge, m'arrache un sourire. Au moment où un jeune couple en train de se disputer attise ma curiosité, la voix dure d' Ayden m'arrache à ma contemplation.
- T'es vexée ?
Je me retourne pour lui faire face.
- Non.
J'aimerais que ma voix soit un peu moins hésitante.
- Mais si, tu l'es, insiste-t-il.
Je puise toutes les réserves de self-control qu'il me reste en soupirant profondément :
- Non, Ayden, je ne suis pas vexée. C'est juste... Tu me forces la main en passant par Chuck pour venir te voir un samedi soir, alors que la veille tu t'es comporté comme le dernier des cons et qu'en plus j'avais des projets. Je ne dois pas te poser de questions, mais toi, par contre, tu as tous les droits. Je ne sais jamais à quoi m'attendre avec toi, et ça me rend dingue.
Je suis à bout de souffle, mais lui parler de ce que je ressens est nécessaire si nous devons continuer à travailler ensemble.
- J'ai mes raisons, élude-t-il.
- Qui sont.... ?
- Mes raisons.
Putain, mais c'est pas vrai ! Ce n'est pas possible, on ne va pas y arriver.
- Tu vois ? Ça, c'est le genre de trucs que je supporte pas. Pourquoi tu ne veux pas m'expliquer ? Je suis trop débile pour comprendre ?
La véhémence qui s'empare de moi fait voler mes cheveux dans tous les sens. Je me suis mise à parler avec les mains, signe qu'une fois de plus, Ayden est en train de me faire perdre mes moyens.
Ses yeux me fixent avec colère. Les sourcils froncés, il franchit les deux pas qui nous séparent au moment où je m'y attends le moins.
Il pose une main sur ma joue et relève mon visage. Ses yeux agacés scrutent intensément mes lèvres.
- Est-ce que tu es sûre...
La main qui se pose sur ma taille me coupe le souffle.
- ... que tu veux connaître mes raisons ?
Je recule d'un bond, décontenancée. Sur ma joue, la trace de sa main a laissé derrière elle des milliers de fourmillements chauds. Je le fusille du regard, les deux mains sur les hanches. Apparemment, la présence de Théo dans ma vie ne l'arrête absolument pas.
- C'est ton moyen de ne pas te justifier ? C'est comme ça que tu les fais tomber dans le panneau, d'habitude ?
L'éclat de rire qui secoue subitement Ayden me laisse interdite. Je ne vois pas ce que j'ai dit de drôle.
- Tu... tu sais..., me dit-il en reprenant son souffle, je n'ai pas besoin de faire quoi que ce soit pour "les faire tomber dans le panneau", comme tu dis. Il me suffit de claquer des doigts, en général.
L'entendre parler de façon aussi méprisante de toutes ces filles fait bouillir mon sang dans mes veines.
- Comment tu peux parler de cette façon, Ayden ? Ça ne te fait rien de te servir de toutes ces filles ?
- Je ne dis que la vérité. Je n'y peux rien, c'est comme ça. Tu peux me croire, je leur dis toujours que ça ne veut rien dire pour moi. J'essaie d'être honnête.
- Ah oui ? Comme avec Emily, par exemple ?
Je ne peux pas m'empêcher de poser la question.
- C'est qui, Emily ?
Ah. D'accord. On en est là...
- Tu te rends compte, tu ne te souviens même pas de son nom ! Emily est une des serveuses qui fait les soirées chez Live.
- Ah, cette Emily... Oui, on a passé quelques bonnes soirées. Jusqu'à ce qu'elle veuille passer le week-end chez moi. Je l'avais prévenue que ça n'arriverait pas, alors je lui ai demandé de partir. Je ne veux pas de ces trucs là. C'est pas fait pour moi.
- Mais tu te rends compte du mal que tu lui fais ? Tu t'affiches avec d'autres sous son nez !!!
- Oui. Parce que je veux qu'elle comprenne. Rien qu'aujourd'hui, elle m'a encore appelé trois fois.
- C'est pas une raison. Tu peux lui faire comprendre d'une autre manière.
- Putain, mais tu crois que j'ai le temps pour ça ? Emily est majeure, responsable, et elle savait ce que ça impliquait. Elle a aucune excuse, en plus, elle savait comment je suis.
- Et donc, ça ne te gêne pas de faire du mal aux autres, du moment que pour toi, tout va bien ?
- En gros, c'est ça.
J'en reste sans voix. Comment peut-on être aussi égoïste ? D'un côté, il a le mérite d'être honnête. Mais comment peut-on être insensible à ce point ? Il faut que je mette les choses au clair.
- Ok. Ça te regarde. Mais s'il te plaît, je voudrais que tu oublies l'idée de m'accrocher à ton tableau de chasse. Je suis avec quelqu'un que j'aime. Si toi, ça ne te dérange pas de blesser les gens, on n'est pas tous pareils.
Mon ami le sourire en coin fait son grand retour, et Ayden se rapproche dangereusement de moi.
- Je ne veux t'accrocher nulle part.
Au moment où je pense devoir encore battre en retraite, un taxi se gare contre le trottoir. Soulagée, j'ouvre la portière passager. Ayden fait le tour de la voiture. Avant qu'il ne monte, je lui lance :
- Tu sais, tu n'es vraiment pas obligé de m'accompagner !
