20. Stop
Pour ne pas me décrocher les rétines à force d'écarquiller les yeux, je détourne le regard, sonnée. La musique ne parvient plus à mes oreilles que dans un brouhaha, je n'entends plus rien autour de moi. C'est écœurant. D'accord, il ne me doit rien, mais là on est au summum de l'humiliation. Tout le monde m'avait prévenue, et je voulais pas y croire, mais là, je suis bien obligée de reconnaître qu'Ayden est un parfait enfoiré.
Putain, j'étais en train de l'embrasser il y a même pas une heure! J'éprouve l'envie soudaine de quitter cet endroit ridicule qui ne me ressemble pas, de prendre le premier avion pour Paris et de rentrer chez moi.
Mais comme ce n'est pas possible, j'attrape une coupe de champagne supplémentaire pour me donner un peu de courage, et je décide une fois encore que rien ne peut m'atteindre. Ça va devenir une véritable philosophie, si ça continue.
Comment il arrive à faire des trucs pareils et à se regarder dans une glace ? Même en imaginant que je n'aie pas d'attaches, pas de scrupules, je serai incapable d'infliger une telle honte à qui que ce soit.
Je me tourne vers Erin :
- Tu viens danser ?
Elle me répond avec entrain, en claquant ses mains sur ses cuisses :
- Ah, quand même! Enfin un peu d'action!
Elle se lève et me tend la main. Je la laisse me tirer en avant et nous progressons au rythme de la musique jusqu'au centre de la piste.
Dans la marée humaine qui nous entoure, déchaînée, je me sens tout à coup protégée. Ici, ni Ayden et ses conneries, ni la culpabilité ne peuvent m'atteindre. Avec Erin, nous dansons jusqu'à l'épuisement, en riant parfois comme des enfants que nous sommes restées. C'est ce que j'apprécie le plus chez elle : elle sait être responsable et solide, et à la fois se lâcher comme si elle avait quinze ans.
Je perds conscience du temps qui passe quand Chuck, complètement désinhibé, nous rejoint sur la piste en compagnie du groupe. Je crois qu'ils sont tous un peu éméchés, leurs regards sont flous, leurs gestes parfois exagérés. Jake se rapproche de moi, les bras ouverts, et m'entraîne dans une comédie de danse qui me fait mourir de rire. Il finit par me soulever dans ses bras et me fait tournoyer dans les airs sous les regards rieurs du reste de notre petit groupe.
Erin est déchaînée, elle enchaîne des chorégraphies qui n'appartiennent qu'à elle, et dont on a l'impression qu'elle les connaît par cœur. Quant à moi, je ne sens plus rien : ni douleur, ni doutes, juste les vibrations de la musique qui me transpercent de toutes parts et résonnent dans mon corps.
Ces instants de répit ne durent pas : un moment plus tard, alors que nous sommes tous à moitié partis dans un autre monde, ma tête se met tout d'un coup a tourner. Je n'ai pas l'habitude du champagne, et je n'aime pas du tout le mauvais goût que je sens dans ma bouche. Vite, un siège... Je retourne tant bien que mal à notre table, pantelante, et m'affale de tout mon poids sur les confortables fauteuils. C'est beaucoup mieux comme ça ! Je me sers un verre d'eau et reprends ma respiration. Je transpire, mes cheveux collent, et je sais aux pulsations que je sens battre dans mes joues qu'elles sont devenues cramoisies. Mais je m'en fous.
De là où je suis, je peux voir Ayden appuyé contre un pilier qui borde la piste de danse, de l'autre côté de la pièce. Il est seul. En me demandant où est passée sa distraction de la soirée, je ne peux pas m'empêcher de promener mes yeux sur son corps qui frise la perfection. J'essaie de déceler une émotion sur son visage. Comment peut se sentir un mec tel que lui ? Je suis folle de rage, mais mon intuition me dit qu'il est bien plus complexe qu'il le laisse paraître. C'est insensé après la façon dont il s'est comporté avec moi, mais je ne peux toujours pas croire qu'une telle sensibilité soit fabriquée de toutes pièces. Il n'a aucun intérêt à se donner un genre, puisqu'il refuse la célébrité à laquelle il pourrait pourtant largement prétendre.
Il semble soudain prendre conscience qu'il est observé et relève légèrement la tête dans ma direction. Nos yeux se croisent et se fixent, mais cette fois je ne baisse pas les miens : j'en ai assez de ses conneries. Et j'en ai assez de me sentir humiliée.
Pour une fois, je ne vais pas m'enfuir. Je me lève doucement pour éviter que ma tête ne se remette à tourner, et je marche résolument jusqu'à lui sans le quitter des yeux. Le sourire en coin est en train de poindre. Non. Je ne veux pas de ça. Je me plante devant lui :
- Est-ce que tu peux m'expliquer ?
