25. Pour les yeux
Sans attendre une quelconque réaction de ma part, Ayden passe devant moi et se dirige rapidement vers la droite de la scène. Le public toujours debout m'empêche de le suivre des yeux. Je quitte à regrets mon poste d'observation pour marcher sur ses traces.
Je joue parfois des coudes pour arriver sur le côté de l'estrade que je sens vibrer au son des instruments du groupe, toujours en train de jouer. Après un dernier regard admiratif dans leur direction, je passe une petite porte noire, qui donne certainement accès aux coulisses.
La porte qui se ferme derrière moi étouffe les sons violents dont la salle principale se repaît. La température fraîche du couloir étroit dans lequel j'ai débouché soulage immédiatement la chaleur de mes joues empourprées. Ne sachant pas où aller, je me fie aux éclats de voix étouffées que j'entends un peu plus loin. Le rire de Cassie, reconnaissable entre tous, m'indique que je ne suis pas loin de ceux que je cherche.
Ayden et ses comparses se trouvent dans une petite pièce crûment éclairée par une vieille ampoule nue. Cet endroit ressemble plus à un vestiaire qu'à l'arrière d'une scène. Cassie, assise sur un petit banc de bois, regarde les garçons se changer d'un œil torve. Quand elle m'aperçoit, elle les désigne tous d'un petit geste du menton :
- Voilà pourquoi je déteste ne jouer qu'avec des mecs : je suis toujours obligée de me préparer avant de venir !
Son air contrit me fait beaucoup rire. Effectivement, Nathan est en caleçon devant nous, Zack est en chaussettes et enfile maladroitement un blouson en cuir noir qui lui va à la perfection, et Ayden, torse nu, me tourne le dos. Je ne peux m'empêcher d'arrêter un instant mon regard sur ses épaules carrées et les lignes parfaites dessinées par ses muscles juste au dessus de ses hanches. Cassie me surprend :
- Live est aussi un bon moyen de mater, hein ?
Son rire cristallin attire l'attention d' Ayden, qui se retourne immédiatement. Son regard me transperce. Je baisse immédiatement les yeux, rouge de honte. Zack en rajoute une couche :
- Tu te régales, Mel ? Profites-en, tu es une privilégiée !
Les rires moqueurs qui s'ensuivent me donnent envie de rentrer sous terre.
Je maugrée :
- C'est ça! Prenez vos désirs pour des réalités.
Je me dépêche quand même de rejoindre Cassie sur son petit perchoir de bois, du plus vite que je peux sans que ça paraisse trop louche. Mon regard gêné se promène un peu partout dans la trop petite pièce, excepté sur les garçons. Je ne veux plus risquer la moindre réflexion, c'est trop embarrassant.
Ayden, qui a sans doute compris mon manège, m'oblige pourtant à tourner la tête vers lui :
- Je t'ai déjà vue beaucoup moins sage.
L'idée qu'il puisse faire référence à mots couverts à ce qui nous est arrivé en boîte me fait de nouveau piquer un fard. Son regard intense, braqué sur moi, me laisse penser que je suis sur la bonne piste. A quoi joue-t-il encore ? Il ne me quitte pas des yeux, le menton légèrement penché en avant. Le bleu glacial de ses iris me sonde, et je réprime un frisson avant de détourner le regard, en priant pour qu'il enfile rapidement un tee-shirt.
Autour de nous, personne ne semble faire attention à cet échange muet. Ou alors, personne ne veut y faire attention parce que c'est Ayden, justement. Il est tellement... lunatique! Ce soir, il a été plutôt agréable, du moins jusqu'à présent. Ce brusque changement d'attitude me laisse perplexe. Mais ça me change, pour une fois, je n'ai pas besoin d'être sur la défensive.
Je ne comprends pas très bien ce que je fais là, mais je suis heureuse de découvrir l'envers du décor avec les musiciens. Zack est en train de régler sa basse, Cassie se remaquille devant un grand miroir en chantant, Taylor frappe une batterie imaginaire, ses baguettes en main. Je me sens honorée d'être parmi eux, de pouvoir assister à ces quelques minutes avant leur entrée en scène. Certes, ils ne vont pas jouer devant cinq mille personnes, mais pour moi c'est pareil.
