2. And here I am
Ça y est, j'y suis. Mes pieds ont touché le sol américain. A chaque pas qui m'éloigne de l'avion, mon corps est transpercé par une énergie nouvelle. Je.suis.à.New-York ! Je n'ai quasiment pas fermé l'œil depuis vingt-quatre heures, mais mon excitation est telle que je ne ressens même plus la fatigue.
J'ai l'impression d'être l'actrice principale d'une comédie romantique qui débarque dans une grande ville et qu'une grande aventure attend. La différence entre moi et cette actrice, c'est qu'elle, elle n'a pas des cernes de trois kilomètres sous les yeux, ni les cheveux en vrac. Elle n'a pas non plus vingt heures de voyage derrière elle, ni des fourmis dans tout le corps. Un peu hébétée, je suis le mouvement et me laisse emporter par le flot de passagers qui quittent eux aussi l'avion, en majorité des hommes en costume et attaché case.
En traversant le long couloir qui me mène au terminal des arrivées internationales, je ne peux m'empêcher de penser avec une pointe de nostalgie à ce qui ce matin encore constituait ma routine : les petits déjeuners bruyants à se disputer le pot de Nutella avec Jules et Sarah, les trajets quotidiens vers la fac en compagnie de Léa et Sam , mon job de serveuse auquel je ne me suis accrochée que pour me payer mon rêve, les instants de magie passés avec Théo, et le nombre interminable d'heures passées à faire des recherches et des démarches sur New-York, Etat de New-York, USA... Et m'y voilà. Pour de vrai. Pincez-moi...
Le troupeau d'hommes en costume me conduit jusqu'au poste de douanes, où on nous fait remplir le traditionnel questionnaire destiné à tous les étrangers venant conquérir un rêve sur le sol américain : la gloire, le pouvoir, l'argent, ou tout simplement quelques souvenirs de ce pays à la démesure renommée. "Etes-vous un terroriste?" Cette question me rappelle les blagues débiles du lycée... "Hé, ton père, c'est un terroriste? Nan? Parce que toi t'es une vraie bombe!" Ça n'a pas l'air de faire rire les douaniers. Mais alors, pas du tout: l'œil aux aguets, les sourcils froncés, les coins de la bouche tordus en guise de sourire, prêts à bondir à la moindre alerte, ils nous fixent sans ciller. Ils me font penser à des félins, sur le qui-vive, à l'affût du moindre mouvement. Je pouffe nerveusement, en rentrant la tête dans mes épaules. Pas vraiment le moment de me faire remarquer.
Trois portiques de sécurité et deux sessions de fouille plus tard, je réponds au moins dix fois d'affilée aux mêmes questions idiotes (comme si j'allais leur balancer que oui, je suis venue passer illégalement des stupéfiants sur le sol américain). Durant l'interrogatoire, digne des plus grands épisodes d'Esprits Criminels, je leur explique que je viens de France pour simplement faire un stage de six mois dans le cadre de mes études. Je me mets en tête de faire sourire au moins l'un d'entre eux et déballe tout l'attirail de séduction à ma portée dans ces circonstances: voix douce, sourires timides, gestes contenus, mais peine perdue, ma tentative d'en dérider un se solde par un échec cuisant. Ils ont dû subir un entraînement spécifique en dix leçons "comment ne pas avoir l'air d'un être humain".
Je ne dois pas avoir grand chose d'une suspecte : après une dernière vérification d'identité, on me laisse traverser une double porte automatique en plexiglas, qui donne sur un autre couloir pavé de gris. Le soulagement m'envahit : cette fois, c'est sûr, je ne risque plus de croupir au fin fond d'une cellule du FBI. Je suis toujours nerveuse lors de ce genre de formalités, un peu comme lors d'un contrôle routier : on a beau savoir qu'on n'a rien à se reprocher, on tremble toujours un peu quand même.
Agressée par la lumière crue de l'immense hall des arrivées internationales, je plisse les yeux, tentant de trouver un point de repère parmi la foule clairsemée. Dans le brouhaha ambiant, je commence à me sentir fatiguée, mon corps est lourd, l'excitation qui s'est emparée de moi à l'atterrissage est retombée et l'immensité du hall de JFK me fait d'un coup paniquer. Je checke machinalement mon portable, espérant qu'un message ou une notification interrompent ma crise d'angoisse naissante. 4h52. Pas de couverture réseau.
En inspirant profondément, je me force à relever la tête pour essayer de trouver un point de repère : sur ma droite, plusieurs écrans annonçant les avions sur le point d'atterrir, au dessus de moi, des panneaux indiquant les différents points d'arrivée. Bon, je devrais m'en sortir. Instinctivement, je me dirige vers le fond du hall, ou de nombreuses personnes immobiles semblent attendre. Je me fraye un passage parmi elles pour trouver l'écran puis le tapis roulant censés me rapprocher de mes bagages, quand une main se posant sur mon épaule me fait sursauter.
« Mel, tu es là ! »
Chris, mon oncle, m'ouvre ses bras. Je suis soulagée qu'il m'ait retrouvée : la sensation d'être seule au milieu de la nuit dans une ville inconnue, à des milliers de kilomètres de ma zone de confort, n'est pas très rassurante, et même si c'est excitant, un visage familier n'est pas de trop dans cette foule. Je n'ai pas vu mon oncle depuis le divorce de mes parents sept ans plus tôt, mais il n'a absolument pas changé : grand, brun, les cheveux coupés courts, et cet incroyable regard vert rieur qui le caractérise tant.