Il me rétorque sèchement, une lueur d'amusement dans le regard :
- Que veux-tu que je t'explique ?
Putain, il le fait exprès. Il va me rendre dingue.
- Est-ce que tu as décidé de me rendre dingue ?
Cette fois, il sourit franchement.
- Non, Mélanie, ce n'était pas mon intention.
Ce ton condescendant... jamais il ne s'arrête ?
- Tu n'aurais pas dû m'embrasser. Je suis avec quelqu'un. Que j'aime.
Aucune réaction. Mais au moins, cette fois, les choses sont claires.
- Dans ce cas, tu aurais dû m'arrêter, me répond-il, acerbe. Ça n'avait pas vraiment l'air de te déranger...
Je rêve! Maintenant, c'est de ma faute...
- Arrête, Ayden ! Je ne sais pas à quoi tu joues, mais change de cible, s'il te plaît ! Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour que tu me méprises à ce point ? Tu ne me connais même pas !
J'ai beau essayer de garder mon calme, son agressivité permanente use mes nerfs. Je n'en peux plus d'essayer de savoir à quoi il joue.
Nonchalamment, il me torpille :
- Tu es juste... toi.
Il m'aurait craché dessus, ça n'aurait pas été pire. La violence de ce rejet me donne la nausée. Les nerfs déjà à vif après toutes les émotions de la soirée, je ne peux empêcher de nouvelles larmes de poindre aux coins de mes yeux. Je rends les armes, je ne peux pas. Mon corps s'affaisse, comme s'il voulait se recroqueviller sur lui-même, je baisse les yeux et je fais demi-tour en direction de la terrasse.
Il pleut maintenant des trombes d'eau. A l'abri sous la tonnelle, le bruit de chaque goutte d'eau qui tombe fait taire le vacarme de mes pensées. Je ne sais pas où sont passés les autres, je m'en fous, je veux juste qu'il me laisse tranquille. Comment je vais pouvoir supporter ça ? Il va falloir que je trouve une solution, je ne me sens pas de faire semblant devant Chuck, et encore moins Erin, encore très longtemps.
Je crois que depuis mon père, je n'avais pas subi de rejet aussi abject. Et je ne suis pas venue ici pour ça, je suis venue pour me découvrir, me dépasser, rencontrer des gens différents... Pour le coup, je suis servie ! Un sourire désabusé dévie pendant quelques secondes la trajectoire de mes larmes, qui n'ont pas cessé depuis tout à l'heure.
Pleurer me fait du bien : je ne suis pas plus émotive qu'une autre, mais si je le fais, c'est que j'en ai besoin. Je ne l'ai jamais vu comme une marque de faiblesse, contrairement à beaucoup de gens, au contraire, mes larmes me permettent souvent de rebondir et d'y voir plus clair dans ma tête.
La lassitude s'empare peu à peu de moi, ma colère s'évacue en même temps que les larmes coulent. Au fur et à mesure que les minutes s'égrènent, ma tête se vide peu à peu et le calme revient en moi. Je dois prendre une décision rationnelle et ne plus m'approcher d'Ayden, du moins tant que je n'y suis pas forcée. Le mantra d'Erin revient à mon esprit : rester professionnelle, quoi qu'il arrive. Je ne pourrai pas l'éviter éternellement, et si je ne veux pas de problèmes avec Chuck, je vais devoir le supporter.
Je ne dois plus me poser de questions sur ce baiser. Ayden est apparemment le genre de mec qui fait ce qu'il veut, quand il veut, et il se trouve qu'à ce moment là, il voulait m'embrasser. Fin de l'histoire. Je devrais plutôt me demander pourquoi je suis tombée aussi facilement dans son piège. L'image fugace de son regard bleu sur moi s'imprime dans mon esprit, vite remplacée par le sourire de Théo. Il me manque tellement.
Je suis très loin dans mes réflexions quand une main chaude se pose sur mon épaule nue, au moment où je m'y attends le moins. Une fois de plus, pas besoin de tourner la tête pour savoir à qui elle appartient. C'est comme si mon corps avait enregistré la texture de ses doigts, la pression de sa main, scanné la moindre parcelle reconnaissable de sa peau.
Je me retourne quand même en fronçant les sourcils. Le regard d'Ayden est empreint d'une sorte de... douleur ? Il me scrute attentivement, les sourcils froncés, et me dit d'une voix grave :
- Je suis désolé, Mel. Je suis désolé.
Voilà mes chouchous, ce chapitre est un peu court mais il me paraissait important de l'arrêter là... Celles qui en sont là au moment où j'écris, merci merci merci de lire dès que je poste et de vos commentaires qui me donnent le sourire et la force d'aligner des mots tous les jours ! #Iloveyousomuch #goodnight
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top