Un sourire moqueur se dessine sur son visage.
- Arrête, je sais que tu en rêves toutes les nuits !
Je monte dans la voiture, un sourire désabusé aux lèvres. Dans le silence qui s'ensuit, j'essaie de réfléchir à la discussion qu'on vient d'avoir. La première. Je ne sais pas si je dois apprécier Ayden pour son honnêteté ou le détester pour son arrogance. Il est tellement... complexe. Bercée par le ronronnement du moteur, je pose ma tête contre la vitre en fermant les yeux. Je ne veux plus avoir conscience de sa présence à mes côtés. Bien entendu, il en décide autrement.
- Ça va ? me demande-t-il.
- Oui. J'ai juste un peu mal à la tête.
Je ne mens qu'à moitié. La soirée a été intense, et je commence à peine à me détendre.
- Viens. Je vais te masser les tempes.
Je le regarde, incrédule. Il rit. Il est tellement beau quand il rit.
Arrête.
- Allez, viens, je vais pas te manger !
Dans l'obscurité, son sourire espiègle me fait céder. Après un regard au chauffeur impassible, je me tourne légèrement de façon à ce qu'il puisse essayer de faire un miracle sur les pulsations lancinantes qui remontent de ma nuque. Tant bien que mal, il change lui aussi de position.
Quand il pose le bout de ses doigts sur mon crâne, je suis tellement tendue que j'ai envie de rire. Cette situation est complètement déstabilisante. Mais ça ne dure pas longtemps : au fur et à mesure que ses mains explorent mon cuir chevelu en décrivant de petits cercles, mes yeux se ferment et je n'ai qu'une envie : qu'il continue. Finies les questions, au moins pour ce soir.
Je l'entends parfois bouger ses jambes, et un instant l'idée m'effleure qu'il ne doit pas être dans une position très confortable, mais je m'en fous. Disons qu'il me doit bien ça.
Aussi flasque qu'une marionnette, je penche la tête en avant en soupirant de satisfaction quand il s'attaque à ma nuque. Les doigts d' Ayden sont aussi magiques que sa voix.Encore un peu, et je ronronne. Emportée par la douceur de ses gestes, je ne réalise que trop tard qu'ils se transforment peu à peu en caresses légères sur mes épaules et mon cou. Je devrais m'offusquer, mais le signal d'alarme qui arrive jusqu'à mon cortex ne retentit pas, je suis bien trop concentrée sur les frissons qui s'emparent de moi. Le chemin qu'il trace avec lenteur jusqu'à mes clavicules ne m'effraie pas non plus.
Mon corps enivré de caresses ne m'obéit plus, et sans que je m'en rende compte, ma tête penche doucement vers l'arrière, comme pour offrir à Ayden quelques centimètres carrés de plus à dorloter. Je me cogne doucement contre son torse. Son odeur entêtante parvient à mes narines et j'enfouis mon visage dans son cou, me plongeant un peu plus loin dans l'interdit. Depuis quelques minutes, on est très loin du massage innocent. Mais je ne peux pas me résoudre à l'arrêter. Les sensations sont telles que j'en perds le souffle, pleinement consciente des violents battements de mon cœur et de la chaleur qui se niche au creux de mon ventre.
Quand mes lèvres s'aventurent doucement dans son cou, sa main se crispe sur mon épaule. La douceur de sa peau contre ma bouche accélère ma respiration. Ses mains, jusqu'à présent posées sur mes épaules, se déplacent jusqu'à mes hanches. De très loin dans ma bulle, je l'entends lourdement soupirer en resserrant son étreinte autour de moi.
Je me décale légèrement pour pouvoir parsemer de baisers chaque parcelle de son cou. Son odeur est une vraie drogue, je ne pourrai plus jamais m'en passer. Quand mes lèvres atteignent sa mâchoire carrée, j'ai vaguement conscience que je vais bien trop loin, encore une fois. Mais je chasse très vite cette pensée quand sa bouche se pose avidement sur la mienne.
Terrassée par la vague de chaleur qui me traverse, je retrouve avec bonheur des sensations que je connais déjà mais qui n'ont rien perdu de leur force. Quand il mordille doucement ma lèvre inférieure, il me semble que je vais tomber au fond d'un gouffre dans lequel il n'existe plus que lui et la sensation de sa bouche sur la mienne. Il joue avec moi, emprisonnant ma lèvre inférieure pour immédiatement la lâcher, me laissant sans oxygène. Je vais tomber. Je l'attrape comme je peux par le cou pour l'empêcher de se soustraire au combat qui se joue, et il me serre plus fort contre lui. Il me rend dingue.
Un raclement de gorge me fait soudain prendre conscience que le taxi s'est arrêté devant mon immeuble. Échevelée et rougissante, je me redresse d'un bond. Paniquée, je regarde Ayden, qui s'est rassis dans une position un peu plus civilisée. Je suis morte de honte, alors que lui ne semble pas affecté le moins du monde par ce moment d'égarement. Il paie ma course, malgré mes protestations véhémentes, et nous sortons du véhicule.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top