Toute à mon observation attentive des préparatifs, je n'ai pas remarqué qu' Ayden, enfin habillé, s'est assis sur un petit fauteuil à ma droite. Le dos voûté, les coudes sur les genoux, il cache son visage dans ses mains. Même si j'en sais peu à son sujet, j'imagine aisément à quel point c'est dur pour lui de faire ce qu'il s'apprête à faire. Instinctivement, j'éprouve le besoin de le réconforter. Je n'en fais rien pourtant, impossible pour moi de baisser les armes à ce stade, je suis encore trop marquée par la dureté de ses mots. J'observe un moment ses épaules se soulever au rythme de sa respiration, partagée entre l'envie de le prendre dans mes bras et celle, puérile, de lui rappeler que tout se paie un jour, d'une manière ou d'une autre.
Quelle gamine.
Je m'approche de lui et pose furtivement ma main sur son épaule.
- Je peux faire quelque chose pour toi ?
Après tout, c'est mon boulot. Il retire ses mains de son visage et lève vers moi un regard surpris. La gentillesse dans ma voix semble l'étonner. D'ailleurs, elle m'étonne moi-même. Ses yeux sont graves et attentifs.
- Je me concentrais. Ça fait très longtemps que je n'ai pas fait... ça.
Je hoche la tête, l'enjoignant à continuer.
- Quand on va rentrer sur scène, je veux que tu ailles dans le public. Je voudrais que tu observes les réactions des gens. J'ai aussi besoin que tu me dises ce qui est bon et moins bon pendant le concert.
Je suis très surprise.
- Ayden, je ne suis pas une professionnelle de la musique. Je ne peux pas juger ta prestation.
- Je n'ai pas besoin de l'avis d'un professionnel. J'ai Chuck, pour ça. Et comme tu peux le constater, Chuck n'est pas là. Toi, oui.
Je ne peux pas lui avouer que je ne pourrai pas être partiale alors qu'il m'a mis les larmes aux yeux à deux reprises.
- Ok. Je ferai de mon mieux.
- Merci.
Hein ? J'ai mal entendu ? Il connaît ce mot ? Mes réflexions m'arrachent un sourire qu'il remarque aussitôt.
- Qu'est-ce qui te fait sourire ? me demande-t-il, curieux.
J'hésite à garder pour moi mes pensées.
- Toi. Je ne te croyais pas capable de m'adresser la parole normalement.
Il sourit.
- Tout peut arriver dans la vie. Je ne le pensais pas non plus, en fait.
Bien. Je me fiche de savoir comment c'est arrivé, mais si on est capables de se parler sans s'agresser toutes les trois secondes, au moins dans un cadre professionnel, ce sera déjà bien. Décidément, il m'étonne de plus en plus.
Pour toute réponse, je lui adresse un sourire timide. Son regard clair semble tout à coup plus serein. Quand il se relève, des effluves de son parfum me parviennent et je me perds un instant dans le souvenir de ses bras qui me serrent, bien vite chassé par sa voix déterminée.
Tu es irrécupérable.
- Allez, on y va, lance-t-il d'une voix forte.
Il déhousse sa guitare, posée dans un coin, et la tend à Taylor.
- Prends-en soin.
Taylor acquiesce en récupérant l'instrument. Cassie recoiffe une dernière fois ses irréels cheveux blond platine, et rejoins le reste du groupe qui l'attend dans le couloir. Elle est sexy à tomber dans cette tenue.
Devant le petit escalier qui mène sur scène, les applaudissements du public pour le groupe qui vient de terminer son passage nous parviennent avec force. Ayden ferme les yeux, rassemblant son énergie. Zack et Nathan discutent à voix basse, semblant régler quelques derniers détails. Cassie et Taylor se tiennent la main, comme pour s'échanger des forces. Je leur lance doucement:
- A tout à l'heure. Et bonne chance !
Au moment ou je m'éloigne, Ayden m'attrape fermement par le poignet.
- N'oublie pas, me rappelle-t-il sérieusement. Je veux tout savoir.
Brusquement, des exclamations se font entendre dans l'escalier qui nous surplombe. Je lève les yeux et aperçois en même temps qu' Ayden le groupe sortant qui redescend de scène, euphorique.
L'espace d'un instant, son regard est saturé d'angoisse. Je hoche la tête, en espérant mettre dans mon regard toute la force dont il aura besoin, puis je me détourne rapidement pour ne pas rater leur entrée sur scène.
Quand je retourne dans le bar, la chaleur étouffante m'empêche presque de respirer. Le bar est bondé. Beaucoup de gens sont debout, ils n'ont pas dû se rasseoir après la prestation qui vient de s'achever. En jouant des coudes, j'atteins tant bien que mal un espace libre proche de la scène, contre le mur qui jouxte l'entrée du bar. De là, j'aurai une vue imprenable à la fois sur les musiciens et sur les spectateurs.