Je me jette dans ses bras à mon tour, cherchant à retrouver une odeur familière. Il y a si longtemps que Chris ne m'a pas tenue dans ses bras, et pourtant, j'ai l'impression que c'était hier. Son étreinte m'apaise presque autant que si elle venait de ma mère. Étourdie par l'émotion et la fatigue, je lâche quelques larmes de soulagement. Chris m'attrape par les épaules et me demande avec enthousiasme, en me secouant presque:
- Comment ça va, ma petite nièce adorée ? Tu ne t'es pas défilée finalement ? Prête à manger New-York ?
- Et comment! je réponds du tac au tac. Merci d'être venue aussi tard, avec mon sens aigu de l'orientation, j'aurais mis deux jours avant d'arriver devant ta porte.
Chris se marre : il connaît parfaitement mon légendaire manque de sens de l'orientation. Lors de sa dernière venue en France, ma mère étant dans un état pitoyable, j'étais censée aller l'accueillir à la gare. C'est lui qui avait fini par me retrouver, deux heures après être descendu du train, en larmes et échevelée.
Son visage ouvert et accueillant gomme instantanément toutes mes angoisses. Depuis qu'il m'a dénichée au milieu de l'aéroport, il n'a cessé de sourire. Il est comme ça, toujours optimiste, franc, battant. Il me fait un clin d'œil :
- Je ne veux pas que ta mère me tue...
Une jeune femme blonde, que je n'avais pas remarquée jusque là, se tient derrière Chris et me sourit. Ce dernier se tourne vers elle en tendant la main, prend la sienne et la tire doucement à ses côtés :
- Mélanie, je te présente Tara, me dit-il dans un anglais parfait.
Je n'aime pas particulièrement qu'on m'appelle Mélanie, mais je rends son sourire à cette Tara. Je lui réponds aussi en anglais, même si je n'ai pas son aisance. Moi, je n'ai pas encore passé dix ans à New-York... pas encore. Cette pensée me fait intérieurement lever les yeux aux ciel : je ne suis là que depuis une heure tout au plus, je n'ai rien vécu dans cette ville, et me voilà déjà en train d'imaginer y passer une décennie.
- Ravie de faire ta connaissance !
Je m'approche gauchement de Tara, un sourire timide sur les lèvres. Je ne sais pas trop quoi faire de mon corps, il va falloir que je me fasse aux accolades américaines, et à vrai dire je n'aime pas trop le concept. J'ai besoin qu'on respecte mon espace vital, je n'apprécie le contact de l'autre qu'à partir du moment où j'ai décidé que je peux laisser faire. Au moment même où ces pensées traversent mon esprit, Tara m'attrape le poignet puis m'entoure de ses bras pour me saluer. Surprise, j'enserre son dos à mon tour, le nez dans ses cheveux. Elle sent le savon pour bébé, son geste est chaleureux et pas du tout désagréable. Je décide donc qu'elle a le droit de rentrer dans mon sacro-saint espace vital. Son énergie me plaît.
En reculant, je focalise sur son visage : ses yeux pétillent d'une joie communicative, son sourire est accueillant. Elle a l'air super jeune, à peine cinq ans de plus que moi. Son apparence est simple, mais très soignée : elle est maquillée légèrement et porte un jean slim, un chemisier blanc évasé, et des escarpins noirs. Ses cheveux, blonds et raides, retombent élégamment dans son dos. Elle a beaucoup de caractère, je peux le sentir rien qu'à sa façon de me regarder, mais elle dégage aussi une grande gentillesse.
Personne dans ma famille ne l'a jamais rencontrée : depuis que Chris est aux Etats-Unis, on ne communique que par téléphone. La seule fois où il avait fait l'aller-retour en France, c'était peu après le divorce de mes parents, six ans plus tôt. C'est ma grand-mère, inquiète de l'état de ma mère, qui lui avait demandé de venir s'occuper de nous.
Quand il était revenu, ma mère allait si mal qu'elle n'avait même plus la force de se lever le matin, et s'il ne s'était pas occupé de la faire soigner, je ne sais pas où elle serait aujourd'hui. "Marie, il lui disait, Marie, il faut se battre! Tu ne peux pas rester comme ça!" Et donc, malgré elle, ma mère avait passé quinze jours à dormir dans un lit d'hôpital, puis un mois allongée, bourrée de médicaments.
Sur le moment, j'en voulais à Chris, j'avais l'impression qu'il essayait de nous séparer et qu'il ne me faisait pas confiance pour prendre soin de ma famille. Avec le recul, je pense qu'il lui a sauvé la vie. Il lui en avait fallu, du cran, pour séparer une mère de ses enfants et la faire droguer au point qu'elle ne se rappelle même plus de son prénom. Ça avait pourtant fonctionné: ce n'était pas la grande forme, mais quand ma mère était rentrée, elle n'était plus dans un état catatonique, elle arrivait au moins à s'habiller tous les matins et à aligner trois mots.
- Je suis tellement contente de rencontrer quelqu'un de la famille de Chris ! J'espère que tu vas te plaire ici! Tu verras, on y travaille beaucoup, mais c'est une ville fascinante.
Tara parle vite, avec un fort accent, et il me faut un léger laps de temps avant de comprendre exactement ce qu'elle me dit. J'ai un très bon niveau d'anglais, mais en France on nous enseigne principalement à parler avec l'accent de la reine-mère, ce qui n'est pas vraiment un atout au pays de l'oncle Sam. Je m'y serai faite dans quelques jours, mais pour l'instant, écouter Tara me demande une grande concentration.
Chris a l'air de connaître l'aéroport comme sa poche, il nous entraîne devant les tapis roulants à travers la foule. Je reconnais mes deux valises et m'avance pour les récupérer. Chris me les prend des mains et marche vers la sortie, de l'autre côté du gigantesque hall, Tara sur ses talons.
- Allez viens, me lance-t-il, il est temps qu'on te fasse visiter ta nouvelle maison.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top