Je suis complètement euphorique à l'idée de les voir jouer: un sourire incontrôlé s'étire de part et d'autre de ma mâchoire, et je sens une boule d'appréhension remonter dans ma poitrine. Pourvu que tout se passe bien... Je l'espère pour eux, mais aussi pour moi : s'il y a le moindre problème, Chuck risque de me le reprocher. Vu l'attitude d' Ayden ce soir, je ne pense pas que son but soit de me planter, il avait l'air de vouloir sincèrement que je sois là, mais si quelque chose se passe mal, c'est à moi que mon boss demandera des comptes.
Je me ronge les ongles, tendue à l'extrême. Un concert de cris et d'applaudissements me fait relever la tête. Ils sont là. Ou plutôt, il est là. On ne voit que lui. Il rentre sur scène plus souriant et déterminé que jamais. Je retrouve dans sa démarche assurée quand il se plante derrière le micro la désinvolture qui le caractérise tant. Ayden est libre, à nouveau. Il attrape le micro et s'adresse au public d'une voix claire:
- Bonsoir, je m'appelle Ayden Harrington, et j'espère qu'il vous reste un peu d'énergie, parce que j'ai envie de vous faire bouger!
Taylor lance les hostilités derrière sa batterie, bientôt rejoint par les autres. Je ne connais pas la chanson, mais elle me donne immédiatement envie de danser. Ayden se lance dans le premier couplet, balayant la salle du regard. J'observe le public, qui semble d'abord sonné par son grain de voix envoûtant. Incapable de tenir plus longtemps, je reporte mes yeux sur lui, fascinée par son regard lointain.
Au refrain, il tient la salle dans le creux de sa main. La majorité des filles a les yeux fixés sur lui. Moi comprise, bien entendu. Il occupe tout l'espace, tantôt en jouant avec le public, parfois perdu très loin dans sa chanson. Son énergie est incroyable. Comme je m'y attendais, un tonnerre d'applaudissements retentit quand la musique s'arrête. Zack et Ayden échangent des sourires de connivence.
Ces deux-là me semblent vraiment se connaître par cœur et s'apprécier énormément. Un instant, je pense à Dan, qui déteste Ayden, et la culpabilité de m'amuser autant après avoir dû l'abandonner refait surface. Il faut absolument que je prenne de ses nouvelles demain. J'espère au moins que les Mets ont gagné.
Chassant de mon esprit ces pensées désagréables, je reporte mon attention sur Ayden, toujours aussi à l'aise sur scène. J'ai l'impression qu'il pourrait chanter des heures durant. Sur son visage, je lis la plénitude de provoquer autant d'euphorie dans le public. Les chansons s'enchaînent sans que je voie le temps passer. J'ai beau essayer de me concentrer pour trouver au moins un point négatif, comme il me l'a demandé, je n'en vois pas. Sa voix magique emporte tout sur son passage, il irradie et transmet sa chaleur à travers toute la salle.
Après un morceau particulièrement apprécié du public, Ayden s'écarte sur le côté pour laisser tout l'espace à Cassie qui joue les premières notes d'un émouvant solo. Je reconnais alors la chanson qui a failli me faire perdre pied à plusieurs reprises. Le piano lui donne une profondeur supplémentaire qui me fait frissonner d'avance.
Ayden s'avance au centre de la scène. Contrairement aux minutes précédentes, il ne bouge pas. Les bras le long du corps, il attaque le morceau les yeux fermés, ses deux mains autour du micro. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. Sa voix emplit chaque atome de la pièce, je peux sentir l'émotion qu'elle dégage dans chaque souffle de chaque personne présente. Semblant tout à coup réaliser la portée de sa voix sur l'assistance, Ayden ouvre de grands yeux remplis de douleur.
Je suis certaine maintenant que ce morceau est autobiographique. La douleur qui se lit sur son visage ne peut pas être feinte. Le garçon perdu, c'est lui. Il faut que je sache pourquoi. Alors quand son regard balaie la salle à la recherche de mes yeux humides, je ne cille pas. Je ne le laisserai pas tomber. Je veux savoir.
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre? N'hésitez pas à me le dire, c'est toujours super intéressant pour moi d'avoir votre avis!
Et p**** ce soir on est à quasiment 1K, mais... mais... mais c'est tellement trop bien! Alors voilà, merci, merci, merci, merci, merci, merci, du fond de mon cœur en chocolat... Je vous kiffe tellement, c'est de la folie tout ça !
Des bisous!
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